mer Oct 16, 2024
mercredi, octobre 16, 2024

Une séquence électorale tendue et mouvementée

Un précédent article faisait le point sur les enjeux de la dissolution[1] et les grandes tendances qui s’annonçaient pour les législatives express que Macron nous a concoctées au soir du 9 juin dernier. Plus récemment nous avons voulu donner une image la plus précise et fidèle possible de la campagne législative du Rassemblement National (RN) et des dynamiques qu’elle a déclenchées[2]. Il s’agit maintenant de saisir l’évolution du paysage politique français qui s’est mise en place au cours des quatre semaines qui viennent de s’écouler pour mieux percevoir les tendances à l’œuvre dans la période qui s’ouvre après le second tour de ces élections.

Par: LIT – France , le 10 juillet 2024

Rappelons sommairement les principales conséquences de la défaite de la Macronie aux élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée Nationale décidée alors sur le champ par Macron : affaiblissement profond de son camp politique ; poussée sans précédent du RN ; fracture et crise majeure de la droite classique, une partie de celle-ci choisissant l’alliance avec le RN ; unification des gauches avec la constitution du Nouveau Front Populaire (NFP).

Le premier tour et ses principales leçons

Les résultats du premier tour ont, pour l’essentiel, confirmé les sondages : forte poussée du RN, lourde défaite de la Macronie, et une dynamique insuffisante du NFP, l’empêchant d’inverser la prédominance du RN et de ses allié.es. Une donnée pas vraiment anticipée de ce scrutin est que la forte participation, proche de celle d’une présidentielle (66,71%) n’a pas défavorisé le RN, qui semble en avoir profité en partie. On obtient ces résultats nationaux :

Partis et coalitionsVoix% inscrits% exprimésSièges obtenus
RN + LR « Ciotti »10 62850721,54%33,15%38
NFP8 974 56618,19%27,99%32
Ensemble (coalition Macron)6 425 21713,02%20,04%2
LR (« non Ciotti »)2 104 9184,27%6,57%1
Divers droite1 172 5482,38%3,66%2
Divers gauche491 0691,00%1,53%0
Divers centre391 4080,79%1,22%0
Extrême gauche367 1580,74%1,15%0
Reconquête240 0060,49%0,75%0
Autres1 202 8782,44%3,75%1

Large avantage au RN

Il apparait que le parlement sera dominé par trois grands blocs politiques : celui autour du RN (avec les LR pro-Ciotti et d’autres éventuellement) ; celui regroupé dans le NFP, que nous avons présenté dans un article antérieur[3] ; et le bloc « Ensemble ! » issu de l’ex-majorité présidentielle, agrégant les partis Renaissance (celui de Macron), Modem et Horizons.

Ce premier tour est une nette victoire pour le RN qui, pour la première fois de son histoire, arrive en tête d’une élection législative nationale. Révolution Permanente observe ainsi la progression historique du parti lepéniste : « Sous Sarkozy et Hollande, le parti d’extrême droite a gagné près de dix points. Sous Macron, il en a gagné vingt, dont plus de quinze sur les deux dernières années »[4]. Au soir du premier tour, la question centrale est de savoir si le bloc d’extrême droite obtiendra une majorité absolue. C’est le bloc RN qui est parvenu à faire élire le plus grand nombre de député.es dès le premier tour (39 au total). Le RN et ses allié.es sont en tête dans plus de la moitié des 577 circonscriptions (exactement 297 pour le RN contre 110 en 2022, et contre 155 pour le NFP arrivé second). Autres mesures de cette poussée : avec ses plus de 10,6 millions de voix, l’ensemble RN-Ciotti enregistre 2,5 fois plus de votes que le RN aux législatives de 2022 ; en comparant avec la présidentielle de 2022, le seul RN fait mieux que Marine Le Pen il y a deux ans (9 377 397 voix contre 8 133 828), et la différence approche les 2,5 millions (+30%) si l’on inclut les suffrages « ciottistes ».

