Depuis les années 1940, nous menons une bataille longue et difficile pour construire des partis révolutionnaires avec une influence de masse dans tous les pays et pour construire une Internationale. Nous concevons cette lutte comme la continuation de la lutte menée par Marx, Engels, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Lénine et Trotski pour construire la I, II, III et IVe Internationale.
Par Alicia Sagra
Nous revendiquons les Première et Deuxième Internationales comme faisant partie de notre passé, mais notre modèle de parti mondial est la Troisième, connue sous le nom d’Internationale communiste. Elle répond aux besoins de l’époque impérialiste dans laquelle nous vivons, tant dans les propositions programmatiques de ses quatre premiers congrès, que dans son régime interne, le centralisme démocratique.
La Troisième Internationale a dégénéré, puis a été dissoute par le stalinisme. L’Opposition de gauche, puis la Quatrième Internationale ont été le noyau des révolutionnaires qui ont le plus systématiquement fait face à cette dégénérescence. Aujourd’hui, la plupart des courants qui se réclamaient du quartisme ont abandonné son programme. Mais il y a d’autres courants qui se réclament de la Quatrième Internationale, qui revendiquent son programme, le Programme de Transition, qui organisent des forums en son nom, qui à l’occasion réalisent des actions communes en hommage à Trotski. Certains de ces courants s’appellent même la Quatrième Internationale. Mais la tragique réalité est que, plus de huit décennies après sa fondation, la Quatrième Internationale en tant qu’organisation centralisée, en tant que Parti de la révolution socialiste mondiale, n’existe pas. Les revers de la lutte des classes et les dérives de ses dirigeants, après l’assassinat de Trotski, ont provoqué sa dispersion. Sa reconstruction est l’objectif stratégique que la LIT-QI s’est donné depuis sa fondation.
Beaucoup demandent : « pourquoi reconstruire la IV, si elle n’est que le synonyme de trotskisme ? ». Aujourd’hui, en toute honnêteté, le trotskisme existe en tant que courant différencié, puisqu’il est synonyme de la lutte conséquente contre la bureaucratie et pour la démocratie ouvrière. Il en est ainsi, malgré le fait que beaucoup de ceux qui continuent à s’identifier comme trotskistes, trahissent ces drapeaux. Mais à son époque, Trotski s’est toujours opposé à ce que son courant soit défini comme trotskiste, car il ne le considérait pas comme un secteur différencié du léninisme. C’est pourquoi, lorsqu’il a utilisé le terme « trotskisme », il l’a mis entre guillemets. En réalité, ce terme a été imposé par le stalinisme, comme une insulte, pour indiquer que ceux qui soutenaient Trotski pendant la bataille contre la dégénérescence n’étaient pas des léninistes. A cette époque, le courant dirigé par Trotski se désignait lui-même comme « bolchevik léniniste« . C’est ce courant qui a donné naissance à l’Opposition de gauche, puis à la Quatrième Internationale.
La IV est née pour défendre les principes du marxisme et du léninisme, attaqués par Staline – l’internationalisme, la démocratie ouvrière et le pouvoir des travailleurs – et pour proposer une politique offensive dans la lutte contre le nazisme et la Seconde Guerre mondiale, après la capitulation de Staline.
La Quatrième Internationale est la continuation de la Troisième Internationale dirigée par Lénine et elle est synonyme de la lutte consciente contre la contre-révolution stalinienne. Il est nécessaire de la reconstruire, et non pas de construire une Internationale séparée, car ses principes et ses bases théorico-programmatiques, exprimées dans le « Programme de transition » et dans la « Théorie de la révolution permanente », restent valables, indépendamment des mises à jour évidentes qui doivent être faites.
Le Programme de transition systématise les résolutions des quatre premiers congrès de la Troisième Internationale : la lutte contre le sectarisme et l’opportunisme, la position à l’égard du parlement, des nationalités opprimées, de la question noire et de la question femme, le contrôle ouvrier, le front unique ouvrier, les milices, les soviets, le gouvernement ouvrier et paysan, la dictature du prolétariat. Comme élément nouveau, il incorpore la nécessité de faire une nouvelle révolution en URSS, la révolution politique contre la bureaucratie. Le programme de transition, suivant l’orientation du Quatrième Congrès de la Troisième Internationale, dépasse la division entre le programme minimum et le programme maximum. Il donne la méthode pour élever les masses au niveau du programme de la révolution socialiste, par l’élaboration d’un système de revendications transitoires qui partent des besoins et du niveau de conscience actuel pour les conduire à la lutte pour la conquête du pouvoir par le prolétariat.
La Théorie de la Révolution Permanente affirme qu’au stade impérialiste, la bourgeoisie n’est pas en mesure de réaliser ses proclamations, c’est donc la classe ouvrière qui doit prendre en charge les revendications démocratiques qui, dans le processus de révolution, se combinent avec les tâches socialistes ; elle souligne la nécessité pour la classe ouvrière de diriger le processus et de le développer au niveau mondial. Cette théorie élaborée par Trotski, a été magistralement concrétisée en tant que politique, avec les Thèses d’avril élaborées par Lénine, à son arrivée en Russie en 1917.
L’actualité de ces prémisses rend impossible aujourd’hui l’élaboration d’un programme révolutionnaire qui ne parte pas du Programme de transition et de la Théorie de la révolution permanente. Par conséquent, tout révolutionnaire qui veut lutter pour la défaite de l’impérialisme et de la bureaucratie et pour le triomphe du socialisme au niveau mondial, quelle que soit son origine, se rapproche, même inconsciemment, des positions centrales de la Quatrième Internationale.
Face aux processus révolutionnaires en Amérique latine au XXIe siècle (Équateur en 2000, Argentine 2001, Venezuela 2002, Brésil 2003, Chili 2019), aux multiples mobilisations des masses européennes contre la guerre en 2003, à la résistance héroïque du peuple irakien, à la résistance permanente en Palestine, aux énormes mobilisations après l’assassinat de George Floyd, aux insurrections comme celles du Sri Lanka et de l’Iran, au génocide provoqué par la politique de la bourgeoisie et de l’impérialisme face à la pandémie, nous ressentons l’impuissance de ne pas pouvoir compter sur un parti révolutionnaire mondial pour diriger ces luttes vers une confrontation unifiée contre l’impérialisme et la lutte pour le pouvoir dans les différents pays. Nous pourrions tirer une conclusion similaire en ce qui concerne les processus révolutionnaires de 1989, 1990 et 1991, qui ont détruit les régimes à parti unique de l’ex-URSS et de l’Europe de l’Est, mais qui, faute d’une direction révolutionnaire, n’ont pas réussi à inverser le processus de restauration capitaliste qui avait commencé plusieurs années auparavant.
Tout ceci est une confirmation palpable de la nécessité de reconstruire la Quatrième Internationale afin de pouvoir avancer vers des victoires durables dans la lutte contre l’impérialisme.
Cette reconstruction n’est pas la tâche des seuls « trotskistes », ni de tous ceux qui se réclament du « trotskisme », mais de tous ceux qui adhèrent à ses bases programmatiques. Trotski voyait la construction de la IV comme une tâche non seulement de l’Opposition de gauche (les « trotskistes » de l’époque) mais de tous ceux qui étaient d’accord avec les principes, le programme et la politique léninistes. L’avancée du nazisme et du stalinisme dans les années 1930 a provoqué la capitulation d’organisations et de dirigeants avec lesquels Trotski travaillait à la construction de la nouvelle Internationale. Pour cette raison, et en raison du besoin urgent de matérialiser une organisation centralisée qui préserverait les principes marxistes révolutionnaires, la Quatrième Internationale a été fondée uniquement par ceux qui faisaient partie de l’Opposition de gauche internationale, et non par tous ceux mentionnés plus haut, puisque plusieurs d’entre eux ont renoncé à cette tâche. Malgré cela, Trotski n’a pas abandonné son objectif de lutter pour une internationale de masse, où les « trotskistes » pourraient même être en minorité.
Nous ne nous considérons pas comme les seuls révolutionnaires au monde. Nous ne croyons pas non plus que la solution à la crise de direction révolutionnaire réside dans la croissance végétative de notre courant. Au contraire, nous avons toujours eu l’obsession de parvenir à des accords révolutionnaires, tant au niveau national qu’international. Par conséquent, notre histoire est une histoire de fusions, de tentatives de fusions ; et aussi de ruptures, que les principaux faits de la lutte des classes ont provoquées.
