mar Avr 16, 2024
mardi, avril 16, 2024

La gauche, face aux conflits salariaux au sein des forces armées et de sécurité

Début octobre, un conflit salarial a opposé les sous-officiers et la base de la police militarisée des frontières et de la police des ports[i] au gouvernement argentin de Cristina Kirchner et aux sommets de ces forces armées.

Le conflit a son origine dans un décret du gouvernement de Cristina, qui ordonne la suppression de plusieurs primes non incluses dans la rémunération de base, dans le cadre d'un plan d'ajustement économique contre la classe ouvrière et le peuple argentin en général et qui attaque notamment le salaire des fonctionnaires. Cette suppression représente pour les membres de ces deux forces une diminution du salaire net de 30 à 60 %.

La base et les sous-officiers des deux institutions militaires ont réagi à cela par une grève, accompagnée de rassemblements et de manifestations devant les bâtiments centraux des deux forces. Par la suite, la revendication d'un salaire de base de 7000 pesos (environ 1200 €) a été ajoutée aux griefs. Puis, 200 sous-officiers de la marine ainsi que des sous-officiers l'armée de l'air et les conjointes des sous-officiers de l'armée de terre se sont associés à la revendication.
 
Face à ce conflit, le gouvernement argentin eut une politique prudente. D'une part, il n'a pas osé réprimer directement le mouvement et il a entamé des négociations avec une « commission de représentants », une première, puisqu'en Argentine, les forces de sécurité n'ont pas le droit de s'organiser ni de formuler des revendications salariales ou de travail. L'annulation des réductions a rapidement été accordée. D'autre part, huit porte-parole du conflit ont été sanctionnés et toute discussion sur une modification du salaire de base a été refusée.
 
Entre-temps, au parlement, toutes les forces gouvernementales et de l'opposition bourgeoise ont voté une déclaration, invitant « les forces de sécurité et d'autres forces à ajuster leurs actions aux règles de fonctionnement démocratique et de subordination aux autorités légitimement constituées, respectant pleinement la Constitution nationale ».[ii] En d'autres termes, la déclaration faisait entendre que le mouvement aurait une connotation putschiste. Tous les politiciens de la bourgeoisie argentine étaient d'accord pour exiger de la police des frontières et des ports en grève de « se calmer » et de « rentrer chez eux ».
 
Cette préoccupation et cette unité de la bourgeoisie argentine ne sont pas fortuites. En Argentine, il y a actuellement une interdiction légale pour l'armée de participer à la répression interne. Cette situation, conjuguée à la crise profonde de la police fédérale et des polices provinciales, a fait que la police des frontières et celle des ports, et surtout la première, sont devenues les principales forces de répression des conflits sociaux, des grèves, des manifestations et des barrages routiers. Et voilà qu'une crise éclate au sein même de ces forces de répression. Les classes possédantes argentines se voyaient confrontées à une situation inquiétante, du genre de « Qui va nous défendre ? »
 
Il est clair que ce conflit est une expression de la crise économique, sociale et politique, qui commence de plus en plus à toucher l'Argentine. Ce n'est toutefois pas l'analyse des racines de ce processus que nous allons aborder ici.
 
Notre intention est de développer le débat avec la majorité de la gauche argentine et latino-américaine, concernant la position à adopter par les organisations socialistes révolutionnaires face à de tels conflits et, plus généralement, concernant la politique révolutionnaire envers les forces armées et de sécurité. Cette controverse n'est pas nouvelle. Elle a eu lieu à l'occasion de la révolte des polices en Equateur en 2010 et lors de la grève des pompiers de Rio de Janeiro en 2011.
 
Notre position
 
La position du PSTU-A (la section argentine de la LIT-QI) était de soutenir la lutte des policiers des frontières et des ports contre le gouvernement. C'était une position identique à celle de nos sections en Equateur et au Brésil, où le MAS et le PSTU-B ont soutenu respectivement la lutte des policiers qui se sont mutinés contre le plan d'ajustement de Correa et celle des pompiers qui se sont affrontés au gouverneur Cabral à Rio de Janeiro pour exiger une hausse de salaire. 
 
