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dimanche, décembre 8, 2024

70 ans de complicité de l’ONU avec l’apartheid en Palestine

Soraya Misleh

Plus de six mille prisonniers politiques, cinq millions de réfugiés dans des camps dans le monde arabe, des milliers dans la diaspora ou soumis à une occupation inhumaine et au racisme. Telle est la situation des Palestiniens, 70 ans après la recommandation faite par l’Assemblée générale des Nations Unies, présidée par le Brésilien Osvaldo Aranha, de diviser leur territoire en un Etat juif et un Etat arabe, sans consulter les populations locales.

Ce fatidique 29 novembre 1947, l’organisation internationale qui venait d’être créée – issue de la Société des Nations, après la Seconde Guerre mondiale – donna le feu vert à une des plus grandes injustices de l’époque contemporaine : le nettoyage ethnique en Palestine, qui culmina dans la création d’Israël le 15 mai 1948 (la Nakba, catastrophe, pour les Arabes), la consolidation du projet sioniste de constitution d’un Etat homogène à majorité juive. Douze jours après la recommandation de l’ONU – qui proposait d’accorder près de 50 % de la Palestine à un mouvement colonial – ont commencé les massacres et les expulsions dans les villages palestiniens. En quelques mois, les deux tiers de la population sont devenus des réfugiés, au total 800 000 habitants, avec la destruction de plus de 500 villages, comme le soulignent plusieurs historiens. Depuis lors, la société palestinienne restera fragmentée, les familles, divisées et dispersées à travers le monde, étant empêchées de se retrouver dans leur propre pays, la Palestine occupée.

Même après plusieurs vagues d’immigration de Juifs, principalement de l’Europe centrale et orientale, initiées par le mouvement sioniste de la fin du 19e siècle, les juifs ne représentaient pas 30 % de la population totale en 1947 ; la majorité était des musulmans, mais il y avait aussi des chrétiens et peut-être des non religieux. Il y avait toujours eu une minorité de Juifs palestiniens. Mais à partir de la colonisation, Israël allait transformer définitivement cette terre – dans laquelle il n’y avait aucune distinction par croyance ou appartenance ethnique – en y installant un régime d’apartheid institutionnalisé qui dure jusqu’à nos jours.

Avec la bénédiction des grandes puissances – et les efforts décisifs des diplomates de pays tels que le Brésil, qui à l’époque envisageait un rapprochement avec le nouvel impérialisme, les Etats-Unis, qui émergent après la Seconde Guerre mondiale au détriment du Royaume-Uni –, l’Etat qui s’est donné actuellement le nom d’Etat juif fut créé dans 78 % de la Palestine historique. Même après la violation de la résolution 181, déjà injuste, de l’ONU (concernant la division), celle-ci n’a rien fait, malgré la présence de dizaines d’observateurs sur place. L’exception a été le Comte Folke Bernadotte, l’émissaire qui proposait la révision de la division du pays en deux parties et le retour inconditionnel des réfugiés palestiniens. Arrivé en Palestine le 20 mai 1948, il a été assassiné par les sionistes en septembre de la même année, « quand il a réitéré sa recommandation dans le rapport final soumis à l’ONU », comme témoigne l’historien israélien Ilan Pappe dans son étude « Le nettoyage ethnique de la Palestine ».

L’ONU a non seulement classé sans suite le document dans ses archives ; elle a suivi les Etats-Unis et l’Union soviétique (les premiers à reconnaître Israël), ainsi que plusieurs autres pays, dont le Brésil au premier rang. Avec cette « politique », et au service de l’impérialisme, l’organisation n’a pas hésité à admettre Israël en tant qu’Etat membre le 11 mai 1949, moins d’un an après la Nakba et face à un scénario alarmant de milliers de réfugiés. La même année, elle créa l’UNRWA, l’Agence des Nations Unies pour l’assistance à cette population qui fut contrainte à s’installer dans des tentes minuscules, sous des conditions précaires, dans des camps dans le monde arabe.

Au lieu de s’impliquer à trouver une solution au problème auquel elle avait contribué de manière décisive, l’ONU, par l’intermédiaire de son Agence, comptait et enregistrait les Palestiniens, qui faisaient de longues queues pour retirer leur maigre parcelle « d’aide humanitaire » insuffisante.

