mar Juil 23, 2024
mardi, juillet 23, 2024

ITALIE: No vax, free vax et consorts : les effets collatéraux des politiques capitalistes

Il est désormais clair que la vaccination de masse est importante pour limiter les effets les plus néfastes de la pandémie, en réduisant considérablement le risque d’hospitalisation et, surtout, de décès. (Selon les dernières données fournies par l’Istituto Superiore di Sanità, en Italie, près de 99 % des décès concernaient des personnes n’ayant pas terminé le cycle de vaccination). Mais, comme nous l’avons dénoncé à plusieurs reprises, la manière dont est menée une campagne de vaccination n’est pas sans importance : si vous vous targuez de chiffres inexistants (comme le fait le général Figliuolo), si vous rouvrez toutes les activités et supprimez l’obligation de porter un masque lorsque tant de personnes n’ont reçu qu’une seule dose, si vous relâchez les mesures de suivi déjà médiocres, les résultats obtenus seront inévitablement modestes. C’est ce que démontrent les données actuelles sur la pandémie : en Italie, les nouvelles infections quotidiennes enregistrent des chiffres résolument élevés (avec d’autre part un nombre très réduit de prélèvements RT-PCR), les unités de soins intensifs se remplissent à nouveau (en grande partie avec des personnes non vaccinées), et même les décès recommencent à augmenter.

Fabiana Stefanoni

Partito di Alternativa Comunista, la section italienne de la LIT-QI

31 juillet 2021

Dans ce contexte, nous avons vu des places se remplir de « no vax » et de « free vax », des manifestants qui descendent dans la rue (souvent sans masque) pour revendiquer la « liberté » de ne pas se faire vacciner et pour s’opposer à l’introduction du dénommé Green Pass (et à « la dictature sanitaire »). Dans la plupart des cas, il s’agissait de manifestations promues, parrainées ou hégémonisées par l’extrême droite, tant institutionnelle – Fratelli d’Italia et Lega – qu’extra-parlementaire (à Rome, la manifestation du 24 juillet était dirigée par les néo-fascistes de Forza Nuova).

Un phénomène hétérogène

Si le négationnisme, compris comme un phénomène social, a une base essentiellement petite-bourgeoise, étant le fruit empoisonné des attaques des gouvernements bourgeois sur les conditions de vie des classes moyennes,[1] le phénomène du « no vax » ou du « free vax » est plus complexe.

Il est surtout fomenté et organisé par l’extrême droite, tout comme le négationnisme (dont il s’accompagne souvent), mais il est, contrairement à ce dernier, plus répandu dans la classe ouvrière et dans les milieux « de gauche », notamment grâce au soutien actif de certains syndicats.[2] L’idée de base que tous soutiennent, à droite comme à gauche, est que le vaccin est dangereux, que ses effets (à court ou à long terme) sont inconnus et probablement néfastes pour la santé, et que les campagnes de vaccination des gouvernements sont une réponse à l’agenda caché de Big Pharma et autres multinationales pharmaceutiques. Alors que Bolsonaro, le président génocidaire du Brésil, se démarque par l’originalité de son discours – il a dit que ceux qui se vaccinent risquent de se transformer en alligator [3] et que le plus sûr et le plus efficace contre le Covid, c’est la chloroquine (sic !) – les théories les plus étranges se retrouvent sur les médias sociaux : du détecteur de métaux qui sonne sur les épaules des personnes vaccinées (d’où la théorie de la présence d’un mystérieux métal dans les vaccins) aux prétendues expériences génétiques sur la peau des naïfs qui acceptent de se faire vacciner. Parmi les arguments les plus populaires figure le fait que les vaccins sont encore au stade expérimental et ne sont donc pas recommandés. À tout cela s’ajoute la rhétorique de la défense de la « liberté individuelle » déjà utilisée par les « no-mask », qui ne tient pas compte du fait que la « liberté individuelle » de ne pas se faire vacciner ou de ne pas porter de masque se traduit inévitablement par une atteinte à la liberté des autres de ne pas être infectés.