Dans tous ces cas, il s'agissait d'une situation spécifique qui exigeait aussi une prise de position et une politique spécifiques. Il s'agissait de conflits où les agents de base et de bas rang de ces forces répressives s'affrontaient contre la haute hiérarchie militaire ou de police et contre les administrations municipales ou nationales. Nous parlons de confrontations non seulement politiques, mais aussi physiques. Dans le cas de l'Equateur et du Brésil, les gouvernements ont envoyé des forces spéciales pour réprimer la base insubordonnée, provoquant des affrontements et l’emprisonnement ou la punition de nombreux soldats et officiers.
 
Le débat avec la gauche en Argentine et en Amérique latine se résume dans la question suivante : de quel côté se situent les partis qui se considèrent comme révolutionnaires dans un conflit de cette nature ? Il n'y a que deux alternatives concrètes en réalité : nous sommes avec la base des soldats ou des policiers et avec les officiers subalternes, contre les hauts sommets militaires et les différents gouvernements capitalistes, ou nous sommes avec les gouvernements (Correa, Cabral / Dilma, Cristina Kirchner) et les sommets, contre les réclamations des secteurs insubordonnés et en faveur de la répression contre ceux-ci.
 
La position de la LIT-QI est la première. Et nous avons cette position parce que nous suivons la politique traditionnelle de Lénine qui proposait de « promouvoir la lutte des classes » au sein des forces armées capitalistes, avec la perspective de la victoire de l'insurrection ouvrière et socialiste. Cela implique de tirer un avantage des profondes contradictions sociales qui existent au sein de ces institutions et d'avoir une politique pour opposer la base et les officiers subalternes au sommet des officiers supérieurs des forces armées et à l'Etat bourgeois, à travers un programme de revendications concrètes visant à diviser les forces de répression, gagnant ainsi un secteur à la révolution pour combattre l'autre. Cette politique n'est pas destinée à « réformer » ces « détachements armés » de l'Etat bourgeois, mais à les détruire.
 
La politique léniniste-trotskyste a été appliquée avec succès entre février et octobre 1917, quand des millions de soldats mobilisés par les gouvernements capitalistes russes dans la Première Guerre mondiale se sont rebellés, ont rompu la chaîne de commandement, se sont organisés et ont participé aux soviets (les conseils de députés des ouvriers, des paysans et des soldats). Lénine et Trotsky étaient d'accord que cette politique a été cruciale pour la victoire de la Révolution d'octobre de 1917. La politique appliquée par la LIT-QI et récemment par le PSTU (A), de soutenir ces conflits au sein des forces répressives, est guidée par cette tradition léniniste.
 
Une position pacifiste, camouflée par un langage « radical »
 
En Argentine, le Nouveau MAS et le Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) ont pris position contre la lutte des policiers des frontières et des ports. Le PTS avait déjà pris position contre la lutte des pompiers de Rio de Janeiro l'année dernière, par le biais de son courant international, la Fraction Trotskyste.
 
Bien entendu, ces organisations, qui se disent trotskystes, essayent de camoufler cette position avec des expressions pompeusement « révolutionnaires ». Mais la réalité est la réalité et il est très difficile de la cacher. La déclaration elle-même du PTS, par exemple, commence par reconnaître que « la mutinerie, dont les sous-officiers de la police des frontières et des ports (rejoints par un secteur de la marine) ont été les protagonistes, a ouvert une crise nationale. Le conflit, déclenché par une réduction de salaire, est devenu politique. Les huées aux officiers, l'extension du conflit et sa propagation au sein des forces armées illustrent la gravité de la situation. […] Le gouvernement est à une croisée de chemins. S'il fait marche arrière sur toute la ligne, il peut être pris en otage par les insubordonnés, et l'exemple peut être recueilli par d'autres secteurs des forces armées, y compris la police provinciale qui manifeste de la sympathie envers les rebelles. En revanche, s'il ne cède pas, la situation peut se durcir et il peut perdre plus ouvertement le contrôle sur des secteurs clés de l'appareil d'Etat, mettant en jeu son pouvoir même de gouverner. »[iii]
 
