L’invasion russe de l’Ukraine entre dans son quatrième mois. La résistance héroïque des Ukrainiens a contrecarré les plans initiaux de Poutine : une attaque éclair qui, en quelques jours, aurait conquis la capitale, Kiev, et remplacé le gouvernement ukrainien par un gouvernement soumis aux diktats du Kremlin.
Par Daniel Sugasti, le 24 mai 2022
Dans les premières heures de l’invasion, Poutine a publiquement exhorté les militaires ukrainiens à prendre le pouvoir afin d’entamer des négociations avec la Russie. L’attaque de différentes directions sur les principales villes ukrainiennes confirme irréfutablement que la nature de cette guerre, de la part de Moscou, est une guerre de conquête. Il s’agit d’une agression brutale d’une nation oppressive, deuxième puissance militaire de la planète, contre une nation plus faible et historiquement opprimée.
Mais trois mois après l’invasion, le plan initial de Poutine ne s’est pas concrétisé. Contre toute attente, ni Kiev n’a été prise, ni les Ukrainiens n’ont déposé les armes. La résistance ukrainienne a stoppé l’avancée russe sur la capitale. Il s’agit d’une victoire partielle qui remonte à juste titre le moral d’un peuple qui lutte pour le droit à l’existence nationale.
Le courage inhabituel des défenseurs, associé à une impasse logistique et organisationnelle, a conduit Poutine à avorter le siège de la capitale ukrainienne. À la fin du premier mois de la guerre, les troupes russes du nord-ouest se sont retirées en Biélorussie et celles du nord dans leur propre pays. Moscou a annoncé un changement de stratégie pour concentrer dorénavant ses efforts sur la « libération » du Donbas.
Après le retrait des Russes de la périphérie de Kiev, le monde a pu voir les traces de destruction et les atrocités commises par les envahisseurs. Les images des corps de dizaines de civils exécutés gisant dans les rues ou dans des fosses communes sont encore choquantes. Jusqu’à présent, les autorités ukrainiennes ont enregistré près de 400 morts civils à Bucarest. La semaine dernière, une enquête du New York Times a révélé l’exécution d’au moins huit hommes ukrainiens par des parachutistes russes dans la même ville au début du mois de mars [1]. L’Ukraine affirme enquêter sur plus de 10 000 crimes de guerre potentiels. La condamnation à la prison à vie d’un soldat russe qui a tiré dans la tête d’un civil de 62 ans et l’a tué a été annoncée récemment. Le bureau du procureur a annoncé de nouveaux procès pour crimes de guerre contre au moins 48 autres soldats envahisseurs.
Dans toutes les villes occupées, les troupes russes ont imposé un régime de terreur contre les civils. Sur les 6,4 millions de réfugiés générés par la guerre jusqu’à présent, plus d’un million de civils ont été emmenés en Russie, où l’on signale l’existence de camps de concentration pour les civils et les prisonniers de guerre.
Le déroulement de la guerre indique un conflit prolongé. La tentative russe de contrôler la région de Donbas a été ralentie par la résistance ukrainienne. Dans l’est de l’Ukraine, où les Russes sont soutenus par des groupes séparatistes parrainés par Poutine depuis 2014, l’avancée des envahisseurs était censée être beaucoup plus énergique. Mais la réalité montre une impasse. Les Ukrainiens, au moral haut et beaucoup plus expérimentés qu’auparavant, résistent du mieux qu’ils peuvent, même au prix de 50 à 100 pertes par jour.
Néanmoins, la Russie a pu récolter des triomphes. Après la reddition des derniers soldats ukrainiens barricadés depuis des semaines dans l’immense aciérie Azovstal, le Kremlin célèbre la prise de Marioupol, dans le sud-est, même si la ville est en ruines. Avec cette position saisie, les Russes contrôlent l’ensemble du littoral ukrainien sur la mer d’Azov et peuvent relier la Crimée, annexée en toute impunité en 2014, aux « républiques » autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. En d’autres termes, malgré les revers, la Russie contrôle environ un cinquième du territoire ukrainien, une portion bien plus importante que celle qui était sous influence russe avant l’invasion.
