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Sur le PSOL et sa relation avec le nouveau gouvernement du PT

Le 19 décembre 2022

L’aile majoritaire du PSOL, dirigée par son président Juliano Medeiros et Guilherme Boulos[1], a déjà fait des déclarations défendant ouvertement sa participation au nouveau gouvernement Lula, y compris en y prenant des fonctions. Pour quelqu’un qui se considère comme un représentant des travailleurs ou un militant socialiste, entrer dans le gouvernement Lula est une énorme erreur. Il est louable que des secteurs du PSOL s’opposent à cette décision. Mais il est intéressant de situer autour de quoi tourne le débat.

Par Júlio Anselmo

Des secteurs du PSOL, comme le MES[2] et Resistência[3], font des déclarations contre l’entrée au gouvernement, avec une position de « soutien avec indépendance » ou pour « soutenir les bonnes mesures et condamner les mauvaises ». Dans la pratique, cette ligne politique signifie un soutien permanent au gouvernement Lula. La députée Sâmia Bonfim (PSOL-SP), par exemple, l’a démontré en disant : « nous serons en première ligne pour que le programme de Lula puisse être appliqué au Brésil« , comme elle l’a déclaré à la « Folha de S. Paulo » le 4 décembre.

Il ne s’agit donc pas d’une décision concernant le fait d’être en « situation » ou en « opposition ». Le débat au sein du PSOL porte sur un « soutien inconditionnel » du parti au gouvernement ou « avec conditions », avec plus ou moins de critiques. Mais les deux secteurs s’accordent à dire que le rôle du PSOL est d’aider le gouvernement Lula. Ce qui change, c’est le degré de cette aide et la manière de le faire.

Ni un gouvernement pour tous, ni un gouvernement faisant l’objet d’une bagarre interne

Lula et le PT utilisent l’amplitude politique de la composition du gouvernement comme une preuve supposée que le gouvernement serait pour toutes les classes sociales et tous les secteurs de la société. Juliano Medeiros et Boulos disent que le gouvernement, en fait, ferait l’objet d’une bagarre interne, entre travailleurs et bourgeois.

Le problème est que les milliardaires et la droite ont des intérêts antagoniques à ceux des travailleurs, comme on le voit dans une simple grève. Rien d’étonnant à ce que, lors de la pandémie, les milliardaires se soient enrichis, tandis que la faim et la misère ont augmenté parmi la majorité de la population. Si bien qu’il devient impossible pour un gouvernement de fonctionner au-dessus de cet antagonisme ou de servir à la fois les travailleurs et la bourgeoisie.

Nous ne voulons pas dire par là que tous les gouvernements sont identiques. Il existe différents types de gouvernements. Mais un gouvernement hybride, qui concilie les intérêts de deux classes dont les intérêts sont inconciliables, n’est pas possible. Il n’existe pas de gouvernement « mi-capitaliste, mi-socialiste ». Soutenir que cela est possible revient à tomber dans le discours libéral, qui affirme que le socialisme serait « plus d’État » ; tandis que le capitalisme, cela en serait moins.

Un prétendu gouvernement de tous est en fait un gouvernement de la bourgeoisie. Il ne s’agit pas d’un gouvernement faisant l’objet d’une bagarre interne. Notamment parce qu’il ne s’agit même pas d’un problème numérique ou du nombre de représentants de chaque camp, qu’il s’agisse des travailleurs ou de la bourgeoisie. Il s’agit de définir et de comprendre quelles mesures, quel système social, quelles relations sociales, quel régime politique, le gouvernement soutient et défend.

Indépendamment du fait que le PSOL ait un ou dix ministres, le gouvernement Lula sera un gouvernement de la bourgeoisie pour administrer le capitalisme brésilien et qui, de plus, compte sur le soutien et la caution de l’impérialisme des Etats-Unis.

Progressistes ? La théorie des camps dans sa version PSOL

Malheureusement, il est courant parmi la gauche de remplacer l’analyse d’un point de vue de classe par une analyse basée uniquement sur les soi-disant « camps politiques ». Ainsi, l’aile majoritaire du PSOL perçoit le pays et tente de l’expliquer en réduisant la réalité à une lutte entre le camp bourgeois réactionnaire de Bolsonaro et le camp bourgeois « progressiste » de Lula.

