ven Déc 27, 2024
vendredi, décembre 27, 2024

L’avenir de la Révolution

 

Cela fait un an et demi que la lutte de classes en Syrie parle le langage des tirs de fusil, des coups de canon, du combat acharné de maison à maison pour avancer sur les positions de l'ennemi. La guerre civile y fait rage.
 
Nous sommes témoins de la plus grande confrontation actuelle entre la révolution et la contre-révolution à l'échelle mondiale, et le résultat de cette lutte aura un impact profond sur le cours de la situation internationale, en particulier sur l'orientation des révolutions qui se déroulent en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
 
Au fil des mois, la situation est de plus en plus dramatique et sanglante. Le régime dictatorial de Bachar Al Assad, qui a promis de « vivre et mourir en Syrie », est en train de commettre un génocide contre le peuple syrien qui a pris les armes pour le renverser. Jour après jour, nous sommes témoins de la mise en œuvre de méthodes horribles d'extermination de masse contre les rebelles armés et la population en général. Nous sommes en présence d'actes de caractère clairement nazi-fasciste : des frappes aériennes et d'artillerie lourde pour détruire des villes entières ; des attaques aériennes sélectives contre des boulangeries ou des stations d'essence, à un moment où une foule désespérée de civils y fait la queue ; l'utilisation systématique de bandes de voyous – les Shabihas – armés et payés par la dictature et qui s'aventurent dans les quartiers disputés ou contrôlés par les rebelles, pour torturer, assassiner et violer les femmes et les enfants sans limites.
 
Le chiffre des crimes d'Al Assad est effrayant. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), depuis le 15 mars 2011, quand la révolution a commencé, jusqu'à la fin d'octobre 2012, 38 000 personnes ont trouvé la mort, dont 3110 enfants. Dans les seuls mois d'août à octobre de l'année en cours, 15 152 personnes sont mortes, et la moyenne est passée à 165 décès par jour. Au milieu de ce bain de sang, plus de 360 000 personnes ont fui le pays pour trouver refuge en Jordanie, en Turquie, au Liban et en Irak, où elles vivent dans des conditions inhumaines. Selon le Centre pour la documentation des violations en Syrie, 32 478 prisonniers politiques croupissent dans les prisons d'Al Assad, dont 806 enfants.[i] Le drame des enfants est reconnu par l'ONU elle-même, qui cite, dans un rapport récent, « des cas d'enfants à qui l'on refuse l'admission à l'hôpital, d'enfants tués dans le bombardement de leur quartier ou soumis à la torture, y compris la violence sexuelle ».
 
L'économie syrienne est dévastée
 
Avant d'entrer dans l'analyse du cours de la guerre civile et de sa dynamique, il convient de regarder un peu la situation économique actuelle en Syrie, 20 mois après le début de la révolution.
 
Le quotidien libanais The Daily Star a rapporté, le 4 août dernier, que, selon l'Institut de Finances internationales, une chute de 14 % est annoncée pour le PIB de la Syrie en 2012, après une contraction de 6 % en 2011. Le journal a également averti que cette baisse pourrait dépasser les 20 % à la fin de l'année en cours, si la guerre civile continue, ce qui est hautement probable.
 
Les principaux indicateurs économiques sont en baisse. Les recettes touristiques ont chuté de 11 % du PIB en 2010 à 4 % en 2011. Et elles ne représentent plus que 0,6 % de l'économie syrienne en 2012. L'investissement étranger direct passera de 1,5 milliard de dollars en 2010 à 100 millions de dollars en 2012. Le total de la fuite de capitaux, de mars 2011 à juillet 2012, représente 21 % du PIB. Il y a une pénurie de tous les types de biens alimentaires et de consommation, en raison de la stagnation économique, des sanctions internationales et de la chute drastique de la production agricole. L'inflation moyenne en 2012 est de 17 %, alors qu'elle était de 5,2 % en 2011.
 
