Comment une nouvelle Première ministre conservatrice, Liz Truss, peut-elle devenir si impopulaire en quelques semaines, non seulement auprès des travailleurs et de secteurs de la classe moyenne, mais aussi auprès de nombreux députés conservateurs (qui craignent pour leurs sièges) et des dirigeants de cette planète ?
Par l’International Socialist League (ISL), section de la LIT-QI au Royaume-Uni
Truss a pris modèle sur Margaret Thatcher, elle aime le « libre marché » et elle a des liens étroits avec le néolibéral Institute of Economic Affairs et avec l’Institut Adam Smith. Le FMI et la Banque mondiale soutiennent cela, mais Truss exprime la pure cupidité du capital financier britannique – s’enrichir rapidement et appauvrir les travailleurs.
Son plan fiscal a plongé les marchés mondiaux dans le chaos, a aggravé la situation des détenteurs de prêts hypothécaires et a fait chuter la valeur de la livre par rapport au dollar à un niveau historiquement bas. Les fonds de pension britanniques avaient d’énormes investissements dans des obligations qui ont très rapidement perdu toute valeur et la Banque d’Angleterre a dû acheter des milliards d’obligations, sinon les fonds de pension auraient été anéantis.
Les chaînes d’approvisionnement, l’inflation, l’invasion russe de l’Ukraine et la faiblesse de l’économie britannique sapent la capacité de Truss à enrichir les riches et à attaquer les pauvres au rythme qu’elle souhaitait.
Le FMI craignait l’extension des troubles à d’autres pays et la montée de la classe ouvrière et de la vague de grèves. Après plus de 40 ans de multiplication des lois antisyndicales et de bureaucraties syndicales qui refusaient de se battre, la classe dirigeante britannique pensait avoir les travailleurs sous contrôle. Mais la colère de la base face à la crise du coût de la vie et aux bas salaires a poussé les syndicats à une forte vague de grève.
Kwasi Kwarteng, qui était chancelier depuis à peine un mois, a été rappelé de ses réunions aux États-Unis et congédié. Il a été immédiatement remplacé par Jeremy Hunt, candidat à la direction du parti conservateur battu à deux reprises, et connu pour son long mandat de ministre de la santé dans des précédents Cabinets.
Changer de méthode d’attaque
Hunt prévoit des réductions drastiques des dépenses publiques et luttera contre l’idée de salaires liés à l’inflation. La vague de grève doit continuer à se construire et aller jusqu’à l’organisation d’une grève générale, c’est le seul moyen de stopper leurs plans.
La Banque d’Angleterre prévoit d’augmenter encore les taux d’intérêt pour « contrôler » l’inflation. Le coût des emprunts et du service de la dette va donc exploser.
L’approfondissement de la guerre des classes est précisément la raison pour laquelle des centaines de milliers de travailleurs descendent sur les piquets de grève et dans les rues. Hunt vise à mettre en place un nouveau cycle d’austérité, menaçant tous les services publics. La lutte des travailleurs a contribué à faire tomber Johnson, et elle peut faire tomber le gouvernement conservateur.
Le TUC en retrait
Alors que les grèves sont très solides dans tout le pays et déterminées à gagner, le TUC détourne le regard pour éviter un mouvement de grève coordonné et unifié. Pourtant, au congrès du TUC en octobre, trois motions appellent à une action de grève coordonnée.
La base des syndicats doit exiger de leurs dirigeants non seulement qu’ils construisent une action coordonnée entre les syndicats, mais aussi qu’ils discutent dans leurs branches de la nécessité d’une grève générale. La base et les sections syndicales doivent construire des comités intersyndicaux ou utiliser les conseils sectoriels locaux existants pour raviver ou créer de nouveaux liens entre les lieux de travail et les secteurs.
Pour fragmenter les luttes grévistes et jeter des bases pour les contrôler, les bureaucraties syndicales ont créé trois campagnes : « Enough is Enough » (EiE), menée par des députés travaillistes de gauche et la par la direction des postiers du CWU, « We Demand Better« , conduite par le TUC et « Unite for a workers economy » de Unite[1].