Mon père, Abder Raouf, est devenu réfugié du village de Qaqun en 1948, à l’âge de 13 ans. Et dans « Al Nakba – um estudo sobre a catástrofe palestina » (une étude sur la catastrophe palestinienne – Editions Sundermann), il raconte que l’aide correspondait à un dollar par mois pour chaque Palestinien. « Par mois étaient distribués 1 kg de haricots, 1 kg de farine, un morceau de savon et 200 g d’huile de soja. Chaque famille – dans la mienne on était cinq enfants plus ma mère et mon père – arrivait et faisait la queue pour recevoir ce minimum pour tuer la faim. »

Le 11 décembre 1948, l’Organisation des Nations Unies a publié la Résolution 194, considérée comme l’important document de reconnaissance du droit légitime et inaliénable au retour de tous ceux qui ont été expulsés de leurs terres et à l’indemnisation de leurs pertes. Encore une fois : classé sans suite, sans aucune application pratique.

En 1967, lors de ce qu’on appelle la guerre des Six Jours, Israël a occupé militairement les 22 % restants de la Palestine, c’est-à-dire la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. C’est la seule terre que l’ONU considère comme territoire occupé illégalement. Dans la proposition des deux Etats, ce serait la partie destinée aux Palestiniens. Une légitimation inacceptable du nettoyage ethnique inauguré sous ses auspices et sa complicité vingt ans auparavant. Depuis lors, il y a eu des centaines de résolutions de l’ONU condamnant Israël pour la violation des droits de l’homme et la colonisation illégale des terres, et – il faut le répéter – toujours sans suite.

Oslo, une « seconde nakba »

La « solution de rechange » de deux Etats, reconnue par l’ONU et vantée aujourd’hui dans le monde comme « soutien aux Palestiniens », a été acceptée officiellement par l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) en 1988. Cette organisation, créée le 28 mai 1964 sous la direction de Yasser Arafat, a abandonné sa revendication historique, incluse dans sa Charte de Principes : la formation d’un seul Etat palestinien, laïque, libre et démocratique, et non raciste, c’est-à-dire la défaite du projet sioniste.

La confirmation est venue quand furent signés, en septembre 1993, à la fin de la première Intifada palestinienne (le soulèvement populaire, qui a débuté en 1987),  les Accords d’Oslo, chapeautés par les Etats-Unis. A cette occasion, Oslo a parfaitement réussi dans son but caché, de contenir la résistance sous la fausse couverture de la paix et la coexistence. Avec la signature de la reconnaissance mutuelle entre l’OLP et Israël et la création de l’Autorité nationale palestinienne (ANP), les accords avaient comme base la proposition des deux Etats.

L’idée répandue dans le monde était que le contrôle sur les 22 % du territoire occupé en 1967 passerait progressivement aux mains des Palestiniens. Initialement, la Cisjordanie resterait divisée en zones : A, sous l’administration de l’ANP, équivalent à 18 % ; B, mixte, entre Israël et l’ANP, 22 % ; et C, sous contrôle militaire exclusivement sioniste, 60 %. Un an plus tard ont été signés, en complément, les protocoles de Paris, qui ont scellé la coopération sécuritaire, de l’ANP avec Israël, qui en était la conséquence. En d’autres termes, l’Autorité palestinienne administrait désormais l’occupation, réprimant la résistance palestinienne.

La question économique est essentielle dans ce processus : tout fonds, importation ou exportation de la part de l’ANP est désormais soumis à la surveillance israélienne, qui assure le contrôle de la circulation terrestre, maritime et frontalière. A la suite de ce processus, une nouvelle bourgeoisie est apparue en Palestine occupée, impliquée dans le projet sioniste, comme l’explique le spécialiste en économie politique, Adam Hanieh. Dans cette pacification de l’ANP, avec dépendance économique intégrale, le résultat ne pouvait être autre que la normalisation des relations, de la part de cette nouvelle classe capitaliste palestinienne, sous le règne de l’apartheid et de l’occupation.

Même si à partir de ce moment-là certains Palestiniens ont soutenu cette proposition – non pas parce qu’ils la trouvaient juste, mais parce qu’ils ne voyaient pas d’autre issue – d’autres se réfèrent à elle, pas par hasard, comme une « seconde nakba » et une capitulation de la part de l’OLP. L’intellectuel palestinien Edward Saïd a immédiatement dénoncé l’accord, le qualifiant de « Traité de Versailles de la cause palestinienne ». Il n’aurait pas pu s’exprimer mieux. Avec l’ANP comme gestionnaire de l’occupation, comme le souligne la journaliste Naomi Klein dans son livre La Doctrine de chock – la montée du capitalisme de catastrophe, Israël a eu toutes les facilités pour étendre son projet : entre 1993 et 2000, le nombre de colons israéliens doublé. Aujourd’hui, il y en a 600 000 en Cisjordanie.