Dans cette longue et difficile bataille pour construire l’Internationale, nous avons connu quelques succès et fait de nombreuses erreurs. En janvier 1982, lors de la fondation de la LIT-QI, Nahuel Moreno déclarait : « Les dirigeants du mouvement trotskiste se considéraient comme des colosses qui ne se trompaient jamais. Cependant, le trotskisme dirigé par eux était lamentable... » « …Cette expérience de toujours marcher au milieu des « génies » nous a conduit à faire indirectement de la propagande auprès de notre base pour la convaincre que nous nous trompions beaucoup, qu’elle devait penser par elle-même, puisque notre direction n’est pas une garantie de génie. Nous voulons par tous les moyens inculquer un esprit autocritique, marxiste, et non pas une foi religieuse en une modeste direction, provinciale par sa formation et barbare par sa culture. C’est pourquoi nous croyons en la démocratie interne et nous la considérons comme une nécessité incontournable… Nous progressons grâce aux erreurs et aux attaques et nous n’avons pas honte de le dire… »
« …Le problème est de savoir comment faire moins d’erreurs, qualitativement et quantitativement. À mon avis, la tendance est de faire de moins en moins d’erreurs si nous sommes dans une organisation internationale et sur la base du centralisme démocratique. Pour moi, c’est un fait. J’affirme catégoriquement que tout parti national qui n’est pas dans une organisation bolchevique internationale, avec une direction internationale, commet de plus en plus d’erreurs et une erreur qualitative : parce qu’elle est nationale-trotskiste, elle finit inévitablement par renier la Quatrième Internationale et adopter des positions opportunistes ou sectaires pour ensuite disparaître… ».
NOS ORIGINES
Le courant qui s’appelle aujourd’hui LIT-QI existe, en tant que courant international, sous différents noms, depuis 1953. Au niveau national, il est apparu en Argentine en 1943 sous la forme d’un petit groupe dirigé par Nahuel Moreno, le GOM (Grupo Obrero Marxista). Les frères Boris et Rita Galub, Mauricio Czizik et Daniel Pereyra (jeunes issus de familles ouvrières), et Moreno et « Abrahancito » qui venaient de la classe moyenne, ont été les premiers membres du groupe. Ces jeunes tenaient des réunions d’étude depuis un certain temps, lorsque Moreno, avec l’aide, selon lui décisive, de Fidel Ortiz Saavedra (un ouvrier bolivien, semi-analphabète), les a convertis au trotskisme. En 1943, ils se sont constitués en groupe, avec pour objectif central d’aller vers la classe ouvrière, en essayant de dépasser le caractère marginal, bohème et intellectuel du mouvement trotskiste argentin.
Notre courant en Argentine a porté des noms différents. Grupo Obrero Marxista (Groupe Ouvrier Marxiste) entre 1943 et 1948. Partido Obrero Revolucionario (Parti Ouvrier Révolutionnaire) entre 1948 et 1956 (publiquement : Federación Bonaerense del Partido Socialista – Revolución Nacional, Fédération de Buenos Aires du Parti Socialiste – Révolution nationale, entre 1954 et 1955). Movimiento de Organizaciones Obreras (Mouvement d’Organisations Ouvrières) en 1956 et 1957. Entre 1957 et 1965, nous étions connus sous le nom de notre journal, Palavra Obrera (Parole ouvrière). Partido Revolucionario de los Trabajadores (Parti révolutionnaire des travailleurs) à partir de 1965 et PRT – La Verdad (La Vérité) après la rupture avec Santucho en 1968. Partido Socialista de los Trabajadores (Parti socialiste des Travailleurs) de 1971 à 1982. Movimiento Al Socialismo (Mouvement pour le socialisme) de 1982 à 1997, date à laquelle ce qui restait de ce parti a rompu avec la LIT-QI.
Après cette rupture, en 1997, se forme Lucha Socialista (Lutte Socialiste) puis le FOS (Frente Obrera Socialista – Front ouvrier socialiste) avec les militants de l’ancien MAS qui n’ont pas suivi sa direction et sont restés dans la LIT. En 2011, le FOS s’est unifié avec un autre secteur de militants issus de l’éclatement du MAS : le COI, Dignidad de Córdoba (Dignité de Cordoue), FUR de Comodoro Rivadavia, pour donner naissance à l’actuel PSTU-A (Parti Socialiste des Travailleurs Unifié d’Argentine).
Pendant les premières années, nous avons eu une déviation ouvriériste, sectaire et propagandiste. Aucun travail n’était fait parmi les étudiants et l’axe des activités était de donner des cours sur le Manifeste Communiste et d’autres textes classiques. Entre 1944 et 1948, nous avons eu, en plus de cela, une autre déviation, la déviation nationale-trotskiste. Autrement dit, celle de croire qu’il existait une solution aux problèmes du mouvement trotskiste et des travailleurs, au sein même du pays. Ce n’est qu’en 1948 que notre courant a commencé à intervenir dans la vie de l’Internationale, en participant à son deuxième congrès.
L’intervention dans les luttes ouvrières et dans l’Internationale a permis de surmonter les déviations et de renforcer le groupe. La participation en 1945 à la grève de l’usine de conditionnement de viande Anglo-Ciabasa (les usines de conditionnement de viande étaient le principal secteur ouvrier à cette époque en Argentine) a été très importante et a permis de gagner presque tous les camarades du comité d’usine. Après l’expérience de la grève de la viande, un groupe de camarades du GOM, dont Moreno, est allé vivre à Villa Pobladora, un quartier ouvrier d’Avellaneda, à l’époque l’une des plus grandes concentrations ouvrières d’Amérique latine. Là, ils ont commencé à travailler au Club Social Corazones Unidos (Cœurs Unis). Moreno a rapidement été élu président du club. Depuis ce club, ils donnaient des cours et des conférences, tout en menant des activités sociales et culturelles et en étant étroitement liés à la vie des travailleurs de la région. A partir de ce travail, le petit groupe est passé à une centaine de membres.
Petit à petit, le groupe s’est renforcé dans d’autres usines. Ils sont parvenus à diriger des usines de tubes de ciment et de cuir. Bien qu’il n’y ait eu que 100 très jeunes militants, le groupe s’est affirmé dans la classe et c’est ainsi que se sont construits de grands cadres ouvriers, le plus grand exemple étant Elías Rodríguez, que nous considérons aujourd’hui avec fierté comme un élément central de la tradition de notre tendance.
Le parti argentin, avec le SWP, qui avait été construit sous la direction personnelle de Trotski, est devenu le parti le plus ouvrier du mouvement trotskiste.
Dans ce processus, nous avons surmonté notre sectarisme et notre propagandisme, mais nous sommes tombés dans une déviation syndicaliste, qui a commencé à être surmontée plus tard grâce à notre participation à l’Internationale.
LA PARTICIPATION À LA QUATRIÈME INTERNATIONALE
La direction de la Quatrième Internationale après la Seconde Guerre mondiale, composée du SWP (USA), de Pablo (Grèce), Mandel (Belgique) et Franck (France), était très jeune et inexpérimentée et n’a pas pu surmonter l’affaiblissement qualitatif causé par l’assassinat de Trotski en 1940. La caractéristique centrale de la Quatrième Internationale à cette époque était son sectarisme. Son deuxième congrès en est un exemple. Il s’est tenu en 1948 au milieu de grands changements : en Chine se développait une révolution qui allait triompher moins d’un an plus tard, en Tchécoslovaquie, les ministres bourgeois étaient écartés du gouvernement et l’expropriation de la bourgeoisie commençait, un processus qui se déroulait déjà en Yougoslavie depuis 1947. Le Congrès a ignoré ces faits et le centre de la discussion était le caractère de classe de l’URSS et la question de savoir s’il fallait ou non la défendre contre les attaques impérialistes. Une controverse qui avait déjà été réglée dans le parti yankee du vivant de Trotski, en 1939-40.
