Joseph Weil
Membre de la Direction Nationale du PSTU, la section brésilienne de la LIT-QI
Article publié dans le Marxisme Vivant n°10 de 2004
Au Venezuela il existe, d’une part, un processus révolutionnaire tellement puissant qu’il a mis en échec trois tentatives de coup d’État, et d’autre part, un gouvernement bourgeois d’allure nationaliste qui jouit de prestige auprès des masses. Quel doit être alors la stratégie de la gauche révolutionnaire?
Chavez n’étant pas un phénomène nouveau en Amérique latine, il est important de reprendre une discussion qui a divisé la gauche dans la seconde moitié du 20ème siècle, quand ces gouvernements se sont multipliés en Amérique latine, en Asie et en Afrique.
Dans la plupart des cas, les Partis Communistes, au nom du « front anti¬impérialiste », ou « démocratique et populaire », avec la bourgeoisie appelée « progressiste », sacrifiaient l’indépendance de classe et soutenaient les gouvernements nationalistes bourgeois. Ils avortaient toute tentative d’organisation de la classe qui aurait heurté les gouvernements appelés « progressistes », au nom de la lutte et de l' »unité » contre l’ennemi principal (l’impérialisme, la grande propriété, la bourgeoisie importatrice, etc.).(1)
La position du Parti Communiste Brésilien (PCB) face au Président João Goulart en 1964, en est un bon exemple. Il y avait un processus généralisé de luttes et Goulart s’appuyait sur les masses pour essayer de maintenir une certaine autonomie, sans jamais vouloir rompre avec la bourgeoisie ni avec l’impérialisme. L’impérialisme faisait de plus en plus de pression sur son gouvernement pour qu’il réprime le mouvement, mais le processus était en train d’échapper à son contrôle, avec des occupations de terres et même avec l’organisation de quelques bases de marins, de caporaux et de soldats, qui cassait la hiérarchie de l’armée. A partir de cela, la bourgeoisie et l’impérialisme américain se sont mis à organiser un coup d’État.
La direction du PCB a appelé à faire confiance au gouvernement nationaliste et aux hautes sphères de l’armée « légaliste », au point de dire que » le PCB était déjà au gouvernement » et que, dès lors, il attaquait les « radicaux » ou toute proposition de mesures anticapitalistes, parce que cela romprait le front « démocratique ». Cette trahison a mené à la défaite de la révolution, puisque le mouvement de masse n’était pas préparé pour le coup d’État ; et après le refus du PCB d’entrer dans la résistance, ainsi que la fuite de Goulart, « pour éviter une effusion de sang », le coup d’État militaire a triomphé. Cette orientation a produit une crise historique du PCB dont il ne s’est toujours pas remis. La même politique a été utilisée par le PC chilien sous le gouvernement d’Allende, et par le PC indonésien, dans le gouvernement de Sukarno.
Le soutien aux mesures progressives de Chavez
Il y a des secteurs de la gauche qui caractérisent correctement Chavez comme nationaliste bourgeois. Toutefois, ils ont une politique de « faire pression sur le chavisme pour qu’il approfondisse les mesures progressives ». En d’autres mots, ils exigent que Chavez « approfondisse la révolution ». Ils ne disent pas que Chavez est révolutionnaire, mais comme il se heurte à l’impérialisme et qu’il dispose du soutien des masses, il doit « être soutenu de façon critique » et il faut faire pression sur lui pour qu’il évolue dans le sens révolutionnaire. Ces mêmes secteurs font quelques critiques aux mesures du gouvernement ou à son aile la plus à droite, comme le sommet du MVR (le mouvement électoral de Chavez), mais ils ne critiquent ni le gouvernement ni Chavez et ils ne présentent surtout pas une alternative qui le remplace. C’est la politique de « soutenir les mesures progressives » de gouvernements de front populaire ou nationalistes bourgeois.