Comme le montre l’auteure, Oslo a été un tournant dans une politique qui a toujours eu pour base le nettoyage ethnique des Palestiniens. De 1948 jusqu’alors, il y avait une certaine interdépendance économique, qui a été interrompue. Selon Klein, « chaque jour, environ 150 000 Palestiniens quittaient leurs maisons à Gaza et en Cisjordanie pour nettoyer les rues et construire les routes en Israël, tandis que les agriculteurs et les commerçants remplissaient des camions de produits à vendre en Israël et dans d’autres parties du territoire. » Après les Accords de 1993, l’Etat juif a mis fin à cette main-d’œuvre qui mettait en cause le projet sioniste d’exclusion de cette population.

Simultanément, Israël s’est présenté, selon les mots de la journaliste, « comme une sorte de centre commercial pour les technologies de sécurité nationale ». Dans son livre, l’auteure indique qu’à la fin de 2006, année de l’invasion israélienne du Liban, l’économie de l’Etat sioniste, fortement basée sur l’exportation militaire, s’est développée en trombe (8 %), en même temps que l’inégalité s’accentuait au sein de la société israélienne elle-même et que les taux de pauvreté dans les territoires palestiniens occupés en 1967 atteignaient des niveaux alarmants (70 %).

 

« Le camp de la paix »

La solution de ces deux Etats est également promue par la soi-disant « gauche » sioniste, qui se présente au monde comme le « camp de la paix ». Dans History of Modern Palestine, Ilan Pappé explique cela : « Dans d’autres parties du monde, cela signifierait au moins une préoccupation majeure pour les groupes socialement et économiquement défavorisés dans une société donnée. Le camp de la paix en Israël est entièrement axé sur les manœuvres diplomatiques depuis la guerre de 1973, un jeu qui n’a que peu d’intérêt pour un nombre croissant de groupes. »

Dans un compte rendu de la publication Faux Prophètes de la Paix de Tikva Honig-Parnass, le IJAN (Réseau International de Juifs anti-sionistes) montre qu’historiquement la « gauche » sioniste était impliquée  autant que la droite dans le projet de colonisation de la Palestine. « Comme le montre ce livre, déjà avant la fondation de l’Etat d’Israël, la gauche sioniste parlait trop souvent le langage de l’universalisme, dans la mesure où elle aidait à créer et à maintenir des systèmes juridiques, des gouvernements et des appareils militaires qui ont permis la colonisation de terres palestiniennes » »

L’origine de cette gauche se trouve dans le soi-disant « sionisme travailliste », constitué au début de la colonisation, à la fin du 19e et le début du 20e siècle. Selon ce texte du IJAN, ses membres revendiquaient le désir de principes socialistes et cultivaient délibérément cette fausse idée. Les journaux des travaillistes de l’époque démontrent leur intention non déclarée d’assurer le « transfert » des habitants indigènes (principalement des Arabes non-juifs, comme cela a déjà été mentionné) hors de leurs terres et l’immigration de Juifs venus d’Europe pour coloniser la Palestine, un euphémisme pour le nettoyage ethnique. « Dans l’un de ses moments les plus francs, David Ben Gourion, le chef de ce groupe et la tête du mouvement travailliste sioniste (qui devint Premier ministre d’Israël en 1948), a avoué en 1922 que la seule grande préoccupation qui domine notre façon de penser et notre activité est la conquête de la terre, à travers l’immigration de masse (l’alya). Tout le reste n’est que phraséologie ». L’article cite encore une autre observation de Honig-Parnass ». Au 20e Congrès sioniste, en 1937, Ben Gourion a défendu le nettoyage ethnique de la Palestine (…) pour faire place à la création de l’Etat juif ».

Indépendamment du fait de s’appeler « de gauche », « de centre » ou « de droite », le sionisme visait la conquête de la terre et de l’emploi, qui seraient exclusivement réservés aux Juifs. Pour cela, la centrale syndicale israélienne Histadrut – qui existe toujours, une fondation de l’Etat colonial, propriétaire d’entreprises qui exploitent des Palestiniens – a joué un rôle central, et son renforcement est défendu par les sionistes de « gauche ». En d’autres termes, la différence entre les travaillistes et les révisionnistes (comme Netanyahou) est que ces derniers étaient – et continuent d’être – plus francs.

