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États-Unis: La fusillade de Buffalo, NY, est liée à la théorie raciste du « grand remplacement ».

Par John Leslie. Article publié à l’origine sur Workers’ Voice, le 19 mai 2022

Le samedi 14 mai, un tireur suprémaciste blanc, Payton Gendron, 18 ans, est entré dans un supermarché à Buffalo, dans l’État de New York, et a abattu 10 personnes, en blessant trois autres. Onze des 13 victimes abattues lors de cet évènement sont noires. Le tireur a diffusé en direct sur Internet la vidéo de sa folie meurtrière.

Quelques jours plus tôt, Gendron avait mis en ligne un long « manifeste » dans lequel il planifiait l’attaque et citait la « théorie du grand remplacement », mythe nationaliste blanc selon lequel les élites, souvent présentées comme juives, conspirent pour remplacer les Blancs aux États-Unis par des minorités et des immigrants.

Dans sa déclaration décousue, Gendron a cité Brenton Tarrant, qui a tué 51 personnes lors de fusillades dans deux mosquées néo-zélandaises en 2019 ; Dylann Roof, qui a assassiné neuf Noirs dans une église de Caroline du Sud en 2015 ; et Anders Breivik, le néo-nazi norvégien, qui a tué 77 personnes, pour la plupart des adolescents, dans un camp de jeunes sociaux-démocrates en 2011, comme sources d’inspiration pour sa radicalisation.

La police a retrouvé dans le véhicule de Gendron un AR-15[1] utilisé lors des fusillades, ainsi qu’un fusil et une carabine de chasse. Sur le AR-15 étaient griffonnés les mots « voici votre dédommagement », les noms de Tarrant, Breivik et Roof, ainsi que le nombre 14 – représentant les 14 mots couramment utilisés comme déclaration par les suprématistes blancs : « Nous devons assurer l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs »[2]. L’acronyme « SYGAOWN » (signifiant « Stop Your Genocide Against Our White Nations » – « arrêtez votre génocide contre nos nations blanches ») était inscrit sur le fusil, tout comme le symbole de la Garde de fer roumaine, nazie.

Le nationalisme blanc se généralise

Le nationalisme blanc repose sur la crainte que les Blancs, en tant que groupe social, ne perdent leur primauté dans la société des États-Unis en raison du déclin de la population blanche et de l’augmentation de l’immigration. Il est vrai que le pourcentage de la population blanche « non hispanique » diminue par rapport à l’ensemble de la population. Le nationalisme blanc y voit le résultat d’une politique consciente des élites libérales, souvent juives, visant à « remplacer » la population blanche par une population dont les racistes pensent qu’elle sera plus facilement contrôlée par les élites dirigeantes.

Selon le Southern Poverty Law Center[3], « les nationalistes blancs cherchent à revenir à une Amérique antérieure à la mise en œuvre de la loi sur les Droits civiques de 1964 et de la loi sur l’immigration et la nationalité de 1965. Ces deux textes de loi historiques sont cités comme les signes avant-coureurs de la dépossession des Blancs et du soi-disant ‘génocide blanc’ ou ‘grand remplacement’ – l’idée que les Blancs aux États-Unis sont systématiquement remplacés et détruits. »

Le néolibéralisme et des décennies de politique anti-ouvrière ont contribué à faire entrer cette mythologie dans la conscience de certains secteurs de la population blanche, alors que les communautés rurales et les petites villes subissent les coups de l’austérité et d’une économie vidée de sa substance.  Les « élites » de la côte et les grandes villes sont considérées comme l’ennemi par de nombreux Blancs des zones rurales dont le niveau de vie a baissé, tandis que les Démocrates semblent déconnectés des problèmes des États que les avions survolent sans s’y arrêter[4]. Les théories du complot et les appels aux sentiments anti-immigrés ne font qu’attiser les flammes de la réaction.