En optant pour cette politique, ces courants oublient une des questions de base du marxisme: sous tout gouvernement bourgeois, l’objectif central des révolutionnaires est de convaincre la classe ouvrière et ses alliés qu’ils doivent prendre le pouvoir entre leurs mains et qu’il n’y a pas de solution à leurs problèmes, qu’il n’y a pas de solution pour les fléaux du capitalisme qui empirent de jour en jour leur conditions de vie, si les travailleurs ne font pas la révolution contre le gouvernement et l’Etat bourgeois afin d’imposer leur propre gouvernement et leur propre état. C’est pourquoi toute la stratégie et les tactiques doivent être subordonnées à l’objectif de préparer cette révolution. Il est dès lors fondamental de dénoncer systématiquement et implacablement les gouvernements bourgeois impérialistes ou semi¬coloniaux, nationalistes ou de front populaire, même si nous devons adapter la manière de faire cette dénonciation au niveau de la conscience des masses.
C’est pourquoi tout soutien aux « mesures progressives », même quand on critique les mesures réactionnaires, constitue une politique opposée au léninisme parce qu’elle fait croire aux masses que ce gouvernement peut être transformé de bourgeois en anti-bourgeois, ou être vraiment anti-impérialiste selon la pression qu’on exerce sur lui. Cette position transforme ces secteurs en « aile gauche » du chavisme et complique finalement l’émergence d’une possible option de gauche révolutionnaire en opposition à Chavez.
Aujourd’hui, il est absolument nécessaire que tous les courants qui se revendiquent du marxisme aient une position de dénonciation systématique du gouvernement de Chavez et d’exigences pour qu’il réponde aux questions les plus ressenties par les pauvres. Il ne s’agit pas de solliciter ou de conseiller le gouvernement de Chavez, mais de mettre en place une politique adressée aux organisations et aux masses, en leur proposant un plan de lutte qui impose les revendications au gouvernement.
Quand il est nécessaire de défendre certaines conquêtes des masses face aux attaques patronales et de l’impérialisme, telle que la défense des libertés démocratiques en faisant face à un coup d’État militaire, comme c’est arrivé en 2002 et en 2003, les révolutionnaires assument l’avant-garde de la lutte pour mettre en échec le coup d’État, y compris en unité d’action avec le gouvernement de Chavez. Mais ils ne s’abstiennent à aucun moment de dénoncer le rôle de ce gouvernement qui, de ne pas vouloir rompre avec la bourgeoisie et l’impérialisme, permet que ces ennemis des travailleurs soient armés pour les massacrer.
L’orientation de « pousser Chavez vers la gauche » met l’avant-garde dans une voie sans issue. Ceux qui revendiquent Chavez comme un « chef révolutionnaire » aident à subordonner le mouvement de masses à cette direction et, tôt ou tard, à une défaite dure des masses, comme l’enseigne toute l’expérience historique latino-américaine, avec la politique des partis communistes. De la même façon, ceux qui se limitent à faire des « critiques » à Chavez et à exiger de lui davantage de « mesures progressives », en vue de l' »approfondissement de la révolution », ne présentent pas une alternative indépendante et finissent par capituler aussi au gouvernement chaviste.
Construire une alternative révolutionnaire qui met Chavez en échec et place le pouvoir entre les mains des travailleurs
Quelle politique doivent avoir les révolutionnaires face à la situation vénézuélienne? Puisqu’il s’agit d’une situation révolutionnaire avec, à la tête, un gouvernement bourgeois, et donc un ennemi des travailleurs et des pauvres, la stratégie doit être de construire une alternative de pouvoir ouvrier et populaire qui s’oppose jour après jour au pouvoir bourgeois et au gouvernement, en cherchant à se construire comme une alternative concrète pour le renverser et le remplacer par un gouvernement ouvrier, paysan et populaire.