Le déficit budgétaire est de 14 % du PIB, soit près du double de celui de 2011, quand il était de 8 %. En raison de la guerre civile, les dépenses du gouvernement ont flambé hors de tout contrôle et les recettes fiscales ont pratiquement disparu. C'est le cas, par exemple, des recettes provenant des exportations de pétrole, qui représentaient jusqu'à 30 % des recettes du gouvernement. On prévoit que les exportations de pétrole tomberont de 130 000 barils par jour en 2011 à 100 000 en 2012. Les exportations de marchandises en général ont reculé de 12 % en 2011 et devraient chuter de 20 % cette année. Les importations ont également diminué de 21,5 %, après une contraction de 14,2 % en 2011.
 
Les réserves de change de la dictature d'Al Assad ont chuté, passant de 19,5 milliards de dollars en 2010 (l'équivalent de 7,6 mois d'importations de biens et de services) à 10,8 milliards de dollars en 2011 (l'équivalent de 4,4 mois d'importations). A la fin de 2012, on estime que ces réserves ne seront plus que de 1,1 milliard de dollars, un montant équivalent à 18 jours d'importations.
 
Le quotidien Syria Today a annoncé que, selon les statistiques officielles, le chômage atteint 25 %. D'autres sources parlent de plus de 30 %, sans compter le sous-emploi. Le taux officiel de pauvreté est de 13 %, mais le chiffre est, sans doute, plus élevé. L'industrie syrienne, qui représentait 23,7 %du PIB en 2010, est détruite ou paralysée. Les entrepreneurs eux-mêmes se plaignent que la capacité de la production industrielle a chuté de plus de 60 %. A Alep, la capitale économique du pays, plus de la moitié des usines de textile ont été fermées, parce que les marchés européens sont pratiquement fermés à cause des sanctions internationales.
 
C'est dans ce cadre économique que se situe la guerre civile. D'une part, le conflit armé augmente toutes les contradictions sociales, ainsi que les pénuries des masses qui luttent pour renverser Assad et conquérir des libertés démocratiques, dans la perspective de l'amélioration de leur qualité de vie qui est de plus en plus détériorée par la tragédie sociale, une tragédie encore aggravée par la guerre civile. D'autre part, il est clair que la dictature est à court d'oxygène pour continuer à soutenir l'indépendance économique de sa campagne militaire contre les masses syriennes. Avec une production en chute libre, la plupart des marchés fermés, les recettes fiscales en voie de disparition et les réserves financières presque épuisées, la situation d'Al Assad est dramatique. Tout cela l'affaiblit militairement et fait chanceler sa base sociale et politique, au point que de plus en plus de secteurs bourgeois commencent à abandonner le navire de son régime. Le régime syrien n'aurait aucun moyen de se maintenir debout et de poursuivre ses attaques génocidaires, si ce n'était par l'aide économique et militaire qu'il reçoit des quelques alliés qui lui restent encore : la Russie, la Chine, l'Iran, le Venezuela et Cuba.
 
Le cours de la guerre civile
 
La victoire militaire du camp rebelle est conditionnée par un problème évident d'armement et de direction politico-militaire. Le régime d'Assad dispose toujours d'une puissance de feu supérieure, malgré tous les progrès des milices rebelles et de l'Armée Syrie Libre (ASL). Al Assad dispose d'une armée qui, en dépit des désertions, maintient une chaîne de commandement, ainsi qu'une artillerie lourde et une force aérienne qui s'impose. Il est important de savoir que l'armée syrienne a toujours été une des plus fortes au Moyen-Orient et qu'elle est équipée directement par l'Iran et la Russie.
 
Pour empêcher les désertions, Al Assad utilise ses unités d'élite, telles que la terrible Division IV mécanisée, commandée par son frère, Maher Al-Assad, et bien sûr, les mercenaires et les criminels shabihas. En outre, ces derniers mois, ses actions militaires sont soutenues en grande partie par les frappes aériennes. Cela provoque une forte mortalité parmi les civils et empêche l'avancement des rebelles, qui doivent même abandonner certaines positions, en raison du manque d'armement antichar ou antiaérien.
 
