Les partis larges et le NPA selon François Sabado
Le week-end des 9 au 11 décembre 2022 a été marqué en France par la scission médiatisée du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Nouveau ? Pas tout à fait : ce parti était né il y a près de 14 ans, mais portait toujours un nom voué à disparaitre… En 1995, le Secrétariat Unifié de la 4e Internationale[1], après la restauration du capitalisme en URSS et en Europe de l’Est, faisait un virage stratégique et décidait de construire des partis anticapitalistes larges. Plusieurs expériences avaient commencé. Sa section française, la LCR, se dissolvait en 2009 dans le NPA, qui se voulait large. L’article précédent (4) tirait les principales leçons de l’expérience de six partis larges (ce que le NPA était aussi censé devenir): le PT (Brésil), Rifondazione (Italie), le Bloco de Esquerda (Portugal), Die Linke (Allemagne), Syriza (Grèce) et Podemos (Espagne). Il se donnait aussi l’objectif de saisir comment le SU-CI réagissait face à cette expérience accumulée. Ce 5e et dernier article de cette série procède à une analyse critique des propos tenus lors d’une récente interview par Mediapart de François Sabado, dirigeant du SU-CI, ancien dirigeant de la LCR et membre fondateur du NPA[2].
Par Michael Lenoir
Suite à la scission du NPA, François Sabado était interrogé par Matthieu Dejean, sur le journal en ligne Mediapart, le 24 décembre. Cette interview est intéressante à plus d’un titre. Par ce que l’on apprend de la bouche de Sabado, mais peut-être encore plus par ce qu’il parvient à taire, et par les artifices de communication utilisés. Dans cet entretien, il est question de la période actuelle, de la stratégie révolutionnaire, du type de partis à construire, de l’expérience du NPA, et de la question générale des partis larges, notamment Podemos et Syriza.
Les fondamentaux erronés du SU-CI
- Etat du monde et analyse de la période : la « fin d’une époque » ?
Sabado revient sur la nature de la période historique, et il utilise l’expression de « fin d’une époque », qui toucherait « l’ensemble du mouvement ouvrier dans les pays capitalistes avancés ». Il tente de préciser sa pensée, axée sur le « triptyque : nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti » cher aussi à Daniel Bensaïd. Sabado explique comment sa perception – et celle de Bensaïd – de cette fin d’époque s’est amplifiée « Quand il y a eu la chute du mur de Berlin en 1989 et l’éclatement de l’Union soviétique, nous avons d’abord pris note d’un changement d’époque ». Il ajoute plusieurs niveaux de bouleversements :« Nous pensions alors que ce n’était que la fin d’un cycle, celui du stalinisme. Puis, nous avons constaté que ce n’était pas seulement la fin du cycle stalinien, mais celle, plus profonde, de l’effet propulsif de la révolution d’Octobre. Si on creuse un peu, on perçoit même dans certaines tendances contemporaines la fin de tout ce qui a donné naissance à l’histoire du mouvement ouvrier au milieu du XIXe siècle : ladémocratie parlementaire, l’État national, le mouvement ouvrier syndical et politique, la social-démocratie, les partis communistes et les courants révolutionnaires : tout est en crise, c’est la fin d’une époque ».
Nous avons des désaccords de fond avec cette approche générale. Sur le principe, tenir compte des bouleversements induits par l’effondrement du stalinisme : oui ; mais à condition de reconnaitre que cela signifiait aussi la fin du plus énorme appareil contre-révolutionnaire ayant étreint le mouvement ouvrier depuis sa naissance. Reconnaitre la fin de l’effet propulsif d’Octobre : oui, mais cette fin remonte sans doute à avant 1989-91. Ce que Sabado y ajoute est moins clair. La fin de la démocratie parlementaire ? Certes, certains mouvements populistes d’extrême droite y œuvrent ; mais la domination de classe via des appareils de la « démocratie » parlementaire reste encore le mode préféré de gouvernance politique de la bourgeoisie. L’Etat national subsiste, même si des instances supranationales (l’UE notamment) ont acquis une place nouvelle historiquement ; et si les décisions de l’Etat national, en particulier face aux mastodontes capitalistes, financiers ou autres, de l’ère néolibérale ont perdu beaucoup de poids, les Etats n’ont pas disparu. La crise du mouvement ouvrier syndical et politique est bien réelle, mais n’est-ce pas avant tout celle de sa dégénérescence bureaucratique, et des innombrables trahisons de classe auxquelles celle-ci a donné lieu? Par exemple, on observe, en sens inverse, un intérêt croissant pour de « nouveaux syndicats »[3] dès lors qu’ils s’avèrent combatifs et démocratiques. On remarque aussi le développement de mouvements sociaux auto-organisés, dans des champs d’action très variés.
Enfin, cette notion passe-partout de « fin d’une époque » ne nous convient guère, pour plusieurs raisons. Etions-nous déjà à la « fin d’une époque » au début des années 1990 ? Si oui, était-ce la même époque ? S’agit-il d’une fin qui n’en finit pas de finir ? D’une fin qui se complique en s’éternisant ? Surtout, une « nouvelle époque » n’a-t-elle pas commencé à émerger, plus dure, plus tendue que dans les années 1990, faite de luttes aux caractéristiques différentes, mais toujours marquée, pour l’instant, par un vide sidéral en matière de direction révolutionnaire ? L’approche de l’état du monde et de la période par Sabado est floue et assez unilatérale, et elle n’est pas en mesure de prendre en compte la recrudescence de mouvements sociaux massifs, et de montées révolutionnaires auxquelles nous avons assisté ces dernières années. Il nous semble surtout que tout ce discours confus vise à justifier une stratégie et une orientation qui s’avèrent funestes mais dont le SU-CI ne veut pas sortir. Voudrait-il en sortir qu’il ne saurait sans doute pas comment le faire. Des dégâts irréparables semblent avoir déjà été commis. C’est que le SU-CI et ses partis ont déjà subi une mutation génétique très profonde…
- L’écosocialisme et la question stratégique
Sabado poursuit en insistant sur l’écologie : « Ma génération n’était pas consciente de ce problème, mais l’écologie n’est pas un thème à part : on vit dans un monde fini, sans perspective d’abondance, et il n’y a pas la nature d’un côté et les forces productives de l’autre. On doit tout repenser à partir d’une articulation entre la remise en cause du marché capitaliste et l’exigence écologique, qui est une exigence de survie : les revendications économiques, comme démocratiques. La nouvelle perspective politique révolutionnaire doit s’arrimer à ces deux dimensions : l’écologie et la lutte des classes ». Là-dessus, nous sommes d’accord. Force est de constater, d’ailleurs, que le SU-CI a beaucoup élaboré sur ces questions tout à fait fondamentales. Certain.es militant.es du SU-CI sont très productifs/ves sur ce terrain et méritent un coup de chapeau pour le progrès global des connaissances et l’élaboration qu’ils et elles ont permis. Il en est ainsi, entre autres, de Daniel Tanuro, très en pointe pour comprendre et expliquer les enjeux de la crise écologique et climatique.