Bien qu’aujourd’hui il n’y ait pas au sein des masses une proposition qui propose de renverser le gouvernement, puisqu’il existe beaucoup d’illusions sur ce dernier, il est absolument nécessaire d’expliquer patiemment aux travailleurs et aux masses que ce n’est pas « leur gouvernement », de dénoncer le fait qu’il ne résout aucune des nécessités les plus ressenties des travailleurs, qu’il accepte les attaques les plus dures aux droits et à la souveraineté et qu’à la longue, en conciliant avec la bourgeoisie « faiblarde » et avec l’impérialisme, il facilite la vie des ennemis et complique la vie de la classe ouvrière. Son action prépare la démoralisation des masses et, par cette voie, prépare la défaite de la révolution.
Mais… et face aux tentatives putschistes?
Comme nous l’avons vu jusqu’à présent, les relations particulières entre l’impérialisme et le gouvernement de Chavez, ont fait que la majorité de la bourgeoisie essaye de l’évincer du pouvoir afin d’infliger une défaite au mouvement de masses et de démonter la révolution.
Les trois tentatives de l’impérialisme d’évincer Chavez du pouvoir avant la fin de son mandat, violemment ou au moyen d’un référendum, posent la question aux révolutionnaires, et aux travailleurs en général, de la position qu’ils doivent assumer face aux coups contre-révolutionnaires qui essayent de renverser des gouvernements bourgeois ayant un certaines frictions avec l’impérialisme.
Pour les marxistes révolutionnaires, il ne peut pas y avoir de doute. Dans ce cas le front unique de toutes les forces du mouvement ouvrier et populaire, en unité d’action avec le gouvernement lui-même pour mettre en échec le coup militaire, s’impose. On ne peut pas oublier que la victoire du coup d’État installerait un gouvernement menant une politique dictatoriale anti-ouvrière et de soumission totale du pays, comme l’a montré la courte vie du gouvernement de Carmona.
Cette tactique de front unique a été valable tant pour le premier coup d’État de Carmona que pour le lock-out pétrolier et pour le référendum, et ce malgré les différences entre ces diverses tentatives. Mais la politique marxiste révolutionnaire ne se réduit pas seulement à l’unité d’action contre le coup d’État. Même pendant cette unité temporaire d’action entre le mouvement ouvrier et le gouvernement de Chavez, il ne faut oublier à aucun moment que ce gouvernement est bourgeois, et donc ennemi des travailleurs, et qu’on ne peut leur faire aucune confiance. Le mouvement ouvrier doit savoir clairement que cette alliance est épisodique et de très courte durée, qu’elle dure exactement le temps de l’action contre-révolutionnaire. C’est donc bien une unité d’action.
Si c’est une obligation des marxistes révolutionnaires d’agir en première ligne dans la confrontation avec le coup d’État pro-impérialiste, ils ont aussi l’obligation de maintenir l’indépendance politique et d’organisation complète face à tous les secteurs bourgeois et petit-bourgeois qui, épisodiquement, sont dans la lutte contre le putsch. Cette indépendance est vitale parce que la stratégie du mouvement ouvrier doit être celle de renverser le gouvernement de Chavez et le régime bourgeois pour imposer un pouvoir ouvrier et populaire.