Même l’idée d’un Etat palestinien minimal pour paralyser la résistance vient du père du sionisme révisionniste, Zeev Jabotinsky. En 1923, il a publié, un article en russe intitulé  Le Mur d’acier, dans lequel il démythifie les possibles différences concernant les objectifs de « la gauche » et de « la droite » sioniste, dénonçant la rhétorique des premiers. Malgré son mépris avoué envers les Palestiniens, il dit clairement : comme cela est arrivé avec tous les colonisés, les Arabes sont un peuple vivant et, tant qu’ils ont un minimum d’espoir de se débarrasser de la colonisation de leurs terres, ils se battront pour ça. Il propose d’encercler les Palestiniens avec un mur d’acier de la force militaire juive afin que, parmi les « modérés », on ne voie pas d’autre alternative que d’accepter les miettes du colonisateur. Toute ressemblance avec Oslo et l’ANP ne sont pas de simples coïncidences.

Le seul parti qui se revendique aujourd’hui comme sioniste de gauche est le Meretz, créé dans les années 1990. Comme l’a remarqué Ilan Pappe dans son Histoire moderne de Palestine, le nouveau groupe de « pigeons pragmatiques » est né de la fusion du Mouvement des droits civiques de Shulamit Aloni, un parti libéral radical appelé Shinui (changement), et le parti socialiste Mapam. L’auteur ajoute : « Dans ce cas, le pragmatisme signifiait une vénération typiquement israélienne de la sécurité et de la discussion, non un jugement de valeur sur la paix comme concept préféré, ni une sympathie pour le problème de l’autre côté du conflit ou la reconnaissance de son propre rôle dans la création du problème. »

La « gauche » sioniste continue avec son leurre, son chant de sirène. Se profilant en faveur de la paix, elle tente d’escamoter ou de justifier la nakba. Elle rationalise l’affirmation de la nature démocratique d’un Etat juif et défend la logique de « séparés mais égaux », c’est-à-dire, aux Palestiniens, les mêmes miettes préconisées par l’ONU, ainsi que par une bonne partie de ses Etats membres (136 sur 193) et même de la gauche mondiale.

L’idée de deux Etats comme seule issue –en plus d’être injuste, car ne concernant pas la totalité du peuple palestinien, dont la majorité se trouve en dehors de leurs terres et 1,5 million  vit dans les territoires de 1948 (aujourd’hui Israël) et est soumis à des lois racistes – est devenue absolument irréalisable face à l’avancée de la colonisation israélienne et de l’apartheid, en particulier après Oslo. Le 1,8 million de Palestiniens de Gaza vit depuis dix ans encerclés de façon inhumaine et dans une crise humanitaire aggravée après les bombardements et les massacres israéliens incessants. La Cisjordanie et Jérusalem-Est sont totalement séparées et il en résulte un territoire découpé, sans lien entre une ville et une autre. Les routes exclusives reliant les colonies se sont également étendues dans les territoires occupés militairement en 1967.

Aujourd’hui, penser à cette proposition équivaudrait à légitimer le régime institutionnalisé de l’apartheid, avec un Etat divisé en bantoustans, sans aucune autonomie, dans moins de 20 % du territoire historique de la Palestine. Cette « solution » est enterrée, comme le reconnaissent des spécialistes du thème de l’envergure d’Ilan Pappé, et il faut démasquer sa signification.

Solution juste

A l’occasion du 29 novembre, date de la célébration de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien instituée par l’ONU en 1977 pour commémorer la date de la légitimation de la colonisation criminelle qui a suivi, il est nécessaire de renforcer dans le monde entier des campagnes centrales telles que celle de BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) envers Israël, et aller plus loin : lever la bannière de la seule possibilité de justice, c’est-à-dire un seul Etat palestinien, laïc, démocratique, non raciste, avec des droits égaux pour tous et pour toutes, et donc, la défaite du projet sioniste.

Pour renforcer cette bannière, une alternative aux anciens dirigeants est urgente. Une alternative qui contribue à l’organisation et à l’unification des travailleurs palestiniens et des mouvements d’avant-garde de la jeunesse, moyennant une direction révolutionnaire conséquente. Des voies pour libérer la Palestine, qui, contrairement à ce qu’on essaye de montrer au monde, ne passent pas par des institutions traditionnelles comme l’ONU, mais par des changements profonds dans tout le monde arabe et la chute de ses régimes dictatoriaux alliés à l’impérialisme. Ce chemin est possible et reste ouvert.

 

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