Fin mai, le Comité Exécutif International de la LIT s’est réuni et a abordé, entre autres, la discussion d’un document politique. La discussion concernait la lutte de classes en Amérique du Sud et la situation mondiale, marquée par l’action génocidaire des gouvernements et la réponse du prolétariat et des masses. L’article que nous présentons ci-dessous résume les principales conclusions du document approuvé lors de cette réunion.
Comité Exécutif International de la LIT-QI
le 17 juin 2021
La réponse des masses à la pandémie et à la politique génocidaire des gouvernements impérialistes et de leurs laquais, avec la participation importante de la jeunesse, continue de marquer la situation dans les différents pays. L’inégalité de la crise économique et celle des réponses des masses aux attaques des gouvernements génocidaires affectent la situation de la lutte de classes.
Il y a un changement brutal dans les conditions de vie du prolétariat mondial qui, selon la Banque Mondiale, reflète une situation « vraiment inédite ». Cette institution de l’impérialisme rapporte qu’en 2021, il y aura une augmentation estimée du nombre de personnes tombant dans la pauvreté entre 143 et 163 millions. Ces brusques changements dans les conditions de vie du prolétariat et des masses dans le monde entraînent généralement aussi des changements soudains dans la lutte de classes.
C’est ainsi que les conflits se multiplient partout. L’offensive militaire d’Israël dans les quartiers arabes de Jérusalem se heurte à une résistance unifiée dans les territoires occupés. Dans les pays arabes, des processus de mobilisations de masse s’amorcent qui vont jusqu’à déstabiliser les régimes, comme en Jordanie. Une situation similaire se produit dans plusieurs pays d’Afrique noire.
En Asie du Sud, avant la recrudescence actuelle de la pandémie, l’Inde a vécu la plus grande mobilisation de masses depuis l’indépendance. En Asie de l’Est, une lutte armée contre la dictature militaire a commencé au Myanmar (anciennement la Birmanie).
En Europe de l’Est, le processus en Biélorussie se poursuit, au-delà de la conjoncture de recul, tandis qu’en Russie des dizaines de milliers de personnes descendent dans les rues de Moscou et de nombreuses villes du pays contre Poutine, défiant la dure répression, Le point culminant a eu lieu en Pologne : des centaines de milliers de personnes (surtout des femmes) se mobilisent en défense du droit à l’avortement et contre le régime réactionnaire de Kaczynski. Ce sont les plus grandes mobilisations dans ce pays depuis celles menées par le syndicat Solidarnosc dans les années 1980.
La réponse contre-révolutionnaire et réactionnaire des gouvernements aiguise la lutte entre les classes. Il y a une réponse inégale des masses à l’accélération des attaques contre l’emploi et les salaires et aux mesures réactionnaires. En Europe occidentale, ces gouvernements parviennent à maintenir un équilibre dans les relations entre les classes, avec les subventions, les plans de vaccination plus avancés, et l’action des directions bureaucratiques. Aux États-Unis, le gouvernement démocrate de Joe Biden tente de rééquilibrer cette relation, qui avait été rompue sous l’administration Trump par les rébellions antiracistes en réponse à l’assassinat de George Floyd.
D’autre part, c’est en Amérique du Sud que se déroulent les actions de masse les plus répandues, et ce qui s’était passé en 2019 reprend : à la continuité du processus révolutionnaire chilien, aux flambées du Pérou et du Paraguay, s’ajoute maintenant la Colombie, avec la jeunesse comme avant-garde face à la répression brutale du régime. Au Brésil, avec un niveau d’attaques bourgeoises similaire à celui des autres pays d’Amérique latine, la réponse du prolétariat est plus faible, ce qui agit comme un frein dans le rapport de forces de la région.
Face à l’action révolutionnaire du mouvement de masse, la bourgeoisie essaie d’y mettre un frein moyennant différentes réponses (qu’elles soient réactionnaires ou contre-révolutionnaires), et elle a l’aide des différentes variantes réformistes.
Au début de la pandémie, nous avions averti que si les mutations du virus évoluaient vers des souches plus mortelles, cela signifierait un génocide : c’est ce qui se passe aujourd’hui. Le capitalisme impérialiste avec son attitude destructrice envers la nature est incapable de vacciner la majorité de la population mondiale. Et la crise provoquée par le ralentissement de l’économie mondiale se conjugue avec les autres attaques déchaînées contre le prolétariat. La relation entre la lutte ds classes et la pandémie s’approfondit.
L’état actuel de la pandémie
Les analyses actuelles des journaux bourgeois concernant la pandémie sont moins fiables que les prévisions climatiques. Ce n’est toutefois pas parce que le développement actuel de la science ne soit pas capable de faire face à cette pandémie : le fait est que cette science a été kidnappée par le capitalisme impérialiste.
Les scientifiques les plus sérieux ont même mis en garde contre ce risque et une éventuelle catastrophe en indiquant de nombreux signes de possibles zoonoses. Entre autres, récemment, la peste porcine africaine qui a décimé la moitié des porcs en Chine.
Ce que nous avons appelé la « mondialisation impérialiste », c’est la combinaison de l’ouverture générale des marchés des biens et des capitaux avec l’expansion capitaliste en Asie. Ce processus a non seulement créé une nouvelle division mondiale du travail, mais a poussé l’exploitation des ressources naturelles de la planète au-delà de ses limites.
L’« urgence climatique » et la pandémie sont deux manifestations de l’impact destructeur du capital sur la nature. L’une des questions clés pour l’avenir du capitalisme est de savoir dans quelle mesure il sera capable d’investir dans les énergies renouvelables et d’en accroître l’utilisation, par rapport aux énergies fossiles (qui constituent encore 80 % de la matrice énergétique mondiale), dans un cadre d’une augmentation constante d’utilisation d’énergie et de destruction de la nature.
La réponse du capitalisme à ces processus est d’en faire des affaires. Car même les mesures mineures et insuffisantes de l’Accord de Paris sur les émissions de carbone supposent des investissements gigantesques. C’est pourquoi, dans la conjoncture, le Plan Biden prend l’urgence climatique comme argument, mais pour tenter de promouvoir un nouveau cycle d’investissement dans son pays.