Malgré le caractère sectaire et propagandiste de ce congrès, la participation à celui-ci a constitué un élément qualitatif pour le GOM. À partir de ce moment, il a commencé à travailler dans un cadre international. Il a commencé à donner beaucoup de poids, dans ses analyses et ses caractérisations, à l’impérialisme et à ses relations avec les bourgeoisies nationales. Une grande importance a également été accordée aux définitions internationales, comme ce fut le cas de la position prise par le GOM, dans le cadre de la Quatrième Internationale, en faveur de la Corée du Nord dans sa confrontation avec la Corée du Sud. Moreno a toujours revendiqué comme un fait qualitatif l’entrée du GOM dans la IVe Internationale, bien que notre groupe n’ait jamais été reconnu comme une section officielle. À ce moment-là, la section officielle était le groupe dirigé par Posadas.
LA DISCUSSION SUR LES NOUVEAUX ÉTATS D’EUROPE DE L’EST
En 1949, la discussion sur le caractère de classe de ces États commence dans la Quatrième Internationale. Moreno affirme que la façon dont cette discussion s’est déroulée est un excellent exemple de centralisme démocratique. Il y avait deux positions : pour Mandel (Belgique) et Cannon (USA), ces États étaient capitalistes. La position de Pablo (Grèce), soutenue avec quelques objections par Hansen (USA) et Moreno (Argentine), défendait l’idée que de nouveaux États ouvriers avaient émergé. La controverse a été résolue relativement rapidement. Mandel et Cannon ont reconnu l’existence d’un véritable processus révolutionnaire en Europe de l’Est et l’émergence de nouveaux États ouvriers déformés. Cette victoire politique a augmenté le prestige de Pablo dans les rangs de l’Internationale. C’est ainsi qu’on en est arrivé au troisième congrès en 1951.
LA LUTTE CONTRE LE PABLISME
En 1951, en pleine guerre froide, tous les commentateurs internationaux affirmaient qu’un affrontement armé entre les États-Unis et l’URSS était inévitable. Pablo et Mandel, impressionnés par les analyses de la presse bourgeoise, en sont arrivés à une conclusion funeste pour l’Internationale : pour eux, la troisième guerre mondiale était inévitable. Et ils soutenaient que face à l’attaque impérialiste, les partis communistes, dans leur empressement à défendre l’URSS, adopteraient des méthodes violentes pour affronter les États-Unis et que cela les conduirait à lutter pour le pouvoir dans différentes parties du monde. La même chose se produirait avec les mouvements nationalistes bourgeois dans les pays dépendants.
Sur la base de cette analyse, Pablo et Mandel, considérant qu’il n’y avait pas le temps de construire des partis trotskistes avant le déclenchement de cette troisième guerre, ont proposé un « entrisme sui generis » dans les partis communistes et nationalistes bourgeois, et de les suivre sans critique jusqu’après la prise du pouvoir. Le but de cet « entrisme sui generis » était d’orienter leurs directions (considérées par eux comme centristes) vers des positions révolutionnaires. La majorité du trotskisme international, dirigée par la section française, a refusé d’appliquer cette politique. Notre groupe, le POR argentin (nouveau nom pris par le GOM) a dénoncé le fait que cette position, qui abandonnait la définition de la bureaucratie stalinienne comme contre-révolutionnaire et renonçait à lutter contre elle, était une révision complète de points essentiels du programme trotskiste. Nous affirmions que ces positions découlaient du caractère petit-bourgeois, impressionniste et intellectuel des dirigeants européens.
LA RÉVOLUTION BOLIVIENNE. LA DIVISION DE LA QUATRIÈME INTERNATIONALE
Ces définitions de la direction de la IV ont eu des répercussions politiques importantes. Avec cette caractérisation, Pablo s’est opposé à l’exigence du retrait des chars russes qui ont affronté le soulèvement des travailleurs de Berlin en 1953, soutenant de fait la bureaucratie soviétique. Mais la conséquence la plus tragique de cette politique a été la trahison de la révolution bolivienne.
En 1952, une révolution ouvrière typique a lieu en Bolivie ; les travailleurs organisent des milices, vainquent militairement la police et l’armée, et la COB (Centrale ouvrière bolivienne) émerge comme un organe de double pouvoir. Les mines sont nationalisées et la révolution paysanne éclate, envahissant les latifundia et occupant les terres. Jusqu’en 1954, la principale force armée en Bolivie était constituée par les milices ouvrières dirigées par la COB.
Depuis les années 1940, l’organisation trotskiste bolivienne (POR) avait gagné une énorme influence dans le mouvement ouvrier. Elle comptait dans ses rangs d’importants dirigeants des mineurs, des dirigeants d’usines et des dirigeants paysans. Son principal leader, Guillermo Lora, était l’auteur des thèses de Pulacayo, une adaptation du programme de transition à la réalité bolivienne, adopté par la Fédération des mineurs. Lora a été élu sénateur pour un front mené par la Fédération des mineurs lors des élections de 1946. Lors de la révolution de 1952, le POR a codirigé les milices et cofondé la COB. Il avait un poids de masse en Bolivie.
Malheureusement, le POR, suivant l’orientation du Secrétariat international de la IV, dirigé par Pablo, n’a pas proposé la politique de prise de pouvoir par la COB. Au contraire, il a apporté son soutien critique au gouvernement bourgeois du MNR (un mouvement nationaliste bourgeois). Sans orientation révolutionnaire, le mouvement de masse a été désarmé et démobilisé et la révolution a été démantelée en quelques années. En conséquence de cette trahison de la révolution, il s’est produit une grande régression du trotskisme bolivien, qui est entré dans un processus de ruptures successives.
Parallèlement à cette politique, la direction internationale, dirigée par Pablo, a utilisé une méthode infâme. Il est intervenu dans le parti français, a destitué sa direction, qui n’était pas d’accord avec sa politique, et a tenté de former une fraction secrète au sein du SWP nord-américain.
Rejetant la ligne d' »entrisme sui generis » et les méthodes bureaucratiques et déloyales de Pablo, la majorité des trotskistes français (dirigés par Lambert) et anglais (dirigés par Healy), le SWP (USA) et les trotskistes sud-américains (à l’exception du POR bolivien et du groupe de Posadas en Argentine) ont rompu avec le Secrétariat international (SI) dirigé par Pablo et ont créé le Comité international (CI) en 1953.
LE SLATO : LA RÉVOLUTION PÉRUVIENNE
En Amérique du Sud, la polémique contre la politique menée à l’égard de la Bolivie est menée par le POR argentin, avec des trotskistes du Chili et du Pérou. En avril 1953, Nahuel Moreno écrit le texte « Dos líneas » (Deux lignes) dans lequel il affirme que le soutien critique au MNR était une trahison et qu’il fallait exiger la prise du pouvoir par la COB.
Dans le même temps, nous exigions que le Comité international agisse comme une organisation centralisée, seul moyen de vaincre le révisionnisme pabliste. Le refus des forces majoritaires du Comité international, en particulier du SWP américain, d’agir de manière centralisée et avec une politique offensive, a provoqué la progression des positions pablistes, malgré le fait que la plupart des trotskistes étaient contre elles. Lorsque les tentatives d’amener le Comité international à agir de manière centralisée et offensive ont échoué, nous avons commencé à agir en tant que tendance au niveau latino-américain et en 1957 nous avons formé, avec des dirigeants péruviens et chiliens, le SLATO (Secrétariat latino-américain du trotskisme orthodoxe). Le SLATO était la tentative de regrouper les trotskistes latino-américains qui s’opposaient à la capitulation pabliste face au stalinisme. Luis Vitales, qui avait été envoyé par le parti argentin pour soutenir le groupe chilien, en était l’un des fondateurs. Le document approuvé par la Conférence qui a donné naissance au SLATO, a permis de préciser le caractère dominant de l’impérialisme yankee en Amérique latine et de préparer les documents que Nahuel Moreno et Luis Vitales ont apporté à la Conférence de Leeds convoquée par le Comité international.