Le vote RN a touché des régions où il était bien plus faible auparavant. C’est en particulier le cas en Bretagne, terre en général socialiste puis macroniste, où le RN obtient 27,76%, arrivant peu derrière le NFP et le camp présidentiel. Dans une région où il n’avait jamais pu participer à un second tour de législatives, le RN y parvient dans presque toutes les circonscriptions. Là comme ailleurs, sa poussée est nette dans les zones rurales. Dans le sud-ouest, le gain électoral du RN est aussi clair, sur des terres traditionnellement socialistes. Dans plusieurs de ces départements, le RN se qualifie pour le second tour, parfois dans des conditions favorables.

Le RN progresse dans toutes les catégories de la population. Le parti lepéniste conforte son ancrage dans les milieux socioprofessionnels où il était déjà fort, tout en faisant une percée dans des secteurs où il restait faible. Selon une enquête OpinionWay pour Les Echos, le RN progresse parmi les chômeurs/ses (40%), chez les personnes qui n’ont pas le bac (48%) et chez les ouvriers (53%). Mais il grandit aussi chez les retraités (largement derrière Macron jusqu’ici), ainsi que chez les cadres et les diplômé.es. L’étude note que le RN « séduit désormais autant les hommes (34 % des votants) que les femmes (32 %), les jeunes de 18-24 ans (33 %) que les plus âgés (39 % des 50-64 ans), les actifs (35 %) que les chômeurs (40 %) »[5].

Enfin, le RN écrase ses concurrents les plus directs, à commencer par Reconquête, le parti d’Eric Zemmour. Celui-ci n’avait pas fait élire des député.es en 2022, et dans les 330 circonscriptions où il était présent cette fois-ci, il n’obtient que 0,7%. Ce parti va-t-il survivre ? Cela intervient après l’échec des négociations entre le RN et cette formation qui avait arraché des élu.es au Parlement européen le 9 juin et le RN. La nièce de Marine Le Pen (Marion Maréchal) semble avoir joué la carte de l’alliance RN-Reconquête, contre Zemmour qui voulait faire entendre sa différence. On s’interroge aussi sur le devenir politique de l’ex-allié de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne depuis 1997 et à la réélection très incertaine à l’issue de ce premier tour.

Dynamique insuffisante du NFP

L’union des gauches au sein du NFP leur a permis de progresser un peu par rapport à 2022, mais la dynamique n’a pas suffi à enrayer l’avancée du RN. Avec près de 28% et de 9 millions de voix, le NFP arrive derrière le bloc RN, et fait élire 32 député.es au premier tour, notamment des figures nationales : Olivier Faure (premier secrétaire du PS), Sandrine Rousseau (députée écologiste à Paris) ; Eric Coquerel et Clémentine Autain pour LFI en Seine Saint Denis).

Le NFP réalise une percée à Paris, où il arrive en tête dans 13 des 18 circonscriptions, et fait élire neuf député.es dès le premier tour, permettant clairement à la capitale de résister à la vague RN. Le NFP se porte globalement bien en Ile de France, avec une position de force dans le Val d’Oise (avec deux élu.es) ; progresse en Essonne, et semble bien parti pour remporter les batailles du second tour en Seine-Saint-Denis.

Au plan national, la dynamique NFP est bien plus limitée. Il semble qu’une partie de l’électorat de la gauche de droite n’ait pas voulu voter NFP, essentiellement par rejet de LFI. L’électorat LFI semble aussi s’être moins mobilisé qu’en 2022. La divergence des projets entre composantes du NFP a transparu malgré l’accord passé, limitant le vote en sa faveur. Il s’y ajoute un fort différentiel de votes pour le NFP selon les types de territoires : il est fort à Paris et en région parisienne, et plus largement dans les zones très urbanisées et les banlieues, mais rarement en milieu rural (à part dans le Limousin et autres exceptions). Sur les territoires ruraux ou périurbains, le NFP s’en sort difficilement. Globalement, le NFP se renforce dans la majorité de ses bastions, mais ne conquiert pas de nouvelles fractions de l’électorat.