Pendant ce temps, il y a la vengeance de la nature. Marx avait déjà signalé dans Le Capital la tendance à la subordination de l’agriculture à l’industrie : la productivité de la première augmente en proportion aux ressources fournies par la seconde. Dans les pays industrialisés, ce processus conduit à une tendance à la disparition des différences entre ville et campagne.
Ce processus d’augmentation de la productivité agricole issu de l’industrialisation de la campagne fait des États-Unis, avec seulement 3 % de sa main-d’œuvre agricole, le premier producteur et exportateur de céréales et de viande au monde, alors que la Chine, avec 30 %, est un importateur net. [1] Il existe en même temps une autre tendance tout aussi importante : l’unification des modes de consommation entre la campagne et la ville. Aux États-Unis et en Europe occidentale, la consommation de produits industrialisés par la population rurale est très similaire à celle de la population urbaine.
Ces deux tendances se sont concentrées dans les pays impérialistes, alors que dans la plupart des semi-colonies et des colonies, le sous-développement de la campagne est fonctionnel et est une condition sine qua non pour ce qui se passe dans les pays impérialistes. C’est un développement inégal du capitalisme à l’échelle mondiale, souligné par Lénine. Mais cela n’annule pas les conséquences signalées par Marx et Engels en ce qui concerne l’exploitation capitaliste à la campagne. Á l’image de l’industrie moderne, la tendance au développement des forces productives à la campagne se traduit par son contraire : la libération de forces destructrices brutales. [2]
La domination impérialiste pousse l’industrialisation de l’agriculture à l’extrême ; production intensive de bétail et de volaille ; abattage des forêts et des jungles ; exploitation minière intensive ; production d’énergie fossile ; pêche industrielle ; etc. Dans les pays impérialistes, la subordination complète des activités du secteur primaire à l’industrie a pris des siècles ; aujourd’hui, la domination de la planète par les monopoles impérialistes met en rapport des pays avec différents stades de développement capitaliste et les entraîne, industrialisant les activités primaires à une vitesse vertigineuse :
- 40 % de la surface libre de glace de la Terre est dédiée à la production agricole et forme le plus grand biome terrestre (plusieurs millions d’hectares supplémentaires seront incorporés d’ici 2050).
- Les pâturages et les terres cultivées occupent respectivement 24,9 % et 12,2 % de la superficie globale de la Terre.
- La volaille et le bétail représentent 72 % de la biomasse animale mondiale et dépassent de loin celle de la vie sauvage. Ils sont pour la plupart très concentrés.
- 64 % des poulets et autres volailles, ainsi que des bovins, ovins, caprins et porcins sont concentrés sur 2 % de la surface de terre de la planète [3].
L’agriculture intensive latifundiaire, le confinement de la volaille et du bétail dans des enclos surpeuplés et l’exploitation minière à ciel ouvert se combinent avec les méthodes traditionnelles dans de nombreux pays et sont incorporés dans la production pour le marché mondial. Ce mélange d’activités aux abords des grandes forêts soumises au défrichement est un foyer d’agents pathogènes. Tout cela est directement lié au monde urbain, comme l’épidémiologiste évolutionniste Rob Wallace l’a dénoncé depuis des années. [4].
Il explique que les grands monopoles interfèrent directement dans la sélection naturelle.[5] Pour cette raison, le Covid-19 actuel a la même évolution que « les grippes aviaire et porcine hautement pathogènes et ensuite adaptées à l’être humain. Elles ont tendance à apparaître d’abord sous forme d’infections récemment identifiables dans des installations de production intensive situées à proximité des grandes villes, à la fois dans les pays entièrement industrialisés et dans ceux en pleine transition économique vers des régimes plus industrialisés. Sur les trente-neuf mutations de la grippe aviaire, faiblement et hautement pathogènes, documentées depuis 1959, Madhur Dhingra et d’autres ont identifié que toutes sauf deux se sont produites dans des installations commerciales de dizaines ou de centaines de milliers d’oiseaux. »[6]
Sur la base d’années de travail sur le terrain, l’auteur prédit que « le SARS-CoV-2, le coronavirus qui a balayé le monde, ne constitue qu’une partie de toute une série de nouvelles souches pathogènes soudainement apparues ou réapparues comme des menaces pour les êtres humains dans ce siècle. Ces infections – grippe aviaire et grippe porcine, Ebola Makona, fièvre Q, Zika, parmi tant d’autres – ont presque toutes un lien, lointain ou direct, avec des changements dans la production ou dans l’utilisation des terres liés à l’agriculture intensive, tout comme, le cas échéant, avec d’autres modes de production impliqués, y compris le défrichement et l’exploitation minière ». [7] Il faut en tirer une conclusion : nous ne sommes pas confrontés à la première pandémie, et ce ne sera pas la dernière causée par la phase impérialiste du capitalisme.
La symbiose entre capital et virus
Dans Le Capital, Marx soutenait que la société bourgeoise moderne, avec ses relations de production, de propriété et d’échange, procédait comme un sorcier qui ne contrôle pas les pouvoirs de ses sortilèges. La pandémie en est donc un.
Elle a été engendrée par le capitalisme impérialiste qui épuise la nature, et le seul moyen dont disposent les relations humaines médiatisées par le capital pour y faire face est de transformer cette action en un autre négoce encore plus lucratif, comme l’a exprimé le Premier ministre britannique Boris Johnson.[8] Lutter contre la pandémie en période de baisse des taux de profit est la grande affaire du début du 21e siècle. Mais le virus n’est pas doué en affaires et ne peut pas être discipliné aux règles du capital.
Après l’annonce de Biden, proclamée tambour battant, que les Etats-Unis seraient disposés à discuter de la libération de brevets sur les vaccins, le représentant de Washington à la réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui s’est tenue entre le 8 et le 9 juin, semble ne pas avoir pris note de ce qu’avait annoncé Biden : la Maison-Blanche n’a même pas soutenu la suspension temporaire des brevets de vaccins et de médicaments pour lutter contre Covid-19.