L’existence du SLATO nous a permis de participer de manière centralisée au processus de révolution agraire au Pérou en 1962. Hugo Blanco, étudiant péruvien et militant du POR argentin, a été envoyé pour participer au processus de Cuzco. Hugo Blanco, guidé par SLATO, a dirigé le processus d’occupation des terres et d’organisation syndicale dans les campagnes. Le SLATO a envoyé plusieurs cadres pour soutenir ce travail. Dans ce processus s’est construit le Front de Gauche Révolutionnaire (FIR), orienté par les trotskistes et qui a donné naissance à notre actuelle section péruvienne. En 1963, Hugo Blanco a été capturé par l’armée. De 1963 à 1967, il a été mis au secret. En 1967, il a été jugé par les tribunaux militaires. Face au danger qu’il soit condamné à mort, une campagne internationale a été lancée, avec le soutien de personnalités comme Sartre, Simone de Beauvoir, Isaac Deustcher, des syndicats en France, en Angleterre, en Inde, des parlementaires français et anglais, etc. Cette campagne a permis d’éviter qu’il ne soit condamné à mort. Il a été condamné à 25 ans de prison. Une autre campagne internationale a permis de le libérer en 1970. Tout au long de cette période, les paysans péruviens ont continué à élire Hugo Blanco comme leur principal dirigeant lors de tous leurs congrès.
LA RÉVOLUTION CUBAINE ET LA RÉUNIFICATION EN 1963
La reconnaissance et le soutien à la révolution cubaine sont à la base de la réunification de la Quatrième Internationale en 1963. C’est ainsi que naît le SU (Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale), dirigé par Mandel et par le SWP (Pablo s’est retrouvé en dehors de la IV, comme conseiller du gouvernement bourgeois de Ben Bella en Algérie). Dans le SU sont entrées toutes les forces trotskistes qui caractérisaient Cuba comme un nouvel État ouvrier. Les Anglais et les Français sont restés en dehors, ne reconnaissant pas la signification de la révolution cubaine.
Nous avons mis un an à adhérer, car nous demandions un bilan du processus précédent, où serait marquée au fer rouge la méthode impressionniste qui avait conduit à la trahison de la révolution bolivienne, afin d’éviter des déviations similaires à l’avenir. Bien que ce bilan autocritique n’ait pas été réalisé, nous avons décidé en 1964 de nous y joindre pour ne pas rester isolés, convaincus que, malgré les divergences, une réunification autour du soutien à une révolution était positive et que cela nous permettrait de participer plus fortement à la future montée des luttes que nous prévoyions.
LA LUTTE CONTRE LES DEVIATIONS GUÉRILLÉRISTES. LE DÉVELOPPEMENT DU PARTI ARGENTIN. LA RÉVOLUTION PORTUGAISE
La révolution cubaine a eu un fort impact sur l’avant-garde mondiale, en particulier celle d’Amérique latine. En Argentine, dans les années 1960, cela s’est combiné avec une régression prononcée du mouvement ouvrier. L’influence castriste a eu des conséquences très négatives sur notre groupe.
De 1957 à 1964, notre organisation (connue sous le nom de Palabra Obrera (Parole Ouvrière), le nom du journal) a appliqué la tactique de l’entrisme dans les 62 organisations péronistes, comme un moyen de nous mettre en contact avec le meilleur de l’avant-garde ouvrière qui faisait face à la dictature militaire. Au cours de cette période, notre groupe a construit des liens très étroits avec le mouvement ouvrier, comme aucun autre groupement de gauche n’y était parvenu en Argentine, et qui ont marqué une caractéristique singulière de notre courant. Notre organisation a beaucoup progressé au niveau syndical, mais pas autant au niveau politique en raison de la forte déviation syndicaliste que nous avions.
Contrastant avec cette dérive syndicaliste, « notre parti, dans ces moments cruciaux de la lutte en Argentine, n’a pas négligé les problèmes théoriques et politiques posés par la situation mondiale, non seulement aux trotskistes, mais à tous ceux qui sont impliqués dans la lutte de classe nationale et internationale. Dans le cadre de cette tâche, il faut également souligner la publication de la revue Estratégia de la Emancipación Nacional, qui est née de la nécessité d’avoir une publication théorique marxiste. Milcíades Peña, « Hermes Radio », se considérait alors comme un sympathisant de notre parti. Avec lui et Luis Franco, un remarquable poète et intellectuel marxiste, nous avons pu publier trois numéros entre 1957 et 1958. La défaite du mouvement ouvrier, avec la grève de janvier 1959, nous a également touchés à cet égard et nous avons dû suspendre sa publication« [[1]].
Cette avancée théorique était étroitement liée à la compréhension de la nécessité de l’Internationale. « Dans ce sens, le choc frontal de Moreno avec les conceptions « fédéralistes » du Comité international qu’avaient les dirigeants du SWP américain, l’exigence que le CI devienne une direction révolutionnaire centralisée, indiquaient un aspect très étroitement lié au précédent : développer le parti mondial pour mieux favoriser la croissance des sections nationales, en évitant les déviations et les erreurs; et profiter au mieux de l’expérience des sections les plus dynamiques pour renforcer le parti mondial (…) a été une lutte nécessaire, qui d’autre part a permis de progresser dans la compréhension des relations entre l’organisation mondiale et ses partis nationaux« [[2]].
Mais cette bataille nécessaire a été perdue et les sections ont continué à être soumises à des pressions nationales sans avoir une référence internationale forte. Dans le parti argentin une forte crise s’est ouverte quand en 1964, gagné par la direction cubaine, Ángel Bengochea (el Vasco), qui était avec Moreno le principal dirigeant de notre organisation, a rompu. Quelques années plus tard (en 1968), une rupture a été provoquée, conduisant les principaux cadres du parti vers les positions foquistes. Le principal leader de la rupture était Roberto Santucho, avec qui nous nous étions unifiés en 1965, et qui fut plus tard le principal dirigeant de l’ERP.
Mais la pression du foquisme n’a pas concerné que le seul groupe argentin, elle était aussi absorbée par la direction de la IV. La méthode impressionniste de Mandel n’avait pas été dépassée et une nouvelle capitulation a eu lieu vers la fin des années 60. Cette fois face au castrisme, en acceptant la conception guérillériste du foquisme. Lors du IXe Congrès de la IV (1969), l’adoption de la guérilla en Amérique latine a été votée, et c’est par conséquent l’organisation de Santucho (le PRT-El Combatiente) qui a été reconnue comme section officielle de la IV. Notre organisation (PRT-La Verdad) est restée comme section sympathisante.
Le SWP des États-Unis, le PST argentin (nom acquis par notre groupe après la fusion avec le secteur de Juan Carlos Coral, en rupture avec le Parti socialiste) et tous les groupes sud-américains, nous avons dirigé un courant qui a mené une grande bataille contre ces positions. Nous disions que la théorie du « foco » était une politique élitiste, isolée du mouvement de masse et qu’elle provoquerait de grands désastres. Malheureusement, les faits nous ont donné raison. Le trotskisme a perdu d’innombrables militants de valeur qui ont suivi cette ligne erronée, principalement en Argentine, mais aussi dans d’autres pays. Le SU, qui n’est jamais devenu une organisation centralisée démocratiquement, est devenu une fédération de tendances. Chacun appliquait sa propre politique.
La montée amorcée en 1968 avait ouvert de nouvelles opportunités, l’existence d’une organisation mondiale unifiée (le SU) permet d’en tirer parti. En France, par exemple, où le trotskisme avait pratiquement disparu en raison de l' »entrisme sui generis », la LCR est apparue, elle a organisé jusqu’à 5 000 militants et a même eu une publication quotidienne. En Amérique latine, on a assisté à une grande croissance du PST argentin et aux États-Unis, au renforcement du SWP en raison de sa participation contre la guerre du Vietnam.
Mais, sans avoir fini de surmonter la déviation guérillériste, il a fallu faire face à une nouvelle capitulation de Mandel dans les années 70. Passons sur les nombreuses avant-gardes qui ont émergé lors du Mai français, influencées par le maoïsme. Notre polémique avec Mandel est développée dans « El partido y la revolución » de Nahuel Moreno.
Au cours de cette lutte contre le guérillérisme et l’avant-gardisme, notre parti argentin, le PST (né d’une fusion avec un secteur en rupture avec la social-démocratie) s’est développé comme un parti d’avant-garde fort. Ce renforcement se fait avec une politique opposée à celle de Mandel : en intervenant dans le soulèvement qui a eu son point culminant dans la semi-insurrection connue sous le nom de « Cordobazo » et en participant au processus électoral. Durant cette période, nous avons organisé le parti en Uruguay et au Venezuela.
Lorsque la révolution portugaise a éclaté en 1974, le PST a envoyé des cadres pour participer au processus. Nous avons mis en place une politique qui faisait avancer la lutte pour le pouvoir, centrée sur l’appel au développement et à la centralisation des organes de double pouvoir qui étaient en train d’émerger. Nous avons gagné un secteur de lycéens et organisé le parti portugais, qui a forgé des cadres importants pour l’Internationale.