Malheureusement, cela ne suffit pas. On pourrait représenter la problématique écosocialiste que développe le SU-CI comme une fusée à trois étages. Le premier étage, c’est celui du diagnostic, du bilan de l’existant, du réel. Cet étage est fonctionnel, et en mesure d’alimenter les étages supérieurs : la compréhension de la crise écologique massive, protéiforme et cumulative, nous semble juste et complète. Le troisième étage, c’est le projet politique, économique et social à mettre en œuvre pour limiter la gravité de la crise écologique et le chaos climatique. Sur ce point – les solutions technologiques, les mesures drastiques à prendre, les transformations structurelles radicales à réaliser ; sur leur urgence et sur le cadre socialiste dans lequel tout cela doit nécessairement être réalisé – l’élaboration du SU-CI nous parait très riche. Le troisième étage de la fusée semble donc en état de fonctionnement et répond aux besoins. Mais – malheureusement il y a un « mais » – pour que la fusée se tienne, il lui faut un second étage entre le premier et le troisième. Et c’est bien là que le bât blesse : ce second étage, c’est celui de la stratégie choisie pour la transformation sociale. Sans un second étage bien conçu, adapté à la réalité environnante, et efficace, c’est-à-dire capable de vaincre les résistances des capitalistes et de leurs secteurs les plus destructeurs de l’environnement, le troisième étage ne pourra jamais être alimenté et sa mise en route n’aura jamais lieu. C’est ce que nous critiquons et continuerons de critiquer inlassablement dans la politique du SU-CI : la stratégie est défaillante. Et nous espérons que les articles précédents le font clairement apparaitre : les partis larges voulus et construits par le SU-CI sont des engins voués aux pannes à répétition, aux avaries permanentes, et même, souvent, aux explosions en vol ! Avec un second étage pareillement dysfonctionnel et défaillant, le premier étage décrivant le monde réel et sa dynamique terrifiante ne pourra jamais servir de base au troisième étage du projet écosocialiste. Toute la vaste et experte contribution d’un Tanuro n’y pourra rien changer : l’énergie se dilapidera eu niveau du second étage.
- La définition du parti à construire, de Bensaïd à Sabado
Il est de bon ton, au SU-CI, de relativiser la question du parti. On se flatte d’être « cool », non dogmatique. Là-dessus, de Bensaïd à Sabado, de Besancenot à Poutou, on aime le faire savoir[4] ! Dans l’interview, Sabado est d’ailleurs servi par un journaliste qui semble tout acquis à sa cause[5].
Dans un style bien à lui, Bensaïd, interviewé dans le contexte de la gestation de ce qui allait devenir le NPA, évoquait ainsi cette question en 2008 : « À la différence d’autres courants qui s’en réclament, nous n’avons jamais fait de la référence au trotskisme un fétiche. C’est un terme réducteur, forgé par l’adversaire. Nous l’avons assumé et l’assumons sans honte, avec fierté même, par défi. Mais s’il s’avérait que nous avons trimballé, et trimballons encore, dans notre héritage des bagages inutiles, des signes identitaires sans pertinence pratique, il faudrait y voir une manière de cultiver une singularité artificielle, donc sectaire, dont il faudrait se débarrasser au plus vite »[6]. A un niveau général, on peut être d’accord avec certains éléments au moins de cette formulation. C’est vrai que ce sont les staliniens qui ont inventé le concept de trotskisme, pour discréditer et criminaliser Trotski et l’Opposition de gauche. Trotski lui-même parlait de son courant comme étant « bolchevik-léniniste ». C’est vrai aussi qu’un parti révolutionnaire doit se débarrasser des « bagages inutiles » décrits par Bensaïd. Et certaines sectes « trotskistes » sont grotesques en s’affublant des oripeaux d’un tel folklore. Mais il faut aussi être très sérieux par rapport à la théorie et ne pas jeter par-dessus bord, sous prétexte de « modernité » ou de lutte contre le dogmatisme et les pratiques sectaires, des éléments de l’enseignement de Lénine ou de Trotski qui restent valables et dont l’incorporation dans la théorie ou dans le programme du parti sont indispensables pour que ce dernier puisse s’orienter correctement.
Et c’est précisément le cas du concept de parti révolutionnaire démocratiquement centralisé. Le largage de cet élément par Bensaïd, Sabado et le SU-CI à partir de 1995 était indispensable pour construire des partis larges, avec les succès pratiques que nous avons notés dans les articles 3 et 4 ! D’ailleurs, lorsqu’on lui pose la question : « Pourquoi un parti, qui semble une forme datée, et non pas quelque chose de plus souple, de moins centralisé, de plus en rapport avec les formes souples contemporaines de réseaux ? », Bensaïd répond : « Parti, mouvement, ligue, alliance… Peu importe le mot. Ce qui importe en revanche c’est l’efficacité pour l’action et les principes de vie démocratique. Nous voulons une organisation de militants, et non de simples adhérents, qu’on ne voit que les jours de congrès »[7]. Une organisation de militant.es, nous sommes d’accord. Mais le mode de fonctionnement n’est pas indifférent. Quid de l’efficacité pour l’action si un parti est composé de forces stratégiquement divergentes ? En faisant des partis larges, précisément, on rend difficile ou impossible l’efficacité dans l’action, ou alors c’est que les actions sont décidées selon une procédure non démocratique. A propos du processus de regroupement qui allait conduire au NPA, Bensaïd déclarait : « Pour peu que nous avancions sur la voie d’un nouveau parti, les formes dépendront de ces avancées. Elles ne sont pas fixées d’avance. Diverses hypothèses sont ouvertes : un parti pluraliste avec droit de tendance, un front d’organisations ou de courants comme le Bloc de Gauche au Portugal, etc. ». Ici, on note encore mieux avec quelle légèreté sont appréhendées les formes d’organisation. Sur ce point, Bensaïd, qui connaissait pourtant bien l’œuvre de Lénine, semble avoir beaucoup désappris ! Les conséquences politiques de formes organisationnelles variées peuvent être elles-mêmes très diverses, et les modes de fonctionnement ne sont pas neutres. Ce qui est rétrospectivement ironique, c’est que les deux « hypothèses » mentionnées par Bensaïd ont débouché récemment sur des impasses et des effondrements. Le « parti pluraliste avec droit de tendance » caractérisait – entre autres – le NPA, qui vient d’exploser justement parce que son « canal historique » ne supportait plus le mode de fonctionnement que cela induisait. Quant au Bloco, il ne semblait peut-être pas encore trop malade en 2008, mais pas plus de sept années plus tard, la gangrène bureaucratique et institutionnelle l’emportait définitivement, le transformant en actes en un ennemi des travailleurs/ses, rien de moins.
Sur les formes d’organisation, Sabado est encore moins rigoureux et précis que Bensaïd, une quinzaine d’années plus tard. A la question de M. Dejean, « Il faut trouver une forme intermédiaire entre le parti et le mouvement « gazeux » ? », il répond très évasivement : « Peut-être. Si cette crise du NPA existe, c’est que les modèles doivent être revus. On a un modèle de vote permanent, sur tout, et une histoire, une tradition, déjà dans la Ligue, de ne pas mettre l’accent sur ce qui nous rassemble, mais sur ce qui nous divise. Il faut revenir là-dessus ». Vote permanent, sur tout… Etait-ce là le problème du NPA ? Nous espérons que les articles 1 et 2 ont montré que les problèmes, très sérieux, résidaient ailleurs. La réponse de Sabado ressemble à du bla bla bla… Mettre l’accent sur ce qui nous divise ? Mais, répétons-le, l’histoire du NPA a montré qu’il existait en son sein des divergences stratégiques profondes – et même programmatiques – et que cohabiter impliquait de faire des choix, ce qui divise toujours entre majorité et minorité. De plus, quand on veut qu’un parti large mette l’accent sur ce qui rassemble, que choisir ? L’opposition au néolibéralisme ? On a bien vu qu’on ne pouvait pas aller bien loin dans cette voie, face à un ennemi de classe déterminé à passer en force chaque fois qu’il le faut.
