jeu Nov 21, 2024
jeudi, novembre 21, 2024

Macron ignore le résultat des urnes et joue la montre

Par: Michaël Lenoir – groupe sympathisant de la LIT-QI en France.

Après la victoire électorale surprise du NFP le 7 juillet, c’est à une guerre de positions que nous avons assisté. La macronie a donné le premier rôle aux JO et cela a bien fonctionné. Depuis un mois et demi, des ministres « démissionnaires » continuent à diriger le pays, malgré le verdict des urnes. Des choix institutionnels s’approchent nécessairement, mais seule une entrée en scène massive de la classe ouvrière pourrait changer vraiment la donne.

L’absence de majorité absolue et la question du Premier ministre

Sous la Ve République, le ou la Premier.e ministre, chef du gouvernement, est nommé.e par le Président. Comment ? Selon la tradition, et dans l’esprit des constitutions démocratiques bourgeoises plus généralement, c’est au parti ou au bloc électoral le plus fort de faire en premier lieu des propositions pour la nomination du chef du gouvernement. Le NFP étant arrivé en tête du second tour en sièges à l’Assemblée, c’est donc à ce bloc qu’incombe cette tâche. Le bloc présidentiel n’étant plus le premier bloc politique au Palais Bourbon, Macron devrait se tourner d’abord vers le NFP pour recueillir un ou des noms. Mais ce n’est pas ce qui se passe depuis le 7 juillet.

Pour nous en tenir à la Ve République, nous disposons de quelques exemples avec les périodes de cohabitation. Ainsi, par exemple, Mitterrand avait nommé Chirac Premier ministre en 1986, lorsque la droite avait remporté les législatives. En 1993, le même Mitterrand avait, après la déroute électorale de son camp, accepté l’arrivée de Balladur à Matignon[1]. A l’inverse, Chirac, élu président en 1995, avait fait du leader de la « gauche plurielle », Lionel Jospin, son Premier ministre après sa dissolution ratée de 1997. Dans tous ces cas, le nouveau Premier ministre disposait d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, la situation est différente : aucun des blocs à l’Assemblée n’a la majorité absolue, qui implique de posséder au moins 289 député.es. Le NFP en compte 193 en incluant les apparenté.es (72 pour LFI ; 66 pour le PS ; 38 pour le groupe « écologiste et social » ; et 17 pour la « Gauche démocrate et républicaine », qui inclut en particulier le PCF) : il manque donc 96 élu.es au NFP pour une majorité absolue. La macronie en a 166 avec les apparenté.es. Dans le bloc RN-Ciottistes, on en dénombre 142. Un quatrième bloc, la « Droite Républicaine » (essentiellement LR) est représentée par 47 député.es. On arrive au nombre de 577 élu.es à la Chambre en ajoutant 7 non-inscrit.es et 22 élu.es LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). Livrons-nous à quelques calculs assez simples pour comprendre la situation.

Du point de vue de la macronie, d’abord : pour atteindre une majorité absolue qui lui convienne, Macron devrait ajouter 123 député.es à son bloc parlementaire. La droite classique, avec ses 47 élu.es, ne suffit pas à une telle opération. En ajoutant le groupe LIOT, qui n’est pas si facile à manœuvrer d’un point de vue macroniste – on l’a vu s’opposer à la réforme des retraites en 2023 – on n’en est qu’à 69 de plus ; et même en ajoutant les 7 non-inscrit.es (certain.es étant à l’extrême droite) on ne trouverait alors que 76 député.es qui viendraient s’ajouter aux 166 de la macronie, soit 244 : encore très loin des 289. On saisit donc le cœur des manœuvres macronistes depuis le 7 juillet : faire éclater le NFP et composer une majorité en y arrachant tous les éléments Macron-compatibles. En s’associant le concours d’une grande part des 66 PS, plus éventuellement une fraction des élu.es écologistes, voire PCF, Macron pourrait espérer obtenir une majorité parlementaire absolue dont son parti (« Ensemble pour la République ») serait le pivot. D’où la musiquette lancinante que l’on entend cet été sur le thème de l’union des républicains, excluant à la fois LFI et le RN.