Cette révolution a montré une nouvelle capitulation de Mandel qui, suivant le maoïsme, a apporté son soutien au MFA (Mouvement des forces armées) qui co-gouvernait l’empire portugais. Ce processus a également provoqué la rupture en 1975 de la FLT (fraction que nous avions formée avec le SWP aux USA pour faire face au mandélisme), face à l’impossibilité de partager la même politique pour la révolution, car pour le SWP, la tâche centrale était de mettre en avant des mots d’ordre démocratiques et de publier des œuvres de Trotski.
La plupart des organisations et des militants de Colombie, du Brésil, du Mexique, d’Uruguay, du Portugal, d’Espagne, d’Italie et du Pérou se sont retirés de la FLT et ont créé, avec le PST argentin, une tendance qui s’est déclarée par la suite comme étant une fraction du SU, la FB (Fraction bolchevique), qui allait plus tard donner naissance à la LIT-QI.
La participation à la révolution portugaise et les polémiques avec le mandélisme et le SWP nous ont permis d’avancer dans l’élaboration théorique sur la construction de partis au cours de processus révolutionnaires, formulée dans « Revolución y contrarrevolución en Portugal« .
LE PARTI AU BRÉSIL
Un groupe de jeunes Brésiliens exilés au Chili prend contact avec notre courant. Après le coup d’État de Pinochet, ils se rendent en Argentine et commencent à militer au PST. En 1974, ils retournent au Brésil pour construire le parti. C’est ainsi que nait la Liga Operária (Ligue ouvrière) puis la Convergence socialiste, le groupe commence à se développer et, en contact avec la direction de la FB, élabore la politique d’appel à un PT.
La jeune organisation brésilienne s’est développée pendant 12 ans, faisant de l’entrisme dans le PT, sans se dissoudre ni capituler devant sa direction bureaucratique. Cela a été possible parce qu’elle appartenait à un courant international qui a donné les orientations à cet entrisme, en centralisant le travail dans les oppositions syndicales dans la CUT et apportant de la clarté sur le caractère bureaucratique de la direction luliste.
Ainsi, la CS a pu quitter le PT, 12 ans plus tard, qualitativement plus forte qu’elle y était entrée, et avec une politique de Front unique révolutionnaire dirigée vers les secteurs d’avant-garde qui rompaient avec le parti de Lula.
LE PARTI COLOMBIEN
En 1976, un coup d’État militaire a lieu en Argentine, donnant naissance à la dictature semi-fasciste de Videla. Le PST a dû éloigner des dirigeants importants du pays, ce qui a été mis à profit pour renforcer le travail international. Au cours de cette période, nous avons construit nos organisations en Bolivie, au Chili, en Équateur, au Costa Rica, au Panama, et renforcé le travail au Portugal et en Espagne. Mais le processus le plus important s’est déroulé en Colombie, où nous sommes entrés en contact avec un Bloco Socialista, une organisation qui s’approchait des positions révolutionnaires, avec des cadres issus du castrisme et de l’Église. De là est né le PST colombien, qui s’est rapidement consolidé comme une organisation d’avant-garde et est devenu l’un des deux piliers de notre travail international.
LA LUTTE CONTRE LA DICTATURE ARGENTINE
Pendant ce temps, en Argentine, le PST joue un rôle héroïque dans la résistance à la dictature génocidaire. Il y a eu environ 250 militants arrêtés et plus de 100 morts et disparus. Agissant dans la clandestinité la plus absolue, il a maintenu sa publication et développé son action dans le mouvement ouvrier, la jeunesse et l’intelligentsia. Au début de la guerre des Malouines, la haine de la dictature n’a pas empêché une politique de principe consistant à identifier et à attaquer l’impérialisme envahisseur comme l’ennemi principal. Dès le premier instant et sans cesser de dénoncer la dictature, le PST s’est placé dans le camp militaire argentin et a milité pour la défaite de l’impérialisme. Le PST est sorti de la dictature avec un grand prestige dans l’avant-garde et avec 800 cadres solides, qui se sont tournés vers la construction du MAS, incorporant dans cette tâche un groupe de cadres qui venaient d’un autre courant socialiste.
LA RÉVOLUTION NICARAGUAYENNE. LA BRIGADE SIMON BOLIVAR
En 1979, lorsqu’éclate la révolution nicaraguayenne, notre tendance, malgré ses différences avec le sandinisme, décide de participer physiquement à la lutte contre Somoza. Par l’intermédiaire du PST colombien, il réalise une grande campagne pour construire la Brigade Simon Bolívar. Elle est composée de militants de notre courant et de révolutionnaires indépendants de Colombie, du Panama, du Costa Rica, des États-Unis et d’Argentine. Conservant sa totale indépendance politique, la Brigade rejoint l’armée sandiniste et joue un rôle héroïque dans la libération de la région sud du Nicaragua, ce qui lui coûte des morts et des blessés. Avec la victoire de la révolution, les brigadistes sont reçus en héros à Managua. Nous exigions que le sandinisme rompe avec la bourgeoisie et prenne le pouvoir conjointement avec les syndicats ouvriers. Le sandinisme, suivant la politique de Castro, était dans un gouvernement de coalition avec Violeta Chamorro. La Brigade encourage la création de syndicats et en organise plus de 70 en une semaine. Cela provoque la réaction de la direction sandiniste, qui l’expulse du Nicaragua. Plusieurs brigadistes sont arrêtés et torturés par la police panaméenne, alliée du gouvernement sandiniste.
Le SU a envoyé une délégation à Managua pour dire que nous étions un groupe d’ultragauche, avec lequel il n’avait rien à voir, et a voté une résolution interdisant la construction de partis en dehors du sandinisme. Le refus de défendre les militants révolutionnaires torturés par la bourgeoisie est la conséquence d’avoir voté cette résolution interne qui, dans la pratique, était un décret d’expulsion de notre courant, nous obligeant à rompre définitivement avec le SU.
Ces faits révèlent la véritable polémique au sein du SU. Nous défendions la nécessité de construire un parti révolutionnaire au Nicaragua et eux non. La même discussion a eu lieu par rapport à Cuba, à la fois sur la construction du parti et sur la nécessité d’une révolution politique. Tout cela démontrait la capitulation croissante du SU face au castrisme et au sandinisme. Cela montrait également l’abandon de la morale révolutionnaire, en refusant de défendre les militants trotskistes arrêtés et torturés par la bourgeoisie.
NOTRE RELATION AVEC LE LAMBERTISME
Le courant dirigé par Pierre Lambert a apporté sa solidarité à la Brigade. C’est ainsi qu’a commencé notre relation politique avec le lambertisme, avec lequel nous n’avions plus de contact depuis 1963. Un processus de discussion s’engage, avec des accords principiels et programmatiques exprimés dans les « Tesis para la Actualización del Programa de Transición » de Nahuel Moreno. Dans ce travail, le stalinisme et le castrisme sont définis comme des agents contre-révolutionnaires ; les processus d’après-guerre (Europe de l’Est, Chine, Cuba) sont reconnus comme des révolutions, faisant partie de la révolution socialiste mondiale, bien qu’ils n’aient pas été dirigés par la classe ouvrière et son parti révolutionnaire.
En même temps, il pose la nécessité de faire avancer la révolution politique dans les États ouvriers dégénérés qui ont émergé de ces processus ; il analyse la guerre de guérilla et la politique opportuniste de ses directions ; il accorde une importance particulière à la défense du droit à l’autodétermination des nationalités opprimées et aux tâches démocratiques ; il identifie le début du processus de crise des appareils contre-révolutionnaires, en particulier le stalinisme, qui ouvre des possibilités de lutte pour des partis trotskistes et une Quatrième Internationale avec une influence de masse.
Une commission mixte est constituée, qui aboutit en 1980 à la formation d’une organisation commune, la Quatrième Internationale-Comité International (QI-CI). En tant que QI-CI, nous avons mené une campagne de soutien à « Solidarité » en Pologne. Tout indiquait qu’il était possible de faire un grand pas sur la voie de la reconstruction de la IV.