À présent, pour cacher leur vrai visage, les responsables du génocide s’efforcent de se présenter comme des « philanthropes » : elles annoncent au sommet du G7 la promesse de faire don de 870 millions de doses de vaccins « pour les plus nécessiteux »… jusqu’en 2022. Qui plus est, il convient de rappeler qu’ils avaient annoncé un milliard, mais le communiqué montrait qu’ils truquaient les chiffres en prenant en compte les doses et l’argent engagés bien avant ce rendez-vous.[9]
Les profits des entreprises pharmaceutiques sont ce qui dicte le rythme de la vaccination mondiale. En d’autres termes, les mêmes relations sociales qui ont produit la pandémie la réalimentent. Les vaccins, qui sont sans aucun doute un acquis spectaculaire de la science, ne peuvent pas arrêter la propagation du Covid-19, car le capital est un obstacle à la vaccination de masse de la population mondiale. En attendant, sans le rythme vaccinal nécessaire, il n’est pas possible d’empêcher l’apparition de nouvelles souches [10] qui, pour l’instant, sont de plus en plus létales et avec une vitesse de propagation plus rapide. [11]
L’Inde est peut-être le pays qui concentre le plus toutes les contradictions de l’incapacité du système capitaliste/impérialiste à arrêter la propagation de la maladie. C’est un gros exportateur de vaccins, car il concentre la production de ceux que les entreprises pharmaceutiques impérialistes n’ont aucun intérêt à produire puisque les brevets ont déjà expiré.
Pour les vaccins les plus récents, elle réalise une production sous-traitée tandis que les pays impérialistes se concentrent sur la recherche et le développement. Par conséquent, pour vacciner sa population dans la pandémie actuelle (dans le contexte d’une explosion d’infections et de décès) elle doit payer des redevances aux conglomérats pharmaceutiques impérialistes. Alors que sa population meurt dans les rues à cause de la pandémie et de la faim, elle doit remplir les contrats de livraison de vaccins aux pays impérialistes, qui ont monopolisé jusqu’à dix injections par habitant et concentrent 85 % des doses appliquées !
Cette incapacité à arrêter et contrôler la pandémie actuelle soulève le débat sur les futures nouvelles pandémies. Dans une critique de certaines déclarations, Rob Wallace résume ainsi le problème : « Des entreprises comme Animal Agriculture Alliance et Breakthrough Institute ont déclaré que la biosécurité, la technologie et les économies d’échelle – plus c’est gros, mieux c’est – sont le seul moyen de nous protéger d’une autre pandémie. Peu importe que la production agro-industrielle et l’accaparement des terres menées en son nom aient été documentés comme étant responsables de l’apparition de divers agents pathogènes au cours des deux dernières décennies ».
Pour atténuer les émissions de carbone, un énorme investissement dans les énergies renouvelables est nécessaire.[12] Dans le cas des pathogènes, il faut inverser la tendance à investir dans les « usines agricoles » de production de viande et l’agriculture intensive ; bref, il faut renoncer à la structure productive actuelle.
L’évidence scientifique est sans appel : la toile d’araignée qui relie les usines de viande à la vie silvestre, et le défrichement des forêts au marché mondial, a été responsable des épidémies du SRAS en Chine, du MERS au Moyen-Orient, du Zika au Brésil, du H5Nx en Europe, de la grippe porcine en Chine et du H1N1 en Amérique du Nord. Dans la mesure où il a été possible de les contrôler, les infections ont été régionales, concentrées dans certaines régions de la planète.[13]
Les monopoles responsables de la dévastation environnementale ont fait une « alliance » avec le virus. À leur horizon, pour contrer les conséquences de leurs actions environnementales, la seule politique est la génération d’un autre business tout aussi lucratif : les vaccins. Un business dans lequel leur production et la vaccination ne sont pas compatibles avec la vitesse de propagation du virus.
Mais quel que soit le cours de la situation, il y a un problème fondamental qui ne change pas : l’incapacité du capitalisme impérialiste à garantir la vaccination à l’échelle mondiale. La campagne criminelle de tous les gouvernements qui répand l’idée que la pandémie est sous contrôle est complètement fausse, même dans les pays qui ont atteint un haut degré de vaccination de leur population.
Un temps de guerres, de révolutions… et de pandémies
Vu ce qui a été dit plus haut, il y a lieu de mettre à jour notre programme pour intervenir dans la crise actuelle. Pour cela, il est nécessaire que le mouvement ouvrier prenne en main la question environnementale, qui doit figurer dans notre programme et nos propositions politiques immédiates.
Dans chacun des pays où nous intervenons, il faut mettre à jour le Programme d’Urgence que nous avons présenté au début de la pandémie, en tenant compte de l’évolution de la situation. Cela doit être exprimé dans les mots d’ordre spécifiques à chaque pays, qui prennent en compte la relation entre la pandémie et les explosions de la lutte de classes dans les différents pays, et de l’espace que celles-ci occupent dans l’ordre impérialiste des nations.
Nous ne pouvons pas savoir combien de temps va durer la pandémie, mais sa relation avec la lutte de classes s’approfondit. Pour cette raison, les programmes nationaux et les réponses politiques doivent être basés, à l’heure actuelle, sur l’impact de la pandémie, ses conséquences sociales et les mesures pour y faire face.
Une profonde contradiction pour les masses
Début avril dernier, le magazine The Economist a publié un article sur la pandémie en Inde. Pour ses lecteurs, qui sont des actionnaires d’entreprises en Inde, tout en partageant les même les idéologies réactionnaires du gouvernement Modi, il fut plus prudent face aux prévisions :
« Heureusement, pour l’Inde et ses voisins, le taux de mortalité du Covid-19 apparaît relativement faible, même en tenant compte d’une importante sous-estimation. Ceci est probablement en partie dû au fait que la population sud-asiatique est relativement jeune et donc moins sensible à la maladie. Le régime alimentaire, le climat et l’exposition antérieure à des agents pathogènes peuvent également jouer un rôle. Mais il existe également un décalage naturel de plusieurs semaines entre les infections et les décès, de sorte que les décès devraient augmenter considérablement dans le sous-continent à la fin de ce mois. La deuxième vague de la pandémie en Asie du Sud va s’aggraver avant de s’améliorer. »
Au moment d’écrire ces lignes, il y a au moins 25 000 décès par jour, selon les rapports directs que nous recevons du pays. Aucun scientifique sérieux ne pourrait attribuer la faible mortalité de la « première vague » au « régime alimentaire », au « climat » ou aux « avantages » de la pauvreté et de « l’exposition antérieure à des agents pathogènes », comme facteurs qui freinent le développement. C’est une campagne dégoûtante de la bourgeoisie.