Pour le NFP, la situation est à la fois simple et compliquée. Simple, parce qu’il est le premier bloc à l’Assemblée et que donc il lui revient de présenter un.e Premier.e ministre, selon des exigences démocratiques de base, ou par référence à « l’esprit des institutions », etc. Mais la donne est compliquée car, se trouvant loin d’une majorité absolue, un gouvernement dirigé par le NFP ne serait pas à l’abri de la première motion de censure venue de la droite et du centre du parlement. Par ailleurs, on note que les sirènes macronistes attirent déjà nombre de politicard.es « de gôche » prêt.es à se débarrasser des mesures prévues dans le programme du NFP et sur lesquelles ils et elles ont fait campagne, sous prétexte de réalisme politique, ou autre. Il semblerait que dans l’immédiat, la gauche « unie » n’atteint pas encore ce niveau de débandade, et qu’elle veuille maintenir au moins certaines apparences. Mais ce n’est pas encore la fin du film, et les expériences du passé ne rassurent aucunement sur ce point.

Reste le bloc du RN et des Ciottistes : aujourd’hui, avec ses 142 député.es, il pèse assez lourd à l’assemblée. Mais personne ne s’avise de s’allier avec lui, et il se retrouve dans la position – favorable à moyen terme – d’opposition à on ne sait pas encore quelle combinaison politicienne. Les prochaines semaines nous le diront.

Le NFP affiche sa division

Du 7 au 23 juillet, la gauche s’est montrée fort divisée sur la question de savoir qui proposer à Macron pour le poste de Premier ministre. Cette division a bien aidé Macron dans ses manœuvres. Ce n’est pas qu’une querelle de personnes, car cela se fonde sur des divergences profondes entre les composantes du Front. Cela s’est joué en plusieurs épisodes.

Rappelons qu’avant même le scrutin législatif, LFI a connu une crise interne. Mélenchon et son cercle rapproché ont refusé l’investiture du parti à certain.es parlementaires élu.es ou réélu.es en 2022 – qu’on a appelé les « frondeurs » – parce qu’ils ou elles avaient osé critiquer le chef. En quelques mots, il s’agit d’élu.es dont l’orientation politique se situe à la droite de la direction de LFI, en particulier très opportunistes vis-à-vis des autres composantes de ce qui était la NUPES[2], mais qui ont de vraies raisons de critiquer le fonctionnement autoritaire et vertical de la nébuleuse insoumise. Ces « purgé.es » (Alexis Corbière et Raquel Garrido dans le 93, Danielle Simonnet à Paris, Frédéric Mathieu en Ille-et-Vilaine, et Hendrik Davi à Marseille) ont reçu le soutien de nombreuses personnalités d’autres composantes de la gauche, ainsi, au sein de LFI, que de François Ruffin et de Clémentine Autain. Raquel Garrido et Frédéric Matthieu n’ont pas retrouvé le parlement, mais les autres « purgé.es » se sont imposé.es face aux candidatures LFI voulues par la direction du parti. Du coup, cinq élu.es sont passé.es du groupe LFI au groupe écologiste à l’Assemblée nationale. Pour ce qui est de Ruffin, il avait lui-même refusé l’investiture LFI, se représentant dans sa circonscription de la Somme sous la bannière « Picardie Debout ! ». Avant même le second tour (le 3 juillet), il se prononçait contre la nomination de Mélenchon comme Premier ministre si le NFP gagnait les élections[3].

Très vite après la victoire en sièges arrachée le 7, la cacophonie au sein de la gauche parlementaire commençait à s’étaler. Premier débat : Mélenchon doit-il être proposé à ce poste. Ce dernier déclarait : « Je ne m’exclus pas mais je ne m’impose pas »[4]. Comme sa personne est très clivante et que le rapport de forces entre LFI et le PS a évolué en faveur de ce dernier, LFI a proposé d’autres noms issus de ses rangs que celui de son leader : Clémence Guetté et Mathilde Panot (élues dans le Val-de-Marne) et Manuel Bompard (élu à Marseille). Eric Coquerel, député réélu du 93, argumentait en faveur d’un.e Premier.e ministre LFI, déclarant : « Nous sommes le groupe majoritaire à gauche, c’est la logique de la Ve République. Et l’inspiration du programme du NFP vient principalement de notre côté »[5]. Montrant à nouveau qu’elle ne comprend rien à la lutte des classes, Marine Tondelier jugeait qu’il faut à Matignon « une figure qui doit apaiser et réparer le pays »[6]. Mais au travers cette question de la candidature à Matignon, c’est fondamentalement à un face à face LFI-PS qu’on assistait.