- Partis larges et « strip-tease programmatique préventif »
Répétons-le : le programme d’un parti large qui est composé, même en minorité, d’éléments réformistes ne peut pas aller au-delà du réformisme. Bensaïd ne semblait pas vouloir s’en rendre compte, déjà en 2008. Il dit : « S’il parvenait à rassembler des partenaires significatifs, un nouveau parti impliquerait sans doute des compromis. Mais les compromis ne sont pas préventifs. Ils ne sont pas un point de départ ou un préalable, mais au contraire l’aboutissement de discussions et de confrontations franches et loyales. Nous ne demandons à personne à l’entrée de ce processus de renoncer à son histoire ou de renier ses convictions. Personne, réciproquement, ne saurait exiger de nous un strip-tease programmatique préventif, et nous n’avons pas nous-mêmes à changer d’habits et à nous travestir ». Pas de « strip-tease programmatique » nécessaire à l’avance ? Mais nous avons pointé (dans l’article 2) les incohérences programmatiques du NPA qui, peu après ces propos de Bensaïd, étaient censées permettre au nouveau parti d’intégrer des militant.es d’origine diverse, certain.es n’étant pas convaincu.es de la nécessité d’une voix révolutionnaire et insurrectionnelle. Et il est bien évident que plus on agrège vers la droite, plus l’effeuillage programmatique des participant.es de l’extrême gauche à cette aventure doit aller loin. Pour refonder la gauche sur une base antilibérale, avec LFI par exemple, on peut être certain qu’un « Full Monty »[8] de rupture avec le programme révolutionnaire va s’imposer !
- Sabado et la stratégie révolutionnaire
Sabado semble vouloir innover en matière de stratégie révolutionnaire. Il déclare : « La formule que je défends, et qui n’est pas partagée par tous, c’est que le début d’un processus révolutionnaire – pas sa fin – peut passer par un gouvernement de gauche. Le début peut avoir une forme parlementaire. Il faut être sensible à ça, et soutenir tous les pas qui vont dans le bon sens, que ce soit Syriza ou Podemos ». On ne peut pas nier qu’à un moment donné d’un processus révolutionnaire – pourquoi seulement au début d’ailleurs ? – il puisse exister un « gouvernement de gauche ». Mais ce que Sabado ne saisit pas, c’est que, tant que le capitalisme est en place et que l’Etat bourgeois n’a pas été démantelé, un tel gouvernement « de gauche » (avec une multiplicité de nuances possibles) reste un gouvernement bourgeois. Pas forcément un gouvernement de la bourgeoisie. Mais, de toute façon, un gouvernement bourgeois, qui peut avoir des projets progressistes, des idées de réformes, distribuer des revenus aux pauvres, etc. Bourgeois dans le sens où il est pris dans une logique institutionnelle construite par et pour la bourgeoisie, où il est sous sa pression incessante, nationalement et internationalement, parce que la bourgeoisie défend toujours bec et ongles son patrimoine et ses intérêts les plus divers. En ce sens, le gouvernement de la « gauche radicale » de Tsipras restait un gouvernement bourgeois, même si la bourgeoisie, nationale et plus encore internationale, avait décidé de le mettre à genoux. A aucun moment, Tsipras et son gouvernement n’ont envisagé l’appel à l’insurrection populaire pour renverser le capitalisme. Et c’est là tout le drame de gouvernements réformistes ou néo-réformistes : ils veulent à la fois trop et trop peu. Trop, vis-à-vis de la bourgeoisie, pour laquelle rien n’est tolérable de ce qui pourrait remette en cause le statu quo de son infâme système social ; trop peu, parce que ce que veulent les réformistes n’est pas suffisant pour imposer le bouleversement nécessaire. Il faut briser la résistance de la classe nuisible, l’exproprier, la désarmer dans tous les sens du terme. Les réformistes s’arrêtent bien avant.
Et c’est là où le « soutien » préconisé par Sabado n’a aucun sens. Pire, il est contre-productif. Soutenir les pas de Syriza qui vont dans le bon sens ? Mais lesquels ? Avant même d’être au gouvernement, on l’a vu, Syriza faisait des pas en arrière. Elle a continué à reculer entre janvier et juillet 2015, une fois au gouvernement. Sabado est-il amnésique ? N’a-t-il pas assisté à cette terrifiante leçon de choses politiques, avec cette implacable troïka qui avait décidé d’avoir la peau d’un gouvernement qui voulait effectivement faire « des pas » contre l’austérité. Ce gouvernement ne pouvait pas faire ces « pas », parce que l’UE, la BFE, le FMI étaient décidés à l’en empêcher et à le faire plier, tandis que Syriza se refusait à les envoyer au diable, « pro-européenne » convaincue qu’elle était. Par conséquent, les seuls « pas » (en avant) que Syriza a pu faire, c’est de parvenir au gouvernement, et d’y susciter un immense espoir, que la coalition de « gauche radicale » allait elle-même briser, en capitulant devant un pouvoir financier qui, lui, n’a pas peur d’utiliser les grands moyens ! La seule façon d’être utile au prolétariat et aux masses populaires grecques, entre janvier et juillet 2015, c’était, tout en soutenant les luttes et en cherchant à leur offrir des perspectives révolutionnaires, d’expliquer que pour gagner, il fallait aller beaucoup plus loin que Syriza et être déterminé à briser les reins à la bourgeoisie. Le soutien, que la gauche de Syriza et le SU ont apporté au gouvernement Tsipras a eu lieu, mais les masses laborieuses grecques, elles, ont payé cher l’incohérence fondamentale de Syriza et l’attitude de celles et ceux, comme le SU-CI, qui l’ont soutenue alors qu’il fallait agir en opposition de gauche à ce gouvernement.
Sabado aime à se dire marxiste, mais il ne semble pas percevoir les contradictions abyssales d’un parti comme Syriza, et le recul immense que son incohérence a imposé aux masses laborieuses, souffrances matérielles et désespoir réunis. Avec cette « gauche radicale », le peuple grec a subi une défaite majeure. La révolution grecque, à en croire Sabado, aurait donc pu commencer par un gouvernement de gauche (Syriza)… Mais que se passe-t-il si le gouvernement de gauche n’est pas décidé à renverser le capitalisme ? Sous la pression du capital, il capitule, il trahit les travailleurs/ses, voire réprime les grèves (Syriza, Bloco…). Est-ce là une « étape », ou « des pas » dans le sens de la marche révolutionnaire ? Au contraire, cela conduit à la défaite, à la démoralisation, et non à une étape plus avancée du processus révolutionnaire. A vrai dire, pour que l’hypothèse stratégique de Sabado puisse fonctionner, il faudrait que dès le début du processus, le gouvernement soit décidé à aller jusqu’au bout du bout. Il peut s’agir alors de deux types de gouvernements : soit une force authentiquement révolutionnaire, comme les Bolcheviks ; soit des réformistes sincères mais bourrés d’illusions, et qui ne comprennent pas la question de la violence en politique (Allende au Chili). Mais le premier cas a montré qu’au début d’une révolution, les révolutionnaires sont minoritaires – les Bolcheviks ont dû attendre Octobre pour obtenir la majorité dans les soviets – et c’est parfaitement logique : l’éducation politique des masses se fait sans doute vite dans une révolution, mais peu à peu, au feu de la lutte, et celles-ci se radicalisent pendant une phase plus ou moins longue, jusqu’à ce qu’il leur devienne suffisamment clair que la révolution est nécessaire. Le deuxième cas ne sera pas discuté ici, des réformistes jusqu’au-boutistes comme Allende n’étant guère apparu.es récemment.
Sabado conserve des bribes de marxisme révolutionnaire dans ses inventions stratégiques. Mais elles ne lui servent à rien. Il déclare : « ce qui me reste de mon éducation politique, c’est que je ne vois pas comment échapper in fine à une confrontation. On ne peut pas aller graduellement au socialisme. Je ne connais pas d’expérience où les classes dominantes ont cédé le pouvoir de bonne grâce ». C’est indiscutable. Mais justement, ce qui se passe AVANT ce moment-là, cela ne compte pas ? Si le début du processus « révolutionnaire » réel ou potentiel est condamné à l’échec et enterré par l’étape parlementaire et gouvernementale, la question de la confrontation « in fine » ne se posera même pas. S’est-elle posée avec Syriza ? Avec le Bloco ?