Dans une note publiée sur ce site de la LIT, l’auteur, en plus de décrire la situation terrifiante du prolétariat, synthétise les dilemmes devant lesquels nous nous trouvons [14] :
« […] Il y avait un air de triomphalisme, comme si le virus avait disparu. Les gens sont revenus à leur routine, beaucoup ont cessé de porter des masques ou de prendre des précautions, le gouvernement a également commencé à se concentrer davantage sur les élections, plutôt que sur la pandémie. Au cours des mois de déclin de la première vague, nous avons vu certaines des plus grandes mobilisations de masse observées dans le pays depuis l’indépendance. Une grève générale en novembre 2020, pour protester contre la réforme du travail, suivie de manifestations de paysans contre les lois agricoles. »
C’est comme si une épée reposait sur la tête du prolétariat. Si celui-ci bouge, elle pénétrera rapidement dans son crâne, s’il reste immobile, elle le fera de toute façon par son propre poids. Modi, comme tous les gouvernements subordonnés aux diktats de l’impérialisme, a profité de la pandémie pour lancer un paquet très dur contre le prolétariat et les paysans, et il a eu comme réponse l’une des « plus grandes mobilisations de masse vues dans le pays depuis l’indépendance ».
On ne peut pas dire que cette mobilisation soit responsable de la « deuxième vague » de la pandémie. L’assouplissement des mesures, l’ouverture des festivals religieux et les élections au Bihar [15] forment un tout. Cependant, seules les manifestations de la grève générale et de la marche paysanne ont été réprimées au nom du « confinement social ». Malgré les objectifs du gouvernement réactionnaire Modi, on ne peut pas non plus nier qu’elles ont été un élément supplémentaire.
De même, la rébellion légitime des masses colombiennes tentera sûrement d’être utilisée contre elles par Duque et ses scélérats. Le dilemme du prolétariat est synthétisé dans une pancarte d’un militant colombien : « Duque est pire que le virus ! » Les mesures d’isolement, peu nombreuses et insuffisantes, des gouvernements dans les pays dominés ont entraîné plus de faim, de misère et de chômage. Les morts dans les rues de l’Inde ne sont que l’exemple le plus dramatique de ce qui se passe dans toute l’Amérique latine. La situation du monde semi-colonial se retrouve dans la description de Marx concernant la domination anglaise en Inde : « La profonde hypocrisie et la barbarie inhérentes à la civilisation bourgeoise s’ouvrent devant nos yeux quand nous les détournons de la métropole, où celle-ci prend des formes respectables, vers les colonies, où elle est nue. »
La montée à laquelle nous sommes habitués, qui résulte d’un processus cumulatif de luttes partielles jusqu’à gagner une autre dimension hors des rails des régimes, semble peu probable en raison des difficultés d’actions isolées par la crise et la pandémie, en plus de la trahison. des directions.
Les caractéristiques de l’explosion étasunienne ont tendance à prévaloir. L’assassinat de Floyd, comme nous l’avons dit, a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » de l’oppression noire, combinée avec la pandémie et la chute des conditions de vie du prolétariat dans son ensemble, et de la population noire en particulier. Combiné à la répression, il a radicalisé l’action des masses en en faisant un processus national.
Cependant, la crise de direction affecte également le fait que les bataillons lourds de la classe ouvrière ne sont pas entrés en action. Ceci permet ainsi que les grandes ressources de l’Etat – avec la répartition des tâches entre les partis démocrate et républicain – et le soutien des appareils qui dirigent le mouvement (comme Black Lives Matters) détournent le processus ouvert vers les élections.
Mais cela n’empêche pas que le déséquilibre entre les classes a été un tournant dans la vie politique étasunienne. La polarisation politique, jamais vue dans une élection présidentielle, a déchiré le pays en deux. Le rééquilibrage des relations entre les classes (réparer la fracture ouverte) est le principal défi de l’administration Biden. C’est-à-dire que le facteur politique sera déterminant.
La situation que nous décrivons dans la Déclaration européenne de la LIT [16] mélange des moments politiques différents entre l’Europe de l’Est et l’Occident. Entre-temps, en Occident se prépare un nouveau recul social généralisé dans un proche avenir, conséquence des conditions imposées par les « fonds de relance » expressément conditionnés au respect des « recommandations » de la Commission européenne. Cela signifie non seulement que ces fonds doivent être investis dans des projets conformes aux intérêts de la grande industrie et de la finance allemande et française, mais aussi que les gouvernements doivent se conformer strictement aux « réformes structurelles » et aux mesures d’austérité dictées par la Commission européenne. Cependant, dans cette conjoncture, cela a été un facteur de stabilisation de la lutte de classes en Occident avec la complicité de la bureaucratie syndicale et du réformisme.
Dans ce contexte, il faut souligner la mobilisation des travailleurs d’Alitalia contre son démantèlement et pour la défense d’une entreprise publique, unie et sans licenciements. C’est le premier grand mouvement de travailleurs contre le tout nouveau gouvernement Draghi. Son combat est probablement le plus important d’Europe aujourd’hui. Cela est dû à son importance économique et politique, à la massivité et à la combativité de sa mobilisation, au large débordement des bureaucraties syndicales et à la lutte des travailleurs pour prendre le contrôle de la lutte directement en leurs mains, donnant un exemple à la classe ouvrière européenne.
La situation de stabilité politique et institutionnelle dans l’UE cache cependant de grandes faiblesses. Les crises gouvernementales ont favorisé la croissance de la droite et de l’extrême droite, tout en provoquant la faillite de la gauche réformiste, ce qui marquera le cycle politique post-pandémique.
La lutte de classes acquiert un caractère explosif, en même temps qu’elle est profondément inégale et concentrée dans les pays dominés.
C’est pourquoi il faut se préparer en premier lieu à des virages abrupts dans la lutte de classes, en particulier dans les pays dominés. Cette caractéristique générale est présente, même compte tenu des spécificités nationales, dans la plupart des pays où l’équilibre entre les classes a été rompu pendant la pandémie.