Nous nous trouvons donc dans la situation paradoxale suivante : alors que dans de nombreux pays du monde, de l’Afrique à l’Asie en passant par l’Amérique latine, les masses populaires descendent dans la rue pour revendiquer leur droit à la vaccination de masse [4] – n’oublions pas que dans de nombreux pays du monde, la vaccination n’est qu’à 1 ou 2 % et que dans certains pays d’Afrique, elle n’a même pas commencé – dans les pays les plus riches, beaucoup refusent de se faire vacciner.

La vaccination et les intérêts de l’industrie pharmaceutique

Nous avons salué la découverte des vaccins comme une bonne nouvelle : bien qu’ils aient été testés en peu de temps, et malgré quelques (rares) effets secondaires avérés, ils ouvraient la possibilité de sortir de la pandémie. Si cela ne s’est pas encore produit, c’est à cause de la responsabilité de l’industrie pharmaceutique et des gouvernements : les brevets n’ont pas été rendus publics, et comme nous l’avons dit plus haut, les vaccinations de masse ont été accompagnées de réouvertures inconsidérées (sans parler du fait que les usines n’ont pratiquement jamais fermé).

Big Pharma et les multinationales du médicament portent une énorme responsabilité : comme toutes les entreprises privées, elles ont fait passer la logique du profit avant les intérêts des masses. [5] Mais refuser de se faire vacciner parce que l’industrie pharmaceutique est motivée par le profit – chose évidente dans le système capitaliste – est un argument bancal.

Les multinationales de l’automobile, Stellantis en tête, sont peut-être les plus cyniques et les plus corrompues de l’histoire du capitalisme. Il suffit de rappeler qu’elles ont pollué et dévasté l’environnement par les émissions de CO2 et sont les premières responsables de la catastrophe climatique en cours. Mais la solution n’est certainement pas de suggérer aux masses d’éviter d’utiliser la voiture ou le bus. La seule façon de concilier la production de moyens de locomotion motorisés avec l’environnement est de transformer l’industrie automobile en industrie publique et de développer le transport en commun. Un raisonnement semblable vaut pour les vaccins. L’industrie pharmaceutique n’agit certainement pas pour le bien de l’humanité, comme le montre son refus de rendre les brevets publics. Mais s’il est vrai que les thérapies et la prescription de médicaments sont souvent dictés par le marché – il suffit de penser à ce qui se passe souvent dans les soins de santé privés, où des traitements contre-productifs sont prescrits en échange de financements publics ou privés – cela ne signifie pas que toutes les thérapies et tous les médicaments sont nocifs. La production de vaccins a sans doute été un gros business pour l’industrie pharmaceutique, mais cela n’implique pas que celle-ci ait un intérêt à distribuer un produit dangereux, d’autant plus que les actionnaires savent pertinemment que cela affecterait leur business.

Alors que les manifs des « no vax » invitent les gens à ne pas se faire vacciner, et les Big Pharma à quitter l’Italie (car traditionnellement, la droite ne prend parti contre les entreprises que lorsqu’elles ne sont pas italiennes), nous, par contre, nous expliquons aux travailleurs qu’ils doivent se faire vacciner et préserver leur santé (et celle des autres) et que, dans le même temps, il est nécessaire que les soins de santé et l’industrie pharmaceutique soient entièrement publics. À cette fin, nous exigeons l’expropriation et la nationalisation sous contrôle ouvrier de toutes les industries pharmaceutiques (y compris les brevets), une augmentation du financement des soins de santé, la réquisition et la nationalisation de tous les hôpitaux privés, la gratuité des tests et de tous les traitements. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible de procéder rapidement à une vaccination de masses, afin de faciliter la sortie la plus rapide de l’urgence sanitaire.