Il poursuit : « J’en ai discuté souvent avec Mélenchon. L’idée de révolution citoyenne, qui passerait par le fait de gagner le maximum de positions au sein d’une Assemblée nationale, fait l’impasse sur le moment où l’appareil d’État, policier et militaire, bloque, et où il y a une confrontation. À ce moment, il ne faut pas être prisonnier de l’État. Mélenchon se réclame de Jaurès qui dit lui-même que l’État est « le lieu du rapport de force ». Le problème, c’est que l’État n’est pas neutre. Il est marqué socialement par les intérêts de la bourgeoisie et des classes dominantes. Il faut construire un contre-pouvoir représentant les classes populaires. Une des leçons stratégiques de l’histoire des révolutions, c’est qu’il n’y a pas de grand soir. Il y a un processus de dispute entre les forces politiques dans les institutions et à l’extérieur. L’objectif étant que ceux d’en bas l’emportent sur ceux d’en haut ». Ce qui précède est plutôt juste, même si la discussion sur le « grand soir » nous semble inintéressante. Mais Sabado a-t-il le sentiment qu’il peut convaincre Mélenchon ? Si oui, qu’il explique comment il transformera un politicien réformiste en un révolutionnaire. Sinon, à quoi bon alors imaginer faire un parti commun avec Mélenchon ? Ce qui pose problème, ce n’est pas ce qui précède, mais la non-réponse de Sabado à la question suivante : que se passe-t-il si, dans les institutions, la « gauche large » mène une politique qui désarme les masses et les fait perdre ? Car on ne voit pas de contre-exemple dans toutes les expériences étudiées dans cette série d’articles.
Sur l’expérience accumulée des partis larges
Sabado affirme dans l’interview : « Quant à la gauche révolutionnaire, elle n’a pas réussi à apparaître comme une alternative ».
- Echec historique global de la gauche révolutionnaire ? Mais pourquoi ?
Certes, on constate bien un échec global à ce niveau. Mais si le SU-CI est loin d’être seul en cause dans ce bilan – il existe bien des manières de se tromper en politique –, en prétendant représenter LA 4e Internationale et en étant le regroupement le plus nombreux et le plus implanté mondialement parmi ce qu’une certaine presse présente comme « les héritiers de Trotski » – il joue un des rôles prépondérants de ce côté. Il faut se demander pourquoi la gauche révolutionnaire n’est pas apparue comme une alternative. Or Sabado n’a pas l’air vraiment obsédé par cette question ! Mais, si l’on s’en tient ici à la place qu’a tenue le NPA, à direction majoritairement SU-CI, dans les grandes luttes en France depuis 2009 (comme nous l’avons fait dans l’article 2 de cette série), on observe qu’il n’a servi à rien et que donc, les masses en recherche de solution dans ces luttes n’avaient aucune raison de se tourner vers ce parti. Si l’on considère maintenant les exemples de partis larges analysés dans les articles 3 et 4 de cette série, on a envie de dire à Sabado de balayer d’abord devant sa porte. Alternatif, le chemin suivi à moyen-long terme par le PT et la DS ? Alternative, la solution incarnée par Rifondazione ? Alternative, la voie prise par le Bloco au Portugal, en particulier depuis 2015 ? Alternative et dynamique, Die Linke ? Alternative, la « gauche radicale » incarnée par Syriza, face à l’épreuve du pouvoir ? Alternative, la politique d’alliances et d’appareils menée par Podemos – et ses diverses composantes, dont Anticapitalistas – quelques années à peine après son émergence ? Or, il s’agit, à chaque fois, de cadres politiques voulus, ou au moins acceptés par le SU-CI. Nous pensons au contraire que seule une internationale révolutionnaire constituée de partis marxistes-révolutionnaires implantés dans le prolétariat et les couches opprimées du peuple, et fidèles, notamment, aux principaux enseignements de Lénine et Trotski et pourraient constituer une véritable alternative.
Sur l’analyse du monde contemporain, Sabado concluait : « Malgré toutes ces modifications, ce qui reste – et c’est pourquoi je suis marxiste –, c’est la lutte des classes. C’est le socle fondamental à partir duquel il faut comprendre le monde. Une lutte des classes ouverte, modifiée, élargie, qui ne se réduit pas à la lutte revendicative dans l’entreprise, mais qui se lie aux nouveaux mouvements sociaux et aux luttes intersectionnelles. Sur le fond, c’est la lutte entre les exploités, les opprimés et les possédants ». Certes, mais la question reste de savoir ce que les partis voulus par Sabado et consorts font concrètement dans cette lutte des classes. Retour au paragraphe précédent !
Sabado dit quelques mots sur Podemos et Syriza, mais il a préalablement pris soin de se flatter de « l’histoire d’un courant [le sien] marxiste révolutionnaire, critique et démocratique », en précisant pompeusement : « Démocratique au sens profond : dans les luttes, dans les institutions et dans le parti ». M. Dejean pose la question suivante à Sabado : « Le NPA a pendant un moment regardé avec beaucoup d’intérêt les expériences de Podemos et de Syriza (…) : des organisations fondées sur des mouvements sociaux, et non pas sur des partis traditionnels. Est-ce que vous prendriez encore aujourd’hui ces expériences en exemple ? » Cette question présente un intérêt en soi, mais vaut surtout ici par la non-réponse de Sabado.
- A propos de Podemos
Pour Podemos, celui-ci s’en sort par une sorte de pirouette, en répondant : « On s’intégrait même dedans ! Des amis à nous étaient impliqués dans ces processus. En Espagne, Anticapitalistas a été membre fondatrice de Podemos, avant d’être virée par Pablo Iglesias ». Pourquoi cela relève-t-il de la pirouette, même si ce n’est pas drôle ? Parce que Sabado revient sur la première partie de la question, qui est, de fait, une affirmation servant d’introduction à la vraie question. Le NPA a effectivement « regardé avec beaucoup d’intérêt les expériences de Podemos et de Syriza ». Ce n’est d’ailleurs pas seulement le NPA qui s’intéressait à Podemos et Syriza, mais aussi le SU-CI, qui n’apparait pas dans la réponse de Sabado, si ce n’est sous une double forme, assez mystificatrice : celle « d’amis » d’une part ; de « on », d’autre part. Amis de qui ? Du NPA ? De Sabado ? Pourquoi ne pas dire ce qu’est Anticapitalistas : la section du SU-CI en Espagne ? Le « on » qui s’intégrait dans Podemos, c’était effectivement Anticapitalistas, mais plus largement le SU-CI, derrière sa section espagnole. Ensuite, Sabado profite de l’occasion pour faire savoir que, bien que « membre fondatrice » de Podemos, Anticapitalistas s’est fait « virer » par Pablo Iglesias. A lire Sabado, on aurait presque envie de pleurer ! Alors qu’Anticapitalistas a avalé bien des couleuvres, montrant tant de volonté de construire Podemos et de coopérer avec ses courants majoritaires, quelle injustice ! Mais ce que Sabado, grand défenseur de la démocratie, ne dit évidemment pas, c’est que ses « amis » d’Anticapitalistas avaient exclu un courant militant en son sein, qui se montrait critique vis-à-vis de Podemos. Ce courant s’est ensuite constitué en petit parti indépendant, sous le nom d’IZAR (Izquierda Anticapitalista Revolucionaria). Le SU, malgré son attachement principiel à la démocratie dans le parti – à en croire Sabado – a dit « amen » à la décision autoritaire d’Anticapitalistas, et du coup, IZAR s’est retrouvé dehors.
Mais surtout, en se concentrant sur l’introduction à la question du journaliste, Sabado trouve un moyen de ne pas répondre à la question elle-même. On ne saura pas si Sabado prendrait encore les expériences de Syriza et de Podemos en exemple… Dommage, cela aurait pu être intéressant ! Peut-être que Sabado aurait dû ramer un peu pour s’expliquer. Mais le journaliste n’insiste pas sur ce point.