Au sein du NFP, le rééquilibrage des forces semble se confirmer suite aux européennes. Le vote PS a repris du poids, largement au détriment de LFI. L’élimination dès le premier tour du secrétaire général du PCF Fabien Roussel par un candidat RN dans le Nord lui porte un sacré coup. Mais le PC réussit deux réélections au premier tour, notamment celle d’Elsa Faucillon dans les Hauts-de-Seine avec 65% des voix.

Défaite majeure de la Macronie

Le pari de la dissolution est complètement raté pour Macron : au lieu de redonner du souffle et des élu.es à son camp, le président lui a infligé une épreuve où il arrive seulement en troisième position, avec 20,04% des voix et seulement deux réélections dès le premier tour.

Le recul macroniste est très massif, même si le camp présidentiel résiste dans quelques départements, face au RN et au NFP. C’est le cas dans les territoires favorisés de l’ouest parisien : les Hauts-de-Seine, où un macroniste est élu au premier tour ou les Yvelines où d’autres, parmi les figures les plus connues de la Macronie sont bien placé.es au second. En dehors de la Région Parisienne, la Macronie s’en sort bien face à la poussée du RN dans quelques départements comme l’Ille-et-Vilaine, la Mayenne ou l’Aveyron.

L’entre-deux tours et la question des désistements

Le système électoral français, par circonscription, uninominal à deux tours, conduit à ce que l’Assemblée Nationale soit nécessairement une représentation déformée de l’électorat. On le voit encore aujourd’hui, avec un bloc RN qui a obtenu les scores les plus élevés au premier tour, mais qui n’obtient que la troisième représentation parlementaire après le second tour.

La question des triangulaires et quadrangulaires

En particulier pour nos lecteurs/trices à l’étranger, nous devons préciser les règles de passage du premier au second tour. Un.e candidat.e est qualifié.e pour le second tour d’élections législatives s’il ou elle a obtenu les suffrages d’au moins 12,5% des inscrit.es. Avec 50% d’abstention[6], cela correspond à 25% des suffrages exprimés. Mais lorsque la participation est plus forte, de l’ordre des deux tiers comme le 30 juin, on comprend que le nombre de candidat.es qualifié.es pour le second tour augmente mécaniquement, car il suffit alors à un candidat.e d’avoir recueilli (en moyenne) 18,75% des exprimés du premier tour dans sa circonscription pour être éligible au second. De fait, au soir du premier tour, Le Figaro dénombrait 306 élections potentiellement triangulaires et une élection quadrangulaire (contre 190 duels), alors qu’il n’y avait eu que 7 scrutins triangulaires en 2022, année d’abstention bien plus forte. Or, un scrutin à trois ou quatre est encore plus incertain qu’un duel entre deux candidat.es. La question posée le 30 juin au soir était : qui allait se retirer de la compétition ? Généralement, ce sont les candidat.es arrivé.es en troisième position qui se retirent, avec des consignes de vote plus ou moins précises pour faire battre le ou la candidat.e arrivé.e en premier ou second. Potentiellement donc, les trois blocs (RN, Macronie et NFP) pouvaient encore s’affronter au second tour dans la majorité des circonscriptions, les autres cas étant bien plus rares. Il est donc important d’observer ce qui s’est passé dans l’entre-deux-tours sur cette question, tout en observant qu’il y existe trois niveaux de mise en œuvre d’une politique de désistement, de retrait de candidatures ou d’appel ou vote : celui des consignes d’états-majors ; celui des candidat.es dans leur circonscription, qui peuvent résister à ces consignes, voire les refuser ; celui de l’électorat, qui ne suit toujours que partiellement – mais dans des proportions variables selon les scrutins – les consignes des dirigeant.es politiques.