Cela signifie, puisqu’il existe de grands espoirs des masses en Chavez, un travail permanent de dénonciation et d’exigences au gouvernement et aux dirigeants du mouvement de masses qui font du suivisme. Certains disent que cela pourrait être correct à un autre moment, mais que les coups d’État obligent à diminuer les critiques. Nous ne sommes pas d’accord et nous nous basons sur le premier cas où un processus révolutionnaire a fait face à un coup d’État : pendant la révolution russe de 1917, lors du coup d’État de Kornilov (2) à la fin du gouvernement de Kerenski. Il est bon de se rappeler ce qui disait Lénine en ce moment. (voir cadre sur la page suivante)
Cette orientation de Lénine s’est avérée absolument correcte et a été la condition pour la victoire de la révolution peu de temps après. Ca a été une façon excellente d’agir face à un gouvernement bourgeois soutenu par les masses et menacé par un coup d’État de droite. Le gouvernement de Kerenski avait le soutien des masses par le biais des soviets, dirigés par les mencheviks et les social-révolutionnaires, et il a été attaqué par un soulèvement de généraux monarchistes dirigés par l’impérialisme. L’orientation de Lénine et du parti communiste (bolchevique) a été de ne faire en aucun cas confiance au gouvernement bourgeois : « c’est un manquement aux principes », « nous combattons Kornilov, mais nous ne soutenons pas Kerenski ». « Nous changeons seulement notre façon de combattre Kerenski… En quoi change la façon de combattre Kerenski ? (…) Sans changer d’un iota notre hostilité contre lui, sans retirer un seul mot de ce que nous disons contre lui, sans renoncer à l’objectif de renverser Kerenski, nous disons : il faut tenir compte du moment, nous n’allons pas renverser Kerenski maintenant, tout de suite ». Mais Lénine insiste sur le fait que le renversement de Kerenski restait sa perspective stratégique, sinon, la réaction finirait par triompher et la révolution serait mise en échec.
En rapportant cette expérience au Venezuela d’aujourd’hui, il s’agit de construire une alternative de pouvoir de classe qui fasse face au gouvernement de Chavez et combatte pour un gouvernement ouvrier, paysan et populaire.
Cela exige un combat permanent contre Chavez. Ce combat peut et doit s’exprimer à travers l’exigence que Chavez prenne des mesures de fond contre les « faiblards » et leurs maîtres impérialistes. On doit faire une dénonciation permanente de Chavez comme étant inconséquent dans ce combat et comme en arrivant finalement à concilier avec l’impérialisme et la bourgeoisie, au lieu de les combattre. On doit exiger la confiscation des richesses et des propriétés des putschistes, en nationalisant leurs entreprises, à commencer par les moyens de communication. On doit exiger l’armement général de la population ouvrière et le désarmement des « faiblards ». On doit exiger la démocratisation de l’armée et le droit de syndicalisation pour la troupe ainsi que l’élection des officiers. On doit exiger la prison pour les officiers putschistes et le démantèlement des unités contre-révolutionnaires. On doit exiger la suspension du paiement de la dette extérieure et la récupération du monopole de l’extraction, de la production, du raffinement et de la commercialisation du pétrole, avec la ré-appropriation effective de PDVSA par l’État sous contrôle des travailleurs. On doit exiger la rupture avec le FMI et l’appel à un mouvement continental contre la ZLEA et le FMI et pour le non-paiement de la dette, sur le chemin d’une véritable intégration socialiste des peuples du continent latino-américain.
Comme l’a montré la Révolution Russe elle-même, une politique de ce type a été non seulement la meilleure manière de mettre en échec le coup d’État, mais elle a aussi préparé le chemin du triomphe de la révolution ouvrière et socialiste. Ces leçons sont très actuelles et urgentes pour le développement de la révolution vénézuélienne. Pour garantir cela, il est nécessaire et inéluctable de construire une direction révolutionnaire, qui s’appuie sur l’expérience de 150 années de lutte du mouvement ouvrier mondial, mise en évidence dans le marxisme, le léninisme et le trotskisme.
L’expérience russe
Au Comité Central du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe
Il est possible que ces lignes arrivent avec du retard, parce que les événements se développent parfois avec une vitesse véritablement vertigineuse. J’écris ceci le mercredi 30 août; les destinataires ne le liront pas avant le vendredi 2 septembre. Mais même dans ces circonstances, je crois que c’est mon devoir d’écrire ce qui suit :
Le soulèvement de Kornilov représente un retournement de situation extrêmement inattendu (inattendu en ce qui concerne le moment et la forme) et incroyablement brusque. Comme tout brusque retournement, il exige une révision et un changement de tactique. Et comme avec toute révision, il faut être extraordinairement prudent pour ne pas tomber dans un manquement aux principes.