Dans toute guerre civile, le problème de l'armement est un problème politique de première importance. Les rebelles, qui sont plus en plus nombreux, n'ont pas les armes nécessaires pour maintenir leurs positions et avancer de manière décisive. « Nous n'avons pas besoin de plus d'hommes, nous avons besoin de plus d'armes », a déclaré le commandant Ahmed Abu Ali, qui dirige une katiba (bataillon) d'une centaine de miliciens qui se battent dans le quartier de Saladin, à Alep. Il poursuit : « La chose la plus difficile à laquelle nous faisons face sont les chars T-82, contre lesquels nos RPG sont impuissants. » Et il ajoute : « sans parler des chasseurs MiG et Sukhoi, ainsi que des tireurs d'élite ». Abu Ali déplore également « ne pas avoir des fusils de précision pour les snipers dont nous disposons ». Et il déclare : « Nous ne pouvons pas contrôler Alep si nous n'avons pas d'armes lourdes. […] Sans davantage d'armes, nous ne pouvons même pas imaginer l'avenir. »[ii]
 
Jusqu'à présent, aucun gouvernement n'a décidé d'envoyer des armes lourdes aux mains des rebelles. Toutes les puissances impérialistes et les gouvernements comme ceux de l'Egypte et la Libye s'y opposent. Barack Obama a clairement indiqué la raison : « Il est très risqué d'employer des moyens militaires étasuniens en Syrie. Nous ne pouvons pas mettre des armes dans les mains de personnes qui peuvent ensuite les utiliser contre nous. »[iii] L'impérialisme sait très bien qu'en envoyant des armes aux rebelles, il arme ceux qui poursuivent cette révolution en cours. Le « soutien matériel » à ASL par les puissances impérialistes se limite à fournir des armes légères ou des services de renseignement pour certaines opérations rebelles. Cela se fait principalement via le Qatar et la Turquie. Cependant, les armes ou toute autre aide militaire n'arrivent qu'au compte-gouttes, et uniquement pour les groupes ou les secteurs qui se prêtent le plus aux intérêts de l'impérialisme, ou dont ce dernier pense qu'ils peuvent dévier la révolution de l'intérieur, comme les groupes djihadistes.
 
Entre-temps, le régime d'Assad continue à recevoir des livraisons d'armes lourdes en provenance de la Russie et de l'Iran. La Russie a une base navale en Syrie et des intérêts commerciaux importants. Et rien que pour l'année 2011, elle a vendu des armes au gouvernement syrien pour un milliard de dollars. Ceci est ouvertement admis par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui dit cyniquement que cela se fait « dans le cadre de la coopération technique et militaire entre la Russie et la Syrie, l'objectif étant de soutenir les capacités de défense de la Syrie contre les menaces politiques externes, et non de soutenir Bachar Al Assad ».[iv]
 
Un autre élément favorable au régime syrien est le soutien politique et militaire du Hezbollah, qui occupe une place importante dans le gouvernement du Liban. Dans ce pays, la guerre civile syrienne a commencé à avoir des répercussions, suite à des affrontements importants entre partisans et adversaires d'Al-Assad. Il faut savoir que le Hezbollah contrôle des régions entières sur la frontière libano-syrienne, et qu'il s'agit de l'organisation armée la mieux formée et avec le plus de prestige politique et de puissance militaire, du Moyen-Orient, surtout après sa victoire sur Israël en 2006.
 
En outre, l'activité des groupes islamistes salafistes ou djihadistes (les secteurs les plus fondamentalistes de l'islam) constitue un problème grave. C'est le cas de la milice appelée Al Nushra, qui ne fait pas partie de l'ASL et qui se lance dans une série d'actions isolées, dans le but d'imprimer à la guerre civile un caractère sectaire et religieux, en prêchant que le conflit serait entre sunnites et chiites-alaouites (la branche de l'islam à laquelle appartient la famille Assad). Ils s'appliquent donc à réaliser des attaques terroristes sans aucun lien avec les actions militaires de l'ASL, et parfois contre la population alaouite ou d'autres confessions. L'action de ces groupes, tout en contribuant à l'effort militaire pour renverser la dictature syrienne, favorise la division et affaiblit le camp des rebelles, car ces actions sectaires ont tendance à éloigner des secteurs entiers de la population syrienne (les alaouites, les chrétiens, etc.) de la lutte pour renverser le régime et pour faire avancer la révolution.
 