Survint alors l’hypothèse Huguette Bello, présidente de la région La Réunion. Proche de LFI – elle figurait sur la liste de Manon Aubry aux Européennes – ce nom a pourtant été proposé par Fabien Roussel, leader du PCF, à côté de qui elle avait siégé 23 ans à l’Assemblée. Cette candidature était soutenue par LFI et bien vue par les écologistes, mais le refus est venu du PS. Le 14 juillet, Huguette Bello déclinait l’offre, pour « garantir l’unité du NFP »[7].

Le lendemain, 15 juillet, le PS, le PCF et les Écologistes proposaient à LFI la candidature de Laurence Tubiana, présentée comme une « personnalité de la société civile ». Celle-ci est économiste, et ancienne ambassadrice pour les négociations de la COP21 à Paris en 2015. LFI a refusé, dénonçant une candidature Macron-compatible, et accusant une nouvelle fois le PS de « mettre un veto à toute candidature issue du Nouveau Front populaire dans le seul but d’imposer la sienne »[8]. Le 19 juillet, Mélenchon protestait sur BFMTV : « Nous avons vu tous nos candidats au poste de Premier ministre rejetés »[9]. Pendant une semaine, le NFP n’a pas été en mesure de proposer un autre nom, tandis que l’Assemblée nationale se mettait en place le 18 juillet et que Macron devait prendre la parole le 23.

C’est à cette dernière date, une heure avant l’interview d’Emmanuel Macron à la télévision et après seize jours de négociations qui ont failli faire imploser l’union de la gauche, que les partenaires du NFP ont enfin réussi à s’accorder sur un nom pour Matignon : celui de Lucie Castets. Haute-fonctionnaire, elle est actuellement directrice des finances et des achats à la ville de Paris. Figure de proue du collectif « Nos Services Publics » qui dénonce l’austérité à l’école, à l’hôpital, dans la justice – d’où sa présentation comme « société civile » – en opposition avec la politique du gouvernement sur les services publics, Lucie Castets a vite annoncé qu’elle voulait abroger la réforme des retraites et augmenter les salaires. Du côté des leaders du NFP, le ton était alors triomphaliste. Clémence Guetté (LFI) jugeait : « elle saura appliquer notre programme de rupture »[10]. Mais c’est le PS qui a proposé le nom de Lucie Castets. Celle-ci, peu connue, est de formation Sciences Po, London School of Economics et ENA. Elle a été fonctionnaire au ministère de l’Économie et des Finances, spécialisée sur des questions d’évasion fiscale, avant de devenir conseillère d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, avant son poste actuel. Au PS de 2008 à 2011, elle était proche du courant de Moscovici…

Lucie Castets est une personne qui fraie dans les ministères, pas dans les boites en lutte. C’est une énarque qui, si elle rejoint Matignon, voudra sans doute s’efforcer de suivre les conseils de Marine Tondelier : « apaiser et réparer le pays ». En tout cas, son nom semble avoir permis un consensus pour réconcilier les composantes du NFP. Sur quelle base et pour combien de temps ? Après la crise de l’après-7 juillet au sein du NFP, l’acceptation de cette candidature pour Matignon par l’ensemble de ses partis de la coalition marque la poursuite du retour en force du PS. Jusqu’à présent, Lucie Castets refuse tout accord de coalition avec la macronie : « une coalition avec le camp présidentiel est impossible, du fait de nos désaccords profonds, et ce n’est pas ce qu’attendent nos électeurs »[11]. Mais elle ne rejette pas les compromis : « Le programme du Nouveau Front populaire est notre base. Ensuite, nous savons que c’est compliqué puisque nous n’avons pas de majorité absolue, donc l’idée c’est de convaincre texte après texte, loi après loi, on va aller chercher des coalitions »[12] a-t-elle expliqué. Travailler en bonne entente avec la macronie et LR ? Mais pour quelle politique ? Tout cela, si toutefois Macron l’accepte en fin de compte à Matignon. Car jusqu’à présent, il s’y est toujours refusé.

                                                            

Lucie Castets en 2023. Photo Libération (Livia Saavedra).