C'est impressionnant. Face à une « mutinerie » qui « est devenue politique », où les officiers ont été hués et qui s'étend à d'autres secteurs, ce qui donne lieu à une situation « grave » qui « a ouvert une crise nationale », où le gouvernement est mis « à la croisée des chemins » et court le danger de perdre « le contrôle de secteurs clés de l'appareil d'Etat » et de « mettre en jeu son propre pouvoir de gouverner »…. le PTS est contre la lutte qui a provoqué toute cette crise. Et l'argument est que tout cela « renforcerait l'Etat bourgeois » ! Au-delà de la discussion sur ce que serait cette étrange façon de « renforcer » l'Etat bourgeois – à travers une lutte qui, comme ils le disent eux-mêmes, a ouvert une crise politique nationale qui remet en question le contrôle lui-même du gouvernement sur un secteur de l'armée, l'épine dorsale de tout Etat bourgeois – nous reprenons la discussion concrète : si le PTS est contre la lutte de la base et des sous-officiers de la police des frontières et des ports, il se situe objectivement du côté de la hiérarchie militaire et du gouvernement de Cristina et de leur politique économique des ajustements.
 
Qui plus est, cette position n'a rien à voir avec une politique révolutionnaire, mais reflète un pacifisme réactionnaire : l'abandon de la lutte pour tirer un avantage des contradictions de classe au sein des forces armées et ainsi les exacerber afin de diviser ces forces et les détruire.
 
Le PTS affirme – et le Nouveau MAS avance des arguments similaires – que la politique léniniste n'est pas d'application dans ce cas, ne pouvant être appliquée que si les deux conditions suivantes se vérifient.
 
a) « Il doit s'agir d'une armée de conscrits, recrutés en masse dans les classes exploitées, comme cela arrive souvent en temps de guerre, où il faut avancer un programme qui reprend les revendications économiques et politiques de la troupe. »
La politique léniniste ne serait donc pas d'application pour les armées professionnelles (de salariés) ou pour les forces de sécurité, qui font partie des institutions de l'Etat bourgeois, avec discipline militaire, et dont la fonction est de réprimer les travailleurs, des forces qui constituent la « garde prétorienne ». En ce sens, ces forces ne seraient donc pas soumises aux contradictions de classe ou leurs contradictions seraient étrangères aux intérêts des travailleurs. Leurs membres de base et leurs sous-officiers ne seraient pas des travailleurs. Et même étant salariés et issus des classes exploitées, ce caractère serait dominé, de façon absolue, par le fait d'être des membres d'un appareil répressif. Pour cette raison, tout conflit en leur sein pour une hausse des salaires ou pour des conditions de travail serait réactionnaire parce que, finalement, il viserait à améliorer les conditions de vie des répresseurs. Ils vont réprimer davantage dans la mesure où ils gagnent plus. Il faudrait donc être contre eux.
 
Conformément à cela, le PTS et le NouveauMAS s'opposent donc à la proposition de syndicalisation de ces secteurs, une proposition qu'ils considèrent comme doublement réactionnaire. Tout d'abord, parce que cela permettrait d'améliorer les conditions de travail des répresseurs. D'autre part, parce que cela pourrait semer l'illusion que l'Etat bourgeois et ses institutions répressives peuvent être « réformés », ce qui est impossible. Ces partis présentent l'exemple de la France, où il existe des syndicats de police, sans que cela n'empêche la police de réprimer.
 