A cela, s'ajoutent les problèmes dans le camp rebelle lui-même, à commencer par les directions politique et militaire, bourgeoises et pro-impérialistes, du Conseil national syrien (CNS) et du sommet de l'ASL, qui ont déclaré à plusieurs reprises qu'elles soutiendraient une intervention militaire impérialiste. Et certains secteurs ont annoncé leur volonté de discuter d'un « gouvernement de transition », sans Al Assad, mais qui pourrait inclure son vice-président ou un autre personnage de son régime.
 
Cependant, bien que le régime d'Al Assad continue à détenir la suprématie militaire, depuis mi-juillet, on peut observer une offensive des rebelles armés avec d'importantes avancées militaires.
 
Cela a lieu dans le contexte d'un durcissement de la guerre civile. Depuis deux ou trois mois, les combats s'intensifient dans les deux principales villes de la Syrie, Damas et Alep.
 
A Damas, la capitale millénaire du pays, les combats se concentrent principalement dans la banlieue, mais il y a également eu des combats brefs et intenses dans le centre-même de la ville. Le régime ne parvient pas à écraser le harcèlement des rebelles à Damas, au point qu'il a dû commencer des frappes aériennes dans plusieurs quartiers de la capitale.
 
A Alep, le combat avance et recule par centimètres. L'ASL affirme qu'elle contrôle 60 % de la ville, mais elle n'a pas encore été en mesure d'occuper le centre. Au milieu des décombres d'une ville en ruines par les bombardements incessants, les rebelles défendent leurs positions. La conquête d'Alep a une importance stratégique en raison de son poids économique et géopolitique, car cela permettrait d'ouvrir une ligne de ravitaillement reliée directement à la frontière turque.
 
Début novembre, les rebelles ont conquis deux autres points stratégiques : Maaret al Numan et Saraqeb, deux villes de la province d'Idlib, où le gouvernement a perdu tous ses points de contrôle, excepté trois. Les deux endroits sont d'une importance vitale pour les deux camps, pour le contrôle de la route menant de Damas à Alep et reliant Alep à la ville côtière de Lattaquié dans le Nord. C'est la voie par laquelle le régime transporte ses troupes de remplacement pour attaquer Alep.
 
Les combats se sont intensifiés aussi dans la base militaire de Taftanaz, d'où le régime lance ses attaques sur toute la région d'Idlib. A Deir Ezzor, dans l'Est, les rebelles ont affirmé avoir pris le champ pétrolier d'Al Ward. A Hama, le 5 novembre dernier, une voiture piégée a tué plus de 50 soldats et politiciens liés à Al-Assad. D'autres combats et des bombardements aveugles du régime ont lieu à Daraa, Homs et Lattaquié.
Les actions des milices de l'ASL assènent des coups importants au régime syrien, mais elles n'ont toujours pas la force nécessaire pour une offensive radicale et décisive. Cependant, la profondeur de la révolution est telle qu'une situation claire de double pouvoir s'est établie dans le pays, dont les territoires libérés par les milices sont l'expression la plus éloquente.
 
Deux pouvoirs en Syrie
 
Actuellement, il y a deux pouvoirs en Syrie. D'une part, le gouvernement et le régime d'Al Assad conservent le contrôle de l'appareil d'Etat et des forces armées. D'autre part, dans le cadre de l'offensive militaire rebelle, il y a des territoires entiers qui ne sont plus contrôlés par le dictateur.
 
L'un des premiers territoires libérés se situe dans une partie importante de la ville de Homs, où un « conseil militaire révolutionnaire » a été installé, qui assume les tâches propres au pouvoir politique, comme le ravitaillement en nourriture, le nettoyage, les soins de santé, la sécurité et l'administration de la justice. Deir Ezzor, avec d'importantes industries et des champs pétroliers, est une autre ville du pays presque entièrement contrôlée par des milices rebelles. Il y a aussi des zones libérées contrôlées par des conseils de milices (connus sous le nom de Tansiqiyyat) à Hama, à Daraa et dans une grande partie de Idlib. Dans toute la partie d'Alep contrôlée par les rebelles armés, les milices assument des tâches telles que l'approvisionnement minimum et la sécurité des boulangeries, l'évacuation de la population, etc. Dans ces petites villes, comme dans Taftanaz, le Tansiqiyyat local publie des journaux et d'autres matériaux (voir la carte).
 