- Quant à Syriza…
L’artifice utilisé par Sabado pour ne pas répondre à une question délicate – celle du bilan de Podemos – lui permet de faire d’une pierre, deux coups, et de ne pas avoir à tirer des leçons trop délicates à propos de Syriza également. Pour ce qui est de la Grèce, il déclare : « Nous avions aussi des camarades à la direction de Syriza en Grèce. Notre projet était de construire un courant de gauche dans Syriza, une force critique qui pèse dans un mouvement potentiellement amené à gouverner ». On reste pantois en lisant cette réponse. Ce qui est assez hallucinant ici, c’est que Sabado trouve le moyen de ne tirer aucune leçon du cataclysme qui a secoué la Grèce. Pour un peu, il semblerait presque fier de la politique menée, du fait qu’il avait ces « camarades à la direction de Syriza », et du grandiose projet mentionné.
Toutefois, on sent que son cerveau a besoin de fuir la réalité, l’histoire réelle. Le choix des mots ne compte pas pour rien. L’expression utilisée par Sabado, « un mouvement potentiellement amené à gouverner » mérite notre attention. Elle semble indiquer que cette hypothèse d’un gouvernement de Syriza est encore devant nous, que ce gouvernement n’a pas existé, que toute cette tragédie ne s’est pas déroulée. Avant 2015, Syriza ETAIT un mouvement POTENTIELLEMENT amené à gouverner. EN 2015, Syriza ETAIT EN TRAIN de gouverner. Fin 2022, Syriza AVAIT DEJA gouverné. Ce passage par des éléments linguistiques de base semble s’imposer ici. Rester dans l’énoncé d’une hypothèse, comme le fait Sabado, c’est sans doute une façon de ne pas avoir à tirer les leçons de ce qui s’est effectivement déroulé, et qui est si douloureux ! Donc il fuit, et sa tournure alambiquée signale un phénomène de déni de réalité. Voilà ce qui, de manière générale, prime dans la direction du SU-CI, et que nous dénonçons tout au long de ces articles : un refus de regarder en face la politique qui a été menée et le type d’histoire qu’elle a contribué à produire. Poursuivons : quelle a été la politique menée par Syriza, et par sa « gauche » en 2015 ? Les lecteurs/trices de Mediapart pourraient juger intéressant d’y revenir, peut-être ! Quelles leçons en tire Sabado ? Aucune, apparemment. Ou en tout cas, il ne veut pas en parler ! Il pourrait user de la langue de bois, afficher une sorte d’humilité euphémique, déclarer par exemple que… la politique menée par le SU n’a pas été couronnée de tout le succès espéré… Même pas. L’interview ne dira pas ce qui s’est passé et les leçons qu’en ont tirées Sabado et le SU. Ce qui est sûr, à lire cette interview, c’est qu’ils n’en ont pas tiré les bonnes leçons, si toutefois ils en ont tirées !
Effectivement, le projet de la direction du SU était bien celui qu’indique Sabado, comme on l’a dit plus haut. Et comme ce parti a été (pas seulement « potentiellement ») amené à gouverner, les groupes formant la « gauche de Syriza », dont les supporters du SU, étaient destinés à participer au gouvernement de Syriza et/ou à le soutenir. Ce que ces groupes ont fait. Sabado se garde bien de signaler ici que le SU avait une section grecque, l’OKDE-Spartakos, qui était opposée à cette orientation, et qui défendait contre la direction du SU le maintien d’une voie révolutionnaire, notamment en participant à l’alliance anticapitaliste Antarsya. Contre la volonté de sa section grecque, le SU a donc bricolé une politique opposée à celle-ci. Mais en reconnaissant ces faits, Sabado rendrait peut-être moins crédibles ses propos insistants sur la démocratie comme valeur cardinale de son courant politique. Etait-ce démocratique – et même simplement statutaire – de « bypasser » de la sorte l’OKDE-Spartakos, sa section nationale, de l’invisibiliser et, au lieu de la soutenir, de soutenir l’intervention dans Syriza ?
Rappelons à nos lecteurs/trices la politique alternative proposée par la section grecque du SU et largement tue par celui-ci. Antarsya s’était formé en 2009, regroupant 10 organisations issues du maoïsme et du trotskisme, dont l’OKDE-Spartakos. Antarsya n’avait obtenu que 0,36% des voix en 2009, puis 1,19% en 2012, victime du « vote utile » pour Syriza et n’obtenant pas les 3% nécessaires à une représentation au parlement. Contrairement à Syriza, Antarsya avance, non seulement l’annulation de la dette, mais aussi la nationalisation sous contrôle ouvrier des banques et des grandes entreprises, et, de façon cohérente, exige la sortie de l’euro et de l’UE. Antarsya prône l’auto-organisation des luttes et la prise en main de celles-ci par les travailleurs/ses. Au sein d’Antarsya, l’OKDE-Spartakos va encore plus loin et défend la prise du pouvoir par les travailleurs/euses, l’expropriation pure et simple des banques et grandes sociétés capitalistes ; et, au-delà de l’UE, la rupture avec la totalité des institutions bourgeoises. Une orientation révolutionnaire, qui s’oppose de façon très nette aux positions floues et mollassonnes du SU et de la gauche de Syriza. Mais au lieu de débattre de façon scrupuleuse et fraternelle avec l’OKDE-Spartakos, la majorité du SU va chercher à l’invisibiliser, puis à la calomnier ! Pour les élections parlementaires de mai 2012, la direction du SU ne soutient pas sa section grecque, elle ne la consulte même pas, elle la boycotte. Ne parvenant ni à convaincre, ni à contraindre l’OKDE-Spartakos à s’allier à Syriza, et vu que la section grecque du SU est déjà engagée dans Antarsya, le SU décide de soutenir Syriza et de suivre, contre le choix de sa section, les militant.es qui se retrouvent dans Syriza, leur offrant un statut de sympathisant.es du SU. Contre ce coup de force, l’OKDE-Spartakos émet des protestations et prévient de façon clairement politique : « Il est clair que les objectifs politiques de SYRIZA demeurent définitivement dans le cadre du capitalisme et de la démocratie bourgeoise ».
Pendant plusieurs années, jusqu’au tremblement de terre du 13 juillet 2015 – et sans doute au-delà – les dirigeant.es du SU, sourds à cet avertissement ô combien lucide, et empétré.es dans ce qui fonctionnait maintenant clairement comme un dogme – rester dans le cadre politique des partis larges – se sont comporté.es de façon sectaire et malhonnête, poussant le bouchon jusqu’à traiter les militant.es de l’OKDE-Spartakos de contre-révolutionnaires ! Un comble ! Et un vilain relent d’insulte stalinienne, de la part des « trotskistes » de LA 4e Internationale ! Les dirigeant.es du SU n’ont pas, par contre, été avares de louanges vis-à-vis de Syriza, longtemps présentée par elles et eux comme un modèle d’organisation « anti-austérité ». Les inventifs/ves penseurs/ses à la tête du SUQI sont même allé.es jusqu’à présenter le gouvernement de Syriza formé en 2015 comme un « gouvernement anti-austérité ». Un concept bien peu marxiste, à dire vrai, et qui n’a même pas pris six mois à révéler sa totale vacuité. Ce concept flasque visait à la fois à apporter une justification à bon compte à l’opportunisme sans rivage du SU et à camoufler la « dé-radicalisation » réelle de Syriza avant même janvier 2015, et ses reculs progressifs face à la troïka jusqu’au cataclysme de juillet 2015. De même, l’alliance de Syriza avec le parti bourgeois ANEL n’a pas attiré l’attention et les critiques nécessaires des penseurs/ses anti-austéritaires de choc à la tête du SU.
Voilà une partie au moins de ce que les lecteurs/trices de Mediapart n’auront pas eu l’heur d’apprendre de l’interview de Sabado. Une réalité bien lamentable, à l’opposé des semi-fanfaronnades et des « trous de mémoire » par trop opportuns de celui-ci.
