Comme cela a été souvent le cas depuis un an et demi, l’opinion publique s’est polarisée dans des camps opposés à partir de l’existence même du virus et de ses conséquences mortelles et invalidantes. Nous sommes donc tous devenus négationnistes ou non, réductionnistes ou non, pro et anti-vaccins, masques, green pass, confinements, auto-certifications, etc. [1] Le résultat est que, à première vue, des sujets politiques et sociaux différents, voire ennemis, se sont retrouvés à piétiner le même camp, mettant dans le camp opposé ceux qui ont été habituellement des compagnons de lutte dans tant de batailles.
Diego Bossi, ouvrier chez Pirelli, Parti d’Alternative Communiste, la section italienne de la LIT-QI.
17 septembre 2021
Au-delà de la banalisation
Pour simplifier, au point de banaliser l’argument, l’explication pourrait être d’une simplicité arithmétique : videz un paquet de billes de couleur dans deux récipients et vous remarquerez que dans les deux récipients il y aura des billes de chaque couleur. Mais il s’agit d’une banalisation que nous ne pouvons pas nous permettre dans l’analyse de classe des dynamiques sociales, car une position politique ne peut se réduire à une image figée de ses conclusions pratiques finales (oui ou non, pour ou contre…) mais contient tout le cheminement logique qui y a conduit. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons comprendre que des positions apparemment similaires – ou présentées comme telles – sont en réalité différentes et visent des objectifs différents. Si nous devions comparer les images d’un lever de soleil et d’un coucher, nous ne pourrions probablement pas les distinguer, mais cette fausse ressemblance, faite de couleurs et de nuances presque identiques, cache en réalité deux cieux aux antipodes : le début et la fin ; l’arrivée de la lumière et l’arrivée de l’obscurité ; l’éveil et le sommeil. C’est justement là le problème : il faut argumenter le processus logique qui conduit à un « pour » ou à un « contre », sinon le risque que nous courons est de cristalliser les positions sur le terrain et de les diviser en monoblocs opposés : si je critique le green pass, je suis assigné automatiquement et sans distinction à l’équipe « No green pass » ; si, en revanche, je me prononce en faveur des vaccins, je me retrouve dans l’équipe « Pro green pass ». Mais est-ce vraiment le cas ? Non, et dans le débat très controversé sur le green pass – un débat complémentaire et indissociable du débat sur les vaccins – dans lequel opposants et partisans sont engagés dans une lutte sans merci, nous tenterons de délimiter le périmètre de notre position, qui non seulement se situe à une distance considérable des deux camps, mais est orientée vers des objectifs différents. Très différents.
L’équipe des partisans du green pass comme condition préalable à l’accès au travail et aux lieux de culture et de vie sociale est composée de la bourgeoisie industrielle dirigée par la Confindustria, le gouvernement, et la direction des principaux syndicats, une alliance que les travailleurs connaissent bien et dont ils sont à la merci depuis des décennies ; l’équipe des opposants au green pass est constituée d’une base petite-bourgeoise qui est en colère parce qu’elle a payé cher ces derniers mois les attaques du gouvernement bourgeois, des formations populistes d’extrême droite qui surfent historiquement sur le mécontentement de la petite-bourgeoisie, et de toute une série d’autres formations, plus ou moins organisées, qui se réfèrent à l’anarchisme et à l’autonomie. La polarisation s’est reflétée également dans les syndicats, comme c’est normal. C’est pourquoi nous pensons qu’il est important d’exprimer notre critique des deux « pôles » et d’expliquer aux travailleurs comment nous le voyons.
Que se cache-t-il derrière le green pass ?