Carte des zones contrôlées pour les forces rebelles
 
A Saraqeb, une sorte de conseil des « forces de la sécurité révolutionnaire » a également été mis en place sur le terrain. Son président, Abou Hague, a expliqué comment fonctionne cet organisme et quelles sont ses premières tâches : « […] Nous avons ouvert une liste de volontaires pour former des forces de la sécurité révolutionnaire et nous œuvrons pour la création de groupes de civils qui organisent la circulation, contrôlent la sécurité et assurent la coordination des services tels que les travaux municipaux, y compris le nettoyage des rues et le ramassage des ordures. »[v] Il y a aussi des systèmes similaires d'administration dans les régions rurales, telles que Kajarjanaz, Binnish, Atma et Tal'ada. Il y a des rapports qui font état de la formation – de manière inégale – de « réseaux » entre ces conseils de milices.
 
En Syrie, l'existence, même embryonnaire et précaire, de zones libérées et d'innombrables Tansiqiyyat qui semblent avoir un certain degré de coordination entre eux, est un fait très progressiste. Ils sont l'expression la plus claire de la force de la révolution syrienne. C'est pourquoi le régime met en œuvre des bombardements pour détruire ces zones. Ce fut le cas, par exemple, de la ville de Kafarnubol, libérée le 1er avril 2011 et impitoyablement bombardée par l'aviation d'Al Assad le 5 novembre 2012.
 
Le rôle néfaste du castro-chavisme
 
Depuis le début de la révolution syrienne, la majorité de la gauche mondiale – en particulier le castro-chavisme – s'est prononcée contre l'insurrection des masses et en défense de la dictature sanglante d'Al Assad, comme elle avait d'ailleurs soutenu Kadhafi politiquement et militairement en Libye. Pour ces secteurs, ce qui existe en Syrie n'est pas une révolution, mais une contre-révolution, où des « mercenaires » ou des « troupes impérialistes » seraient en train d'essayer de renverser Al Assad, un dirigeant présumé anti-impérialiste et antisioniste.
Hugo Chavez, récemment réélu président du Venezuela, a déclaré peu après les élections : « Comment ne pas soutenir le gouvernement de Bachar Al Assad, puisqu'il est le gouvernement légitime de la Syrie ? Allons-nous soutenir les terroristes ? »[vi] Après avoir dit cela, il a confirmé son « soutien à 100 % » au dictateur syrien et il a déclaré : « J'aimerais bien faire davantage, mais que peut faire un pays comme le Venezuela ? » En réalité, Chávez soutient le génocidaire Al Assad, et pas seulement dans les discours. Son pays est parmi ceux qui fournissent le carburant qui est ensuite utilisé dans les chars et les avions qui assassinent le peuple syrien.
 
Il faut appeler un chat un chat : le castro-chavisme est complice des actions de génocide d'Al Assad. Il utilise son poids et son prestige dans le mouvement social et dans la gauche pour les mobiliser contre une révolution et du côté d'une dictature sanguinaire et pro-impérialiste. En outre, il capitule ouvertement à l'impérialisme qu'il prétend combattre, car il lui offre en cadeau la bannière du combat pour les libertés démocratiques. Il aide ainsi Obama, l'Union européenne et la Ligue arabe – avec le Qatar et l'Arabie saoudite à sa tête – à se présenter cyniquement comme les grands défenseurs de la « démocratie » et des « droits de l'homme » en Syrie.
 
La politique de l'impérialisme et du CNS
 
Faute de conditions politiques pour intervenir militairement, l'impérialisme manœuvre dans tous les sens pour contrôler et mettre en échec la révolution syrienne. Il y a un temps déjà qu'Al Assad – que l'impérialisme a soutenu jusqu'à la limite du possible – a montré qu'il était incapable de s'acquitter de cette tâche, ce qui explique pourquoi il n'a plus la bénédiction de Washington.
 