A mon avis, ceux qui (comme Volodarski) en arrivent aux positions du défensisme ou (comme d’autres bolcheviques) au bloc avec les eseristas (3), au soutien au Gouvernement Provisoire, commettent un manquement aux principes. C’est complètement erroné, c’est une faute de principes. Nous deviendrons défensistes seulement après que le pouvoir soit passé au prolétariat, après avoir proposé la paix, après avoir rompu avec les traités secrets et les liens avec les banques, et seulement après tout cela. Ni la chute de Riga, ni la chute de Petrograd ne nous rendront défensistes (je voudrais qu’on fasse lire ceci à Volodarski.). Jusqu’alors, nous serons pour la révolution prolétarienne, contre la guerre, et nous ne serons pas défensistes.
Nous ne devons pas soutenir le Gouvernement de Kerenski, pas même maintenant. C’est un manquement aux principes. Vous poserez la question : n’allons-nous pas combattre Kornilov ? Bien sûr que nous allons le combattre ! Mais ce n’est pas la même chose; il y a une limite. Et cette limite est dépassée par certains bolcheviques qui tombent dans une « position conciliatrice », en se laissant entraîner par le cours des événements.
Nous allons combattre et nous combattons Kornilov, comme le font les troupes de Kerenski. Mais nous ne soutenons pas Kerenski. Au contraire, nous démasquons sa faiblesse, voilà la différence. C’est une différence assez subtile mais tout à fait essentielle, et on ne peut l’oublier.
En quoi consiste le changement de notre tactique après le soulèvement de Kornilov ? En ceci que nous changeons la forme de notre lutte contre Kerenski. Sans changer d’un iota notre hostilité contre lui, sans retirer un seul mot de ce que nous disons contre lui, sans renoncer à l’objectif de renverser Kerenski, nous disons : il faut prendre en considération le moment ; nous n’allons pas renverser Kerenski tout de suite ; actuellement nous envisageons d’une autre façon la tâche de le combattre, à savoir : en expliquant au peuple (qui lutte contre Kornilov) la faiblesse et les vacillations de Kerenski. Avant, nous faisions cela aussi. Mais maintenant cela passe au premier plan. C’est en cela que consiste le changement. Donc, le changement consiste en ce que nous mettons au premier plan l’intensification de l’agitation en faveur de ce que nous pourrions appeler des « exigences partielles » à Kerenski : qu’il mette Miliukov en prison, qu’il arme les travailleurs de Petrograd, qu’il rappelle les troupes de Cronstadt, de Víborg et de Helsingfors à Petrograd, qu’il dissolve la Duma d’État, qu’il mette Rodzianko en prison, qu’il légalise la concession des terres des propriétaires fonciers aux paysans, qu’il implante le contrôle ouvrier sur le blé et les usines, etc., etc.. Et ces exigences, nous ne devons pas seulement les présenter à Kerenski ; nous ne les présentons pas tant à Kerenski, mais plutôt aux travailleurs, aux soldats et aux paysans, entraînés par la marche de la lutte contre Kornilov. Il faut continuer à les entraîner, à les encourager à liquider les généraux et les officiers qui se sont prononcés pour Kornilov, insister pour qu’ils exigent immédiatement la concession de la terre aux paysans, leur suggérer l’idée de la nécessité de mettre Rodzianko et Miliukov en prison, de dissoudre la Duma d’État, de fermer Rech et d’autres publications bourgeoises et d’ouvrir une enquête judiciaire. Ce sont surtout les eseristes de « gauche » qu’il faut pousser dans cette direction.