La vie devient insupportable en raison de la combinaison perverse du génocide qui atteint avec une force écrasante les secteurs opprimés (les immigrés, la population noire, l’augmentation de l’oppression des femmes), avec des mesures qui réduisent les conditions d’existence au minimum, ou moins encore : réformes du travail, baisse des salaires, réformes fiscales régressives. Tout cela en pleine pandémie.
Malgré l’unité profonde des conditions objectives dans les semi-colonies, la réaction des masses semble liée à la situation antérieure de la lutte de classes. Par la contagion et les décès, la pandémie ouvre objectivement une situation défensive, ou fige l’étape précédente. Dans ce cadre, la caractéristique fondamentale est l’inégalité.
Lutte de classes en Amérique du Sud
La Colombie est aujourd’hui le centre de l’action révolutionnaire des masses du sous-continent, partageant des traits communs avec les soulèvements des masses au Chili, au Pérou et au Paraguay. La nouvelle situation est une continuation des mobilisations de 2019, mais plus profonde et plus étendue. Ici, nous développerons quelques conclusions générales et leur relation régionale.
Le dernier rapport de la CEPAL estime que le nombre total de personnes pauvres dans la région s’élevait à 209 millions à la fin de 2020, ce qui représente 22 millions de personnes de plus que l’année précédente. Si le PIB mondial a chuté de 3 %, en 2020, en Amérique latine le coup de griffe a été de 7 %. Dans des pays comme le Pérou, c’est pire : -11%.
L’effet social de cette catastrophe s’apparente à celui d’une guerre : on estime qu’en 2020, le taux de « pauvreté extrême » était de 12,5 % tandis que le taux de « pauvreté modérée » touchait 33,7 %. de la population. Ces chiffres augmentent en 2021.
C’est un changement soudain des conditions d’existence. En quelques années, cela va des miettes reçues du boom des « matières premières » à la crise et, plus tard, à l’impact de la pandémie, ce qui pousse à la limite les conditions d’existence des masses dans le sous-continent. En même temps, ce n’est pas le résultat d’une défaite qui impose un nouvel équilibre entre les classes, se stabilisant en ces nouveaux niveaux de pauvreté. Le changement soudain, en plus des attentes frustrées, touche l’ensemble du prolétariat, et encore plus la jeunesse.
Au cours des années précédentes, le degré élevé d’exploitation était supporté par les masses, dans la mesure où il y avait un certain niveau de prévisibilité en ce qui concerne leur vie et une promesse d’une certaine mobilité sociale ascendante. Cette réalité a explosé. La réaction différente entre les pays est profondément liée à la situation avant la catastrophe pandémique. Pour cela, il convient de rappeler certains aspects.
Le réformisme et ses crises d’avant la pandémie
L’insurrection équatorienne en 2000 a déclenché une vague de mobilisations, d’insurrections et de semi-insurrections en réponse à l’ajustement appliqué à l’unisson par les bourgeoisies créoles. L’ajustement eut pour contrepartie l’ouverture du marché asiatique aux exportations des ressources naturelles de la région, contrôlées par les monopoles internationaux. La bourgeoisie régionale entra comme partenaire mineur dans la voie de la nouvelle vague de pillage du sous-continent.
La crise de direction empêcha l’action directe des masses de faire échouer l’ajustement. Cette vague insurrectionnelle donna naissance à différents gouvernements de collaboration de classe directe (Chávez, Correa, Kirchner, Evo Morales, Humala) et d’autres de manière plus indirecte (Lula, Vázquez, Lugo). Au Chili, Lagos (2000) et les gouvernements successifs de Bachelet, le dernier intégré par le PC chilien, approfondirent le système de pillage conçu sous la dictature de Pinochet. Tous, sans exception, firent le contraire de ce que recherchait l’action de masses qui les avait intronisés, et ils maintinrent intact le projet de recolonisation.
La Colombie ne fait pas partie du même phénomène politique, soit à cause de la présence de la guérilla, soit à cause de la spécificité du produit qu’elle exporte (ou les deux, en tout cas). Cependant, tous profitèrent de la hausse des prix des ressources naturelles exportées, due à l’expansion capitaliste en Asie. Au compte-gouttes, ils concédèrent quelques miettes, une certaine prévisibilité à la vie du prolétariat.
La chute des prix des produits de base exigea un nouvel ajustement, mené par les gouvernements de collaboration de classe, ce qui a augmenté le pillage pour compenser la baisse des prix, et la surexploitation du prolétariat et des paysans.
Avant la pandémie, les anciennes classes dirigeantes se battaient pour le contrôle des affaires. De manière violente, en Bolivie ; au parlement, au Brésil, en Uruguay, au Pérou et en Argentine, entre 2015 et 2019.
Dans le cycle précédent, ils ont détourné la possibilité de faire échouer le projet néocolonial ; ils ont coopté et institutionnalisé les organisations du mouvement ouvrier et de masses ; ils ont démoralisé une partie des masses qui leur faisaient confiance. Avec leur crise, ils ont préparé le terrain pour la réaction et la contre-révolution. En règle générale, avant la pandémie, le réformisme subissait déjà une crise majeure dans ses différentes versions, malgré la récupération de certains gouvernements, comme en Argentine.
La crise économique de la pandémie, qui minait la richesse nationale et conduisait à la division au sein de la bourgeoise, place en outre sur le devant de la scène le prolétariat urbain, les couches moyennes et la petite bourgeoisie urbaine et rurale.
Le réformisme apparaîtra probablement comme un phénomène électoral régional. Mais son retour en scène dans le cadre actuel est différent de la période précédente ; c’est plus contradictoire, toujours dans le but de maintenir les masses populaires dans l’impasse de la démocratie bourgeoise.
L’une de ces différences est qu’il ne s’agit plus de surfer sur la montée économique, mais de gérer une crise aux proportions inédites. De la crise précédente sont restés dans la mémoire d’un secteur des masses les ajustements opérés par leurs gouvernements. La défaite du dauphin de Correa en Équateur face à la droite bourgeoise ; l’étroite victoire du candidat indigène d’apparence plus radicale sur la fille de Fujimori, de droite, au Pérou ; et la défaite du Frente Amplio en Uruguay expriment peut-être cette contradiction.