Désistements, consignes de vote et tentatives de débauchage

Notons l’implication inhabituelle, dans une telle élection, des syndicats et de leurs leaders, le plus souvent dès le premier tour et en faveur du NFP, mais plus généralement contre le RN. Après le premier tour, les prises de position syndicales, communes et individuelles, se sont multipliées. Dès le 1er juillet, une déclaration intersyndicale regroupant la CFDT, la CGT, l’UNSA, la FSU et Solidaires soutenaient : « Rien n’est joué », appelant à « un sursaut démocratique, social et républicain dans les urnes ». Sophie Binet (CGT) a appelé à combattre le « ni-ni » (ni gauche ni RN), face à « un danger mortel pour notre République ». Pour Marylise Léon (CFDT), face au RN, « aucun calcul politique ne tient. Les candidats les moins bien placés, quels qu’ils soient, doivent se désister pour battre les candidats d’extrême droite au deuxième tour. Point barre ». Solidaires a appelé « à l’unité des forces syndicales et associatives pour empêcher l’extrême droite de gouverner ». Laurent Escure (UNSA), contre le « danger d’une majorité RN », exigeait aussi le « désistement républicain ». Et la Confédération Paysanne s’est dite « inquiète au plus haut point » de voir le RN si près du pouvoir.

Au sein du NFP, très vite la consigne a été donnée par tous les états-majors de retirer les candidatures arrivées troisièmes, du moins dans le cas où l’élection d’un.e député.e RN était possible et ce, dès le soir du 30 juin. Cela a même débouché, en particulier, sur des retraits de candidatures NFP dans les circonscriptions où la Macronie était représentée par des figures tristement emblématiques : Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur dans le Nord ; Elisabeth Borne, ex-première ministre en charge d’imposer la réforme des retraites ! Pour la fraction de LR opposée à Eric Ciotti, il y a eu clarté aussi : ni retrait ni appel à voter à gauche.

C’est par contre la cacophonie qui a prédominé dans les écuries présidentielles. Il y a eu quelques cas de retraits rapides en faveur de la gauche – même LFI – pour battre le RN. Mais parmi les ténors de la Macronie, toute une gamme de nuances a présidé aux consignes pour le second tour, et le « retrait républicain » n’a pas été du tout systématique. Certain.es macronistes se sont maintenu.es en triangulaires, contre les consignes centrales ; d’autres ont fini par céder à la pression des états-majors. En aucun cas, les chefs macronistes n’ont clairement appelé à voter pour l’ensemble du NFP pour battre le RN. Rien d’étonnant, après avoir diabolisé la gauche unie autant voire plus que le RN. Le plus souvent, une distinction a été faite entre LFI – souvent présentée comme « non républicaine » et « antisémite » pendant des mois – et les autres composantes du NFP. Pour beaucoup, comme l’ex-premier ministre Edouard Philippe, c’est une consigne de « ni-ni » contre « lézextrême » : ni LFI, ni RN. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a aussi rejeté les deux en déclarant qu’il s’agirait de «deux Frexit déguisés». Beaucoup de macronistes revendiquent une logique du cas par cas, comme Yaël Braun-Pivet, ex-présidente de l’Assemblée, qui appelle à ne donner aucune voix au RN mais veut faire le distinguo entre les candidat.es LFI, jugeant que « tous ne se valent pas ».  Il est finalement resté 14 candidat.es macronistes qui, face à l’appel à faire barrage au RN, ont choisi de se maintenir à partir d’une troisième position.

En fait, toutes ces nuances au sein du camp présidentiel, non seulement reflètent des désaccords entre individus, mais cachent aussi ce qui s’est profilé plus nettement dans les derniers jours avant le second tour : une tentative, notamment orchestrée par Attal, de diviser le NFP pour parvenir à gouverner avec ses secteurs les plus droitiers. Pour cela, mieux vaut pas froisser la gauche dans son ensemble. D’où le retour de paroles plus feutrées qu’avant le premier tour. Cette entreprise, de nature à faire éclater le NFP, a produit des effets de séduction dès avant le second tour. Marine Tondelier, dirigeante des Écologistes a plusieurs fois envisagé publiquement un gouvernement commun avec la Macronie, déclarant notamment : « il n’y aura pas de bonne solution. On trouvera la moins mauvaise et la meilleure pour la France. Mais oui, on doit se montrer prêts à gouverner »[7]. Hollande a lui aussi laissé la porte ouverte à un tel gouvernement de coalition, qui devrait selon lui se fonder sur « des promesses minimales, au moins pour un an, pour que le pays soit gouverné »[8].

