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dimanche, décembre 22, 2024

Une visite royale regrettable

La visite du Roi Philippe en République Démocratique du Congo (RDC), ancienne colonie de la Belgique, a été saluée unanimement par la majorité de la presse belge comme une visite réussie, comme un pas en avant dans une relation harmonieuse entre les 2 pays. Certains épinglaient, à juste titre, que le roi n’avait formulé aucune excuse pour le passé colonial, et avait seulement exprimé des regrets.  Mais le véritable objectif de la visite n’était pas là. Il s’agissait, comme pour toutes les visites d’un membre de la famille royale belge dans le monde, de consolider avant tout les rapports diplomatiques et économiques. Lesquels sont, dans ce cas-ci, fortement emprunts de néo-colonialisme.

Par : Joe- Yves Salankang et Matthieu Lallemand

Des déplacements qui en disent long

Le roi a été reçu à Kinshasa, la capitale, où il a prononcé un discours soi-disant historique dans lequel il exprime ses plus profonds regrets pour ces blessures du passé. Nous y reviendrons. Notons ici qu’il ne faisait que répéter ce qu’il avait dit dans sa lettre adressée au président de la RDC deux ans plus tôt. De nombreux congolais étaient présents pour l’accueillir, mais cette « liesse populaire » est à relativiser dès lors que tous les partis et les hommes politiques, comme J-P Mbemba, s’y sont mis pour appeler les kinois à sortir dans la rue.

Pour la bourgeoisie congolaise, l’enthousiasme était bel et bien au rendez-vous ! En effet, tous se frottent déjà les mains en pensant aux affaires juteuses en vue : en fait, ils s’apprêtent à ramasser les miettes du pillage qui condamne le peuple congolais à la misère la plus terrible. C’est d’ailleurs les enfants de cette bourgeoise-là que le couple royal a été voir, lors de sa visite dans une école privée où une inscription qui tourne autour des 6000 euros ! Le président, Felix Tshisekedi, représentant de cette bourgeoisie parasitaire, s’est réjoui des accords signés entre la Belgique et son gouvernement en matière économique et militaire. Il a profité de son discours pour lancer un vibrant appel aux entreprises belges pour concrétiser leurs promesses d’investissements. Bref, comment un ancien opposant, représentant de générations de combattants persécutés pour avoir lutté contre la corruption et le bradage du pays, il devient un fidèle serviteur des intérêts du capitalisme belge au détriment de la population.

Par contre, l’accueil a été beaucoup plus mitigé à l’université de Lubumbashi. Dans son discours, le roi a cyniquement salué la jeunesse comme véritable richesse du Congo : « Une mine, on peut l’épuiser. Le talent et la volonté de la jeunesse, sa soif de savoir, par contre, sont inépuisables ». Et il sait bien de quoi il parle ! La Belgique a même une excellente expertise en matière d’épuisement  du sous-sol congolais ! Cependant, il est aussi conscient que l’autre richesse de la RDC (mais  aussi de toute l’Afrique) pour les pays impérialistes, c’est sa main d’œuvre. Ces travailleurs qui viennent chez nous, mais à qui l’Etat  refuse de donner des papiers. Ainsi, ils contribueront aux profits des entreprises et à la richesse du pays « hôte » sans couter à l’Etat, car ils ne bénéficient d’aucun droit. Tout bénéfice pour le patronat belge, vu que leur formation a d’ailleurs déjà été payée par le pays d’origine.

Ne comptons pas les « indélicatesses » dans l’organisation du voyage,  comme la mise à disposition de collations uniquement pour les médias belges et non congolais, relent d’une mentalité raciste encore bien présente[1]. Enfin l’image de la reine Mathilde prête à pleurer au côté d’une femme ayant été victime de viol était tout simplement scandaleuse. Comment croire à une quelconque empathie quand on sait que la fortune personnelle de la famille royale et de la bourgeoise belge est justement basée sur le pillage du Congo, source de toute cette violence.