Le GOP[5] (Parti républicain) s’est fortement déplacé vers la droite ces dernières années, après des années de slogans racistes sur les immigrants et la « criminalité », tout en jouant sur la politique du ressentiment blanc. Les thèmes nationalistes blancs comme la théorie du remplacement, qui n’inspiraient autrefois que les milices violentes et les groupes néonazis, sont devenus plus courants dans la politique républicaine au cours des années Trump. Trump lui-même a fait des appels codés à l’extrême droite dans ses campagnes. Les défenseurs de la théorie du remplacement au sein du GOP évitent la terminologie la plus flagrante, mais le message est clair : « ils » ont l’intention de priver les Américains blancs de leur avenir. C’est ce qui est parfois appelé le « génocide blanc ».

Lors de la mobilisation d’extrême droite de Charlottesville, en Virginie, en 2017, les marcheurs nationalistes blancs scandaient « Vous ne nous remplacerez pas ! » et « Les Juifs ne nous remplaceront pas ! ». Le rassemblement d’extrême droite de Charlottesville a tourné à la violence, avec des attaques contre des contre-manifestants et le meurtre de Heather Heyer, une militante antifasciste. L’usage plus courant de la théorie du remplacement au sein du GOP et dans les médias de droite accuse les Démocrates d’encourager l’immigration d’Amérique latine et du Moyen-Orient pour « remplacer » les électeurs traditionnels (blancs) par des personnes plus susceptibles de soutenir le Parti démocrate.

Le propagandiste de Fox News, Tucker Carlson, héritier de la fortune des plats surgelés Swanson, est le principal défenseur de la théorie du remplacement dans les médias de droite. Selon le New York Times, « dans plus de 400 épisodes de son émission, M. Carlson a renforcé l’idée que les politiciens démocrates et d’autres élites assimilées veulent forcer le changement démographique par l’immigration« .

Le GOP a permis l’émergence de points de vue d’extrême droite dans ses rangs au Congrès.  Un groupe de Républicains de la Chambre des Représentants a tenté de former un caucus « America First » en 2021, qui invoquait notamment l’importance des « traditions politiques uniquement anglo-saxonnes » aux États-Unis. En février 2022, les représentants Marjorie Taylor Greene (Géorgie) et Paul Gosar (Arizona) ont assisté à une conférence de suprémacistes blancs organisée par Nick Fuentes, un suprémaciste blanc qui cherche à pousser le GOP encore plus à droite. Le chef de la minorité du Parti républicain, Kevin McCarthy, a qualifié leur participation de « déplorable et fausse« , mais n’a pris aucune mesure à leur encontre. Dans le cycle actuel des élections de mi-mandat, les candidats du GOP ont mis en avant les menaces supposées pour les « vrais » ou « traditionnels » Américains (blancs et chrétiens). La rhétorique du GOP sur l' »invasion » à la frontière, qui serait soi-disant rendue possible par la politique de l’administration Biden, exploite cette même peur.

Trois jours à peine après la fusillade de Buffalo, la représentante Elise Stefanik, qui occupe le troisième rang des Républicains de la Chambre, a répété les sujets de discussion de la théorie du remplacement, en déclarant : « Les démocrates veulent désespérément des frontières largement ouvertes et une amnistie de masse pour les clandestins leur permettant de voter. … Comme la grande majorité des Américains, les Républicains veulent sécuriser nos frontières et protéger l’intégrité des élections. »

Stefanik a affirmé que les démocrates veulent « accorder l’amnistie à 11 MILLIONS d’immigrants illégaux » afin de « renverser notre électorat actuel et créer une majorité libérale permanente à Washington. »

J.D. Vance, le candidat au Sénat soutenu par Trump dans l’Ohio, a également mis en avant la théorie complotiste du grand remplacement. Selon la New Republic, Vance « a fait des commentaires similaires, affirmant que les Démocrates essayaient de provoquer ‘un changement dans la représentation démocratique de ce pays’ et qu’ils laissaient volontairement entrer le fentanyl aux États-Unis ‘pour tuer un groupe d’électeurs défenseurs des thèmes MAGA[6] en plein cœur du pays’. »