Mais cette tentative a échoué. Notre faible implantation en Europe nous a fait commettre une grave erreur. Nous n’avons pas vu que le lambertisme avait des liens étroits avec la bureaucratie syndicale, ce qui l’a conduit à capituler devant le gouvernement du Front populaire lorsque Mitterrand a gagné en France. Lambert a refusé de discuter de la politique pour la France et les expulsions de militants opposés à cette politique ont commencé, ce qui a provoqué l’éclatement de la QI-CI.
La polémique avec le lambertisme nous a obligés à avancer dans l’élaboration sur le Front populaire, ce qui s’est reflété dans le pamphlet « La traizón de la OCI » de Nahuel Moreno.
LA FONDATION DE LA LIT-QI
En janvier 1982, une réunion internationale a été organisée avec les partis de la FB et deux importants dirigeants du lambertisme : Ricardo Napurí du Pérou et Alberto Franceschi du Venezuela. L’un des points centraux de la réunion était l’organisation d’une campagne de défense de la moralité révolutionnaire de Napurí, attaqué par Lambert pour avoir exprimé des différences politiques avec lui. Un autre point important était la discussion sur la façon d’avancer dans la construction de l’Internationale.
L’assemblée, après avoir approuvé la campagne, a décidé à l’unanimité de se transformer en une conférence de fondation d’une nouvelle organisation internationale. Les statuts de la LIT-QI et les thèses fondatrices ont été approuvées, où il était proposé la stratégie de la construction de la Quatrième Internationale avec une influence de masse. Il ne s’agissait pas seulement de la FB sous un autre nom, puisque Franceschi s’y est intégré avec son parti, le MIR Obrero (MIR ouvrier), qui rompait avec le lambertisme. Napurí s’y est joint au même moment, avec la moitié du parti péruvien qui a rompu avec Lambert.
En 1985, le parti dominicain a rejoint la LIT-QI. Ce groupe ne venait pas du trotskisme mais d’une rupture avec l’Église.
En 1985, le premier congrès de la LIT-QI a voté un manifeste, dans lequel il définissait la situation mondiale comme révolutionnaire et lançait un appel à construire un FUR à partir d’un programme révolutionnaire minimum pour faire face au front de la contre-révolution impérialiste mondiale, aux bourgeoisies nationales, à l’église, au stalinisme, au castrisme, au sandinisme et aux bureaucraties syndicales et pour avancer dans la construction de partis révolutionnaires nationaux et d’une Internationale avec une influence de masse. En 1987, s’y sont joints le groupe de Bill Hunter en Angleterre, qui n’était pas issu du morénisme, ainsi qu’un groupe de jeunes trotskistes indépendants du Paraguay, donnant naissance au PT paraguayen, la plus grande organisation de gauche du pays.
LES PRINCIPALES CAMPAGNES POLITIQUES DE LA LIT-QI
La première est pour la victoire de l’Argentine dans la guerre des Malouines, avec laquelle nous sommes intervenus dans le processus anti-impérialiste qui s’est ouvert en Amérique latine.
La campagne pour le « non-paiement de la dette extérieure » nous a permis de nous connecter aux grandes mobilisations boliviennes qui ont obligé le gouvernement du Front populaire, dirigé par Siles Suazo, à suspendre le paiement de la dette.
La campagne contre les accords d’Esquípulas et de Contadora, promus par l’impérialisme et soutenus par le castrisme et le sandinisme pour arrêter le processus révolutionnaire en Amérique centrale, a été d’une grande importance.
En 1991, nous avons fait campagne pour la défaite de l’impérialisme dans la guerre du Golfe.
LA CONSTRUCTION DU MAS ARGENTIN
Après la chute de la dictature argentine (1982), la direction de la LIT a décidé de donner priorité au travail dans ce pays, où la possibilité objective et subjective que le MAS devienne un parti ayant une influence de masse s’était ouverte. Dans les luttes du mouvement de masse et dans la participation électorale, le MAS est devenu le parti le plus fort de la gauche argentine. Il a acquis une forte implantation dans les principales usines et les quartiers ouvriers, a mené des listes d’opposition à la bureaucratie dans les principaux syndicats, a organisé des actions avec 20 à 30 mille personnes, a obtenu le premier député trotskiste de l’histoire argentine, et a même promu et mené une action d’opposition au gouvernement avec 100 mille personnes.
Au milieu de ce processus, la LIT-QI a reçu un coup terrible en 1987 avec la mort de son fondateur et principal dirigeant, Nahuel Moreno. Son absence a provoqué un affaiblissement qualitatif de notre direction internationale et a eu une très grande incidence sur le développement et l’issue de la crise qui a conduit à la destruction de la LIT.
LA CRISE DE 1990
Dans les premières années de la décennie 1990, une grande crise s’est déclenchée dans notre courant international. De grands changements ont eu lieu dans le monde à partir de la chute du mur de Berlin, ce qui a eu des répercussions dans le monde entier. De grands processus révolutionnaires ont détruit l’appareil central du stalinisme, libérant ainsi le mouvement ouvrier mondial de la camisole de force qui lui avait été passée pour des décennies. Mais l’absence d’une direction révolutionnaire mondiale a empêché ce processus d’être en mesure de renverser la restauration capitaliste orchestrée par la bureaucratie. Cela a rendu possible l’offensive politique, militaire et idéologique de l’impérialisme. C’est dans cette période qu’a eu lieu la crise de la LIT-QI, qui a pratiquement conduit à sa destruction.
En avril 1992 a lieu la rupture du MAS argentin, avec des méthodes incompatibles avec la morale révolutionnaire : occupation de locaux, agressions physiques par la minorité, la Tendance Moréniste Internationale (TMI) et campagnes de calomnies par la direction majoritaire. Peu de temps après, la TMI organise l’éclatement du parti brésilien par le biais d’une fraction secrète. Cela a ouvert la pire crise de notre histoire. Dans ce processus, 40% du parti argentin, le PST du Panama, la moitié du PST péruvien, un secteur du POS mexicain, la moitié de la section équatorienne, un secteur du parti brésilien et des secteurs en Colombie, au Chili, en Allemagne, au Portugal, ont quitté la LIT.
Le cinquième Congrès, qui s’est tenu en 1994, a voté pour la reconstruction de la LIT-QI. Formellement, la LIT-QI existait, les réunions internationales étaient organisées, il y avait une direction, la revue internationale était éditée. Mais il s’agissait de plus en plus d’une apparence, d’une formalité. La meilleure preuve en est la direction avec laquelle on est arrivé jusqu’au cinquième congrès : un secrétariat international composé de quatre personnes répondant à quatre tendances (FI, TBI, Nuevo Curso, TR)[[3]], dont la plupart ne prônaient pas la continuation de la LIT-QI. En fait, la LIT avait cessé d’avoir un programme unique et avait perdu son régime centraliste démocratique. Dans son contenu, la LIT-QI avait été détruite. Par conséquent, la résolution du 5e Congrès était totalement nécessaire. À partir de ce moment, une nouvelle équipe dirigeante a commencé à se mettre en place, dirigée par les leaders de l’ex-TR, et qui comprenait la direction du parti péruvien et du groupe anglais, qui a pris en main les tâches de reconstruction. Cette tâche a demandé beaucoup d’efforts et a pris de nombreuses années, tant les destructions avaient été importantes. Un fait à souligner est que, puisqu’il était décidé que la grande tâche à accomplir était la reconstruction de la LIT-QI, on ne le faisait pas comme un objectif en soi, mais pour qu’elle soit le moteur de la reconstruction de la IVe Internationale. Par conséquent, en même temps que les tâches de reconstruction étaient assumées, un travail de relations avec différentes organisations dans différents pays (Angleterre, France, Iran, Japon, Allemagne, Turquie, ex-URSS…) a été initié dans le but de faire avancer cet objectif stratégique.
Quelques jours avant le Congrès, la FI s’était retirée, ce qui signifiait le départ de la majorité du parti espagnol. A peine le cinquième congrès terminé, la TBI rompait, ce qui signifiait la perte du PST colombien, du PRT costaricien, des sections hondurienne et nicaraguayenne, et de plus de 100 militants argentins. Nuevo Curso, dirigé par ce qui reste du MAS argentin, reste dans l’Internationale (et participe à la direction) mais sans en revendiquer les bases fondatrices. Peu après, ils commencent à soutenir que la LIT-QI doit abandonner le centralisme démocratique et mettre de côté la stratégie de reconstruction de la IVe Internationale. Leurs positions sont rejetées (par un vote) au VIe Congrès (1997). Nuevo Curso refuse de se conformer à ses résolutions et ce qui restait du MAS argentin, de Convergencia Socialista d’Uruguay, la LST en France, le PST du Venezuela et un secteur du parti brésilien, quittent l’Internationale.