Les exigences d’EiE sont une « véritable augmentation de salaire« , la réduction des factures d’énergie, la fin de la pauvreté alimentaire, des logements décents pour tous et toutes et la taxation des riches. Pour gagner, la classe ouvrière doit aller de l’avant et construire des grèves coordonnées en une grève générale. Chaque revendication pose la question de savoir qui contrôle les entreprises de gaz, de pétrole, d’alimentation et de construction. Mais il faut aller plus loin et expliquer comment ces revendications peuvent être gagnées. Taxer les riches au maximum signifie défier la classe dirigeante et renverser ceux qui dominent le parlement, tant au sein du parti conservateur que du parti travailliste.
Pas un seul des dirigeants syndicaux ou des députés de la gauche travailliste n’a appelé à la grève générale et l’idée de construire un mouvement de grève international n’est même pas envisagée.
Il faut se battre pour une démocratie syndicale complète qui vise à empêcher le contrôle par le haut, et il faut des organisations intersyndicales de base pour une grève générale afin que la classe puisse agir comme une seule classe et se mobiliser dans les localités et auprès des opprimés. Pour obtenir un logement à bas prix pour tous et toutes, il faut un programme de logement de masse. Ce combat doit être mené par la classe ouvrière dans ses quartiers et par les syndicats, en particulier dans le secteur de la construction.
Un système mondial dysfonctionnel
L’inflation est un phénomène international qui découle des déséquilibres au sein du capitalisme mondial.
Comme l’indique le Financial Times,
« Les indicateurs de confiance ont brutalement chuté et sont à des niveaux historiquement bas depuis le début de l’indice il y a plus de dix ans dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine. Dans les économies émergentes, qui sont plus exposées à la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie, la confiance a chuté encore plus brutalement. L’Inde est la seule grande économie du monde décrite comme un « rayon de soleil », avec des indicateurs forts qui laissent présager une croissance robuste cette année et l’année prochaine. Les autres grandes économies du monde sont aux prises avec des problèmes économiques croissants... »[2]
La hausse de l’inflation n’a pas été causée par les salaires, les travailleurs ont eu des augmentations inférieures à l’inflation ou même des gels de salaires depuis 2010. Cependant, « les principales banques centrales appliquent leur propre ‘thérapie de choc’ à l’économie mondiale, avec l’intention de faire monter les taux d’intérêt afin de contrôler l’inflation, malgré les preuves toujours plus nombreuses que cela conduira à une récession mondiale l’année prochaine.« [3]
La principale politique des dirigeants impérialistes consiste à empêcher la hausse des salaires et à laisser le chômage augmenter. Des millions de livres de profits sont versées aux actionnaires alors que la valeur réelle des salaires des travailleurs a baissé depuis plus d’une décennie.
La réponse des travailleurs et des socialistes
Le gouvernement conservateur britannique a été le fer de lance de l’offensive mondiale contre la classe ouvrière et ses organisations dans les années 1980. Sur le plan idéologique, il s’agissait de la propagation du libéralisme économique contre le keynésianisme, contre toutes les formes de socialisme et contre les luttes ouvrières.
Dans une guerre pour les marchés mondiaux qui s’accélère, avec une suraccumulation de capitaux et de marchandises, les dirigeants capitalistes mettent en œuvre un programme frénétique de réduction des coûts du travail et d’accélération de la production. Ils utilisent les travailleurs d’un pays contre ceux d’un autre, les travailleurs d’un secteur contre ceux d’un autre secteur, les travailleurs d’une usine contre ceux d’autres usines, et même les travailleurs d’une même usine entre eux, qui font le même travail mais qui ont des salaires et des conditions de travail différents.
Les montants versés aux actionnaires depuis la privatisation s’élèvent à de nombreux milliards de livres, ils ont gagné leur argent au détriment de la santé et de la sécurité, des salaires et des droits des travailleurs pendant de nombreuses années.
Pendant de nombreuses années, les bureaucrates travaillistes et syndicaux ont conclu une alliance de classe avec les propriétaires capitalistes, laissant les militants de la base mener des combats d’arrière-garde sans stratégie nationale ou internationale pour des problèmes qui ne peuvent être résolus que par une lutte unifiée au niveau national et international.
