ven Mar 29, 2024
vendredi, mars 29, 2024

Qu’est-ce qui est en jeu derrière la succession de Fidel Cas

Cuba

La maladie de Fidel Castro et le transfert du gouvernement à son frère Raúl ont mis à l’ordre du jour le débat sur le présent et le futur de Cuba.


 


L’impérialisme américain s’est mis ouvertement à faire pression contre le gouvernement de l’île. Le président George Bush a annoncé : « Nous soutiendrons les efforts pour créer un gouvernement de transition à Cuba, qui s’engage à respecter la démocratie ». Et la Secrétaire d’État, Condoleeza Rice, a déclaré, dans un message enregistré au peuple cubain, que les Etats-Unis « encouragent d’autres pays démocratiques à faire pression sur Cuba pour… favoriser une transition qui puisse mener rapidement à des élections pluri-partites ». Et, les gusanos anti-castristes de Miami se sont mis à fêter la supposée agonie de Fidel.


 


De l’autre côté, outre les déclarations du gouvernement cubain rejetant toute ingérence du gouvernement yankee dans les problèmes internes de l’île, une déclaration qui inclut déjà quelques milliers de signatures, et, en premier lieu celles de sept Prix Nobel et de 400 intellectuels du monde entier, circule, avec l’exigence suivante: « Face à cette menace croissante contre l’intégrité d’une nation, et contre la paix et la sécurité en Amérique latine et dans le monde, les signataires exigent que le gouvernement des Etats-Unis respecte la souveraineté de Cuba. Nous devons empêcher à tout prix une nouvelle agression. »


 


Apparemment, la confrontation et les enjeux concernent, d’une part, une possible ingérence et la préparation d’une agression (politique et militaire) de l’impérialisme américain contre l’État ouvrier et socialiste de Cuba, dans le but d’y restaurer le capitalisme et, d’autre part, la défense de la souveraineté de l’île et de l’État ouvrier cubain, garantie par le gouvernement de Fidel Castro et le castrisme.


 


Si c’était cela la question centrale, la LIT-QI n’aurait aucune hésitation : nous sommes contre toute ingérence de l’impérialisme à Cuba. De la même façon, nous répudions toute autre forme d’agression contre Cuba, comme le boycott commercial imposé par les Etats-Unis depuis des décennies. Qui plus est, en cas d’attaque militaire de l’impérialisme, nous sommes en faveur de la plus vaste unité, y compris avec le gouvernement castriste, pour défendre Cuba contre l’agression.


Toutefois, pour nous, le débat de fond suscité par la maladie de Fidel Castro et sa nécessaire succession est tout autre. La souveraineté de Cuba est menacée, depuis un moment, non seulement par l’impérialisme américain, mais parce que le capitalisme a pénétré profondément à Cuba, depuis plus de dix ans, et a été introduit directement de la main du gouvernement castriste.


 


Ce débat-là ne se fait pas avec clarté au sein de la gauche mondiale à cause de la grande influence qu’exercent Fidel Castro et le castrisme depuis la révolution de 1959. La majorité de la gauche considère que, après la restauration capitaliste en Russie et en Chine, Cuba représente « le dernier bastion du socialisme ». Bien qu’aient été faites des concessions au capitalisme, comme celles effectuées par Lénine et Trotsky en URSS, à partir de 1921, avec la NEP (Nouvelle Économie Politique), pour le moment, le caractère socialiste de l’État cubain serait sauvegardé par des secteurs de la direction castriste, essentiellement par Fidel Castro lui-même. Dans cette perspective, la maladie, et plus encore la disparition de Fidel, accéléreraient la possibilité de la restauration capitaliste. D’autres courants sont beaucoup plus critiques par rapport à la politique de Fidel et soulignent que c’est la direction castriste elle-même qui a encouragé la restauration. Au-delà de leurs différences, les deux analyses sont d’accord sur un point : si Cuba est encore un « pays socialiste » ou un « État ouvrier », la principale tâche serait de le défendre face aux yankees et aux gusanos.