Contrairement à ceux qui critiquent le green pass à partir des positions No Vax, qui dénoncent le laissez-passer comme un outil de chantage et de libéralisme pour introduire, en fait, une obligation vaccinale non exprimée formellement, nous prônons une vaccination massive de tous les travailleurs, seule mesure capable de protéger contre les effets graves du Covid 19. La vaccination de masse est loin d’être une réalité, car la production et la distribution des vaccins dans le système capitaliste ne visent pas à répondre aux besoins de la population (protection contre les risques d’une maladie dangereuse), mais à la logique du marché et aux exigences de profit des capitalistes pharmaceutiques. Partant de cette hypothèse, nous considérons que le green pass, tout comme les protocoles de sécurité, n’est rien d’autre qu’un outil de propagande des patrons et de leur gouvernement pour justifier la poursuite de la production industrielle et l’achat et la vente de marchandises.
C’est pourquoi le green pass est délivré avec une dose unique d’un vaccin qui nécessite deux doses (donc délivré à des personnes non vaccinées) ou avec le résultat négatif d’un écouvillonnage rapide notoirement peu fiable : preuve qu’il n’a pas été conçu pour garantir la sécurité de la population. Et tout ça avec le variant Delta plus contagieux et plus agressif, même envers les jeunes et les très jeunes et dans un contexte de réouverture totale de toutes les activités. Le cas des écoles est emblématique : le green pass est obligatoire pour les travailleurs (qui étaient déjà vaccinés à 90 %) et non pour les élèves qui constituent la grande majorité des personnes qui se pressent chaque jour dans les bâtiments scolaires. Où se trouve la réouverture en sécurité ? N’est-il pas clair que le gouvernement utilise le green pass comme de la poudre aux yeux, en essayant de détourner l’attention du fait qu’il n’a fait aucun investissement structurel dans la sécurité des écoles ?
C’est ça le green pass, un outil de propagande destiné à fournir à la bourgeoisie une motivation à brandir devant les travailleurs pour qu’ils continuent à aller produire dans les usines et sur les lieux de travail, un moyen de leur faire porter la responsabilité de la contagion sous l’alibi d’une loi, un dispositif idéologique qui instillera dans les masses une perception très dangereuse de fausse sécurité. Le green pass est maintenant colporté par les responsables des conséquences tragiques du Covid 19 et de l’hécatombe prolétarienne qui a décimé toute une génération ; par ceux qui sont également responsables de la poursuite de la pandémie. Indépendamment de ce laissez-passer, les travailleurs doivent continuer à faire preuve de la plus grande prudence, en se faisant vacciner et en prenant toutes les mesures sanitaires pour contenir la contagion en amont, comme se tenir à distance, porter le masque et se désinfecter les mains fréquemment, et signaler toute situation dangereuse pouvant donner lieu à des foyers de contagion.
Soyons clairs : les 4,5 millions de décès (chiffres officiels : certaines estimations parlent de 15 millions) ne sont pas dus au virus lui-même, mais à l’incapacité d’un système pourri et putréfié à le contenir et à l’éradiquer, une incapacité dictée par les exigences de profit d’une minorité de capitalistes milliardaires.
Pourquoi nous voulons parler à tous les travailleurs.
L’hésitation, la réticence voire le refus des vaccins ont des origines diverses, et pour ceux qui souhaitent une analyse sociale plus approfondie, nous renvoyons à l’article de Fabiana Stefanoni publié sur ce site. [2] Nous souhaitons ici ouvrir un dialogue sincère et honnête avec tous les travailleurs qui, pour une raison ou une autre, se méfient de la vaccination. Nous pensons qu’il est nécessaire d’identifier une prémisse de départ commune : la pandémie existe ; et le Covid 19 n’est pas une simple grippe. Après avoir débarrassé le terrain d’une minorité négationniste (avec laquelle nous nous trouvons désarmés pour engager une confrontation), nous pensons que la vaccination est la seule mesure de protection contre les effets graves du Covid 19. C’est pourquoi la vaccination, en plus d’être une revendication, est pour nous une recommandation que nous donnons aux travailleurs, en liant l’action, la recommandation et la revendication par un seul fil de cohérence : nous nous faisons vacciner ; nous indiquons à nos familles et à tous les travailleurs de faire de même ; nous revendiquons la vaccination de masse ; et nous dénonçons le fait que dans le capitalisme, cela n’est pas possible parce que les intérêts économiques dominants sont ceux d’une classe dominante qui doit s’enrichir en spéculant sur la vie des masses.