L'exigence, de la part de l'impérialisme, de la démission d'Al Assad est au service d'un recentrage pour contrôler, vaincre et faire avorter la révolution. L'impérialisme a été assez habile pour abandonner un bateau qui coule, et sa principale préoccupation est maintenant de savoir comment et avec qui il peut gérer le développement de la guerre civile en cours et une chute possible d'Al Assad, de sorte que ses intérêts soient en sécurité.
 
En ce sens, les Etats-Unis et tout l'impérialisme européen et les bourgeoisies nationales arabes essayent une manœuvre politique, qui consiste à évincer Al Assad du pouvoir, mais en conservant les fondements essentiels de son régime. C'est en ce sens qu'ils ont proposé, à plusieurs reprises, diverses formules de « gouvernements de transition » qui incluent l'opposition et des membres de la dictature actuelle.
 
Cependant, les divisions politiques au sein de l'opposition syrienne, à commencer par l'énorme fossé entre le CNS – composé essentiellement des Frères musulmans et des libéraux exilés à l'étranger – et les milices combattantes sur le terrain, posent problème pour l'objectif impérialiste de maîtriser le processus. Il faut se rendre compte que le CNS a de moins en moins de poids et d'autorité politique, parce que ses principaux dirigeants se trouvent hors du pays et acceptent, dans leurs déclarations, de conclure des accords avec des personnages du régime. Pour l'ASL, c'est l'inverse. On lui fait largement confiance parce qu'elle est l'organisation qui coordonne les actions militaires à l'intérieur de la Syrie. Mais, même au sein de l'ASL, il faut comprendre que le sommet, composé d'anciens hauts gradés du régime et dirigé par le colonel Ryad Musa Al Assad depuis la Turquie, n'a pas une autorité incontestée sur les centaines de milices et de conseils populaires qui sont répartis dans toute la Syrie. L'ASL n'est pas une armée entièrement centralisée, avec une chaîne de commandement unifiée, mais une sorte de front uni et large qui abrite toutes les milices qui prétendent faire partie de l'ASL, mais n'agissent pas nécessairement sur ordre de son sommet.
 
Dans ce cadre, l'impérialisme a besoin d'avoir toutes les garanties en ce qui concerne l'autorité et la politique du CNS. Hillary Clinton a donc récemment fait plusieurs critiques au CNS, en disant que « le CNS ne peut plus être considéré comme la direction la plus visible de l'opposition » et demandant qu'il soit étendu et essaye de réunir en son sein la plupart des différents groupes d'opposition, depuis les Comités locaux de coordination, passant par les milices et jusqu'aux administrations dans les zones libérées. Son objectif est clair : créer de meilleures conditions pour coopter tous les dirigeants rebelles et faire avorter la révolution.
 
Reçu cinq sur cinq ! Afin d'obtempérer aux desiderata de Washington, le CNS a convoqué une réunion à Doha (Qatar), où il a élargi sa composition et a consacré comme nouveau président George Sabra, un ancien dirigeant du Parti communiste, actuellement le Parti populaire démocratique syrien. Afin de former un gouvernement de transition qui jouit de la confiance de l'impérialisme, un peu comme dans le cas du Conseil national de transition libyen, on a profité de l'occasion pour former une nouvelle instance de rassemblement, appelée Coalition nationale des forces de l'opposition et des rebelles (CNFORS), et qui dépasse le cadre du CNS.
 
La nouvelle coalition a aussi incorporé des secteurs kurdes, chrétiens et alaouites dans le front politique, et le militant et religieux musulman Moaz al-Khatib a été élu comme président. Dans ses premières déclarations, il a demandé le soutien politique de l'impérialisme, et la France lui a déjà déclaré son soutien. Le CNS maintient un poids significatif au sein du CNFORS, où il dispose de 14 sièges.
 