Sabado et l’éclatement du NPA
Mais le cœur de l’interview tourne logiquement autour du NPA et de son éclatement. Il revient d’abord sur les conditions de formation du NPA, suite aux succès électoraux de Besancenot et de la dynamique qui existait : « des milliers de gens viennent à nous, mais ils sont dubitatifs et la Ligue reste à 3 500 militants. On sentait qu’il y avait un courant qui dépassait la Ligue, mais qui ne restait pas. Il fallait le cristalliser ». Il ajoute : « On s’est alors dit que le moment était venu d’un nouveau parti ».
- Sabado analyse à sa façon l’échec du NPA
L’autocritique de Sabado porte, non pas sur le bien-fondé de cette démarche, mais sur une sorte d’abcès de fixation sur le nouveau parti et lui seul. Il déclare exactement, à propos du lancement du NPA : « on a tutoyé les 10 000 cartes, c’était un joyeux bordel, il y avait une vraie dynamique ». Voilà pour l’état d’esprit de la direction de la LCR en 2007-2009, et le rappel de ce bon vieux temps. C’est la suite du propos de Sabado, qui se veut autocritique, et qui est moins claire. Il ajoute aussitôt : « Nous avons fait une erreur de contournement, de substitutisme : l’important était de fédérer autour de nous. Du coup, nous n’avons pas vu venir l’initiative de Mélenchon ». Tentons de décrypter : on comprend que pour Sabado, le lancement du NPA était une bonne chose, mais qu’il fallait ne pas se focaliser sur le seul nouveau parti, mais regarder plus largement autour. Il précise ailleurs : « aux questions posées par la nouvelle époque, cette réponse conjoncturelle du nouveau parti n’était pas suffisante. On s’est trompés de perspective. Ce qui se passait autour des campagnes Besancenot en 2002 et en 2007 ne pouvait pas constituer le nouveau parti, ça ne pouvait être qu’un segment. Mais il fallait bouger ».
Autrement dit, l’erreur de « perspective », c’est d’avoir pris le segment pour le tout. En d’autres termes, ce qui s’est construit avec le NPA, ce ne pouvait être qu’une partie d’un tout – ce que n’ont alors pas compris Sabado et les autres fondateurs/trices du NPA – mais le reste de ce tout a manqué. Qu’était-ce donc que le reste de ce tout ? Sabado donne ces nouveaux éléments de réponse : « je pense toujours que nous avons eu raison de lancer le NPA pour dépasser la Ligue. Mais on a pensé qu’à partir de là, il fallait tout reconstruire autour du NPA. Le problème des alliances devenait second. C’était un cours triomphaliste du NPA. Cette tendance à vouloir se substituer aux forces politiques de gauche n’a pas marché. C’est là que les problèmes ont commencé ». On arrive ici au cœur de la réponse de Sabado. C’est l’idée que le NPA n’aurait pas dû « se substituer » aux autres forces politiques de gauche, et qu’il fallait élaborer des alliances. Sabado, en quelque sorte, critique une grenouille-NPA qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Mais de quel gros bovin s’agissait-il exactement ? Etait-ce toute la gauche ? L’ensemble de la gauche moins la gauche social-libérale ? Connaissant les fondamentaux du NPA, sur lesquels nous sommes revenus dans le deuxième article de cette série, on penche pour cette dernière réponse. La conclusion qui s’impose à la lecture de tout ceci, c’est donc que le NPA aurait dû sortir de ce « cours triomphaliste » en intégrant le Front de gauche ? Sabado refuse de le dire aussi nettement, mais au fond c’est ce qu’il pense.
C’est d’ailleurs le sens de la question que pose M. Dejean immédiatement après : « Un courant de la LCR, celui de Christian Picquet et de Francis Sitel, estimait à l’époque qu’il fallait regrouper non seulement les anticapitalistes, mais aussi des courants issus de la crise du PS et du PC… ». Sabado rétorque : « C’était le point de vérité de leur argumentation. Le point faux, c’est qu’on s’acheminait vers une nouvelle époque, et que les appareils traditionnels entraient en crise – ce que la suite a prouvé. Cette orientation vers les vieux appareils traditionnels du mouvement ouvrier était une erreur. La nôtre a été une erreur de contournement, de substitutisme ». Autrement dit, pour Sabado, le courant de Picquet et Sitel, qui allait quitter le NPA seulement au bout de quelques mois, en juin 2009, avait en partie raison, mais aussi en partie tort, en ce qu’il concevait trop la recomposition du mouvement ouvrier en fonction des vieux appareils (comme le PCF). A lire cela, connaissant les tensions entre ce courant et la direction de la LCR dans les dernières années de sa vie, on perçoit que Sabado refuse d’avoir l’air trop d’accord avec Picquet et Sitel… Mais au fond, Sabado semble vraiment regretter d’avoir loupé le coche du lancement du Front de gauche par le PG de Mélenchon et PCF : « Ils sont apparus comme unitaires, là où nous avions refusé de l’être. J’ai une responsabilité là-dedans ». C’est là ce qui est au cœur de la seule autocritique qu’on trouvera dans l’interview de Sabado. Elle ne va vraiment pas dans le bon sens : elle signifie que Sabado, encore bien plus opportuniste maintenant qu’il ne l’était en 2009, regrette d’avoir été insuffisamment droitier alors.
Il ajoute encore : « Le NPA ne pouvait pas être la réponse à l’idée d’un nouveau parti. Ce ne pouvait être qu’une réponse partielle. On a perdu beaucoup de militants. Nous avons été sous la pression de l’offensive politique du PCF et de Mélenchon ». On se demande ici ce que Sabado refuse de dire clairement : aurait-il fallu contrer cette offensive en y cédant ? Dit autrement : aurait-il fallu faire dès 2009 ce que le NPA « canal historique » (PfB) fait maintenant avec LFI ? Il est évident que c’est là ce que pense Sabado, et avec lui la direction actuelle du CI. D’autant plus qu’il dit de Mélenchon et de sa campagne de 2022 : à part la divergence à propos de l’Ukraine, « il a fait une bonne campagne et a eu une bonne intuition avec la Nupes. Les conditions n’étaient pas réunies pour que le NPA en fasse partie, mais politiquement, c’est ce vers quoi il fallait s’orienter. C’est évident que c’était positif ». Au fond, quand Sabado dit la NUPES, ça va dans le bon sens, ne dit-il pas à peu près la même chose que ce que disaient Picquet et Sitel en 2009 ? Voire pire : dans la NUPES, il y a le PS, un parti bourgeois de sinistre mémoire, qui a cassé tant d’acquis sociaux, privatisé tant d’entreprises publiques, etc. et dont même les courants les plus droitiers de la LCR et du NPA ont toujours voulu se démarquer…
- L’avenir de l’ex-NPA selon Sabado
Mathieu Dejean demande à Sabado : « Que va devenir la moitié du NPA avec Olivier Besancenot et Philippe Poutou ? ». Observons que le journaliste semble se moquer intégralement de l’autre moitié !… Il a certainement sur ce point la même approche que Sabado, qui ne veut voir dans les courants de gauche du NPA que des « sectes ». Sa réponse, guère surprenante, est la suivante : « Je l’ignore, mais dans la situation générale de changement d’époque pour la gauche et la gauche révolutionnaire, compte tenu du danger que représente l’extrême droite libéralo-fasciste, il faut qu’il se vive comme un courant marxiste révolutionnaire, démocratique et unitaire. Et unitaire pour 1 000 ! Le NPA, avec d’autres, a un rôle dans la construction d’une nouvelle force politique ». Unitaire pour 1000 ? Mais pour faire quoi ? Le vocable d’« unitaire », élément de langage vénéré du côté du SU-CI, a presque toujours pour fonction de brouiller les pistes, comme on l’a signalé dans les deux premiers articles de cette série. Unitaire, comment ? Rassembler pour favoriser l’ampleur des luttes à mener, dans un cadre de front unique, notamment face aux dangers de cette extrême droite, un vrai parti révolutionnaire le ferait aussi. Mais on voit ressurgir la vieille embrouille « unitariste » : il s’agit de créer « une nouvelle force politique ». Sur quel programme ? On connait trop bien la réponse : ce sera nécessairement une force politique plus à droite que le NPA. Sinon, pourquoi la PfB aurait-elle tant tenu à rompre avec les courants de gauche du NPA ? Sera-ce un parti au réformisme assumé ? Ou pas encore tout à fait ? Nous verrons bien, mais voilà ce vers quoi les grand.es stratèges du CI et de la PfB veulent se diriger.