C'est un fait qu'il y a une tendance d'avoir de moins en moins de conscrits dans l'armée, et de plus en plus de secteurs « salariés » ou « professionnels ». Par exemple, en Argentine elle-même, le service militaire obligatoire n'existe plus et les troupes, de la base au sommet, sont rémunérées. Mais cela n'a jamais été un critère pour définir la politique révolutionnaire pour détruire l'armée bourgeoise. La politique de Lénine a toujours été de tirer profit des inégalités et des contradictions de classe au sein de ces appareils pour les diviser, opposant les soldats aux sous-officiers et même ces derniers ou les officiers de rang inférieur au haut commandement. Il peut s'agir, par exemple, d'une lutte de sous-officiers contre le haut commandement (les colonels, les généraux). Les révolutionnaires doivent-ils s'y opposer ou s'abstenir d'avoir une politique, simplement parce que les sous-officiers sont des « professionnels » et non des « conscrits » ? Par exemple, en Argentine, les policiers provinciaux ont toujours été rémunérés, de haut en bas. Cela signifie-t-il que, lorsqu’éclate une rébellion des agents (les soldats) contre les sous-officiers ou de ceux-ci contre les officiers de rang plus haut, nous ne devons rien faire pour aggraver la crise puisque « ce ne sont pas des conscrits » ? Cela n'a jamais été le critère de Lénine, ni de Trotsky ou de n'importe quel marxiste. Ceux-ci se sont toujours demandé comment augmenter les crises et les affrontements, tout au long de la chaîne de commandement, à partir des contradictions de classe.
 
b) « Ce n'est que dans une situation de crise grave du pouvoir de l'Etat et d'augmentation généralisée de la lutte des classes que le fait qu'une partie de la base sociale populaire d'une force répressive ''brise la chaîne de commandement'' et retourne son arme pour se mettre du côté des travailleurs peut se produire, et cela, non pas à travers des mécanismes de la légalité de cette démocratie pour les riches ou par ''conviction'' pacifique, mais par une force matérielle : lorsque la classe ouvrière en lutte acquiert ses organismes d'autodéfense, son propre pouvoir armé, ses milices ouvrières. »
 
Autrement dit, la politique léniniste ne serait d'application que dans des situations révolutionnaires, avec un double pouvoir et des milices ouvrières armées. Pour le PTS et le Nouveau MAS, en dehors de ces situations – dans lesquelles, oui, il serait possible d'arriver à une division de ces institutions – il faudrait donc être contre ces luttes. Cette politique témoigne d'un pacifisme réactionnaire, typique du réformisme qui pense que, la prise du pouvoir n'étant pas à l'ordre du jour, aucun type de travail politique pour détruire l'armée, le pilier de l'Etat bourgeois, n'a d'intérêt. Dire cela, c'est dire que, jusqu'à ce que le moment soit venu pour la révolution socialiste, nous ne devrions pas avoir de politique pour les grèves ou les affrontements concrets entre les travailleurs et les employeurs, et même pas pour profiter des crises interbourgeoises.
 
Des gardes prétoriennes ?
 
Pour avancer dans la discussion, nous partons d'un point commun entre le PTS et le Nouveau MAS. Les armées, notamment les professionnelles, et les forces de sécurité sont des « détachements armés » de l'Etat bourgeois, ayant comme fonction la répression des travailleurs et la défense de la propriété privée capitaliste. Cela signifie que, en tant qu'institutions, elles ne peuvent pas être « réformées » : la stratégie doit être de les détruire avec le pouvoir de la lutte de la classe ouvrière et de son expression dans le domaine militaire. Nous n'avons aucune illusion réformiste en sens contraire. Ce n'est pas cela qui est en discussion.
 
