Par Michaël Lenoir
Dans la lutte contre la réforme des retraites que Macron veut nous imposer, la filière des déchets joue un rôle important. Depuis le début, et particulièrement à partir du 7 mars, les travailleurs/ses de ce secteur ont réagi par la lutte, avec des grèves reconductibles. A Paris, les ordures ménagères se sont accumulées sur les trottoirs, suscitant notamment le mécontentement du patronat du tourisme et de la restauration, assez influent dans la capitale. Dans la filière des déchets, les usines d’incinérations jouent un rôle particulier. L’Isséane – l’usine d’incinération des déchets d’Issy-les-Moulineaux – fait partie d’un ensemble de trois usines en région parisienne, avec l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine (connu comme le plus gros incinérateur d’Europe) et celui de Saint-Ouen. C’est la lutte à l’Isséane que vise à présenter cette petite chronique en plusieurs articles. Cet article, le second de la série, raconte les évènements du début de la matinée du 30 mars.
Le 31 mars 2023
Les soutiens en première ligne
Rappelons brièvement le contexte de la lutte à ce moment. La grève a été arrêtée – suspendue – le 24 mars. Mais les soutiens sont appelé.es à relayer le mouvement avec des actions de barrages filtrants. Il s’agit d’abord de ralentir l’arrivée des camions sur le site. Le piquet reste toutefois présent depuis près d’une semaine et ralentit considérablement le stockage et l’incinération des déchets à l’Isséane. Tout était calme au cœur de la nuit : une ambiance paisible, fraternelle et sororelle, de belles rencontres entre activistes d’horizons très variés. Mais une intervention policière était annoncée aux alentours de 6h du matin. Il fallait se tenir prêt.es, et des renforts militants avaient été appelés pour y faire face.

AG improvisée
Vers 5h30, une AG des premières personnes présentes en soutien sur place s’est tenue devant le site, afin de se mettre d’accord sur la stratégie et des tactiques à adopter en fonction de l’évolution de la situation, notamment du nombre de soutiens et de flics, de l’attitude de ces dernier.es et des consignes qu’ils et elles auront reçues.

Arrivée des flics et des camions
Vers 6h du matin, les camions devaient commencer à affluer à l’Isséane, soutenus par la police, et c’est pourquoi les soutiens étaient appelé.es à y faire face de la façon la mieux adaptée.
Vers la même heure, des hommes (très peu de femmes) en uniforme sont donc arrivé.es, teigneux/ses pour certain.es (celles et ceux qui étaient visiblement frustré.es par leur insuffisance numérique et/ou par des ordres pas assez « fermes » pour leurs « cerveaux » tendanciellement fascistoïdes ; d’autres (sans doute une majorité vu les comportements observables, semblaient plutôt bienveillant.es, voire carrément sympathisant.es.
Une grille qui coulisse mal
La grille coulissante a été (fort malencontreusement) refermée partiellement. Son positionnement permet de laisser passer des camions poubelles, mais au ralenti. Par conséquent, il s’agit non pas d’un blocage mais juste un filtrage, un barrage filtrant ; et cela n’est pas perçu de la même façon par la police et l’État. Mais l’ouverture est serrée, et cette fichue grille refuse obstinément de coulisser dans le sens de l’ouverture. Quelle malchance ! Elle reste obstinément coincée, comme pour affirmer sa solidarité grinçante avec la lutte.

Par conséquent, ça va être difficile pour les camions de passer la grille et d’aller déposer leurs déchets à l’intérieur de l’usine : le passage d’un véhicule se joue à quelques centimètres près, de chaque côté. Il faut bien du talent pour franchir la grille dans un intervalle si serré au volant d’un camion-poubelle !
Et hop ! On le pressentait : le premier véhicule qui s’y élance s’en sort mal. Il accroche franchement, presque allègrement, la grille, et du coup bloque l’entrée pendant un petit moment ; quelqu’un observe que du choix du barrage filtrant, on est plutôt passé à l’expérimentation du barrage râpant ! De belles balafres ont amoché la carrosserie du poids lourd. Espérons que le « maladroit » qui a abîmé « son » camion – ou plutôt celui qui appartient à « ses » capitalistes – ne sera pas sanctionné. Ce sera a priori aux assurances de régler la réparation, ce qui bien sûr n’attriste personne. Mais l’incident a ralenti assez considérablement le processus et la file de camions s’allonge sur le quai du Président Roosevelt.
Peu après, sous les regards médusés des forces de l’ordre, un autre camion vient se frotter à la grille, mais plus légèrement. Les autres véhicules se sortent avec brio de cet étrange gymkhana. Chapeau, les chauffeurs ! Mais le processus est très long et certains véhicules donnent des signes d’impatience sur le quai. Derrière les grilles, des hommes en uniforme, soucieux de l’ordre public et conscients de l’importance de leur mission, cherchent à comprendre pourquoi cette fichue grille ne coulisse pas, la tripotent, se grattent la tête et, plus ou moins désespérés, baissent les bras et semblent devoir s’en remettre au chef. Celui-ci, normalement, devrait savoir… puisque c’est le chef ! Mais ce dernier, en tenue civile, semble patauger lui aussi. De vilains petits rictus renforcent l’expression antipathique de son visage.
Une technique de blocage inopinée
Tout à coup, patatras ! Un incident – très regrettable pour un camp ; tout à fait délectable pour l’autre – change le cours des évènements de la matinée, et les diverses vidéos qui le montrent semblent devoir devenir virales. Une benne se lève, puis se vide, amoncelant devant l’entrée des installations un fatras de déchets très malodorants – mais, espérons, non toxiques – obstruant malencontreusement l’entrée de l’établissement, sans la moindre intervention de quelque gréviculteur/trice que ce soit.
Des slogans loufoques (« Les ordures, avec nous ! »…), des gloussements, mais aussi des rires francs et sonores dans l’assistance expriment une satisfaction générale autour de l’amas de détritus.
Il faut souhaiter du fond du cœur que le chauffeur, mis en garde à vue pour cette maladresse, ne soit pas inquiété par son employeur. Son existence est déjà bien assez rude sans cela. Un service juridique mis à sa disposition saura faire reconnaitre, espérons-le, la non-intentionnalité du geste de notre camarade-de-circonstances. Une manifestation sauvage des soutiens présent.es sur place avant la fin de matinée s’est dirigée vers le commissariat le plus proche, et a sans doute aidé ledit chauffeur à en sortir libre assez rapidement. Côté police, les choses ont donc l’air de s’être bien passées.

Déblayer l’entrée du site
Le petit engin de chantier requis pour déblayer, mais plus ou moins adéquat, mettra fort longtemps à arriver sur les lieux et il lui faudra un bon nombre d’allers-retours pour dégager l’essentiel des ordures en question.
La plupart des camions-bennes attendant dans la file sur le quai ont rebroussé chemin bien plus tôt, surtout au moment du déversement imprévu des déchets devant la grille.
L’opération du 30 mars menée par les soutiens à la lutte des travailleurs/ses du secteur du traitement des déchets à Issy-les-Moulineaux s’est finalement révélée efficace.
La lutte continue !
Et on ira, et on ira, et on ira jusqu’au retrait !