Une Internationale complètement à la dérive
- Le SU-CI plus à droite que le NPA
L’objectif d’un rapprochement avec LFI est clairement ce qui est en jeu. Un rapprochement politique de toute façon, et organisationnel aussi. Mais sur ce point ni Sabado ni les scissionnistes de la PfB ne semblent avoir de projet précis à ce jour. C’est si vrai que Sabado éprouve le besoin de gommer encore plus les frontières entre la droite scissionniste du NPA et le parti de Mélenchon. Il déclare notamment dans l’interview : « Dans la dernière campagne, la divergence avec Mélenchon portait sur l’Ukraine ». Certes, tout le monde a pu constater la divergence entre Poutou et Mélenchon sur cette question. Certes, il ne s’agit ici que des thèmes d’une campagne électorale, et pas des partis en général. Mais dire que c’était la seule divergence est de nature à agacer même les éléments les plus droitiers du NPA « canal historique », car ceux-ci restent, malgré tout, fiers de leur identité politique. Mais ailleurs, Sabado insiste sur l’importance de la démocratie, tempérant la précédente affirmation : « C’est un des problèmes avec Jean-Luc Mélenchon, ainsi que la question internationale ». Mais il est obligé de relativiser son propos : « notre fonctionnement démocratique n’était pas supérieur aux autres – nos récents déboires en témoignent – mais, pour continuer le combat, il faut intégrer cette question »[9].
Si on lit, ou relit, le programme de ce qu’était la LCR en 1977[10], et qu’on en compare le contenu avec les propos actuels de Sabado – qui était à l’époque un des dirigeants de la LCR – on est atterré par la distance parcourue de la gauche vers la droite. Quelle dégringolade ! Quelle déconfiture !
On constate finalement que Sabado – et le SU-CI avec lui – est plus à droite que même la plus grande partie de la PfB scissionniste du NPA. Et cela n’a rien d’étonnant si l’on sait que dans la section française du CI actuel, on trouve des adhérent.es appartenant au NPA, mais d’autres aussi à LFI (via « Ensemble ! » puis aujourd’hui la GES, Gauche Ecosocialiste)[11]. Tout ce petit monde dans le même bain ! On sent venir de façon imminente – à moins que ce ne soit déjà fait – d’émouvantes retrouvailles avec celles et ceux de la GA (qui ont tenté de piquer la caisse du NPA en 2012 pour s’en servir dans le FdG) ! Au cœur du projet de nouvelle force politique en France, dans la mouvance idéologique du SU-CI, il y a en tout premier lieu, bien sûr, le rapprochement entre les membres du SU-CI au NPA et celles et ceux qui l’ont quitté et/ou se retrouvent aujourd’hui à la GES et LFI. Ces courants droitiers sont depuis lors devenus clairement réformistes, même s’ils aiment à se parer de vertus « écosocialistes », féministes etc. Ce rapprochement entre ancien.nes et nouveaux/elles opportunistes en rupture de NPA a commencé : cela se constate déjà notamment dans des manifestations. Il implique forcément des éléments programmatiques et stratégiques plus à droite que ce qu’était le NPA, même dans sa version PfB. Il n’est conçu que comme une première étape – qui prendra quelles formes, à quels rythmes, nous l’ignorons encore – vers un regroupement plus large, et sans doute encore plus à droite, car on voit mal, à ce niveau, qui, si on scrute vers la gauche, pourrait être intéressé par cette cuisine.
Ce qu’il faut retenir, en tout cas, c’est que le SU-CI est un élément clé de toute cette évolution droitière et que son influence dans le NPA n’est pas pour rien dans l’éclatement qui vient d’avoir lieu.
- De nouvelles catastrophes prévisibles
Voilà donc ce qui se profile à court terme du côté du NPA « canal historique ». Pour notre part, nous pensons qu’un pas qualitatif a été franchi, sorte de métamorphose par laquelle la quantité se mue en qualité, et cette évolution vers la droite confirme qu’il vain d’espérer que le SU-CI, et en son sein le courant de la PfU, puisse retrouver un jour un cours vraiment révolutionnaire.
On a d’ailleurs toutes les raisons d’être plus qu’inquiet à propos du devenir du PSOL au Brésil, qui s’est unifié sur le principe d’un soutien au gouvernement Lula-Alckmin, avec participation de membres du parti au gouvernement[12]. Quand on sait que le CI reconnait aujourd’hui quatre sections au Brésil – Comuna, Insurgência, Subverta, et le MES – toutes présentes intégrantes du PSOL[13], et est aussi en discussion avec d’autres, on ne peut que constater que le SU-CI, vingt ans après le pourrissement de la DS, n’en a tiré aucune leçon salutaire. On a toutes les raisons de s’alarmer de l’évolution du PSOL, parti aujourd’hui réformiste incluant des éléments centristes. Avec un tel positionnement, de nouvelles catastrophes, pas seulement dans les idées, mais dans les faits, sont à attendre au Brésil.
De manière générale, il est fort à craindre que la stratégie funeste adoptée par le SU en 1995 continue d’apporter son lot de calamités, de naufrages politiques et de trahisons de classe, ailleurs encore qu’en France et au Brésil. Espérons, dans l’immédiat, qu’en France et au Brésil au moins, le plus possible de militant.es individuellement, voire de petits courants – il n’est guère réaliste d’espérer plus – prennent conscience de tout ce gâchis politique et militant et rompent avec le SU et sa démarche calamiteuse.
- Rompre avec le SU-CI, construire des partis et une internationale révolutionnaires
L’expérience concrète, par la mise en œuvre du changement stratégique et des orientations décidées par le SU en 1995, a eu un effet rétroactif parfaitement déplorable sur le SU-CI lui-même et ses sections. Les expériences analysées dans cette série d’articles ont elles-mêmes contribué à faire du SU-CI, non plus une organisation révolutionnaire, mais un regroupement international dominé par une démarche réformiste, où l’on trouve encore des éléments centristes (mais ceux-ci sont minoritaires et sont happés par la dynamique générale). Cette mouvance politique et organisationnelle totalement à la dérive refuse obstinément de tirer les leçons, engrange échecs sur cataclysmes, dans une spirale descendante qui ne semble pas devoir s’arrêter. Sa dégénérescence est un processus qui s’autoalimente, s’amplifie et, sans doute, s’accélère, dans le sens d’un naufrage complet, beaucoup plus visible de l’extérieur.