Cependant, après l’explosion dans certains pays, on ne peut pas exclure l’utilisation électorale de celle-ci par les masses pour « punir » les gouvernements en place : par exemple, la victoire même de Castillo au Pérou ; la « réhabilitation » électorale de Lula, décidée par la grande bourgeoisie brésilienne ; la montée de Petro en Colombie ; etc.
Ceci dit, quand la polarisation entre les classes est encore plus cruelle, ils essaient d’unir les différentes fractions bourgeoises : le « pacte historique » de Petro ; l’accord « pour la refondation de notre patrie » de Castillo ; le front « extra large » de Lula ; le « pacte pour la paix » au Chili (tacitement soutenu par le PC). Plutôt que de se présenter comme l’une des fractions bourgeoises en lice, ils essaient d’être la charnière entre les différentes fractions bourgeoises, selon la situation de la lutte de classes.
En tout cas, de l’intérieur ou de l’extérieur des gouvernements, le réformisme est le principal agent de la bourgeoisie pour maintenir l’esclavage du prolétariat. La profondeur de la crise en fait le principal soutien du régime capitaliste. [17]
Il faut étudier soigneusement les résultats des élections à l’Assemblée constituante chilienne. Le PCC et le Frente Amplio s’en sortent bien et se renforcent avec la mairie de Santiago. Cependant, la grande surprise a été le succès des listes indépendantes. Cela peut indiquer l’érosion du réformisme dans l’avant-garde depuis le processus ouvert en octobre 2019, qui éclata et se maintint en dehors des grands appareils. Dans ce contexte, les révolutionnaires peuvent se battre avec un certain succès pour une frange de l’avant-garde.
Les traits communs de la lutte de classes
La pandémie a été l’accélérateur des explosions au Paraguay et au Pérou, pays qui, avant elle, avaient un équilibre instable. Son impact est un obstacle à la lutte, mais c’est en même temps un accélérateur des contradictions, qui ouvre un déséquilibre entre les classes.
Au Pérou, l’explosion a été canalisée dans le processus électoral. La fragmentation bourgeoise au premier tour a permis à Castillo, un enseignant rural (qui a mené, il y a quelques années, la plus grande grève des enseignants de ces derniers temps), de dépasser le front réformiste soutenu par le PC.
Au moment de clore cet article, Castillo a gagné au second tour avec une très faible marge et est reconnu vainqueur par la justice électorale. Castillo (avec seulement 19 % des suffrages valables au premier tour) fut « le dépositaire occasionnel du mécontentement des secteurs les plus marginalisés par le système, les sous-employés et les chômeurs des villages les plus abandonnées et des zones les plus marginales des grandes villes ».[18] Afin de gagner la confiance bourgeoise, il a signé « l’Engagement envers le peuple péruvien » dans lequel il affirme qu’il respectera « les traités internationaux que le Pérou a signés » et qu’une « Assemblée constituante se tiendra dans le cadre légal actuel ». [19]
La continuité des deux processus dépendra fondamentalement du maintien de leurs actions en marge des appareils par les masses. Ceci a été, jusqu’à présent, la caractéristique centrale du processus chilien et colombien.
La classe ouvrière
Dans les processus révolutionnaires antérieurs à la pandémie (Chili, Équateur et Colombie, 2019), le prolétariat industriel n’est pas intervenu en tant que classe organisée. Ce trait se maintient au début de la montée en 2021 (Paraguay, Pérou, Colombie).
En plus de l’insécurité face au chômage dans les secteurs formels, il semble que le travail informel augmente, atteignant des chiffres effrayants : Bolivie, 84 % ; Paraguay, 68,9 % ; Colombie, 62,1 % ; Brésil 47 % et Argentine 49 %.
Ce phénomène génère une masse de « travailleurs indépendants », précaires, vivant au jour le jour, concentrés à la périphérie des grandes villes. Dans la situation actuelle, cette masse ne peut s’exprimer que sous forme d’explosions sociales ou dans les élections. Son virage à droite ou à gauche génère des phénomènes comme Castillo et son populisme de gauche, mais elle est aussi une proie facile pour l’extrême droite, qui la dispute.
Dans ce cadre, la classe ouvrière avec des emplois formels devient plus « conservatrice » pour garder ce qui lui reste : le droit d’être exploitée avec un minimum de sécurité et de continuité. Elle accompagne le mouvement du prolétariat dans son ensemble, mais en se plaçant en arrière, pas en première ligne. Quand elle participe en tant qu’avant-garde, elle est au milieu du tourbillon comme une composante de plus. La bureaucratie syndicale, qui fait partie de l’ajustement, se nourrit de ses conséquences et bloque les luttes, isolées en raison des difficultés de la crise, tout en bloquant les actions unifiées en tant que classe. La difficulté du mouvement ouvrier organisé à « toucher » cette frange sociale, qui oscille entre le prolétariat et son « armée de réserve », constitue le grand défi des processus révolutionnaires en cours.
La jeunesse comme avant-garde
La jeunesse a été à l’avant-garde des actions révolutionnaires, avant et pendant la pandémie. En 2019, au Chili, c’était l’étincelle de l’explosion, de même en Colombie. En pleine pandémie, elle le fut au Pérou et au Paraguay ; et dans la « deuxième vague », encore plus profonde, en Colombie.
Il ne s’agit pas exclusivement, ni de façon centrale, de la jeunesse étudiante, mais bien de la masse des jeunes comme tranche d’âge, entassés dans les quartiers des grandes villes, sans perspective d’emploi permanent, sans emploi ou avec un emploi précaire.
Dans le passé, une génération d’avant-garde juvénile fut détruite par la guérilla castro-guévariste, après la révolution cubaine. Plus récemment, elle a connu la frustration de la farce du castro-chavisme bourgeois. Aujourd’hui, on constate que les appareils contre-révolutionnaires ne parviennent pas à être un facteur d’attraction. Il est possible qu’en Amérique du Sud nous soyons en train de vivre un phénomène similaire à celui du « printemps arabe » (qui s’est également répété en 2013 au Brésil). Un processus qui n’est possible que comme conséquence directe de l’éclatement du stalinisme en tant qu’appareil mondial.
Au Chili, les jeunes qui descendent dans la rue sont nés sous les gouvernements de la Concertation. Le plus grand appareil contre-révolutionnaire du pays, le PC, ne les contrôle pas, bien qu’il dispose d’importantes forces organisées.