 


Au sein de la LIT-QI, nous défendons une autre analyse. Au-delà du fait que nous défendons et défendrons évidemment Cuba face aux yankees et aux gusanos, nous pensons que le véritable dilemme auquel est confronté Cuba est tout autre : la réalité montre que le capitalisme a déjà été restauré à Cuba par la direction castriste elle-même, associée aux impérialismes européens et canadiens, et ce, dans la seconde moitié des années 90. Pour nous, ce qui est aujourd’hui en jeu à Cuba, ce n’est pas le risque de transformation du caractère économico-social de l’État, mais du changement ou non de son régime politique. C’est pourquoi, nous commencerons par analyser le caractère économico- social de l’État cubain.


 


La révolution et les conquêtes


Après la révolution de 1959, le peuple cubain a exproprié les entreprises de l’impérialisme yankee et de la bourgeoisie cubaine. C’est ainsi qu’a commencé la construction du premier État ouvrier du continent latino-américain.


Grâce à la révolution, Cuba a obtenu d’immenses avancées dans des secteurs comme l’éducation et la santé publiques, qui atteignent des niveaux comparables à ceux des pays impérialistes et qui dépassent ceux de nations beaucoup plus développées, comme le Brésil, le Mexique ou l’Argentine. Elle a aussi fait avancer énormément le niveau de vie général de la population et éliminé la pauvreté et la misère, autant de faits que même les études capitalistes admettent.


Cuba s’est transformé en symbole de ce qu’ont peut obtenir avec une révolution socialiste. Les dirigeants du processus, Fidel Castro et Che Guevara, sont devenus la référence politique de millions de combattants et révolutionnaires dans le monde.


 


La restauration a déjà eu lieu


En 1990, la chute de l’URSS et la restauration capitaliste dans l’Europe de l’Est ont signifié un coup dur pour l’économie cubaine, centrée sur l’exportation de sucre et son échange contre le pétrole et la technologie de ces pays. Dans ce contexte, la direction castriste a commencé à développer une politique de restauration capitaliste et de destructions des bases de l’État ouvrier. Les principales étapes de la restauration ont été :[i]


 



  • La Loi sur les Investissements Etrangers de 1995 qui a créé les « entreprises mixtes », administrées par le capital étranger. Les investissements se sont orientés spécialement vers le tourisme et les secteurs liés au tourisme mais ils se sont ensuite étendus à d’autres secteurs, les produits pharmaceutiques et, plus récemment, le pétrole.[ii]

  • L’élimination du monopole d’état du commerce extérieur, exercé jusqu’alors par le Ministère du Commerce Extérieur. Les entreprises d’État ou les entreprises mixtes peuvent négocier librement leurs exportations et leurs importations.[iii]

  • L’adoption du dollar comme monnaie effective de Cuba, coexistant avec deux monnaies nationales, une monnaie « convertible » en dollars et une autre « non-convertible ».

  • La privatisation, de fait, de la production et de la commercialisation de la canne à sucre, à travers les « unités de base de production coopérative » (80% de la surface cultivée). Les membres de ces unités n’ont pas la propriété juridique de la terre mais ils se distribuent les profits obtenus. En 1994 ont commencé à fonctionner les « marchés agricoles libres » dont les prix sont déterminés par le marché.

 


Ce que nous venons d’analyser n’a rien à voir avec la NEP en URSS. Il s’agit de quelque chose de qualitativement différent, qui représente la destruction de l’essence de l’État ouvrier cubain. On a éliminé la planification économique étatique centralisée et le ministère qui en avait la charge a été dissout. A la place de l’État ouvrier est apparu un nouvel État capitaliste dans lequel l’économie fonctionne en accord avec la loi capitaliste du profit.


 


D’autre part, la restauration capitaliste est en train de provoquer une détérioration accélérée des conquêtes sociales de la révolution, particulièrement dans les secteurs de l’éducation et de la santé. En même temps, elle a provoqué des différences salariales croissantes entre les travailleurs d’État et les travailleurs du privé, et la réapparition massive de fléaux, comme la prostitution.


 


L’entrée de l’impérialisme


La restauration capitaliste cubaine n’a pas été réalisée par la formation d’une nouvelle bourgeoisie nationale, mais par le biais d’investissements étrangers. Les impérialismes européens et canadiens ont effectué de grands investissements et dominent aujourd’hui les secteurs les plus dynamiques et les plus forts de l’économie.