Le surprenant verdict du second tour

Les résultats annoncés au soir du 7 juillet n’étaient pas prévus. Certes, les derniers sondages de l’entre-deux-tours prédisaient une absence de majorité absolue et révélaient un recul en sièges du RN par rapport aux projections initiales, mais ils indiquaient une première place en sièges pour le RN et ce recul était perçu comme la conséquence des désistements. Mais ce qui s’est finalement déroulé dans les urnes n’avait pas été anticipé : une première place donnée au NFP, un camp macroniste qui arrive second avec un nombre d’élu.es inespéré, et le bloc RN qui est relégué au rang de troisième au parlement.

La transformation des voix en sièges

Si le premier tour représentait une claire victoire du RN, le second constitue donc un revers pour celui-ci, qui n’a pas pu transformer l’essai. Voici l’image de la nouvelle Assemblée.

Source : ministère de l’Intérieur. Infographie Le Figaro[9].

Du côté du NFP, les 184 élu.es se décomposent en 78 LFI, 69 PS, 28 écologistes et 9 PC. Une partie au moins des « divers gauche » et « régionalistes » (parmi les « divers ») pourraient les rejoindre. Les 166 élu.es du camp macroniste se répartissent en 99 Renaissance, 33 Modem, 26 Horizon et 9 « autres maj. présidentielle ». La droite (LR et divers droite) arrive à sauver les meubles avec 65 élu.es tandis que le RN plafonne à 143 député.es, y incluant les 17 LR-Ciotti.

Comment expliquer ce retournement de situation – si rapide – entre les deux tours ? D’abord, de nombreux scrutins locaux ont été très serrés, et des dizaines de député.es ont été élu.es ou réélu.es avec quelques centaines de voix d’avance, voire moins. Il ressort aussi que les désistements anti-RN ont bien fonctionné. Sans doute une majorité d’électeurs/trices de gauche a voté pour la Macronie ou LR, un nombre important d’électeurs/trices de droite ou du centre ont aussi voté à gauche. Mais il semble fort que les désistements ont plus favorisé la Macronie que la gauche, en particulier parce que les consignes à gauche étaient plus claires et parce que l’électorat de gauche a plus voté pour la droite LR ou macroniste que les électeurs/trices de ces sensibilités n’ont voté à gauche. On peut supposer que ce dernier point est plus vrai pour des candidatures LFI. Gaël Sliman, de l’Institut Odoxa, explique le point suivant : « les électeurs du NFP qui doivent choisir entre un candidat Ensemble et un candidat RN se déclarent à 64% incités à voter pour le candidat Ensemble, contre seulement 5% pour le candidat RN. La tendance est moins forte, mais toute aussi importante pour les électeurs du bloc central, ‘qui sont 4 à 5 fois plus nombreux (49% vs 11%) à dire que cela joue bien auprès d’eux pour ce vote de barrage plutôt que contre lui ‘. Pour les LR, la donne est plus contrariée, puisque seulement 35% d’entre eux se déclarent plus incités à faire barrage au RN, alors que 28% estiment que cela renforce leur volonté de voter en faveur de la coalition d’extrême-droite »[10]. Il faudra regarder de près les prochaines études d’opinion sur ce sujet.