La note positive est que le réseau des militants sur le terrain – constitué par les Comités de coordination locale (CCL) – a annoncé son retrait du CNS, en critiquant le CNS d'avoir été, lors de cette réunion au Qatar, « incapable d'adopter un plan de réforme globale visant à développer un bon rôle de la représentation politique de la révolution du peuple syrien ».[vii]
 
Une politique révolutionnaire pour la Syrie
 
Notre position, notre politique pour la révolution syrienne, commence par le soutien inconditionnel au soulèvement des masses contre la dictature d'Al Assad. Par conséquent, dans cette guerre civile, nous sommes dans le camp militaire des rebelles armés (le camp de la révolution), contre les troupes du régime syrien (le camp de la contre-révolution), indépendamment du fait que la direction politique de ce camp militaire rebelle soit bourgeois ou pro-impérialiste.
 
Il faut définir où se trouvent la révolution et la contre-révolution. Ce n'est que sur la base de cette définition, et de la lutte conséquente aux côtés du peuple syrien contre le tyran Al Assad – en gardant toujours l'indépendance politique la plus absolue – qu'il sera possible de disputer, au sein de cette ample unité militaire, la direction politique de ce camp militaire aux directions bourgeoises et pro-impérialistes.
 
Dans la lutte militaire, nous ne sommes pas neutres, car n'importe quel type de neutralité, ouverte ou déguisée, est directement équivalent à la négation de la révolution et à l'octroi d'un soutien objectif à la permanence d'Al Assad. La position neutre est celle du PTS-FT et d'autres organisations qui se disent trotskystes : ni Al Assad, ni le camp des rebelles. Ils font valoir que la direction rebelle est bourgeoise et pro-impérialiste et que, par conséquent, la « rébellion » – ils n'envisagent même pas que ce qui se passe en Syrie soit une révolution – a été séquestrée d'avance. Au milieu d'un génocide brutal et d'une puissante révolution, ces « révolutionnaires » se plaisent à faire des commentaires qui confondent la réalité avec leurs pieuses aspirations, et à exiger des « garanties » au processus lui-même, sans quoi ils ne le soutiennent pas, laissant la voie libre pour les dirigeants traîtres et l'impérialisme. Cette position, que l'on essaye de présenter comme « d'indépendance de classe », est criminelle au milieu d'une guerre civile, en dépit de toute la phraséologie « gauchiste » dont on essaye de l'habiller, car, appliquée à la réalité, elle ne fait que favoriser la permanence d'Al Assad. Ces gens se retrouvent finalement dans la même position que le castro-chavisme, par d'autres voies.
 
Certains de ces secteurs exigent, comme condition pour soutenir la révolution, que celle-ci soit dirigée par le mouvement ouvrier et un parti révolutionnaire. L'exigence de cette condition montre qu'ils ne comprennent pas que le principal grand obstacle objectif pour le développement du mouvement ouvrier et la construction d'un parti révolutionnaire est précisément l'existence même de la dictature. Avec cette position, ils emboîtent aussi le pas au stalinisme, qui soutient Al Assad au nom du « danger » de ce qui viendrait ensuite.
 
La lutte pour la construction d'une direction politique révolutionnaire pour le camp militaire rebelle est essentielle, mais cela ne peut se faire que si nous faisons partie de la lutte pour renverser la dictature meurtrière d'Al Assad. Aussi longtemps que la classe ouvrière n'a pas la conscience et la force suffisantes pour se débarrasser de ces directions, nous devons nécessairement disputer la direction dans le cadre d'une unité militaire (et non politique) de grande envergure, qui lutte du côté du peuple et oriente le tir contre le génocidaire Al Assad.
 
Notre politique vise la chute immédiate et la destruction complète du régime d'Al Assad, et la mise en place d'un gouvernement des classes exploitées syriennes. Nous pouvons formuler cette position dans les mots d'ordre : A bas Assad ! NON à l'intervention impérialiste !
Travailler pour la politique d'un gouvernement des classes exploitées syriennes, cela signifie, concrètement aujourd'hui, lutter pour le renforcement et la centralisation de tous les Comités de coordination locaux et les Conseils du peuple ou Tansiqiyyat qui contrôlent les zones libérées par la lutte armée. Nous sommes pour l'élargissement, le renforcement et la création de Tansiqiyyat dans tous les territoires conquis par les milices rebelles et libérés du pouvoir de la dictature ! Nous sommes pour l'élection de délégués représentants, élus démocratiquement dans les quartiers, les villes, les provinces, les usines et les régiments, pour former les conseils populaires qui administrent les zones libérées ! Ce sont eux les embryons du pouvoir ouvrier etpopulaire ! Nous sommes pour la réalisation de Congrès régionaux et nationaux de ces Conseils populaires pour coordonner la lutte militaire sur le terrain et répondre aux défis de la gestion des zones libérées ! La lutte doit être pour davantage de zones libérées et contrôlées par les Tansiqiyyat, jusqu'au renversement d'Al Assad, la prise du pouvoir et l'établissement du pouvoir ouvrier et socialiste. Ce sont toutes des activités d'une même œuvre : la révolution socialiste.
 