Comme l’indique le bilan des activités approuvé par le 8e Congrès, « lorsqu’il s’agit de compter les victimes et les pertes, nous pouvons constater que dans tout ce processus, la LIT a non seulement perdu son programme, son régime, ses finances, ses publications, mais elle a également perdu la majeure partie de son patrimoine humain. Au total, la LIT a perdu entre 4 et 5 mille militants, dont peut-être 80% des cadres les plus expérimentés.«
LES CAUSES DE LA CRISE
Une combinaison de facteurs objectifs et subjectifs explique notre crise. Dans cette combinaison, les éléments objectifs ont été déterminants. Cela devient évident quand on voit que non seulement notre Internationale a été touchée, mais que c’est un processus qui a affecté toutes les organisations de gauche, sans exclure les organisations révolutionnaires.
Après la défaite militaire au Vietnam, au milieu des années 70, l’impérialisme yankee a commencé à s’attaquer aux processus révolutionnaires en recourant de préférence aux institutions et aux mécanismes de la démocratie bourgeoise et en cooptant les dirigeants. Moreno a qualifié cette politique de « réaction démocratique ». Cette politique, qui a connu de grandes réussites pour canaliser d’importants processus révolutionnaires, a également fait des ravages dans la majorité de la gauche au niveau mondial : l’abandon par l’OLP de la lutte pour la destruction de l’État d’Israël, l’intégration au régime des sandinistes au Nicaragua et du Farabundo Martí au Salvador ; la social-démocratisation des partis communistes ; l’intégration au régime, par le biais du PT, de la majorité de la gauche brésilienne… Mais ce processus de capitulation de la vieille gauche anti-impérialiste a fait un bond après la restauration dans les États ouvriers. Cette fois, les organisations trotskistes étaient également touchées.
Le problème central était que la restauration n’a pas eu lieu comme Trotski l’avait pronostiqué, à partir d’un coup d’État contre-révolutionnaire, mais au nom des libertés démocratiques et de l’utilisation des institutions bourgeoises. L’absence d’une direction révolutionnaire a conduit une partie de la population à avoir des attentes dans ces institutions restauratrices. A partir de cela et de la campagne de l’impérialisme sur la « supériorité du capitalisme », la grande majorité de la gauche a abandonné la perspective du socialisme et de la lutte pour le pouvoir. Un grand nombre de partis se sont dissous, des milliers et des milliers de personnes ont abandonné le militantisme et ceux qui sont restés actifs ont commencé à chercher de nouvelles voies… Comme on ne « pouvait pas » ou qu’on ne voulait pas prendre le pouvoir, ils ont commencé à chercher comment gagner des « espaces de pouvoir ». Des idées « nouvelles » se sont imposées : la classe ouvrière disparaissant, il fallait chercher d’autres sujets sociaux; le stalinisme était la continuité du léninisme, le centralisme démocratique conduisait à la bureaucratisation, tout passait par l’horizontalité ; tout pouvoir corrompait, les travailleurs pouvaient résoudre leurs problèmes sans prendre le pouvoir…Ainsi un nouveau réformisme a été créé, un réformisme sans réforme.
Cette « tempête opportuniste » qui a frappé l’ensemble de la gauche, y compris les organisations trotskistes, a également atteint la LIT-QI. Cela s’est reflété, principalement, dans les politiques erronées avec lesquelles la direction argentine a répondu aux grands défis présentés par la réalité.
A la suite de Trotski, Moreno a toujours dit que pour faire face aux grands changements et aux crises qu’ils génèrent, il faut se tourner plus que jamais vers la classe ouvrière, plus que jamais vers la théorie marxiste et plus que jamais vers l’Internationale.
La direction argentine a fait le contraire, elle est tombée dans une dérive électoraliste et elle a continué à relativiser la construction dans la classe ouvrière ; au lieu de fonder sa politique sur la théorie marxiste, elle a élaboré de nouvelles théories pour justifier sa politique ; à partir de succès circonstanciels et d’une grande croissance, elle s’est considérée comme autosuffisante et a sombré dans une déviation nationale-trotskiste.
La différence avec d’autres organisations trotskistes était que dans la LIT-QI il y avait des réserves et qu’un secteur a résisté du mieux qu’il a pu aux assauts de cette tempête. Par conséquent, la LIT, contrairement au SU, n’a pas couru dans le sens du vent et ne s’est pas adaptée à la « modernité ». Au contraire, dans la LIT-QI, la « tempête opportuniste » a provoqué des crises, des ruptures, des divisions, jusqu’à ce qu’elle puisse finalement se remettre sur la bonne voie.
LA MORT DE NAHUEL MORENO ET LA DESTRUCTION DE LA LIT-QI
Si Moreno avait été vivant, nous serions probablement entrés en crise de la même manière, car les causes objectives étaient très fortes. Lénine, Trotski, Rosa Luxemburg, ont résisté aux pressions chauvines pendant la Première Guerre mondiale, mais n’ont pu empêcher la faillite de la Deuxième Internationale. Moreno n’a pas été en mesure de vaincre les pressions guérilléristes à l’origine de la rupture en Argentine avec Bengochea et ensuite avec Santucho…
Cependant, il ne fait aucun doute que si Moreno avait été en vie, le développement de la crise aurait été différent et les victimes beaucoup moins nombreuses. Compte tenu de la trajectoire de Moreno et de son prestige, il aurait été très difficile pour la majorité de la LIT de tomber dans une telle déviation si elle avait compté sur son leadership. Avec le leadership de Moreno, la crise aurait eu lieu, il y aurait eu des ruptures, des pertes, mais presque certainement, nous n’en serions pas arrivés à la destruction.
Il y a des courants comme le Partido Obrero en Argentine qui pensent que la crise et la destruction du MAS et de la LIT sont un produit de la politique de Moreno, et que l’évolution opportuniste actuelle du MST argentin [[4]] serait la continuation du morénisme. Nahuel Moreno a construit notre tendance en affrontant l’opportunisme, les fronts populaires, la réaction démocratique, en luttant sans relâche pour la construction de partis révolutionnaires dans la classe ouvrière, pour la construction de l’Internationale. Cette lutte de plusieurs décennies a pris racine, elle a créé des réserves et c’est pourquoi, au sein de la LIT-QI et de l’ancien MAS lui-même, une résistance s’est levée pour faire face à la tâche de la reconstruction et a réussi à remettre notre Internationale sur pied.
LA NOUVELLE RÉALITÉ DE LA LIT-QI
À partir du cinquième congrès, un processus de reconstruction lent et traumatisant a commencé. Ce processus a été très difficile en raison de la manière dont il devait se dérouler. Ce n’était pas la première fois dans l’histoire des Internationales qu’il fallait faire face à une offensive du révisionnisme. Cela s’est produit dans la Deuxième, mais dans celle-ci la lutte a été menée par une partie des principaux dirigeants : Kautsky, Rosa Luxemburg, Liebknecht… dans un premier temps ; Rosa, Lénine, Trotski, Liebknecht… après 1914. Dans la Troisième, la bataille a été menée par Trotski. Dans le SWP yankee, Trotski et Cannon étaient à la tête de la lutte contre les anti-défensistes[5].
Au sein de la LIT, c’était très différent, les principaux dirigeants, ceux qui avaient travaillé le plus étroitement avec Moreno, ceux qui avaient le plus d’expérience et le plus de prestige, tombaient les uns après les autres face à la « tempête opportuniste », ils ont adopté l’une ou l’autre position révisionniste ou bien ils sont partis et n’ont pas lutté. Ce combat a dû être mené par des dirigeants de deuxième ou troisième ligne, qui n’avaient aucune expérience de la direction internationale ni de la lutte théorico-programmatique. C’est pourquoi, avec beaucoup de difficultés, et en commettant de nombreuses erreurs en cours de route, les organismes ont été reconstruits et à partir d’eux, des progrès ont été réalisés dans la compréhension commune du monde.