Macron ignore le résultat du scrutin

Le président a été prévenu de la proposition de Lucie Castets pour Matignon une heure avant son passage à la télé. Il l’a traitée dans un style qui lui est cher : par le mépris, en l’ignorant totalement. Répétant à l’envi que le NFP n’a pas de « majorité quelle qu’elle soit »[13], il a balayé cette candidature en expliquant que le sujet n’était « pas de donner un nom » mais de trouver une « majorité » sur la base d’une coalition qui s’inscrive dans la continuité du « front républicain » qui s’est formé pour le second tour des législatives.

Le 18 juillet, la réélection de la députée macroniste Yaël Braun-Pivet au « perchoir »[14], au 3e tour, et par 220 voix contre 207 pour le candidat NFP, le communiste André Chassaigne, venait de montrer que Macron entendait rester maître de la situation et maintenir ses prérogatives coûte que coûte. En faisant voter ses 17 ministres-député.es « démissionnaires », et avec l’aide de la droite LR, la macronie a joué avec les zones d’ombre de la constitution. Celle-ci précise à son article 23 que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire ». Mais l’article LO 153 du code électoral indique que « les incompatibilités ne prennent pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai » [15]. Or le gouvernement de Gabriel Attal était démissionnaire depuis le 16 juillet. Les constitutionnalistes étaient partagées sur la question. La gauche parlementaire a déposé des recours contre ce vote de ministres qui lui avait fait rater de peu la présidence de l’Assemblée, mais le Conseil Constitutionnel s’est déclaré incompétent.

Le 23 juillet, Macron a annoncé au pays qu’il ne nommerait pas de Premier ministre avant la mi-août. Le gouvernement « démissionnaire » d’Attal resterait en place pour gérer « les affaires courantes ». Quelles affaires ? On va y revenir. Mais il faut d’abord noter que dans son interview télévisée, Macron a eu recours au mensonge et à des vérités tronquées.

Pour ce qui est du mensonge, Macron a fait la tirade suivante : « Personne ne peut appliquer son programme. Ces responsables politiques ont dit aux Français : ‘Nous sommes capables de nous entendre, parce qu’on ne veut pas que le RN gouverne.’ C’est comme si le jour d’après, chacun reprenait ses billes et disait : ‘Non, je vais faire tout mon programme.’ Aucun d’entre deux ne peut le faire, ni le NFP, ni la majorité sortante, ni la droite républicaine ». L’argumentation présidentielle est mensongère car elle assimile le vote des électeurs.trices de gauche pour ses candidat.es et ceux de LR à la possibilité de gouverner ensemble contre le RN. Or, s’il est réel que des millions de personnes de gauche ont voté pour des macronistes ou des LR contre le RN, on peut parier qu’une très grande partie de celles-ci l’ont fait en se forçant, voire en se pinçant le nez. Et on peut être sûr que pour ces personnes, cela ne veut pas dire l’acceptation d’un gouvernement où la macronie et son programme garderaient la place centrale, avec une gauche qui renoncerait à ses mesures.

Pour ce qui est des oublis opportunistes, Macron, tout en regrettant que le RN ne soit pas représenté au bureau de l’Assemblée nationale – un choix délibéré fait par ce parti – a considéré que ses élu.es avaient « une légitimité » et que ce parti représentait une force importante avec ses 11 millions de votes. Mais l’hôte de l’Élysée ne s’est pas interrogé sur le pourquoi de la poussée du RN, qui est à la fois signe d’un rejet de la politique macroniste et d’un développement des attitudes racistes et identitaires, et ce alors même qu’il prétendait en 2017 puis en 2022 constituer un rempart contre lui. A fortiori, jamais Macron n’endosse la moindre responsabilité dans cette situation : il ne reconnait pas qu’elle est aussi le résultat des politiques qu’il a menées depuis 2017 : à la fois du fait de la casse des conquis sociaux et des services publics, du développement de la précarité, de la répression des mobilisations populaires (en particulier les Gilets jaunes) et des politiques racistes et anti-immigré.es.

Dès avant les JO, Macron avait donc réussi à imposer son timing. Il joue la montre – espérant sans doute, à la fois, montrer qu’il est le maitre, réussir l’opération des Jeux Olympiques et Paralympiques, et pousser le NFP à se diviser encore plus – mais cet avantage présidentiel dans la bataille institutionnelle menée depuis le 7 juillet tient aussi beaucoup au spectacle de division qui a prévalu jusqu’au 23 juillet à propos de la nomination d’un.e Premier.e ministre.