On rencontre différentes motivations de s’opposer à la vaccination, dont certaines ont une base réelle et acceptable, mais qui aboutissent à des conclusions qui sont, à notre avis, erronées.
On dit, par exemple, que la pandémie et la vaccination sont des affaires pour les grandes entreprises pharmaceutiques : oui, c’est vrai, tout comme les guerres impérialistes pour les industries de l’armement et les tremblements de terre pour les entreprises de construction. Mais notre objectif immédiat et prioritaire est de survivre à la pandémie, car ce n’est qu’en survivant que nous pourrons lutter pour un monde sans patrons ni profits.
On dit que le vaccin n’offre pas une couverture totale, ni ne prévient totalement la contagion et la transmission : oui, c’est vrai qu’aucun vaccin n’offre une couverture totale, mais les données statistiques indiquent clairement que le cycle complet de vaccination offre une protection élevée contre les effets graves du développement de la maladie Covid 19 et réduit considérablement le risque de contagion et de sa transmission.
On dit qu’on ne sait pas ce qu’il contient : oui, c’est vrai, mais cela vaut pour la composition de n’importe quel médicament (c’est une affaire d’experts seulement) ; le problème n’est pas tant ce qu’il contient, mais le rapport risque-bénéfice des effets, et à ce jour, comme l’ont souligné plusieurs sources, le vaccin Covid est de loin le plus testé sur le terrain, de tous les temps : des milliards de doses ont été inoculées dans le monde en l’espace de quelques mois.
Dans ce contexte intervient alors la soi-disant doctrine du « free vax », qui revendique la primauté du droit individuel de chacun à ne pas se faire vacciner sur le droit collectif à la santé publique. C’est une position assumée par certains dirigeants de syndicats et d’organisations politiques du mouvement ouvrier, utile à ces dirigeants (qui s’abstiennent de « diriger ») pour se laver les mains et laisser le match entre les mains des travailleurs, en exploitant les incertitudes et les craintes de ceux-ci pour vendre des cartes de membre ou faire du prosélytisme. Comme si la vaccination contre un virus contagieux et agressif aux conséquences graves, voire mortelles, était une question individuelle ; comme si une stratégie et une planification collectives n’étaient pas nécessaires pour vaincre une pandémie mondiale.
Nos hérauts du droit individuel grossissent ainsi les troupes du No Vax, tout en s’en distanciant : ils ne s’opposent pas à la vaccination tout en la décourageant ; ils revendiquent l’abolition des brevets mais insinuent des doutes sur l’efficacité du vaccin ; ils dénoncent l’absence de vaccins pour la population des pays pauvres du monde mais défendent le droit du voisin de ne pas se faire vacciner. Bref : vous avez peur du vaccin ? Vous ne vous sentez pas en sécurité ? Vous êtes incertain et hésitant sur ce qu’il faut faire ? Pas de problème ! Nous défendons toute décision que vous prenez, tant que c’est votre décision ; et si vous prenez en outre une carte de membre du syndicat, tant mieux. Il ne manque plus qu’à ajouter que les trente premiers appels téléphoniques donnent droit à un VTT gratuit et à un ensemble de casseroles, ce serait plus honnête.
Nos conseils aux travailleurs
Nous pensons qu’il est nécessaire de dire la vérité aux travailleurs avec une grande honnêteté et franchise, et de leur donner des indications précieuses, en proposant ce que nous croyons être la seule issue, non seulement à la pandémie, mais au capitalisme, qui l’a rendue mortelle pour des millions de personnes.
Le Covid 19 n’est pas près d’être vaincu : il circule parmi nous, infecte, débilite et tue ; il génère des variants, se modifie pour s’adapter et survivre, et sa survie ne s’accorde pas avec la nôtre.