Il est indéniable que Bolsonaro et Lula sont différents et expriment des secteurs bourgeois différents, avec des programmes différents. Et le projet autoritaire et réactionnaire de Bolsonaro ne fait aucun doute.

Mais il est faux de conclure que nous devrions soutenir ou aider l’une de ces ailes bourgeoises contre l’autre, en défendant l’idée que l’une d’entre elles serait soi-disant progressiste. Après tout, il n’y a pas de secteur bourgeois progressiste. Où se situerait donc le progressisme de Biden, du banquier milliardaire Jorge Paulo Lemann, propriétaire d’Ambev[4]. Ou de Luiz Carlos Trabuco, du Bradesco[5] ? Et tous sont dans le camp de Lula. Il serait réaliste de parler d’une aile bourgeoise qui soutient le projet de dictature de Bolsonaro et d’une aile bourgeoise qui se range du côté de la réaction démocratique, à travers Lula.

Il n’existe pas de bourgeoisie « progressiste ».

En allant plus loin dans cette théorie, pour le PSOL, au sein de ce camp bourgeois de Lula, il s’agirait de lutter contre son aile droite, qui pousse à des mesures capitalistes et réactionnaires. Tout d’abord, la définition de ces ailes prête à confusion.

Par exemple, les centrales syndicales, qui sont censées faire partie de l’aile progressiste contre les capitalistes, sont elles-mêmes contre l’abrogation de la Réforme du travail. Et le PT lui-même, même s’il retirait tous les secteurs bourgeois du gouvernement, continuerait à défendre les mesures et le système capitalistes comme d’habitude.

Deuxièmement, il y a un problème logique. S’il y a dans ce camp un secteur qui doit être vaincu, ou expulsé du gouvernement, et qu’il faut mener la bagarre au sein du gouvernement, alors où se trouve le progressisme de ce camp ? Si nous suivons le fil de ce raisonnement, nous constaterons qu’en fin de compte, pour le PSOL, le secteur progressiste du gouvernement bourgeois de Lula ne réside que dans le PSOL lui-même.

Autrement dit, le parti devrait entrer dans un gouvernement supposé progressiste, qui acquiert ce caractère précisément en raison de la présence du PSOL lui-même, qui aurait pour tâche de vaincre les autres secteurs.

Le problème du rapport de forces

Ils tentent également de justifier leur adhésion politique au gouvernement par le problème du rapport de forces. Ils minimisent ainsi le soutien du nouveau gouvernement à Arthur Lira[6], les négociations douteuses avec la droite et les mesures pro-marché en cours d’élaboration.

Le gouvernement aurait peu de marge de manœuvre ou de soutien pour en faire plus. Et il ne servirait à rien que le PSOL fasse de l’opposition et essaie de prendre la place du PT, car il n’y a pas de rapport de forces pour le dépasser et faire quelque chose de différent. Le rapport de forces acquiert ici des pouvoirs mystiques et insurmontables, en remplaçant une analyse des acteurs et des événements réels de la lutte des classes qui constituent le rapport de forces.

Face à la conjoncture actuelle, que pourrait-on faire pour améliorer le rapport de forces en faveur des travailleurs ? Si le problème du PT est le rapport de forces, s’allier à la bourgeoisie ou faire un gouvernement capitaliste n’aide en rien à construire les conditions pour changer le rapport de forces pour le mieux. Mais cela le fait plutôt pour le pire, comme l’histoire récente l’a déjà prouvé.

La droite. L’opposition de l’ultra-droite bolsonariste

Boulos affirme que ceux qui seront dans l’opposition à Lula seront les bolsonaristes, et donc que le PSOL ne peut pas être dans l’opposition. Il dit cela, comme si prôner la construction d’une opposition de gauche allait nécessairement aider l’opposition de droite. Il est clair que l’ultra-droite bolsonariste est dangereuse, qu’elle reste fortement présente et qu’elle doit être vaincue de toute urgence. Mais c’est l’opposition de gauche qui luttera contre l’ultra-droite pendant le gouvernement Lula.