JO : pas la grève, la trêve

Les points marqués par Macron sont également dus à l’absence de combativité des directions syndicales. En œuvrant en faveur de la non-perturbation des JO, la grande majorité des structures syndicales vient encore de jouer un très mauvais tour à notre camp social. Le 23 juillet, Macron déclarait : « De manière évidente, jusqu’à la mi-août, on doit être concentré sur les Jeux »[16]. Macon, en creux, nous disait quoi faire, et dans ce contexte, préparer une mobilisation importante, malgré les vacances, par la grève dans des secteurs clés (au moins transports, éboueurs, énergie) aurait pu changer la donne. Au lieu de cela, tout a été fait, du côté des directions syndicales – très clairement pour la CGT – pour gagner des luttes, là où la mobilisation s’y prêtait, sur une base purement sectorielle, avec des avancées en termes de primes de JO notamment. Les scandaleuses déclarations de Bernard Thibault[17], ex-secrétaire général de la CGT et membre du comité d’organisation des JO, sont hélas un indicateur des liaisons fatales qui se sont développées entre les sommets des institutions bourgeoises et le monde syndical. De façon plus immédiate, on remarque que les centrales syndicales – qui ont toujours montré leur refus des grèves « tous ensemble » – ont essentiellement fait le choix de se mettre à la remorque de la gauche politique – ce qui rend plus difficile une mobilisation syndicale indépendante – et les dirigeant.es des centrales ont sans doute cru que Macron allait jouer le jeu et ne pas rechigner à nommer à Matignon une figure choisie par le NFP.

Comme le souhaitaient Macron, les capitalistes et toute la France bien-pensante, les JO ont marqué une accalmie profonde dans la situation politique et sociale du pays, et c’est principalement la macronie qui semble en avoir tiré les bénéfices. La cote de popularité présidentielle est remontée pendant les Jeux, ainsi que celle d’Attal[18]. Faute de pain, ces jeux ont joué leur rôle de déviation des colères populaires. De fait, malgré tous les scandales qui y sont rattachés, et dont beaucoup ont été soigneusement camouflés à l’opinion publique, le venin chauvin et anesthésiant des JO de Paris a fait oublier – pour un temps seulement, sans doute – les soucis du quotidien et les turpitudes de la macronie et de la politique politicienne. Ces Jeux sont parvenus à déclencher à une échelle importante un engouement populaire. Le président le sait, qui pérorait récemment dans le journal L’Équipe en déclarant que, par rapport à ces JO, « il y a un perdant : c’est l’esprit de défaite (…) Ça a été un succès d’organisation (…) C’est aussi la réussite de nos athlètes, puisqu’on termine dans le top 5 »[19]. Profitant de la torpeur estivale post-JO, Macron a d’ailleurs choisi de jouer encore les prolongations : la question de la nomination à Matignon, annoncée pour la mi-août, est remise encore à plus tard, peut-être fin août. Il a prévu de rencontrer les chefs de partis et président.es de groupes parlementaires le 23 août, et fait savoir dans un communiqué que « la nomination d’un Premier ministre interviendra dans le prolongement de ces consultations et de leurs conclusions »[20]. Les quatre composantes du NFP ont prévu de s’y rendre ensemble, et Lucie Castets devrait aussi être reçue par Macron.

Et maintenant ?

Faute de mobilisation populaire en cet été 2024, la division du NFP, la mollesse des directions syndicales et le poids de l’institution présidentielle dans la Constitution auront donc permis à Macron de passer un été olympique tranquille, tout en continuant en catimini à marquer des points et à multiplier les mauvais coups avec son « gouvernement démissionnaire » : décrets d’application de la sinistre loi Immigration signés en pleine démission du gouvernement Attal ; austérité contre les mineur.es avec un plan social énorme à la Protection Judiciaire de la Jeunesse ; 1510 postes d’internes en moins à l’hôpital à la rentrée ; 5 milliards de nouvelles coupes budgétaires annoncés par Bruno Le Maire ; un budget 2025 préparé par la macronie qui retire 2 milliards aux hôpitaux. On voit bien là que l’usage de l’expression « gouvernement démissionnaire » relève de l’entourloupe et de la malhonnêteté antidémocratique. La même politique qu’avant juin, menée par des ministres qui, théoriquement, ne devraient plus s’occuper que de gérer les « affaires courantes ».