La confusion engendre la confusion

Les gouvernements capitalistes, qui se présentent comme de fervents défenseurs de la santé publique en finançant des campagnes médiatiques de vaccination de masse, sont les premiers responsables de la situation actuelle. Afin de préserver les intérêts des grandes entreprises et du marché capitaliste, ils n’ont mis en œuvre aucune politique radicale de quarantaine assortie de subventions et de mesures de protection, même pas dans la phase la plus aiguë de la pandémie. Ce faisant, ils ont apporté de l’eau au moulin des négationnistes et des comploteurs. Il n’est pas étonnant que le petit commerçant ou le restaurateur, qui a dû fermer boutique pendant plusieurs semaines et a constaté que l’usine proche de chez lui n’a jamais fermé un seul jour, commence à penser qu’il y a un complot contre lui. Pas étonnant qu’après des mois de communications contradictoires, les masses commencent à se méfier de toute communication. D’abord, ils appellent tout le monde à revenir à la normale parce que l’urgence « est passée », puis tout à coup, lorsque les cliniques et les cimetières sont pleins, ils recommencent à proclamer l’urgence ; pendant qu’on s’alarme de la propagation de la variante Delta, l’Italie est proclamée « zone blanche » et l’obligation de porter le masque à l’extérieur est supprimée ; pendant que la population est avertie de la propagation inquiétante de la variante en Grande-Bretagne, des images de stades pleins en Grande-Bretagne sont projetées. Sans parler des campagnes médiatiques constantes contre le « terrible » vaccin AstraZeneca, probablement à l’instigation de Pfizer et d’autres fabricants. (Il a été prouvé qu’il y a un pourcentage de décès plus élevé après une vaccination Pfizer qu’avec AstraZeneca, qui est pourtant un vaccin avec de nombreuses limites et qui protège moins que les autres).

Le Green Pass lui-même est une mesure contradictoire, à stigmatiser, mais pour des raisons opposées à celles avancées par les manifs réactionnaires de ces jours-ci. Il est le revers de la médaille des politiques du « tous libres » : il sert à ouvrir encore davantage, à un moment où nous devons rester sur nos gardes. Autoriser les foules, non seulement à l’extérieur (où il est désormais permis de faire ce que l’on veut sans masque), mais aussi à l’intérieur avec un simple résultat négatif d’un écouvillonnage rapide ou avec une simple vaccination, c’est se préparer à une nouvelle augmentation spectaculaire des contagions.

Alors que l’appauvrissement des masses au siècle dernier était déjà un terrain fertile pour la propagation d’idéologies réactionnaires – il suffit de penser à la popularité de l’antisémitisme en Allemagne – les caractéristiques du capitalisme de l’époque actuelle favorisent encore plus la propagation de phobies irrationnelles. La nécessité de produire et de vendre au milieu d’une pandémie, directement associée à l’utilisation de la publicité pour servir les intérêts des capitalistes, crée un effet de gaslighting [6] sur les masses prolétariennes et pauvres. À la télévision, les JT et les talk-shows qui parlent de l’augmentation des décès et des contagions sont entrecoupés de publicités qui nous font croire que la situation sanitaire est « normale ». Afin de vendre des marchandises et de faire des profits, le capitalisme a besoin de tromper les masses avec un monde faux. Il en résulte un effet d’aliénation qui ne peut qu’encourager la propagation de peurs infondées. C’est pourquoi il est hypocrite et honteux qu’aujourd’hui la Confindustria – qui a du sang sur les mains, tant pour les travailleurs morts ou mutilés par le Covid sur le lieu de travail que pour la dynamique de marché que nous venons de décrire – s’érige en paladin de la défense de la santé publique en revendiquant le droit de licencier ceux qui ne se font pas vacciner.

Contrairement à ce que disent les conspirationnistes d’extrême droite, il n’y a aucune « dictature de la santé » : la seule véritable « dictature » est celle du profit capitaliste, qui peut éventuellement décider de laisser chacun faire ce qu’il veut (si cela favorise l’achat et la vente de marchandises) ou, à l’inverse, resserrer les mailles du filet répressif (par exemple, lors d’un piquet de grève qui empêche la sortie de marchandises).