Ce n'est qu'en luttant pour le renforcement et la centralisation des Tansiqiyyat, les considérant comme de véritables embryons de pouvoir ouvrier et populaire, que la guerre civile pourra changer de direction politique et militaire. Mais tout cela, nous insistons, ne peut être fait qu'à partir de l'unité militaire avec tous les secteurs prêts à renverser Al Assad et à prendre les armes pour cela. Toute position « neutre » nous transforme non seulement en propagandistes abstraits et stériles, mais aussi en défaitistes réactionnaires qui fournissent des services inestimables à Al Assad, à l'intérieur de la « gauche ».
 
Les directions bourgeoisies – telles que la direction du CNS, le haut commandement de l'ASL, les Frères musulmans, et tous les groupes islamiques djihadistes – sont intrinsèquement pro-impérialistes et ennemis irréconciliables des intérêts du peuple et du socialisme. Et la dénonciation et la lutte permanente contre elles font partie de cette lutte pour que la révolution renverse Al Assad et avance vers un gouvernement ouvrier, paysan et populaire en Syrie. Mais cette dénonciation ne peut pas être abstraite ; nous la faisons à partir de la lutte révolutionnaire pour renverser le régime d'Al Assad.
 
La gauche est confrontée à une épreuve de vérité. Il faut choisir son camp dans cette guerre civile, et toute organisation qui se prétend révolutionnaire doit se poser la question : Sommes-nous, oui ou non, pour la victoire militaire des masses, pour renverser la dictature génocidaire et pro-impérialiste d'Al Assad ? Sommes-nous, oui ou non, dans le camp militaire des masses qui tirent contre Al Assad – indépendamment de qui les dirige, en gardant notre indépendance politique pour disputer la direction aux bourgeois du CNS et au haut commandement de l'ASL et à l'impérialisme ? Cela est essentiel pour déterminer si une organisation de gauche est en faveur de l'avancée de la révolution ou, au contraire, de la contre-révolution.
 
Notre réponse à ces questions est oui. Nous demandons donc instamment à tous les militants syndicaux, sociaux, des droits de l'homme, et à la gauche révolutionnaire, à resserrer les rangs autour du soutien inconditionnel à la révolution syrienne, en réalisant toutes sortes d'actions de solidarité avec le peuple syrien en armes, depuis des rassemblements jusqu'à des campagnes financières pour obtenir n'importe quel type d'aide matérielle. Il est également essentiel d'exiger, de tous les gouvernements, la rupture immédiate des relations diplomatiques et commerciales avec le dictateur Al-Assad et l'envoi d'armes lourdes, de nourriture et de médicaments aux instances contrôlées par les milices rebelles.
Il est évident que toute action de solidarité avec la lutte du peuple syrien se fera contre le castro-chavisme et ses relais « gauchistes », mais il faut démontrer qu'il existe une gauche révolutionnaire et socialiste qui soutient la révolution syrienne, et le faire savoir aux combattants syriens.
 

Cet article a été publié en Courrier International nº 9, novembre 2012
 
[i] http://www.vdc-sy.org/
 

[ii] El País, 11/08/2012
 

[iii] El País
 

[iv] Reuters, 5/11/2012
 

[v] YARA, Nseir :  Siria: los civiles en las “zonas liberadas” dirigen sus asuntos bajo la supervisión de los “militares”, publié le 18/08/2012 sur le site web « Traductions de la révolution syrienne ».
 

[vi] La Nación, 10/10/2012
 

[vii] EFE, 9/11/2012
 

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