La gauche fustige les manœuvres dilatoires et les pratiques despotiques de l’Élysée. LFI menace même d’engager une procédure de destitution contre Macron pour son refus de prendre acte du résultat du 7 juillet, mais Marine Tondelier, notamment, s’exprime contre. Au fond, la gauche subit les diktats macronistes et son refus d’un.e Premier.e ministre proposé.e par le NFP. Et l’on voit circuler les noms de Xavier Bertrand (LR) ou de Bernard Cazeneuve, ex-ministre de l’Intérieur tristement célèbre de Hollande, parfaitement Macron-compatible. Le choix de ce dernier serait sans doute un coin enfoncé dans le NFP. Face à l’échéance du 23 août, la gauche, LFI en tête, met la pression sur le président. Et tôt ou tard, vraisemblablement fin août ou début septembre, ce dernier va devoir trancher et nommer le ou la locataire de Matignon.

Une chose est sûre : Macron ne pourra pas dissoudre à nouveau l’Assemblée avant juin 2025. D’ici là au moins, l’incertitude et l’instabilité politique marquent toujours la situation. Une autre chose est sûre, même si elle n’est pas encore massivement présente dans les esprits : sans une intervention massive des travailleurs.ses dans la situation et une grève qui bloque l’économie du pays, malgré le vote du 7 juillet, aucun changement concret en faveur de notre classe ne pourra avoir lieu et tous maux et les dangers de la situation perdureront, s’aggravant même tendanciellement : l’autoritarisme austéritaire de la macronie et de la droite, le RN en embuscade. Et si Lucie Castets était en fin de compte acceptée par Macron, il est clair que cette gauche-là voudrait éviter un affrontement de classe de grande ampleur. Dans cette hypothèse politique-là également, ce n’est pourtant qu’en travaillant à concrétiser la perspective d’une vraie grève générale que notre camp social pourrait enfin inverser le rapport de forces en arrachant des revendications importantes, même si elles restent élémentaires dans un premier temps : le retrait de la réforme des retraites, une hausse massive des salaires, des milliards pour les services publics… pour commencer. Certains secteurs du mouvement social, encore très minoritaires, commencent à réfléchir à cette perspective. Les regrouper, avancer dans cette direction doit être une priorité, dès les jours et les semaines qui viennent, pour tout.es les militant.es lutte de classe.

Par ailleurs, nous ne devons avoir aucune illusion sur ce qu’est la direction du NFP. Nous savons parfaitement qu’à la base du mouvement qui a abouti au résultat électoral du 7 juillet, se trouvent un grand nombre d’activistes de divers secteurs, qui se sont fort opportunément levé.es pour empêcher l’arrivée du RN au gouvernement. Mais tous les partis du NFP, sans exception, véhiculent l’illusion qu’il est possible de changer la vie du plus grand nombre en s’appuyant sur les institutions. De plus, on a vu la plupart de ces partis (PS, Verts, PCF) mener plus ou moins récemment des politiques opposées aux intérêts du plus grand nombre. Le recyclage de gens comme Hollande au sein du NFP en dit long sur la fiabilité de cet attelage…

Le NFP défend des revendications justes (hausses de salaires, défense des services publics, abrogation de la réforme des retraites, etc.). Mais ces revendications sont prisonnières d’une logique qui ne pose pas la question du nécessaire affrontement avec la classe capitaliste qui est farouchement opposée à de telles revendications. En d’autres termes, il défend quelques revendications minimales dans le cadre du maintien du capitalisme.

Face au forcené Macron qui empêche le NFP d’aller à Matignon, on a vu poindre deux types de réaction parmi les états-majors de la coalition : une tendance à la conciliation avec la macronie et la droite, qui voudrait nous faire croire qu’il est possible de faire accepter une partie du programme du NFP par d’autres blocs politiques au parlement ; une autre tendance qui résiste à cela et cherche à maintenir l’ensemble du programme de la coalition.