La discussion concerne la politique pour détruire l'armée bourgeoise, une question qui englobe des faits tels que les grèves pour le salaire et la croissante syndicalisation de la police. Le PTS et le Nouveau MAS disent que ce ne sont pas des travailleurs, définition avec laquelle nous sommes également d'accord. Le problème est qu'en fait, ces partis nient qu'au sein de ces institutions répressives, il existe des contradictions de classe, de par le caractère de salariés et l'origine sociale pauvre de la base des soldats et des officiers de bas rang qui, dans de nombreux cas, proviennent de la classe ouvrière ou du paysannat pauvre. Le PTS dit « qu'il s'agit d'une garde prétorienne qui ne peut être gagnée pour le camp de la lutte ouvrière uniquement par l'agitation et la propagande, et beaucoup moins encore par le soutien de leurs exigences corporatistes ».[iv] Le Nouveau MAS, pour sa part, admet qu'il y a cette origine sociale « humble » dans des secteurs de ces forces, mais qu’« une fois en service, cette origine sociale est ''supprimée'' ».[v]
 
Si les affirmations de ces secteurs soi-disant « révolutionnaires » sont correctes, alors il n'y a pas de contradictions au sein des forces de répression dont nous puissions profiter maintenant, et il ne nous resterait qu'à attendre, les bras croisés, le moment de l'apparition de la révolution ouvrière et socialiste victorieuse. A un moment où ces forces de répression sont en train de se rebeller et de briser la chaîne de commandement bourgeoise, sachant qu'il leur est interdit de faire grève ou de se syndiquer, à un moment où elles mettent en cause l'ensemble de cette structure verticale au service de la défense de la propriété privée et contrôlée par les gouvernements bourgeois, dans ce cas celui de Cristina Kirchner, voilà à peu près ce que disent ces partis aux travailleurs et à la base elle-même de ces forces de répression : « Soldats et sous-officiers, vous êtes et vous serez toujours les oppresseurs du peuple et les ''chiens de garde'' des riches, c'est votre rôle pour toujours… il n'y a donc pas de quoi mettre en question ce rôle, ni votre propre chaîne de commandement ; ne combattez pas vos officiers ni le gouvernement ! »
 
Le fait est que, en niant que les forces armées puissent être divisées, suite à des contradictions sociales en leur sein, et en s'opposant à la syndicalisation des troupes et des officiers subalternes et à leur droit de faire grève, ces partis se prononcent pour le maintien de la structure de l'armée, telle qu'elle est. Il en est ainsi parce que toute grève ou tout conflit au sein de l'armée implique une rupture de la chaîne de commandement, étant donné qu'une grève de la base est toujours dirigée contre ses supérieurs ou contre le gouvernement bourgeois lui-même. Ceci étant, on se demande qui a la politique de renforcement des forces de répression ? Ceux qui cherchent à approfondir les affrontements entre la base et le sommet de l'armée ou ceux qui s'opposent à la mise en question, de l'intérieur, de la chaîne de commandement ?
 
L'analyse du PTS et du Nouveau MAS n'a aucun fondement dans la réalité, en dépit de l'effort pour l'enrober d'une phraséologie « gauchiste ». Tout le monde sait qu'en Argentine et dans de nombreux pays, les membres des armées professionnelles et des forces de sécurité ne sont pas des travailleurs, mais leur origine de classe, leur caractère de salariés, leurs conditions de travail, leurs zones de résidence, tout cela crée de nombreux vases communicants avec la classe ouvrière, ce qui ouvre la possibilité de l'influence d'une politique ouvrière et révolutionnaire. Il en est ainsi parce que le capitalisme n'est pas en mesure de payer des salaires élevés à l'ensemble de ses forces répressives. Un gendarme argentin ou un soldat de la police militaire brésilienne, qui reçoit un salaire de misère et vit dans un quartier pauvre, est-il logé à la même enseigne qu'un colonel ou un général qui gagne dix fois plus et vit dans les quartiers riches ? N'y a-t-il donc aucune contradiction de classe que nous, les révolutionnaires, nous pouvons exploiter en faveur de la destruction de cet appareil contre-révolutionnaire, pour préparer les conditions de la révolution socialiste ?
 