La structure économique cubaine a beaucoup changé ces dix dernières années. Elle n’est plus basée sur le sucre et elle s’est concentrée dans les services qui, en 2004, représentaient 73.6% du PIB du pays et 51% de l’emploi.[iv] De même, en 2004, les « recettes en devises associées au tourisme » ont presque égalé le chiffre d’exportations de biens physiques (plus de 2,1 milliards de dollars). Si l’on y ajoute les recettes pour les soins médicaux et autres, les services sont à l’origine aujourd’hui de plus de 60% des devises qui entrent au pays.


Enfin, le poids du capital étranger va augmenter encore plus avec la signature des contrats qui livrent l’exploitation des réserves pétrolifères abondantes, découvertes dans la mer des Caraïbes, à la multinationale Repsol et aux entreprises anglaises et canadiennes.


 


Le castrisme et la « voie chinoise »


Il peut paraître étrange que nous parlions de restauration capitaliste quand ce sont ces mêmes dirigeants, qui ont dirigé la révolution et qui revendiquent en permanence la « défense du socialisme », qui restent au pouvoir. Cette façon de parler ne signifie rien. De la même manière, Gorbatchev, en ex-URSS, ou les dirigeants du Parti Communiste Chinois ont essayé de dissimuler leur politique de restauration derrière des oripeaux « socialistes ».


En même temps, le processus de la Chine a montré qu’on a pu restaurer le capitalisme, c’est-à-dire, modifier le caractère économico-social de l’État, sans changer le régime politique. Le PC chinois a conservé son pouvoir hégémonique, mais le pays a cessé d’être un État ouvrier et est devenu un pays capitaliste administré par les dirigeants du PC, qui ont su tirer profit des nouvelles affaires. En Russie et dans les États de l’Europe de l’Est, la restauration a eu lieu de façon différente, puisque les Partis Communistes ont perdu le pouvoir.



De toute façon, malgré les différences entre les deux processus, à Cuba a bien eu lieu un processus de restauration capitaliste semblable à la « voie chinoise » . La restauration a été orchestrée par le Parti Communiste, et la direction castriste en a aussi retiré d’importants bénéfices.


Ainsi, les données sur le pouvoir économique à disposition de Raúl Castro, le chef historique de l’armée cubaine, sont tout à fait éloquentes . « Les Forces Armées Révolutionnaires (FAR) ont un budget annuel de 1,5 milliards de dollars et s’occupent au jour le jour de la gestion du conglomérat des plus grandes entreprises d’état du pays (…). Les FAR contrôlent 322 entreprises qui interviennent dans 89% des recettes pour l’exportation, dans 59% des profits du tourisme et dans 60% des transactions en devises. »[v]


Le pouvoir castriste s’est transformé en partenaire des capitaux étrangers, il leur garantit de bonnes affaires et, en même temps, il s’enrichit avec eux, à travers les entreprises étatiques et gr6ace à sa participation dans les entreprises mixtes.


 


Nouvelle révolution ou colonie


Nous répétons donc que le dilemme actuel de Cuba n’est pas entre la survie de l’« État ouvrier » ou la restauration capitaliste. L’État ouvrier n’existe déjà plus et la restauration est un fait. Ceci signifie qu’avec la restauration, Cuba a perdu son caractère de pays indépendant et avance de plus en plus vite vers sa transformation en une semi-colonie des impérialismes européens et canadiens.


 


Malheureusement, c’est la direction castriste elle-même qui pousse Cuba dans cette direction. Ainsi, Fidel, tout en maintenant ses discours contre Bush et la bourgeoisie gusana, rend constamment hommage au roi Juan Carlos, symbole de l’impérialisme espagnol – Chávez fait d’ailleurs la même chose.


La principale menace contre l’indépendance cubaine ne provient pas de l’impérialisme yankee ou des gusanos. Pour défendre ou récupérer cette indépendance, il faut aujourd’hui une nouvelle révolution sociale qui exproprie les entreprises et les capitaux européens et canadiens, de la même façon que, pour l’obtenir, il a été nécessaire d’exproprier l’impérialisme yankee et les gusanos. La différence profonde avec le processus entamé en 1959 est que cela signifie aujourd’hui combattre la politique de Fidel Castro et de la direction castriste.


 


 


La succession de Fidel : qui doit décider ?