Le passé, c’est passé, mais ça s’est bien passé !

Le Premier ministre belge, Alexender De Croo, faisait aussi partie de  la délégation royale. Pour lui, même s’il faut regarder le passé en face, il faut surtout penser au futur. Le futur, c’est la poursuite du pillage, appelé maintenant « partenariat win-win » … Quant au passé, on en parle, pour mieux le balayer sous le tapis une fois pour toute ! Bref, circulez, il n’y a plus rien à voir. Pour lui, la population a d’autres préoccupations que son passé colonial. Le ministre nous parle ici de la lutte quotidienne de la population pour sa survie. Un cynisme absolu quand on sait qu’elle est le résultat… de ce passé colonial.  Selon lui : « Pour la population qui est très jeune, la période du colonialisme, c’est le passé du passé. »[2] Une  propagande qui vise justement à ce que la population ne se saisisse pas de ce passé pour exiger des réparations.

Ce passé que ces dirigeants souhaitent passer au Congo, est toujours bien présent en Belgique, dans les gigantesques édifices qui font la fierté de sa bourgeoisie. Qu’il s’agisse du palais royal, du très célèbre musée de Tervuren ou encore du parc du Cinquantenaire, pour ne citer que ceux- là.

Mais c’est aussi un passé qui est bien présent, même dans l’esprit de l’actuelle classe dirigeante en Belgique. Voilà pourquoi elle n’est pas prête à prendre de la hauteur et à parler franchement et courageusement de ce qui s’est passé : car elle est consciente que c’est la source de sa richesse.

Le roi et sa cour, en éprouvant un simple regret, refusant de présenter des excuses, estiment ne pas se sentir responsables ni de près, ni de loin, de ces crimes commis au Congo. Mais, ils sont fiers au moins d’hériter du butin des pillages et des violences atroces imposées à ce peuple.

Les excuses obligent à établir les responsabilités et les responsabilités entrainent des condamnations. Et justement, alors que l’on voudrait que l’actuelle génération des congolais ne soit pas si nostalgique et essaie de prendre distance de ce que leurs pères ont subi, l’actuelle génération de politiciens en Belgique n’est, elle, pas prête à prendre aussi de la distance par rapport à leur célèbre Roi Léopold II qu’ils veulent toujours laisser sur son pied d’estale, alors que les faits et l’histoire voudraient qu’aujourd’hui il soit considéré comme l’un des plus grands criminels sanguinaires du 20ème siècle.

Bref, des réparations sont toujours inenvisageables pour la bourgeoisie belge.  A travers le discours royal qui, rappelons-le, doit être approuvé par le premier ministre,  cette dernière à tenu à ressortir le couplet colonial  notre colonisation a eu du bon  en disant : « Mais pour vous, comme pour moi, la présence belge au Congo, avant 1960, laisse aussi un héritage qui a ancré le pays dans ses frontières actuelles. »[3].  Ah bon ? Pourtant,  ce n’est que grâce à l’héroïsme du peuple et au mouvement nationaliste au Congo et en Afrique, que le Congo a pu rester uni malgré le fait que la Belgique, au lendemain de l’indépendance, a fomenté et soutenu la sécession de la riche province du Katanga, encourageant ensuite celle du Kasaï, pour affaiblir le jeune état indépendant du Congo.

L’approfondissement du pillage et compétition entre capitalistes

Alors que beaucoup ont été éblouis par les coups de projecteurs braqués sur la visite du couple royal, peu seulement se souviennent de la fameuse mission économique tri-régionale à Kinshasa, mission portée par Hub.brussels, l’Awex et FIT (Flanders Investment & Trade) en mars dernier. Il faut rappeler que cette mission a, comme la visite royale, connu des reports et quasiment aux mêmes rythmes que la venue du Roi.