Au final, le NFP et « Ensemble ! » ont, par leurs désistements, pu gagner la majorité de leurs duels face au RN. S’il est faux de parler de défaite de ce parti, qui a largement augmenté sa force électorale et passe de 89 député.es à 143 (avec ses allié.es), le scrutin du 7 juillet ne confirme pas la dynamique antérieure. Alors que le 30 juin, le bloc RN avait remporté 39 circonscriptions, qu’il était en tête dans 258 et qualifié pour le second tour dans 186 autres, il n’obtient, avec ses allié.es, que 104 victoires le 7 juillet. Le RN réalise ses meilleures performances en réélisant les député.es de ses bastions du nord, du nord-est et du sud-est, et en élargissant son emprise institutionnelle dans ces territoires, mais il confirme peu sa poussée en termes d’élu.es dans des terres de moindre implantation, en Bretagne par exemple. Il semble aussi – c’est un point mis en avant par certain.es analystes et par Bardella lui-même – que les quelque 80 candidat.es RN dénoncé.es pour leurs propos racistes, homophobes, antisémites, etc. ont pesé lourd au final. Selon un analyste, « cela a joué dans la bascule à gauche, car les électeurs ont (re)découvert une image du RN qu’ils ne connaissaient pas ».

Que montrent ces élections ?

Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut prendre en compte la situation de profonde crise politique et sociale qui secoue l’ensemble de l’Europe, y compris la France, et qui est à l’origine de l’énorme polarisation sociale et politique que nous observons dans le pays.

Si, d’une part, on observe une tendance au renforcement des luttes et à l’émergence de militant.es indépendant.es, non lié.es aux forces politiques, et qui s’affrontent à la bureaucratie syndicale, d’autre part, on constate une nette augmentation des tendances nationalistes, au moment même où l’UE, prise au milieu de l’affrontement entre les deux principaux impérialismes mondiaux, les États-Unis et la Chine, joue un rôle de plus en plus subalterne dans l’économie et la politique mondiales.

En l’absence de partis révolutionnaires capables de représenter les luttes et de les faire avancer dans le sens d’une remise en cause du système capitaliste, les partis de la gauche réformiste progressent électoralement. Mais le populisme de droite et d’extrême droite progresse aussi, comme celui du RN en France, qui tente de détourner en sa faveur le mécontentement et la colère populaires contre la politique de Macron, en s’appuyant notamment sur la classe moyenne inférieure paupérisée. Pour ce faire, il utilise une propagande raciste et xénophobe qui tente d’imputer tous les maux aux secteurs les plus opprimés, tels que les travailleurs migrants, fomentant ainsi des divisions au sein du prolétariat.

Ce second tour montre aussi qu’une nette majorité de la population française ne veut pas du RN, et qu’elle s’est mobilisée pour lui barrer l’accès au gouvernement. Ce parti est installé – sans doute durablement – comme la première force politique du pays, il attire et séduit un bon tiers de l’électorat, et hélas une fraction supérieure de notre classe, mais ce qui s’est passé le 7 juillet montre qu’il suscite aussi, encore, un important phénomène de rejet.

Incertitudes immédiates

La semaine suivant le 7 juillet va être décisive, ainsi que les jours suivants. La Macronie est parvenue à freiner sa déroute. Macron semble vouloir jouer la montre… jusqu’à laisser passer les JO ? Attal lui a remis sa démission dès le 8 juillet, mais il l’a refusé, lui demandant de se maintenir en poste jusqu’au 18, ce qu’Attal a accepté. Il faudra sans doute attendre un peu pour savoir ce qui se met exactement en place.

Les dirigeants du Front populaire négocient pour proposer le nom d’un premier ministre qui devra également être ratifié par Macron. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a déjà rejeté Mélenchon, bien que la France insoumise soit le parti de la coalition qui a le plus d’élu.es. Pour l’instant, la direction de LFI exige l’application du « programme, tout le programme mais rien que le programme » du NFP. Parmi les politiciens les plus représentatifs de la gauche bourgeoise (Glucksmann, Hollande et beaucoup d’autres) on sent une vraie disponibilité à « sauver le soldat Macron » en formant un gouvernement d’union nationale anti-RN. Yaël Braun-Pivet n’a d’ailleurs pas attendu pour enfoncer un coin entre les gauches, appelant à la constitution d’un « grand bloc central », sans LFI ni le RN.