Voter pour les démocrates ne nous sauvera pas

La convergence de l’idéologie néo-fasciste dans l’un des principaux partis capitalistes, associée à la croissance d’une extrême droite de plus en plus violente et armée, représente une réelle menace pour la classe ouvrière et ses alliés. Les libéraux plaideront pour des politiques de contrôle des armes à feu ou affirmeront que le vote pour les Démocrates constituera un rempart contre la dérive fasciste de la société. Les socialistes révolutionnaires soutiennent exactement le contraire.

Les Démocrates, parce qu’ils sont un parti capitaliste lié à Wall Street, sont incapables de monter une opposition efficace à la montée de la droite. En fait, les Démocrates tentent de regagner cette partie de leur ancienne base, les Blancs de la classe ouvrière, depuis la désaffection des « dixiecrates »[7] au profit du GOP, conformément à la stratégie de Nixon dans le Sud. Pendant les primaires démocrates de 2008, Hillary Clinton a déclaré qu’Obama ne pouvait pas gagner les votes des « travailleurs, des travailleurs acharnés, des Blancs« . De même, son mari a évoqué la victoire d’Obama en Caroline du Sud en la comparant à la victoire de Jesse Jackson aux primaires dans cet État en 1988.

Nous devons mener des campagnes d’éducation antiraciste et antifasciste dans tous les lieux de travail, syndiqués et non syndiqués, et porter les revendications des secteurs opprimés sur le lieu de travail et la lutte contre la discrimination.

Cette lutte est également liée au combat pour organiser les travailleurs non syndiqués chez Amazon et ailleurs. De l’Alabama à New York en passant par la Californie, beaucoup de nouvelles campagnes de syndicalisation sont menées par des travailleurs issus de nationalités opprimées. La direction d’Amazon a utilisé des tactiques ouvertement racistes pour tenter de faire dérailler la campagne de syndicalisation à Staten Island, en montant les travailleurs de différentes nationalités les uns contre les autres. Le conseiller juridique en chef d’Amazon a décrit le leader du syndicat des travailleurs d’Amazon, Chris Smalls, comme « n’étant ni intelligent, ni éloquent, et dans la mesure où la presse veut se concentrer sur nous par rapport à lui, nous serons dans une position de relations publiques beaucoup plus forte que si nous expliquions simplement pour la énième fois comment nous essayons de protéger les travailleurs« .

Construire une opposition à l’extrême droite nécessitera une mobilisation de masse indépendante de la classe ouvrière et des opprimés. Cette opposition doit inclure les syndicats comme une composante essentielle. L’action de masse est cruciale pour renvoyer ces voyous dans leurs retranchements. Des gardes d’autodéfense dirigées démocratiquement joueront également un rôle nécessaire dans la lutte. En fin de compte, la défaite des fascistes et de l’extrême droite nécessitera la création d’un parti ouvrier révolutionnaire et la lutte pour le pouvoir démocratique des travailleurs et le socialisme.

[1] AR-15 : fusil semi-automatique très répandu aux Etats-Unis et souvent utilisé dans des tueries de masse.

[2] En anglais : “We must secure the existence of our people and a future for White children.”

[3] Une association américaine qui fait la promotion de la tolérance et surveille l’extrême droite

[4] L’expression qui a cours aux Etats-Unis et utilisée ici est celle de ‘flyover states’.

[5] GOP : Grand Old Party, dénomination courante du Parti Républicain.

[6] MAGA : Make America Great Again. Slogan trumpiste.

[7] dixiecrates : ‘Dixiecrats’ en anglais, c’est ainsi que l’on surnomme les élus démocrates-conservateurs du Sud des Etats-Unis, issus historiquement d’une branche du Parti démocrates qui s’est opposée aux droits civiques.

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