L’issue

Le capitalisme est un système économique en profonde décadence. Il ne peut survivre sans causer la mort de milliers de personnes chaque jour. L’absence, aux yeux des masses, d’une alternative à ce système les conduit à accorder du crédit à des théories aussi bizarres que réactionnaires. Prétendre qu’il est possible d’améliorer de l’intérieur un système putride – comme le font les réformistes de tous bords – ne fait qu’alimenter des peurs irrationnelles.

C’est pourquoi la seule véritable issue est de mettre à l’ordre du jour le renversement du système capitaliste et la construction d’une économie socialiste, qui socialise les moyens de production – y compris les multinationales du médicament – créant les conditions matérielles d’une vie décente et rationnelle. Il est nécessaire de redonner à la classe ouvrière la confiance en soi qui lui fait largement défaut aujourd’hui, après des décennies de trahison par ses directions (syndicales et politiques) réformistes.

Contrairement à certaines organisations qui voient d’un bon œil les actuelles mobilisations « no vax » et « free vax », nous pensons que l’issue réside dans la relance des luttes ouvrières, dans le renforcement de l’indépendance de classe, dans la construction d’une alternative qui commence par les grèves dans les usines et se termine par la conquête du pouvoir politique. C’est pourquoi il est plus urgent que jamais de construire un parti révolutionnaire avec une influence de masses, qui soit capable de se fixer ces tâches.

Des mobilisations révolutionnaires sont en cours dans de nombreux pays du monde, de l’Amérique latine à la Tunisie : le vent de la lutte de classes soufflera bientôt ici aussi. Même en Italie, les luttes importantes des travailleurs ne manquent pas, de celle des travailleurs d’Alitalia à celle des ouvriers de GKN, de Gianetti et de la logistique. C’est sur celles-ci que nous devons nous appuyer, également pour contrer la diffusion des idéologies réactionnaires. En paraphrasant Trotsky, s’il est vrai que parfois, dans les phases de reflux de la lutte des classes, « des préjugés et des superstitions » émergent dans la conscience des masses, il est tout aussi vrai que les processus moléculaires qui se produisent dans les masses guérissent rapidement les blessures des anciennes défaites, et peu après, « la lutte de classes reprend à un niveau plus élevé ».[7] Nous apporterons notre contribution pour que ce soit effectivement le cas.

 

[1] Nous renvoyons à la lecture de notre article de 2020 : <https://www.partitodialternativacomunista.org/politica/nazionale/covid-e-piccola-borghesia-impoverita>

[2] C’est le cas, par exemple, de certains secteurs du syndicalisme de base de Turin et d’autres villes, qui sont même arrivés à organiser les travailleurs de la santé et à les faire descendre dans la rue contre les vaccinations.

[3] https://www.ansa.it/sito/notizie/mondo/2020/12/18/covid-bolsonaro-ironizza-sul-vaccino-pfizer-se-diventi-un-alligatore…_924ede31-1454-4177-b902-0ee66ba9cf6f.html
C’est pour cette raison qu’au Brésil, lors des grandes manifestations de ces mois-ci pour l’expulsion de Bolsonaro, de nombreux manifestants, en signe de protestation, sont descendus dans la rue, déguisés en alligators.

[4] https://www.partitodialternativacomunista.org/politica/internazionale/brasile-dopo-il-29-maggio-continuare-la-lotta-fino-a-sconfiggere-bolsonaro

[5] https://www.partitodialternativacomunista.org/politica/nazionale/big-pharma-miliardi-di-profitti-sulla-salute-dei-lavoratori

[6] Le terme gaslighting dérive d’une pièce de théâtre des années 30, Gaslight (il existe également un vieux film qui s’en inspire) : un mari rend sa femme folle en manipulant des éléments de son entourage, lui faisant croire cependant que tout cela est le fruit de son imagination. La pauvre femme, ne comprenant plus où se trouve la vérité, perd la tête.

[7] C’est une référence à un passage de l’Histoire de la révolution russe de Trotsky (chapitre Le prolétariat et la paysannerie).

 

 

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