Là où d’autres s’encombrent d’investisseurs dans leurs délégations, la diplomatie belge a tout fait pour décaler les deux évènements et ainsi ne rien laisser soupçonner.  Voilà pourquoi, lorsqu’un média pose à Christophe Lutundula, ministre congolais des affaires étrangères, la question de savoir : « Combien d’investisseurs le roi traine- t- il dans sa suite ? » Il répond : «  Aucun ! ». Évidemment, ceux- ci l’y ont précédé !

Mission économique belge en mars 2022

Ce n’est que depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir en 2019 que l’occident en général et la Belgique en particulier va voir se dessiner une nouvelle lueur d’espoir dans la concurrence féroce entre les différentes nations impérialistes d’orient et d’occident. C’est la fin d’une « période difficile », dira Jo Indekeu, ambassadeur belge en RDC, aux membres de ladite mission économique belge. Une période où « L’économie congolaise s’est tournée vers l’est, la Chine, l’Inde, la Turquie. Mais parmi les Européens nous restons importants. (…) Nous avons un grand avantage, c’est que nous sommes des Belges. Les Congolais nous connaissent, nous font confiance », lâchera le même ambassadeur[4].

Et comme rien n’arrive par hasard, il faut rappeler qu’en 2019, Félix Tshisekedi est en visite en Belgique et les Belges font publiquement quelques annonces politiques dont la promesse de rapatriement des restes de Lumumba ; pour tromper la vigilance de l’opinion congolaise sur ses réelles intentions.

Mais, en 2020, sans tambours ni trompettes, il y a ratification de la Convention sur la protection et la promotion mutuelle des investissements entre la RDC et l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL). « Nous sommes un des seuls pays » à avoir une telle convention avec la RDC, « nous l’avons longtemps attendue »[5], note l’ambassadeur. Combinée à la convention pour éviter la double imposition, elle est un atout indéniable pour ceux qui veulent se lancer sur ce marché, assure-t-il. C’est pourtant un secret de polichinelle qu’il n’y a pas d’entreprises congolaises qui investissent en Belgique, ni au Luxembourg. Et donc, les avantages de ce genre de conventions sont à sens unique.

Suite à cette mission économique, des investissements sont escomptés notamment dans le secteur de la construction, de l’énergie, de l’eau et de l’électricité. Dans la fiche de présentation destinée aux entrepreneurs faisant partie de la mission économique, on voit clairement qu’il ne s’agit pas de « coopérer » avec un « partenaire », mais de profiter un maximum de l’immense marché que représente le Congo. Ainsi, « le secteur agroalimentaire en RDC représente une opportunité d’investissement très important et probablement stable sur le moyen et le long terme, vu l’ampleur du marché et la croissance rapide de la population et par conséquent de leurs besoins. »[6], ou encore : «  Les routes, le rail, les voies fluviales, les ports maritimes et fluviaux, le transport aérien et multimodal, autant de défis importants en RDC. Comment, ensemble, mieux relier les centres de production et de consommation, l’accessibilité aux sites touristiques, l’intégration régionale de la RDC au sein des différents corridors logistiques transfrontaliers, etc. » (nous soulignons). Il ne s’agit pas de construire des voies de transport pour le bien de la population, mais pour mieux acheminer les marchandises pour faire tourner le business et les faire sortir du pays. Notons, comme on le voit dans cette citation, que tout ceci se fera, bien sûr « ensemble » !

Enfin, rappelons également que la même mission économique s’était également rendue en avril au Rwanda voisin et pour les mêmes objectifs. La visite royale est donc une sorte de mission de supervision et de suivi de cette importante mission économique, une façon de sécuriser politiquement et diplomatiquement ces intérêts dans un environnement concurrentiel où chacun cherche à damer les pions à l’autre, même au sein du groupe impérialiste qu’on penserait compact. Sur les marchés capitalistes, la concurrence est toujours féroce.

La Belgique, médiateur avec le Rwanda ?