Quoi qu’il en soit, le RN n’est pas mort. « Je vois l’ensemble des ferments qui sont ceux de la victoire de demain » : c’est ce qu’a déclaré Marine Le Pen pour conjurer l’amertume de sa base, ajoutant : « La marée monte, elle n’est pas montée assez haut cette fois-ci, mais elle continue de monter. Notre victoire n’est que différée ».Il est hautement probable que le RN se renforce encore dans la séquence politique qui s’ouvre, en particulier si le NFP révèle son incohérence programmatique – s’il essaye de le mettre en œuvre – ou au contraire s’il éclate, une fraction suffisamment massive de ses élu.es décidant d’avaler la soupe macroniste. Une soupe bourgeoise nécessairement immangeable pour les classes populaires, et qui les précipite, depuis des années, dans le malheur, la pauvreté et le désespoir, terreau du lepénisme.

Nos tâches

A l’opposé des dérives et des renoncements à prévoir, la lutte antifasciste qui s’annonce devra en même temps être une lutte de classe intransigeante.

Dans tous les cas de figure, la mobilisation et les luttes de notre classe seront déterminantes. Nous devons insister sur la nécessité de l’indépendance de classe, systématiquement bafouée à un moment ou un autre par les chefs réformistes et syndicaux.

Mais qui dit lutte pour l’indépendance de classe dit aussi un travail politique acharné pour remettre en avant les valeurs de l’internationalisme. Cela signifie d’abord de relever le drapeau de la lutte contre l’impérialisme et le colonialisme français et ses innombrables méfaits, de la Françafrique à la Kanaky. Cela veut dire aussi, à la fois soutenir la résistance ukrainienne contre l’impérialisme russe et être aux côtés du peuple palestinien contre le génocide mené par l’Etat israélien. Cela comprend aussi, bien sûr, une solidarité sans faille avec nos frères et sœurs immigré.es ou issu.es de l’immigration.

Last but not least, l’idée de grève générale n’est guère dans les esprits aujourd’hui, mais face au danger de l’extrême droite, aux manœuvres macronistes et aux trahisons « de gauche » à venir, il est essentiel de la préparer patiemment, d’œuvrer à la faire mûrir en cherchant systématiquement le regroupement pour la lutte des secteurs militants les plus décidés.

Nous appelons à descendre dans la rue pour défendre les mesures du programme du NFP telles que l’abrogation de la réforme des retraites ou l’augmentation du salaire minimum, dont nous ne pouvons pas attendre qu’elles soient obtenues uniquement par la voie parlementaire.

Les semaines qui viennent, avant même la rentrée de septembre, nous indiqueront plus précisément le cadre politique dans lequel nous allons devoir nous mobiliser.


[1] https://litci.org/fr/elections-europeennes-dissolution-de-lassemblee-la-crise-politique-saccelere-danger-imminent/

[2] https://litci.org/fr/le-rn-demagogie-programmatique-et-fond-politique/

[3] https://litci.org/fr/elections-europeennes-dissolution-de-lassemblee-la-crise-politique-saccelere-danger-imminent/

[4] https://www.revolutionpermanente.fr/Consolidation-du-RN-crise-du-macronisme-limites-de-la-gauche-que-dit-le-1er-tour-des-legislatives

[5] https://www.lesechos.fr/elections/legislatives/legislatives-2024-le-rn-confirme-sa-poussee-dans-toutes-les-categories-de-la-population-2105149

[6] En y ajoutant les bulletins blancs et nuls.

[7] https://www.revolutionpermanente.fr/Gouvernement-avec-les-macronistes-Tondelier-prete-a-participer-Ruffin-recule

[8] Idem.

[9] https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives/resultats-legislatives-2024-decouvrez-la-nouvelle-assemblee-nationale-20240707

[10] https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-legislatives-les-desistements-republicains-devraient-priver-le-rn-dune-majorite-absolue-selon-notre-derniere-etude-odoxa

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