Il serait incorrect de penser que nous nous sommes éloignées de l’objectif de la conquête du pouvoir par le prolétariat. Non. Nous nous en sommes rapprochés extraordinairement, pas de façon directe, mais par le côté. Et il faut en ce moment même faire une agitation, pas tant directement contre Kerenski, mais plutôt indirectement, quoique aussi contre lui, c’est-à-dire en exigeant une guerre active, très active, authentiquement révolutionnaire contre Kornilov. (…)
Il faut combattre impitoyablement les phrases sur la défense du pays, le front unique de la démocratie révolutionnaire, le soutien au Gouvernement Provisoire, etc., en démontrant précisément que ce ne sont que des phrases. Maintenant, il faut leur dire que c’est le moment d’agir : vous, messieurs les eseristes et mencheviques(4), il y a longtemps que vous vous épuisez en phrases. Maintenant, c’est le moment d’agir. La guerre contre Kornilov, il faut la faire de manière révolutionnaire, en attirant les masses, en les soulevant, en les enflammant (et Kerenski craint les masses, craint le peuple). Dans la guerre contre les allemands, c’est maintenant précisément le moment d’agir : immédiatement et d’une manière absolue, il faut proposer la paix sur la base de conditions précises. En agissant de la sorte, on pourra obtenir soit une paix rapide, soit la transformation de la guerre en guerre révolutionnaire. Dans le cas contraire, tous les mencheviks et eseristes continueront à être des laquais de l’impérialisme. »
Lettre de Lénine au CC du POSDR. -30 août 1917
Notes
(1) Cette orientation a commencé avec celle de l’Internationale Communiste pour la Chine dans les années 20. A ce moment, le Kuomintang était un parti nationaliste bourgeois dirigé par Chiang Kai Shek, qui aspirait à unifier et à libérer la Chine sur des bases capitalistes. Il y avait un processus révolutionnaire contre les troupes impérialistes japonaises qui occupaient le pays et, dans ce processus, le PC chinois se développait rapidement. Comme résultat de ces luttes contre l’impérialisme, le Kuomintang est arrivé à établir un gouvernement provisoire à Canton. L’Internationale Communiste a imposé au PC chinois d’entrer dans le Kuomintang pour garantir « l’unité de la révolution nationale ». En 1926 à Canton, une vague de grèves a défié ce parti bourgeois. Le résultat a été tragique : dès que les circonstances le lui aient permis, Chiang Kai Shek a donné un coup d’État et a réprimé férocement les travailleurs et les communistes, en tuant des dizaines milliers d’entre eux, en imposant son contrôle dictatorial pendant des années et en désorganisant les comités ouvriers dirigés par le PC. Staline et Boukharine ont continué à exiger du PC chinois qu’il continue sous les ordres de Chiang et qu’il évite les soulèvements paysans pour ne pas s’éloigner des généraux du Kuomintang. Ils ont ensuite effectué un virement ultra-gauchiste et ont appelé à une insurrection, en causant la défaite de la révolution ouvrière. Après la défaite, l’expérience a servi pour consolider la thèse stalinienne de la « révolution par étapes » qui sera étendue à tout le monde semi-colonial et colonial.
(2) Kornilov était un général de l’armée tsariste, un monarchiste. Entre juillet et août 1917, il a été nommé par le gouvernement « républicain » de Kerenski comme chef suprême de l’armée russe. Le soulèvement de Kornilov a été une tentative du haut commandement de l’armée russe à la fin d’août 1917 de massacrer la révolution : son plan était de fermer et de réprimer les organes soviétiques, de renverser le gouvernement de Kerenski et de persécuter les partis de gauche, et en particulier les bolcheviques. La réaction de la classe ouvrière et du peuple, mais aussi de la base de l’armée dirigée par les soviets et par les bolcheviques, a mis en échec cette tentative et a ouvert le chemin de la victoire de la Révolution socialiste d’Octobre.
(3) Les membres du Parti Socialiste Révolutionnaire (SR), de tendance populiste.
(4) Rupture du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe, aile droite et réformiste.