Un programme socialiste doit commencer par l’indépendance de classe, ce qui signifie la liberté de grève et la fin des lois antisyndicales, la nationalisation sans indemnisation et sous le contrôle des travailleurs via leurs propres organisations.
L’ISL doit se construire pour devenir un parti socialiste révolutionnaire, faisant partie d’une Internationale révolutionnaire. Au début du vingtième siècle, le parti travailliste est né de la demande d’une expression politique indépendante de la classe ouvrière. Aujourd’hui, il s’est transformé en son contraire. Mais la revendication par les travailleurs d’un parti politique indépendant pour leur classe est apparue au sein de la grève et de la lutte contre l’austérité.
Dans le même temps, des travailleurs et des militants sont expulsés du parti travailliste ou le quittent. Un nouveau parti des travailleurs est nécessaire pour rassembler tous les travailleurs dans la lutte actuelle, qu’ils soient militants syndicaux ou qu’ils se battent dans les quartiers avec tous les opprimés, qui ne font pas confiance et veulent être indépendants des directions actuelles du TUC et du Parti travailliste.
Pour réussir, un tel parti ne peut pas être un parti réformiste dont le principal objectif serait d’obtenir des concessions par le biais du parlement ou qui chercherait à développer un leadership principalement à travers les élections. Il doit donner une réponse aux questions brûlantes auxquelles sont confrontés tous ceux qui sont opprimés et exploités par le capitalisme.
L’ISL s’engagerait dans un tel parti qui se fonderait sur la perspective d’une pleine démocratie ouvrière et se battrait pour un programme socialiste. Nous nous battrions pour un programme des travailleurs sur la production par les travailleurs, de la santé et de l’éducation par le biais de comités basés sur le lieu de travail.
Nous devons donc à la fois construire l’ISL et lutter pour un nouveau parti des travailleurs basé sur toutes les luttes qui ont lieu aujourd’hui.
L’internationalisme, pierre angulaire du programme socialiste
Les grèves ont montré que l’internationalisme est vivant dans la classe ouvrière. Les travailleurs en grève reçoivent des messages de solidarité de nombreux continents, ce qui reflète le désir des travailleurs de lutter au niveau international. Cela doit être développé afin que les luttes des travailleurs, par exemple en France, en Belgique et en Italie, qui ont organisé de vastes grèves nationales ou générales, puissent trouver un lien commun et une lutte internationale.
Des travailleurs tels que les dockers de Liverpool ont entamé leur nouvelle lutte en comprenant qu’ils se dressent sur les épaules de l’incroyable lutte des docks de Liverpool de 1995 à 1998, qui a établi des liens solides au niveau international. Leur lutte ne peut être gagnée qu’en se liant à d’autres travailleurs et en se combinant dans des grèves conjointes tout en luttant au niveau international contre les employeurs.
Organisons des grèves coordonnées !
Exigeons du TUC qu’il organise une grève générale !
Pas de réduction en termes réels des salaires, des avantages sociaux et des pensions !
[1] Quelques explications: “Enough is Enough” (EiE) pourrait se traduire par « Ça suffit! » ; « We Demand Better » par « Nous exigeons mieux que ça » ; Et « Unite for a workers economy » par « Unis pour une économie des travailleurs ». Le TUC est le Trades Union Congress (centrale syndicale interprofessionnelle, historique – fondée en 1868, majoritaire – 5,5 millions d’adhérent.es environ – et ultra-bureaucratique). Le CWU (Communications Workers Union) est le Syndicat des travailleurs des communications). Unite (ou Unite the Union) est une confédération syndicale fondée en 2007 à la fois en Grande-Bretagne et en Irlande, affiliée à la CES, et qui compte environ 1,5 millions d’affilié.es.
[2] https://www.ft.com/ ‘Confidence slumps around the globe as cost of living crisis bites’.
[3] https://thenextrecession.wordpress.com/2022/10/10/shock-therapy-on-the-world-economy/