Si l’Ukraine a perdu Marioupol d’une part, elle a repris le contrôle de Kharkov, la deuxième ville du pays, d’autre part. Des contre-attaques successives ont repoussé les Russes et, de plus, ont abouti à l’expulsion embarrassante des envahisseurs vers leur propre frontière. Mais malgré les changements de position, rien n’indique une solution militaire à court terme. La Russie conserve une supériorité militaire écrasante, notamment dans les airs. Dans ce contexte extrêmement dur, le fait que la résistance armée, qui a intégré ces derniers mois des milliers de combattants regroupés dans les Forces de défense territoriale, ait empêché une victoire militaire rapide de Poutine, relève de l’exploit.
La poursuite de la guerre, comme on le sait, a des conséquences dans tous les domaines. Elle aggrave la crise énergétique, accélère l’inflation, crée les conditions d’une crise alimentaire, bref, exacerbe la crise économique mondiale et, avec elle, l’éclatement de crises politiques de diverses ampleurs est prévisible. La guerre en Ukraine est au centre de la lutte de classe mondiale.
Aucune confiance dans l’impérialisme ou dans Zelenski
Les impérialismes américain et européen affirment qu’ils soutiendront l’Ukraine « jusqu’au bout ». C’est du pur cynisme. Aucune action de Biden, Scholz, Macron ou tout autre dirigeant impérialiste n’est au service de la garantie de l’indépendance de l’Ukraine.
La guerre a montré que l’hypocrisie de l’impérialisme ne connaît pas de limites. L’Ukraine reçoit des éloges et des discours de soutien de la part des gouvernements impérialistes, mais le fait est que le pays n’a reçu aucune arme lourde, pas même un avion de chasse.
Tandis que le peuple ukrainien se défend du mieux qu’il peut, les gouvernements et les entreprises impérialistes se frottent les mains en pensant aux affaires potentielles liées aux prêts, aux fournitures de pétrole et de gaz, et à la reconstruction éventuelle du pays envahi. Pendant ce temps, les armes arrivent au compte-gouttes sur le front ukrainien. Malgré des commandes insistantes d’armes lourdes, les Ukrainiens n’ont jusqu’à présent reçu aucun système de défense aérienne moderne, aucun système de lancement de missiles multiples et encore moins de chasseurs pour contrer l’écrasante supériorité aérienne russe.
Dans ce contexte dramatique pour la défense de l’Ukraine, la demande de livraison inconditionnelle d’armes lourdes à l’Ukraine, et non de troupes impérialistes sur le terrain, reste la clé de la défaite finale de Poutine dans cette guerre.
Le peuple ukrainien, qui a fait preuve d’une force sociale impressionnante, n’a aucune raison de confier son destin à l’impérialisme et à son gouvernement bourgeois fantoche sous Zelensky. Tôt ou tard, le gouvernement des oligarques ukrainiens sabotera la résistance du peuple et capitulera devant Poutine, probablement en cédant le territoire ukrainien et en négociant avec l’impérialisme une place de partenaire junior dans la reconstruction du pays.
La gauche qui favorise l’envahisseur
Une partie de la soi-disant gauche, imprégnée d’un pacifisme stérile, s’oppose à la demande d’armement de la résistance ukrainienne. Le réformisme maintient une attitude équidistante, mettant en avant des slogans trompeurs, tels que « non à la guerre », une généralité qui assimile agresseurs et attaqués, et qui est utilisée pour refuser l’envoi d’armes afin que l’Ukraine puisse se défendre.
Cette position, en fait, ne fait que favoriser l’envahisseur. Tout le monde peut comprendre qu’il est impossible de se défendre et, qui plus est, de gagner la guerre sans armes lourdes et technologies militaires de pointe. C’est un problème fondamental dans toute confrontation militaire. Refuser des armes à l’Ukraine, c’est préparer le terrain pour sa défaite écrasante aux mains de Poutine.
Un autre secteur de gauche, notamment les courants castro-chavistes et philo-staliniens, continue de se positionner du côté des militaires russes, arguant que Poutine a un rôle « anti-impérialiste » et que son « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine est nécessaire pour stopper l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est.
Ce récit ne tient pas la route. L’OTAN est le bras militaire de l’impérialisme et tout révolutionnaire doit lutter pour sa dissolution. Il ne faut rien attendre de bon de cette alliance militaire pour l’Ukraine ou tout autre peuple. Mais les faits montrent la fausseté du prétendu rôle anti-impérialiste de la Russie. En réalité, la guerre d’agression contre l’Ukraine a renforcé comme jamais auparavant l’OTAN, une entité qui était très discréditée, remise en question dans plusieurs de ses pays membres.