Uniquement lors de la révolution ?
 
Le second argument du PTS et du Nouveau MAS – qu'il s'agit d'une politique qui est uniquement d'application dans des situations révolutionnaires – ne représente pas seulement une capitulation au gouvernement de Cristina Kirchner et au haut commandement militaire ; il est également spontanéiste et pacifiste.
 
En abandonnant une politique permanente et préliminaire d'agitation et de propagande envers la base et les officiers subalternes de l'armée, laissant cela pour quand la situation sera critique et révolutionnaire, ces organisations tombent dans le spontanéisme. Si nous suivons cette approche, notre tâche serait de s'asseoir les bras croisés, spectateurs de ce genre de crises et de confrontations – souvent physiques – entre les soldats et leurs commandants et les gouvernements bourgeois, jusqu'à l'arrivée de la situation révolutionnaire genre Octobre russe. Cela n'a rien à voir avec, par exemple, l'orientation donnée par la Troisième Internationale, qui établissait, comme une des 21 conditions pour acceptation des parties dans son sein, la suivante : « Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de faire une propagande et une agitation systématique et persistante au sein des troupes. » La politique qui consiste à ne pas faire de l'agitation et de la propagande envers les troupes ou la base de l'armée, avant que « ne sonne l'heure » d'une insurrection, est spontanéiste et ne peut qu'apporter des défaites au prolétariat dans une perspective stratégique.
 
La politique de ces organisations est pacifiste, puisqu'elle nie la lutte politique au sein de l'armée. Nous savons que, sans division des forces armées bourgeoises, il n'y a aucune possibilité de triomphe de la révolution socialiste ni de destruction des forces répressives. Parmi ceux qui sont d'accord avec cette prémisse, il y a deux secteurs : a) ceux qui, comme nous, les léninistes-trotskystes, affirment que cela demande un travail politique systématique sur la base de ces forces de répression dans le sens d'aggraver la crise ; b) les partisans du foyer de guérilla, qui préconisent la nécessité de monter une armée populaire qui se renforce progressivement jusqu'à une confrontation finale et décisive d'armée contre armée avec la bourgeoisie. Les guérilleros ont une tactique erronée, mais ils ont pour but de détruire les forces armées de l'Etat bourgeois.
 
Si le PTS et le Nouveau MAS ne défendent ni l'un ni l'autre, il est clair que leur position est pacifiste et rejette donc la stratégie même de l'insurrection. Dans la pratique, ils sont en faveur du maintien de la structure de commandement des forces répressives, la position typique du pacifisme réactionnaire.
 
Soyons clairs. Ces organisations se réconfortent et tentent de justifier leur politique en parlant d'une situation future, de la situation révolutionnaire, d'un éventuel nouvel Octobre qui, aujourd'hui, n'existe pas dans la réalité. Ce qui a existé et continuera probablement à exister, même sans une situation révolutionnaire, à cause de la crise capitaliste et l'incapacité de garantir de meilleurs salaires et conditions de travail à la base des forces de répression, ce sont des grèves comme celles des pompiers à Rio de Janeiro ou de la police des frontières et des ports en Argentine, ce sont des émeutes comme celles de l'Equateur, la formation de syndicats de policiers en Argentine ou l'appel de ces syndicats à se mobiliser avec les travailleurs. Dans ces procédés, il y a toujours une rupture de la « chaîne de commandement » (essentielle pour le fonctionnement de ces institutions), des insultes et des attaques contre les officiers, des occupations de casernes (comme ce fut le cas avec les pompiers de Rio de Janeiro), ainsi qu'une sévère répression et le châtiment des insubordonnés par le haut commandement.
 