La campagne de vaccination montre son échec, au-delà des fanfaronnades du gouvernement : 30 % de la population [italienne] n’est pas vaccinée aujourd’hui (environ 18 millions de personnes), les premières vaccinations commencent à manquer de couverture en anticorps et une troisième dose sera nécessaire, alors que la deuxième n’est pas encore terminée. Il y a pénurie de vaccins parce que leur production n’est pas orientée au service de l’humanité, mais au profit d’une infime minorité qui s’enrichit grâce aux brevets.
Le plus important, par-dessus de tout, est d’éviter de contracter le coronavirus, et pour ce faire, il ne faut jamais baisser la garde, en essayant d’éviter, dans la mesure du possible et quand ce n’est pas strictement nécessaire, les situations dangereuses, les rassemblements et les séjours prolongés dans des lieux fermés ; il faut observer la distanciation sociale et porter un masque dans toutes les situations à risque. Le vaccin ne nous protège pas de la contagion, il aide notre système immunitaire à nous défendre après la contagion : mais même si nous avons des ceintures de sécurité et des airbags, il est toujours préférable d’éviter de foncer dans un mur ! C’est pourquoi les mesures de prévention et de défense ne doivent en aucun cas être considérées comme des alternatives les unes aux autres, car elles sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Il est donc important qu’en plus de toutes les mesures sanitaires prises pour contenir la contagion, les travailleurs se soumettent à la vaccination (sauf pour le petit pourcentage de ceux pour qui la vaccination est déconseillée en raison de certaines pathologies et conditions temporaires ou permanentes, mais celles-ci doivent être établies et certifiées par des médecins).
Vaincre la pandémie et le capitalisme
Il sera possible de vaincre la pandémie, mais l’humanité ne survivra pas dans le capitalisme : la seule issue est de renverser ce système barbare, inique et criminel. Les patrons du monde ont fait passer leur profit avant la vie de millions de gens et ils ont pompé des centaines de milliards d’argent public dans leurs poches par l’intermédiaire de leurs gouvernements, condamnant les classes subalternes à la pauvreté et au désespoir, et jetant à la rue des centaines de milliers de travailleurs (un million rien qu’en Italie !) après avoir reçu des millions en subventions publiques indirectes de toutes sortes. Les femmes ont payé le plus lourd tribut : elles ont été les premières à être licenciées et à devoir abandonner leur emploi parce qu’elles étaient obligées de s’occuper des enfants et des personnes âgées, souvent confinées dans des contextes domestiques violents.
De nombreux travailleurs se rebellent. Alors que les familles Agnelli et Peugeot versent des dividendes de plusieurs millions de dollars, Stellantis se prépare à une restructuration qui supprimera 12 000 emplois directs et aura un impact indirect dévastateur. Il y a aussi les travailleurs de Gkn, qui mènent avec détermination une lutte à l’échelle nationale, et puis il y a Gianetti, Timken, Ex-Embraco, Whirpool et tous les fronts chauds qui ont explosé ces dernières semaines.
Mais surtout, pensons à la lutte exemplaire des travailleurs d’Alitalia, qui se battent contre le plus grand licenciement du siècle nommé « Piano Ita » ; c’est incroyable le black-out médiatique honteux, intentionnel et criminel sur ce massacre d’emplois, sans parler de la capitulation totale de certaines directions syndicales qui se rallient au gouvernement : une véritable trahison de classe !
Unir tous les travailleurs dans la lutte ; unir les luttes des travailleurs avec celles des secteurs opprimés comme les femmes, les immigrés et la communauté LGBT et tous ceux qui luttent pour le droit au logement, la défense des territoires et de l’environnement ; combiner la lutte syndicale contre le patron avec la lutte politique contre les patrons ; étendre et coordonner la lutte de classe à l’échelle internationale.
C’est ce que nous pensons qu’il est nécessaire de faire immédiatement, et sur chacun de ces fronts nous sommes profondément engagés en tant que Parti d’Alternative Communiste, la section italienne de la Ligue Internationale des Travailleurs – Quatrième Internationale. Le parti que nous vous invitons à connaître et à construire avec nous.
[1] Le Green Pass est la version italienne du Certificat COVID européen, comme le Covid safe ticket (CST) en Belgique ou le pass sanitaire en France. [NdT]