Les atrocités commises par la Russie en Ukraine ont conduit de nombreux peuples d’Europe à croire, à tort, qu’en rejoignant ou en renforçant l’OTAN, ou leurs propres forces armées nationales, ils seraient plus en sécurité. La semaine dernière, par exemple, la Suède et la Finlande ont pris des mesures importantes pour rejoindre l’OTAN. Dans d’autres pays, notamment en Allemagne, l’agression russe a fourni aux gouvernements européens la justification dont ils avaient besoin pour augmenter qualitativement leurs dépenses militaires et exacerber la course aux armements. Non. Poutine est tout sauf anti-impérialiste. Au contraire, comme peu d’autres, il a renforcé l’OTAN et le militarisme européen.
Couper le financement de la machine de guerre russe.
Dans les pays impérialistes, la demande de livraisons inconditionnelles d’armes à l’Ukraine est fondamentale. Il est nécessaire d’expliquer que cela n’a rien à voir avec la politique de réarmement menée par les gouvernements impérialistes. Ce sont des choses différentes. Nous demandons des armes pour l’Ukraine, pas pour renforcer la puissance militaire des États impérialistes.
En outre, nous devons exiger de tous les gouvernements, impérialistes ou non, la rupture complète des relations diplomatiques et commerciales, c’est-à-dire la fin des investissements, des exportations et des importations avec la Russie. Le financement extérieur de la machine de guerre russe qui massacre le peuple ukrainien doit être arrêté.
Ceci est particulièrement important pour les pays européens qui importent du gaz et du pétrole de Russie. L’Union européenne, l’ennemi de la classe ouvrière, verse quotidiennement environ 800 millions d’euros à Poutine pour le pétrole et le gaz. Cette injection de ressources est cruciale pour l’effort de guerre de Moscou. Les actifs de Gazprom et des banques russes à l’étranger doivent être expropriés. Les actifs des entreprises et oligarques russes dans d’autres pays doivent être expropriés. Tout cela doit être mis inconditionnellement au service de la résistance ukrainienne et de la reconstruction future du pays attaqué.
En Russie, pays oppresseur et agresseur de l’Ukraine, la lutte contre la guerre revêt une importance décisive. Dans ce cas, le slogan « Non à la guerre » est pleinement justifié. À cet égard, il est important de rendre visibles les actions du mouvement anti-guerre russe et de faire preuve de solidarité avec les milliers de militants emprisonnés par la dictature de Poutine, qui, en vertu de la « loi antiterroriste », peut imposer des peines de prison de 15 ans. Il en va de même au Belarus, où le régime de Loukachenko, collaborateur de l’invasion russe, a arrêté plusieurs militants anti-guerre.
Redoubler la campagne de solidarité avec la résistance ukrainienne
Il est urgent de redoubler d’efforts pour assurer la solidarité avec la résistance ukrainienne. À cet égard, nous soulignons l’initiative du convoi de travailleurs du Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes, qui s’est rendu en Ukraine pour apporter une aide humanitaire et renforcer le contact avec la résistance de classe dans ce pays. La délégation du Convoi des travailleurs, renouant avec les meilleures traditions de l’internationalisme prolétarien, a participé au rassemblement du 1er mai avec les militants ouvriers d’Ukraine.
Dans plusieurs pays, des sections de la classe ouvrière organisent des collectes pour montrer leur solidarité active avec leurs frères et sœurs de la classe ouvrière ukrainienne. Ces initiatives et d’autres de la campagne de solidarité avec l’Ukraine méritent le soutien de tout socialiste, démocrate et défenseur des droits de l’homme et du droit à l’autodétermination nationale des peuples.
La LIT-QI, pour sa part, continuera à être en première ligne pour soutenir l’Ukraine occupée par les troupes de Poutine. Ce n’est qu’en soutenant la résistance ukrainienne que l’OTAN, les États-Unis, l’UE et le propre gouvernement oligarchique de Zelensky, qui est incapable de mener la lutte contre l’agresseur russe jusqu’aux dernières conséquences, pourront être combattus et démasqués.
Travailleurs du monde entier, unissez-vous pour soutenir la résistance ukrainienne !
Pour la défaite des troupes russes !
Pour la livraison inconditionnelle d’armes à la résistance ukrainienne !
Vive la résistance ukrainienne !
Pas de confiance dans les USA, l’UE, l’OTAN !
Pour la dissolution de l’OTAN !
Note :
[1] Voir : <https://cnnespanol.cnn.com/2022/05/20/investigacion-new-york-times-crimen-guerra-bucha-trax/>.
Traduction. Silas Teixeira