La transmission du commandement à Raúl Castro a montré clairement qu’un nombre réduit de dirigeants du Parti, de l’Armée et du Conseil d’État prennent les décisions qui déterminent le futur du pays. L’ensemble du PC cubain ou du Parlement n’ont ainsi même pas pu se prononcer sur ce choix. La possibilité de consulter le peuple cubain n’a pas été effleurée…


Certes, la grande majorité du peuple maintient son affection et son respect pour le vieux dirigeant de la révolution. Mais ce fait ne peut pas dissimuler que des millions de cubains n’ont aucune possibilité d’intervention politique réelle dans la décision concernant la succession de Fidel. Il s’agit d’une situation complètement antidémocratique qui bloque un droit démocratique élémentaire.


 


Une fausse discussion


Ceux qui défendent l’actuel régime cubain affirment qu’à Cuba existe « une démocratie populaire » totalement différente de la trompeuse démocratie bourgeoise, et que la « démocratisation » a toujours été un prétexte utilisé par l’impérialisme et les gusanos pour dissimuler leur volonté de restauration capitaliste.


 


C’est une position erronée. D’abord, parce qu’il ne peut pas y avoir une véritable « démocratie populaire » sans que les travailleurs et le peuple aient le droit de former des groupes d’opposition, d’éditer des journaux, etc. – autant de choses qui n’existent pas à Cuba.Ensuite, et surtout, parce que cette position occulte le fait que la restauration capitaliste (ou la possibilité hautement probable de restauration, pour ceux qui considèrent qu’elle n’a pas encore été complétée…) ne s’est pas faite à travers une invasion des gusanos et de l’impérialisme yankee mais a été orchestrée par la direction castriste elle-même, qui est en train de vendre le pays aux impérialismes européens et canadiens.


 


C’est pourquoi, le caractère antidémocratique de l’actuel régime cubain n’est pas le corrolaire, inévitable ou nécessaire, d’une « forteresse socialiste assiégée », se défendant contre une agression extérieure, mais est un instrument de la politique de la direction castriste, qui permis de restaurer le capitalisme, de détruire les conquêtes de la révolution et de transformer le pays en semi-colonie.


 


La défense de l’actuel régime cherche sa légitimation derrière le risque de retour des yankees et des gusanos. Mais elle signifie en réalité, d’une part, la défense de la politique et des privilèges économiques de la direction castriste et, d’autre part, elle constitue une tentative pour éviter que le peuple cubain puisse s’organiser pour la combattre.


 


Dans ce cadre, la disparition de Fidel Castro – ou son incapacité à exercer le pouvoir – peut non seulement accentuer les heurts et les divergences entre les différentes ailes du castrisme, mais elle peut, en outre, affaiblir cette direction dans sa relation avec les masses. C’est pourquoi, la direction a besoin « de bien soigner l’emballage » pour éviter les risques de division interne et, surtout pour s’assurer le contrôle du mouvement de masses.


 


Nous avons confiance dans le peuple cubain


Notre proposition de « démocratisation » se fonde sur des présupposés totalement différents et a des objectifs diamétralement opposés à ceux de l’impérialisme yankee et des gusanos. Pour nous, il s’agit de défendre les conquêtes qui restent encore de la révolution, d’empêcher la restauration capitaliste et de freiner le processus de colonisation du pays.


En ce sens, nous avons pleinement confiance dans le peuple cubain, qui a déjà montré largement sa capacité à combattre la bourgeoisie et l’impérialisme, ainsi que sa grande maturité politique. C’est pour cela même que nous défendons leur droit de débattre et de décider démocratiquement du futur du pays et de la succession de Fidel Castro.






[i] Voir Cuba en Débat, Martín Hernández, Marxisme Vivant No 1.



[ii] En 2005, il y avait 258 entreprises associées au capital étranger. Les pays les plus représentés sont l’Espagne (77 entreprises) et le Canada (41). Voir Empresas Extranjeras en Cuba du journaliste Nelson Rubio.



[iii] Actuellement le commerce extérieur et les recettes pour le tourisme et les services totalisent quelque 10 milliards de dollars, presque un tiers de l’économie du pays, selon la Banque Centrale de Cuba.



[iv] Sur la base de données du Bureau National de Statistiques de Cuba, www.one.cu.



[v] Raúl Castro, un papel decisivo, Gerardo Reyes (El Nuevo Herald, 10/8/2006).

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