Pour l’instant, le NFP reste un bloc, même si des failles béantes y sont déjà apparues. Mais vu les manœuvres antidémocratiques de la macronie, on peut imaginer deux scénarios à court terme. Soit la coalition se maintient, mais ce sera au prix, au moins, de nombre de renoncements par rapport à son programme initial. Soit elle se disloque, et on verra alors les secteurs les plus bourgeois de cette gauche institutionnelle avaler la soupe infecte que lui propose Macron. Dans les deux cas, le NFP ne pourra pas servir de cadre adéquat pour nos luttes. S’il éclate, c’est évident. S’il reste uni et parvient à imposer à Macron de former au gouvernement, nous nous attendons à voir ses leaders politiques et les chefs syndicaux nous inciter à ne pas bouger pour ne pas créer de difficultés au gouvernement.

Face à cela nous préconisons une politique de classe dans tous les domaines :

  • Préparer une grève générale autour des revendications les plus urgentes :
    • Retrait de la réforme des retraites ;
    • Augmentation massive des salaires et des minimas sociaux ;
    • Investissements massifs dans les services publics (santé, éducation, transports…).
  • Une telle grève devra aussi exiger la fin des manœuvres antidémocratiques de Macron.
  • Rompre avec la politique conciliatrice vis-à-vis de la macronie.
  • Ne pas oublier Gaza : soutien total au peuple palestinien ! Pas d’armes pour Israël, des sanctions contre les génocidaires sionistes !
  • Pas de confiance dans le NFP!

[1] L’hôtel Matignon est le siège du Premier ministre

[2] Nouvelle Union populaire, écologique et sociale : la coalition de gauche fondée pour les législatives en 2022.

[3] https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/legislatives-2024-jean-luc-melenchon-ne-sera-pas-premier-ministre-persiste-francois-ruffin_6641850.html

[4] https://www.20minutes.fr/politique/4100194-20240708-legislatives-2024-jean-luc-melenchon-premier-ministre-gauche-bataille-matignon-lancee

[5] https://www.20minutes.fr/politique/4100194-20240708-legislatives-2024-jean-luc-melenchon-premier-ministre-gauche-bataille-matignon-lancee

[6] https://x.com/marinetondelier/status/1810219412307263884?lang=bn

[7] https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20240714-%F0%9F%94%B4-nouveau-front-populaire-huguette-bello-annonce-d%C3%A9cliner-l-offre-de-devenir-premi%C3%A8re-ministre

[8] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/07/16/la-candidature-de-laurence-tubiana-pour-matignon-soumise-a-lfi-le-nouveau-front-populaire-au-bord-de-la-rupture_6250522_823448.html

[9] https://www.bfmtv.com/politique/la-france-insoumise/jean-luc-melenchon-nous-avons-vu-tous-nos-candidats-lfi-au-poste-de-premier-ministre-rejetes_VN-202407190763.html

[10] https://www.revolutionpermanente.fr/Nouveau-front-populaire-tout-ca-pour-une-enarque-proche-du-Parti-socialiste

[11] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-24-juillet-2024-6495550

[12] Idem.

[13] https://www.bfmtv.com/politique/direct-emmanuel-macron-prend-la-parole-a-trois-jours-de-la-ceremonie-d-ouverture-des-jeux-olympiques_LN-202407230622.html

[14] C’est ainsi qu’on surnomme la présidence de l’Assemblée nationale.

[15] Voir https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/election-de-yael-braun-pivet-au-perchoir-les-chances-dun-recours-quasi-nulles

[16]

[17] Notamment en déclarant : « Grâce à la charte, les JO de Paris auront été pour l’essentiel exemplaires sur le plan social » : https://www.lesechos.fr/economie-france/social/grace-a-la-charte-les-jo-de-paris-auront-ete-pour-lessentiel-exemplaires-sur-le-plan-social-2113895 . Par ses propos, l’ex-dirigeant syndical Bernard Thibault insulte les ouvriers décédés ou grièvement blessés sur les chantiers. Notamment le 13 juin, Amara Dioumassy sur le chantier du bassin d’Austerlitz. https://www.20minutes.fr/paris/4088645-20240427-jo-paris-2024-proches-ouvrier-decede-chantier-denoncent-mort-modeste-jo-grandioses

[18] https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/sondage-exclusif-avec-la-treve-des-jo-emmanuel-macron-entrevoit-une-legere-accalmie-dans-lopinion-2111820

[19] https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/emmanuel-macron-l-heure-du-bilan-d-apres-jo_6721188.html

[20] https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/nouveau-gouvernement-emmanuel-macron-convie-les-forces-politiques-vendredi-23-aout-2113971

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