En Colombie, la guérilla des FARC, qui se nourrissait d’une partie du militantisme, a révélé au grand jour les relations de l’État avec le trafic de drogue et les paramilitaires après sa défaite-capitulation et son incorporation au régime, mettant ainsi à nu toutes les contradictions du pays.
Au Pérou, après la fin de la guérilla de Sendero Luminoso et de la dictature de Fujimori, des gouvernements corrompus au service des multinationales minières ont défilé les uns après les autres dans la démocratie bourgeoise, sans offrir ni présent ni avenir au-delà de la précarité et du chômage. Selon une enquête de l’Institut d’études péruviennes, plus de la moitié des jeunes âgés de 18 à 24 ans ont participé aux manifestations.
Un des défis que nous avons en tant que révolutionnaires est de nous connecter avec ce phénomène, avec ces jeunes des quartiers populaires, avec ces jeunes ouvriers précarisés. Cela fait partie de la stratégie de construction de nos partis dans le mouvement ouvrier.
En plus de l’action commune, une profonde discussion programmatique et politique est nécessaire. Ces jeunes sont attirés par l’ultra-gauche dans l’action, mais ensuite par le réformisme dans la stratégie. C’est-à-dire qu’ils ne vont pas au-delà de leurs revendications partielles ou démocratiques. Ce sont donc des proies faciles pour le régime. Sans une lutte programmatique soutenue et dure, nous ne gagnerons pas les meilleurs d’entre eux.
Nos tâches
Si nous n’intervenons pas de l’intérieur des processus concrets, nous ne nous construirons pas en tant que pôle révolutionnaire. Être dans les marches, les barricades et les affrontements avec la répression est une condition nécessaire dans la lutte pour la direction. Mais ce n’est pas suffisant : si cela ne s’accompagne pas de la lutte politique, programmatique et théorique, nous ne gagnerons pas le meilleur de cette avant-garde.
Nos propositions doivent répondre aux besoins immédiats des masses et relier ceux-ci aux besoins intermédiaires, en présentant notre stratégie socialiste et révolutionnaire. Autrement dit, la réponse à la dégradation brutale des conditions d’existence et la lutte pour la survie dans la pandémie doivent être liées à l’attaque contre la propriété privée et à la destruction des régimes laquais de l’impérialisme qui entretiennent cette machine génocidaire.
Ce combat politique et programmatique doit se construire avec la défense sans compromis du vrai socialisme, en forte polémique avec le castro-chavisme, le stalinisme recyclé et d’autres variantes du réformisme.
En même temps, si une caractéristique commune a été l’explosion en marge des appareils, la principale faiblesse pour avancer a été, jusqu’à présent, les processus d’auto-organisation. Ceux-ci ont été en général embryonnaires, non centralisés et dans le feu de l’action. En même temps, comme ils naissent dans les quartiers, ils restent séparés des structures ouvrières.
Une tâche très importante est la lutte anti-impérialiste. Mais pas comme une tâche séparée, détachée des besoins des masses. La tâche de la libération nationale doit s’exprimer comme partie intégrante de la lutte contre les mesures qui bradent à l’impérialisme, par l’intermédiaire des laquais de la bourgeoisie créole, les richesses produites par les travailleurs, des richesses qui devraient être utilisées contre les conséquences sociales de la pandémie.
Dans cette lutte pour gagner la conscience d’un secteur de l’avant-garde, nous sommes confrontés aux appareils réformistes qui soutiennent le capitalisme. Plus la lutte de classes est aiguë, plus ces agents de la bourgeoisie agissent pour détourner le processus dans le sillage des régimes ; ou ils utilisent les triomphes partiels déclenchés par l’irruption violente des masses pour paralyser le mouvement. La dénonciation et la lutte contre les pactes et les accords tels que le « Pacte pour la paix » au Chili, le « Pacte historique » en Colombie, « la Refondation de notre patrie » au Pérou, dont l’objectif est d’empêcher les masses d’aller jusqu’au bout de leur lutte, devient centrale.
L’explication patiente des mots d’ordre, des tâches immédiates et intermédiaires, bref, de notre programme, est la condition pour gagner un secteur des militants. L’explication patiente n’implique pas la négation de l’intervention, bien au contraire. Plus nous sommes impliqués dans les processus, plus il sera nécessaire d’approfondir la discussion concernant les tâches centrales : toute action immédiate doit être basée sur la stratégie. La controverse programmatique qui sous-tend la stratégie, ainsi que la lutte théorique, sont directement liées aux mots d’ordre.
Entre 1920 et 1922, Lénine et Trotsky livrèrent un dur combat au sein de la Troisième Internationale. Si, d’une part, les partis communistes devaient s’affranchir des éléments vacillants issus du réformisme, d’autre part, ces dirigeants insistaient sur le fait que la condition de la victoire du prolétariat consistait en la fermeté des tâches du moment et en l’obtention de la majorité de la classe ouvrière :
« La tâche du Parti communiste est de participer activement à la lutte menée par la classe ouvrière, afin de conquérir, au cours d’une telle lutte, la majorité de cette classe. Si dans un pays quelconque la situation devient extrêmement critique, nous sommes obligés d’aborder les questions fondamentales de la manière la plus intransigeante et de combattre dans l’état dans lequel les événements nous trouvent. »
Légende de la photo:
Des manifestants jettent des pierres sur la police anti-émeute lors d’une manifestation contre le gouvernement du président Ivan Duque sur la place Bolivar à Bogota, le 5 mai 2021. – Des milliers de personnes sont redescendues mercredi dans les rues de Colombie pour rejeter le gouvernement d’Ivan Duque ; la semaine d’agitation s’est achevée avec des manifestations qui ont tourné à la violence dans certaines villes et ont fait une vingtaine de morts. (Photo de JUAN BARRETO / AFP)
Notes
[1] Rappelons que l’intensité de la technologie appliquée à l’agriculture a fait des Pays-Bas, un pays 205 fois plus petit que le Brésil, le deuxième exportateur agricole au monde.