Lula, en revanche, ne propose pas d’approfondir la lutte contre le bolsonarisme, même en utilisant l’appareil d’État. Au contraire. Le président élu recherche des accommodements et un pacte, y compris avec les militaires. Ou bien croit-on que le gouvernement Lula va affronter la hiérarchie militaire et avancer dans un processus de « débolsonarisation » des forces armées ? Soutenir le gouvernement Lula n’aide pas à vaincre l’ultra-droite. En fait, cela contribue à l’alimenter.

Bien sûr, il est possible que le gouvernement et la démocratie bourgeoise soient attaqués par l’ultra-droite, par une tentative de coup d’État ou quelque chose de similaire. Face à des situations réelles comme celles-ci, nous ferions l’unité avec les partis au pouvoir contre le putschisme. Mais pour cela, il faudrait qu’une action concrète de ce type ait lieu. Et même dans ce cas, nous le ferions sans apporter aucun soutien politique au gouvernement, en formulant des revendications et en dénonçant impitoyablement son caractère bourgeois.

Pourquoi est-ce important ? Parce que c’est la seule façon de gagner la conscience des travailleurs et de les sensibiliser à la nécessité de ne pas faire confiance à la bourgeoisie. Rien ne peut plus changer le rapport de forces que la prise de conscience de cela de la part des travailleurs.

Une autre chose bien différente est d’essayer de transformer la juste lutte contre les attaques de l’ultra-droite en une politique permanente pour aider le gouvernement actuel à négocier avec la droite. Telle est la politique du PSOL dans la transition gouvernementale aujourd’hui. En occultant partiellement la réalité, ils ne voient que les attaques de la droite, il ignore les attaques qui viendront du gouvernement lui-même et le rôle qu’il jouera dans la gestion des affaires capitalistes.

L’issue. L’alternative indépendante pour les travailleurs, c’est de construire une opposition de gauche.

Le rôle de l’opposition de gauche n’est pas de soutenir les mesures du gouvernement, ni de se confondre avec l’opposition bolsonariste d’ultra-droite. Elle doit être à l’avant-garde des mobilisations contre le gouvernement pour les revendications des travailleurs, en combattant aussi l’opposition de droite, mais en s’appuyant sur ces mêmes luttes.

Il est nécessaire de rallumer chez les travailleurs la flamme de la lutte de classe indépendante contre les capitalistes et les représentants de la bourgeoisie. Parallèlement, il est nécessaire de construire une politique de revendications et de dénonciations, pour aider les travailleurs à comprendre que ce gouvernement n’est pas le leur, mais un gouvernement des riches.

De même, il faut aussi expliquer aux travailleurs et travailleuses que tant qu’ils et elles ne prendront pas leur destin en main en luttant, en s’organisant et en défendant un programme socialiste et révolutionnaire, il n’y aura que davantage de malheurs capitalistes.


[1] Guilherme Boulos : dirigeant du PSOL qui s’est fait connaitre comme dirigeant de lutte du mouvement des sans-toits.

[2] MES : Movimento Esquerda Socialista (Mouvement gauche socialiste): courant de la gauche du PSOL, depuis sa fondation, représenté notamment par Luciana Genro, ancienne candidate à la présidence de la République pour le PSOL en 2014. Celle-ci avait été exclue du PT en 2003 pour avoir refusé de voter pour la contre-réforme des retraites de Lula.

[3] Resistência: courant du PSOL qui l’a rejoint après avoir scissionné du PSTU et formé le MAIS en 2016, et marqué notamment par la figure de son animateur le plus connu, Valério Arcary.

[4] AmBev, ou Companhia de Bebidas das Américas est une filiale du groupe brassicole belgo-brésilien Anheuser-Busch InBev, leader mondial de la production de bière. AmBev est elle-même le premier brasseur en Amérique du Sud et le cinquième à l’échelon mondial. Elle est active dans 16 pays du continent américain. (Wikipedia)

[5] Bradesco : Banco Bradesco S.A. est la deuxième plus grande banque privée au Brésil, et a grandi en grande partie grâce à des fusions et acquisitions. (Wikipedia)

[6] Politicien bourgeois bien ancré à droite, bien trempé dans les bassesses politiciennes, voulu par Lula comme président de la Chambre des députés.

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