Pour ce courant international, le NPA devait être un parti large. D’ailleurs, certains dirigeant.es du SU dans le NPA en gestation n’hésitaient pas à expliquer que le nouveau parti n’était pas conçu comme un parti pour la prise du pouvoir. Mais si on ne construit pas un parti « pour la prise du pouvoir », que construit-on, si ce n’est un parti qui ne pourra ni ne voudra faire la révolution socialiste ? Si ce parti ne prend pas le pouvoir, qui le prendra ? Ou plutôt qui le gardera ? La réponse est tristement claire : la bourgeoisie ! Tout cela a une cohérence interne diabolique : c’est parce que le SU-CI a cessé de croire à l’actualité de la révolution socialiste qu’il a adopté le principe de partis non conçus pour la prise du pouvoir par le prolétariat, et il maintient cette orientation, qui éloigne toujours plus de la prise du pouvoir, reportée aux calendes grecques…
La politique de dilution avec le réformisme est calamiteuse. Elle englue des militant.es, au départ révolutionnaires sincères, dans des partis ou des fronts incapables d’aider les travailleurs/ses à avancer vers la prise du pouvoir, car ce n’est pas l’objectif de ces forces politiques. Lorsque certain.es en leur sein s’en rendent compte, c’est trop tard, la défaite est consommée (comme avec Syriza) ; et/ou le parti a dégénéré en un appareil pour opportunistes et politiciens professionnels perdus à jamais pour la révolution (Bloco). Le CI n’en tire aucune leçon sérieuse et honnête. Et – quel dommage pour lui, semble-t-il ! – le NPA n’avait pas pu, jusqu’ici, être définitivement frappé par les maladies dégénératives mortelles qui ont terrassé, comme parti de l’espoir populaire, le PT (et sa section la DS) ; tué le PRC et gravement handicapée le SU en Italie ; fait pourrir le Bloco et le SU-CI lui-même au Portugal ; laissé en Allemagne végéter et s’étioler sans perspective l’ISO, embourbée dans un parti large, Die Linke, lui-même en crise ; conduit Syriza à la capitulation et à la trahison de classe, menant à l’impuissance – voire la complicité – ses courants de gauche, dont ceux en lien avec le SU-CI ; et débouché sur la dégénérescence rapide et profondément décourageante de Podemos, larguant Anticapitalistas comme on jette sur le bas-côté de la route une roue de secours déjà crevée. Le NPA était un parti en crise mais son évolution lui avait épargné les turpitudes résumées ci-dessus. C’est pourquoi il a été poignardé dans le dos par son « canal historique ». Le NPA, fierté du SU au début, était devenu pour lui un contre-exemple, un parti large raté ! L’opération réalisée par Poutou, Besancenot, Poupin et consorts « normalise » donc la situation du NPA, en particulier par rapport aux autres sections européennes du SU-CI, et à la volonté de sa direction internationale.
Comme disait Einstein, « LA FOLIE, c’est de toujours faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». La politique de l’union avec les réformistes et des partis larges ne cesse de prouver son caractère calamiteux. Mais il semble que pour le SU-CI, il faille la poursuivre à tout prix et partout ! La direction du SU-CI est-elle donc folle, ainsi que celle de la PfB ? A en croire Einstein, on pourrait le penser. Mais le psychologisme n’est pas d’une grande aide ici. A quoi est due une telle persévérance dans l’échec ? Cela mériterait une étude plus complète et plus détaillée. Mais dans l’immédiat, pensons à organiser travailleurs/ses et opprimé.es sur une base révolutionnaire claire, et incitons celles et ceux qui sont encore dans la mouvance du SU-CI à quitter cette pétaudière pour construire des partis et une internationale qui n’ont pas renoncé à la révolution !
[1] Le Secrétariat Unifié de la 4e Internationale (SU ou SUQI, courant historique incarné par Ernest Mandel puis Daniel Bensaïd), a pris plus récemment le nom de Comité International (CI). Ce courant parle de lui comme étant LA 4e Internationale, ce qui est bien sûr contesté par les autres courants internationaux se réclamant du trotskisme. Cette prétention du SU-CI est d’autant plus frauduleuse que ce sont des pans entiers du trotskisme qui ont été jetés par-dessus bord, depuis fort longtemps dans la pratique, mais tout particulièrement après 1995 dans la théorie. Avec les conséquences des choix de construction faits en faveur des partis larges, ou fronts politiques, des révolutionnaires, réel.les ou prétendu.es, et des réformistes assumé.es. Une lourde erreur qui a montré à quelles débâcles elle conduisait. En ne prenant que des exemples assez récents, on pense ici, en particulier, à la débâcle de Rifondazione en Italie, au naufrage de Syriza en Grèce en 2015 (dont nous disons plus bas quelques mots), à la « normalisation » de Podemos en Espagne, et à l’intégration du Bloco de Esquerda dans les institutions bourgeoises au Portugal.
[2] https://www.mediapart.fr/journal/politique/241222/scission-du-npa-un-changement-d-epoque-pour-la-gauche-revolutionnaire. Toutes les citations de F. Sabado et de M. Dejean dans le présent article sont issues de cette interview.
[3] C’est le cas au Royaume-Uni, par exemple.
[4] Dans une interview à Libération, Poutou répond ainsi à la question de l’identité politique et partisane : « Continuez-vous de vous réclamer du trotskisme ? Et de l’extrême gauche ? Je ne le revendique plus. Le trotskisme, c’est du marxisme, mais à une époque très particulière qui correspond à la lutte antistalinienne. Aujourd’hui, on n’est plus du tout là-dedans. Le NPA n’est pas un parti trotskiste. On n’a pas complètement réussi ce qu’on voulait faire, mais notre ambition de départ était de construire un parti qui réunisse différentes traditions militantes : des libertaires, des trotskistes, des communistes révolutionnaires… L’étiquette extrême gauche ne me gêne pas, mais je préfère me dire anticapitaliste ou révolutionnaire. Après, cela voudrait dire que nous sommes les plus éloignés de l’extrême droite sur l’échiquier. Ce n’est pas pour me déplaire ».
[5] M. Dejean formule la question suivante : « Pourtant, contrairement à certaines fractions qui ont conduit à l’éclatement du NPA aujourd’hui, dès 1968 la JCR s’est distinguée des organisations d’extrême gauche par le fait qu’elle n’était pas dogmatique ». On sent bien ici que Sabado a un interviewer tout conquis ! Mais, en n’hésitant pas à faire porter la responsabilité de l’éclatement du NPA sur ces fractions, le journaliste en question ne fait que reprendre sans aucun recul le discours du « canal historique » du NPA, et il ne fait pas de la bonne information. Nous avons insisté dans l’article 1 de cette série sur la façon dont la rupture s’est réellement produite. Ensuite, il faudrait bien préciser ce que veut dire ne pas être dogmatique. Qu’est-ce qui est considéré comme un dogme – et qui ne l’est pas forcément – et quels dogmes faut-il éviter ?
[6] https://www.cairn.info/revue-lignes-2008-1-page-83.htm – Nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti. Daniel Bensaïd, M. Surya. Dans Lignes 2008/1 (n° 25), pages 83 à 101.
[7] Idem.
[8] « The Full Monty » (Le Grand Jeu) estun film britannique réalisé par Peter Cattaneo et sorti en 1997. On y voit des chômeurs du nord de l’Angleterre monter un spectacle de strip-tease masculin pour tenter de sortir de la dèche et payer leurs dettes.
[9] Sabado dit à propos du principal dirigeant LFI après Mélenchon : « Les déclarations de Manuel Bompard selon lesquelles, par souci d’efficacité, le vote interne est secondaire, je ne suis pas d’accord. On vote peut-être trop souvent au NPA, ce qui pousse au clivage, mais il faut tout de même voter pour les dirigeants et sur l’orientation. On ne va pas faire une orientation au tirage au sort ! La fragilité de LFI est aussi plus profonde : un projet politique ne peut être résumé en un seul livre ».
[10] Programme intitulé : « Oui, le socialisme ! », Editions Maspero, 1977.
[11] Voir https://gauche-ecosocialiste.org/
[12] Lire à ce sujet deux articles récents du PSTU polémiquant avec ce positionnement: https://litci.org/fr/2022/12/19/sur-le-psol-et-sa-relation-avec-le-nouveau-gouvernement-du-pt/ et : https://litci.org/fr/2022/12/19/le-psol-uni-dans-son-soutien-au-gouvernement-lula-alckmin/
[13] PSOL : Parti socialisme et liberté, fondé en 2004 suite à une rupture de quelques courants et parcelles de courants avec le PT. Cf : https://fourth.international/fr/organisations