L’objet de cet article n’est pas de faire une analyse des combats en cours à l’est du pays. Cependant, il faut mentionner que, dans le cadre de la visite royale, Philippe a proposé les services de la diplomatie belge pour  préserver l’intégrité territoriale de la RDC. Dans ce dossier aussi, il s’agit du pillage des ressources et plus précisément de l’or. L’or est extrait en RDC dans les conditions dramatiques que l’on sait, et est acheminé ensuite vers différents pays comme les Emirat Arabes Unis, la Suisse ou la Chine. L’or de la RDC est d’abord raffiné en Ouganda ou au Rwanda, qui s’est doté en 2019 d’une raffinerie qui peut raffiner 60 tonnes d’or par mois dans laquelle nous retrouvons d’investisseur belge  Alain Goetz, propriétaire de l’African Gold Rafinery en Ouganda, condamné par la Belgique en 2020 pour fraude et blanchiment, et accusé de se fournir via des groupes armés. Une condamnation récente par le trésor américain de l’homme d’affaire n’a pas grand-chose à voir avec une préoccupation pour le sort des populations, mais plus avec l’élimination d’un concurrent sur le marché. Car, si les militaires et les hommes politiques véreux sont à juste titre pointés du doigt pour prendre une taxe au petit creuseur ou au transporteur, ce n’est rien en comparaison avec les profits gigantesques de ces puissants hommes d’affaires et conglomérats impérialistes qui s’engraissent sur ce commerce, provoquant la souffrance et la morts de milliers de personnes.

Ici il faut également relever la naïveté des autorités congolaises qui, par leur président, estiment que la Belgique est capable de jouer un rôle neutre dans la résolution de la question sécuritaire dans l’est du Congo. Encore qu’il faille savoir ce que les uns et les autres entendent par neutralité.

Si pour Félix Tshisekedi, la neutralité de la Belgique signifie qu’elle n’a pas intérêt au conflit et à l’instabilité du Congo et qu’elle peut être une bonne médiatrice entre  son ancienne colonie et son ancien protectorat en disant à ce dernier de se retirer du Congo ; pour le Roi Philippe, la neutralité de la Belgique signifie tout simplement qu’elle ne prendra position ni pour l’un ni pour l’autre. Elle dit au Congo qu’il a raison et au Rwanda qu’il n’a pas tort. Elle fait des affaires avec l’un comme avec l’autre. Et dans ces conditions, le statu quo ne la dérange pas du tout, au contraire, cela permet de faire des affaires.

Réparation et nationalisation de l’économie : pour une réelle indépendance

Durant la visite royale, pas un mot n’a été dit sur la remise prévue de la relique de Lumumba. Cela aurait été du plus mauvais effet de gâcher la  belle opération de communication « On regrette, mais c’est du passé, tournons-nous vers l’avenir », par l’aveu du crime crapuleux du héros de l’indépendance congolaise, Patrice Lumumba,  dont la gigantesque statue qui se trouvait à un point de passage obligatoire du cortège du Roi a été déboulonnée et placée dans un entrepôt juste quelques jours avant l’arrivée du Roi. Officiellement, pour lui trouver une autre place plus convenable…

En attendant, le peuple congolais survit dans la misère et sur son dos, le gouvernement congolais vend le pays aux capitalistes de tout bord, jouant la concurrence entre eux.

Il est temps de se souvenir du passé pour en tirer des leçons. La première étant que la Belgique ne fait jamais rien gratuitement, ses entreprises viennent profiter des richesses et non « développer le pays ». Mais la richesse du Congo ne doit profiter qu’à son propriétaire : le peuple Congolais.

Non au bradage des richesses du pays !  Pour une nouvelle indépendance du Congo !

Les ressources du Congo au peuple congolais !

Nationalisation de toutes les entreprises étrangères sans indemnisation !

[1] Le Soir, 10/06/2022

[2] Le Soir, le 8/02/22

[3] Discours du Roi à l’Université de Lubumbashi. Le Soir 10/06/22

[4] Le Soir, le 20/03/22

[5] La Libre Afrique, le 21/03/22

[6] https://hub.brussels/fr/events/mission-economique-en-rdc-et-au-rwanda

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