[2] « Comme dans l’industrie urbaine, dans l’agriculture moderne, l’intensification de la force productive et la mobilisation plus rapide du travail se font au prix d’une destruction et d’un épuisement de la force de travail de l’ouvrier. En outre, tout progrès réalisé dans l’agriculture capitaliste n’est pas seulement une progression dans l’art de saigner à blanc le travailleur, mais aussi dans l’art d’épuiser la terre ; et chaque pas qui est fait dans l’intensification de sa fertilité dans un certain laps de temps est en même temps un pas franchi dans l’épuisement des sources pérennes qui alimentent cette fertilité. Ce processus de liquidation est d’autant plus rapide qu’un pays s’appuie sur la grande industrie comme base de son développement, comme c’est le cas par exemple aux États-Unis d’Amérique. Dès lors, la production capitaliste ne sait développer la technique et la combinaison du processus social de production autrement qu’en minant les deux sources originelles de toute richesse : la terre et l’homme. » (Vol. I, Section 4, Ch. 13).
[3] Rob Wallace. Planeta Fazenda. Le Monde Diplomatique Brasil. Avril, 2021.
[4] R. Wallace. Dead epidemologists, on the origines of Covid-19. Monthly Review Press, New York, 2020. R. Wallace. Pandemia e agronegócio. pandemia e ciência. Editora Elefante, 2021 São Paulo.
5] « Le défrichement, l’exploitation minière et l’agriculture intensive de plantation rationalisent considérablement cette complexité naturelle. Alors que de nombreux agents pathogènes de ces « frontières néolibérales » périssent suite au dépérissement de leurs espèces hôtes, un sous-ensemble d’infections qui s’estompaient auparavant assez vite dans la forêt – ne serait-ce qu’en raison du rythme irrégulier de leur rencontre avec leurs espèces hôtes caractéristiques – se propagent maintenant beaucoup plus largement via des populations susceptibles. Ce qui était autrefois des souches locales sont maintenant soudainement des épidémies, dont certaines se frayent un chemin à travers les réseaux mondiaux de voyage et de commerce. » Grandes Granjas, Grandes Gripes, agroindustrias y enfermedades infecciosas. Capitán Swing, 2020.
[6] Ibidem.
[7] Ibidem (nous oulignons)
[8] Daniel Sugasti. El imperialismo impone un apartheid de las vacunas.
https://litci.org/es/el-imperialismo-impone-un-apartheid-de-las-vacunas/
[9]
[10] « Nous devons donc reconnaître que l’évolution et la propagation des agents pathogènes les plus efficaces sont définies par une dynamique spatio-temporelle inégale qui leur permet d’échapper, à bien des égards, à nos efforts pour découvrir la nature de leur propagation. De ce fait, nous sommes moins en mesure de proposer facilement des interventions pour le contrôle ou la suppression. En d’autres termes, dans un monde où les virus et les bactéries évoluent en réponse à l’infrastructure multiforme de l’humanité – y compris notre science – nos difficultés épistémologiques et nos difficultés épidémiologiques peuvent coïncider. » R.W. op. cit.
[11] Une deuxième hypothèse théorique est soulevée : que les mutations diminuent la létalité et deviennent une maladie courante, mais jusqu’à aujourd’hui cela n’a pas été la trajectoire des mutations Covid-19.
[12] Cependant, le montant incalculable des investissements dans les énergies prétendument « propres » n’impliquerait pas non plus une baisse de la pression sur les ressources naturelles ; par exemple : les nouvelles batteries des téléphones portables et des voitures électriques alimentées par des énergies renouvelables, qui remplacent le silicium par du lithium. Autrement dit, la chaîne de production minérale serait mise à sa limite face à l’échelle productive des nouvelles marchandises qui, avec l’expansion capitaliste en Asie, incorporent quelques milliards de consommateurs supplémentaires.
[13] « L’épidémie de grippe H1N1 (2009) […] pénétra la population mondiale et tua silencieusement les patients, […] elle tua 579 000 personnes au cours de sa première année, produisant des complications dans quinze fois plus de cas qu’initialement prévu à partir des tests de laboratoire uniquement.» Dawood F, et al. (2012). Estimated global mortality associated with the first 12 months of 2009 pandemic influenza A H1N1 virus circulation: a modelling study. The Lancet Infectious Diseases 12(9): 687–695.
[14] Adhiraj Bose. La respuesta de la India a la segunda ola de la Covid. https://litci.org/es/la-respuesta-de-la-india-a-la-segunda-ola-de-covid/ (nous soulignons).
[15] « Beaucoup craignaient que les élections du Bihar déclenchent une autre crise. La même inquiétude était présente dans les protestations des paysans. Entre-temps, le gouvernement ne prit au sérieux qu’une seule de ces menaces potentielles et tenta d’imposer des restrictions aux manifestations paysannes, les empêchant d’entrer à Delhi ou d’organiser des élections, en invoquant les protocoles de Covid. Pendant tout ce temps, le gouvernement ignora les mêmes normes dans l’État du Bihar. » Ibidem
[16] Déclaration européenne de la LIT-QI. 29/05/2021. <https://litci.org/fr/declaration-europeenne-de-la-lit-qi/>
[17] « Pendant la guerre et avant la guerre, la bourgeoisie soutenait son mécanisme interne avec l’aide des sociaux-démocrates, des sociaux-patriotes, qui étaient ses principaux agents et maintenaient la classe ouvrière dans le cadre d’un équilibre bourgeois. » Léon Trotsky, op.cit.
[18] Bulletin du PST-Pérou. « Análisis de la coyuntura electoral. »
[19] La position du PST péruvien au second tour : « Nous voterons pour Castillo, car c’est le seul outil concret sur le plan électoral pour affronter Fujimori et consorts. C’est ainsi que l’avant-garde ouvrière et populaire l’a compris, et c’est ainsi que nous aussi nous l’entendons. Mais comme nous l’avons dit dès le début de la campagne pour le deuxième tour, cela ne suffit pas. Les travailleurs ne doivent compter que sur notre organisation et notre mobilisation pour imposer nos revendications urgentes. Castillo a un programme rien à voir avec celui de la classe ouvrière, un programme qui coïncide avec les patrons dans l’ouverture économique malgré la pandémie, qui ne reconnaît pas des droits importants des femmes et de la population LGTBIQ. Un programme qui, en outre, se modère de jour en jour afin de le rendre digeste pour les capitalistes, à qui il a déjà offert « la sécurité juridique » pour leurs affaires, c’est-à-dire que rien ne va changer. »