Face à cette réalité – et non face à une situation encore inexistante –, les questions qui exigent une réponse sont simples. Est-il préférable, oui ou non, que ces secteurs se mobilisent et luttent contre l'Etat et les gouvernements capitalistes avec des méthodes de la classe ouvrière ? Les affrontements, au sein des forces répressives, de la base contre le sommet militaire, favorisent-elles les travailleurs ou renforcent-elles l'Etat bourgeois ? Vont-elles créer, oui ou non, de meilleures conditions dans la préparation d'une situation révolutionnaire et la destruction de ces institutions répressives ? Vaut-il mieux qu'elles triomphent ou qu'elles soient vaincues ? Pour nous, les réponses sont positives et c'est ce qui justifie notre politique de soutien à ces luttes.
 
Le PTS et le Nouveau MAS tirent la conclusion inverse : il s'agirait de luttes réactionnaires et il faudrait donc s'y opposer. Ils accordent ainsi une grande faveur à la bourgeoisie, en dépit des phrases « gauchistes », puisqu'ils militent pour la défaite de processus progressistes et ils éloignent donc la classe ouvrière d'une politique de destruction de ces institutions.
 
Nous voulons être catégoriques : ces organisations finissent par faire l'unité avec la bourgeoisie, les gouvernements et les régimes capitalistes. Le Nouveau MAS, par exemple, ajoute à son analyse des raisons pour être contre cette lutte une prétendue « dynamique dangereuse qui consiste à mettre en questions par la droite les autorités constituées ». Ce parti, tout comme l'ensemble des patrons et le gouvernement argentin, a été alarmé par le fait qu'une possible victoire des revendications salariales des policiers insubordonnés mettrait « en question leur ''subordination'' au pouvoir politique ». Le pouvoir politique de qui ? Cela ne peut être que celui de la bourgeoisie argentine par le biais du gouvernement de Cristina Kirchner.
 
Nous croyons que cette analyse est totalement erronée. Il n'a jamais été question d'une tentative de coup d'Etat, mais uniquement d'une revendication salariale. Cela aurait pu être une tentative putschiste qui met en question les libertés démocratiques, mais ce n'était pas le cas. Toutefois, même dans ce cadre – et à partir de cette caractérisation profondément erronée – la politique du MAS est totalement incohérente puisque, dans l'éventualité d'un coup d'Etat militaire, ce parti aurait dû appeler les travailleurs, et aussi des secteurs bourgeois « défenseurs des institutions », à une large unité d'action pour faire face avec la mobilisation à cet éventuel putsch réactionnaire. En d'autres termes, dans le cadre d'une analyse tout à fait erronée, ce serait un abstentionnisme criminel face au putsch dénoncé.
 
Mais, comme il ne s'agissait pas d'un putsch, en fait, ils défendaient les « autorités constituées » d'une lutte pour le salaire, qui leur faisait face en tant que « pouvoir politique ». Tel fut le rôle honteux du Nouveau MAS, qui le disait ouvertement, et du PTS.
 
Pour conclure, disons que la principale organisation de la gauche en Argentine, le Parti Ouvrier (PO), n'avait pas de position concernant les faits. Chose incroyable, il y a beaucoup d'analyses dans leurs textes concernant l'origine de ce conflit, mais il est impossible de savoir si le PO était pour ou contre la lutte des policiers des frontières et des ports. Face à un événement qui a secoué la vie politique en Argentine, le PO a dit : « je passe ». Il n'a pas pris parti concernant cette confrontation, ce qui revient aussi à une position pacifiste et une capitulation au gouvernement et au sommet militaire argentin.


[i] La Gendarmería et la Prefectura respectivement

[ii] Clarín, 4.10.2012

[iii] La protesta de los represores abrió una crisis política, 4/10/2012, sur le site web du PTS.

[iv] ROS, Jonatan: La continuación del pacifismo por otros medios, 18/10/2012, La Verdad Obrera Nº 497

[v] ROJO, José Luis: Un análisis de clase de las fuerzas de seguridad, 18/10/2012, sur le site web de Socialismo o Barbarie, le courant international orienté par le Nouveau MAS argentin.

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