Ainsi, peu à peu, la tradition théorique, politique et méthodologique a été récupérée. Une réponse politique a été apportée à des faits nouveaux : la guerre de Bosnie, la « mondialisation » capitaliste, les restructurations productives. Nous avons réussi à donner une interprétation théorique à la restauration capitaliste dans les anciens États ouvriers dégénérés. Les partis de la LIT-QI sont intervenus dans les processus révolutionnaires latino-américains et nous avons présenté une politique de principe, en nous affrontant aux nouveaux gouvernements (de Front populaire ou populistes) issus de ces processus.
Autour de la participation à ces processus, la LIT-QI s’est reconstruite, non seulement en termes théoriques, programmatiques, méthodologiques, moraux, mais aussi en termes organisationnels. La plus grande avancée organisationnelle a eu lieu au Brésil avec la construction du PSTU qui est devenu une référence incontestable pour les luttes et le militantisme au Brésil.
Mais ce n’est pas la seule, les sections ont approfondi leur insertion dans le mouvement des masses, la reconstruction du parti argentin a commencé, de nouvelles sections se sont formées en Equateur et au Costa Rica, le POI de Russie a rejoint la LIT-QI. Les revues Correo Internacional et Marxismo Vivo ont régulièrement mis en évidence les définitions politiques face aux principaux faits de la lutte des classes, et la progression des élaborations théorico-programmatiques.
Ces faits, ajoutés aux relations établies avec le CITO dans l’objectif d’aller vers une organisation unique, ont fait que le VIIIe Congrès (juin 2005) a constaté que la LIT-QI vivait une nouvelle réalité.
Plus tard, de nouveaux faits ont confirmé cette définition : l’unification avec le CITO, qui a signifié la récupération du PST colombien et d’organisations et de cadres au Pérou, au Costa Rica et en Argentine. Le développement continu du PSTU, son positionnement correct pour faire face au gouvernement de Front populaire de Lula, le succès de sa politique de construction de la CONLUTAS comme centrale alternative ouvrière et populaire ; l’entrée du parti italien dans la LIT-QI, la fondation de la section vénézuélienne, le développement du travail en Amérique centrale, la fondation de la section belge, la fusion qui a donné naissance au PSTU d’Argentine, l’ouverture de notre travail au Pakistan, au Sénégal, la réouverture du travail en Turquie. Il y a également eu des faits de sens opposé : le départ du POS mexicain, du MST de Bolivie et de la LST de la République dominicaine, la rupture en 2016 d’un secteur important du PSTU du Brésil et du PSTU d’Argentine. Des faits qui continuent de souligner la pression de la « tempête opportuniste ».
NOTRE PROJET STRATÉGIQUE : LA RECONSTRUCTION DE LA QUATRIÈME INTERNATIONALE
En 2008, nous déclarions :
La nouvelle réalité de la LIT-QI se combine avec une nouvelle réalité de la lutte des classes au niveau latino-américain et mondial. La situation révolutionnaire mondiale et latino-américaine, qui a commencé à se manifester avec force dès le début du XXIe siècle, traverse un nouveau moment. La résistance irakienne offre la possibilité d’une nouvelle défaite militaire de l’impérialisme yankee. Les plans des Etats-Unis pour stabiliser le Moyen-Orient s’effondrent, comme le montre la défaite de l’armée israélienne au Liban. Le prestige de Bush s’est effondré. Dans les pays impérialistes, les ajustements par la crise économique provoquent la réaction des travailleurs, à laquelle s’ajoutent les fortes luttes des travailleurs immigrés. Dans le cas des États-Unis, cela signifie qu’un pont est en train de se construire avec les luttes latino-américaines. Mais l’attaque impérialiste continue. En Amérique latine, l’offensive colonisatrice de l’impérialisme s’approfondit, le pillage des ressources naturelles, les exigences d’ajustements pour payer la dette extérieure, le tout désormais aggravé par la crise économique mondiale. La réponse des masses à ce pillage permanent se poursuit également. La différence est qu’aujourd’hui, cette montée ouvrière et populaire commence à se retourner contre ceux qui appliquent les plans, c’est-à-dire les nouveaux gouvernements qui ont surgi pour canaliser ou empêcher cette montée : Lula, Chávez, Evo, Kirchner, Tabaré …..
Cette réalité, sans aucun doute, souligne le besoin urgent d’avancer dans la solution de la crise de la direction révolutionnaire, en construisant une direction révolutionnaire mondiale. En même temps, ce nouveau moment dans la situation mondiale provoque des changements importants dans la conscience du mouvement de masse qui facilitent cette tâche. Avec l’émergence de ces gouvernements, les effets de la « tempête opportuniste » ont atteint leur expression maximale. La plupart des courants de gauche, y compris la plupart de ceux qui se réclament du trotskisme, ont capitulé devant eux. Mais cette nouvelle réalité, qui a trouvé son expression maximale dans la défaite électorale de Chávez au référendum, provoque des ruptures à gauche de ces organisations, qui cherchent de nouvelles références nationales et internationales.
Revenant sur ce que nous proposions en introduction, face à cette situation, la LIT-CI réaffirme son projet stratégique : la reconstruction de la Quatrième Internationale, et elle lance un appel à l’unité autour d’un programme révolutionnaire, qui inclue non seulement les réponses politiques aux principaux faits de la lutte de classe, rapprochant les travailleurs de la lutte pour le pouvoir, mais aussi les aspects de conception du parti, de méthode et de morale révolutionnaire.
Nous proposons d’appliquer à la reconstruction de la IV la même méthode que Trotski a appliquée à sa construction. En premier lieu, en lançant un appel non seulement à ceux qui viennent du trotskisme, mais à tous les révolutionnaires avec lesquels nous sommes d’accord programmatiquement, quelle que soit leur origine.
En second lieu, en ne faisant pas appel à tous ceux qui se réclament du trotskisme. D’une part, parce qu’il existe des organisations qui s’en réclament et qui, entre-temps, ont abandonné le programme révolutionnaire en participant à des gouvernements bourgeois ou en les soutenant. Et, d’autre part, parce qu’il existe des sectes autoproclamées trotskistes qui récitent le programme mais qui, par leurs méthodes fractionnistes et déloyales, jouent un rôle absolument destructeur.
En troisième lieu, en proposant des unifications non pas à travers des conférences ouvertes et de grandes cérémonies, mais à partir d’une patiente discussion programmatique et d’une activité commune dans la lutte des classes, qui permettent d’avancer sur des accords solides et des relations de loyauté révolutionnaire.
Compte tenu de la détérioration produite par la « tempête opportuniste », il est nécessaire de préciser certains aspects qui agissent comme une ligne de partage des eaux :
La défense de l’indépendance de classe face à tous les gouvernements bourgeois, y compris ceux de Front populaire ou populistes. Nous ne les soutenons pas, ni leurs mesures, et nous sommes dans l’opposition à tous ces gouvernements.
Nous soutenons les luttes de la classe ouvrière et de ses alliés.
Nous nous opposons à toute bureaucratie et défendons la démocratie ouvrière dans toutes les organisations de classe.
Nous avons pour principe central la lutte contre l’impérialisme dans toutes ses variantes.
Notre objectif est la destruction de l’État bourgeois et de ses forces armées, et la construction d’un État ouvrier, basé sur des organisations de classe démocratiques, qui fasse avancer la révolution socialiste internationale.
Nous défendons la morale révolutionnaire et rejetons les méthodes du « tout est permis », l’agression physique, les calomnies, le travail déloyal, le non-respect des accords.
Nous réaffirmons le rôle de la classe ouvrière comme sujet social de la révolution.
Nous défendons la nécessité de construire des partis révolutionnaires centralisés démocratiquement et le caractère ouvrier que ces partis doivent avoir.
Nous défendons la nécessité impérative de construire une Internationale révolutionnaire centralisée démocratiquement.
Cette brève esquisse de notre histoire avait pour but de montrer les aspects centraux de cette longue marche de notre construction. Montrer nos succès, nos forces, mais aussi nos échecs, nos déviations, nos crises parce que, comme l’a dit Moreno, « Nous progressons grâce aux erreurs et aux attaques et nous n’avons pas honte de le dire… « .
Après de nombreuses années de crises et de ruptures, nous vivons une nouvelle réalité. Nous vivons un processus de renforcement qui nous met dans de meilleures conditions pour avancer dans le projet stratégique. Nous avons une histoire, une expérience accumulée, un programme que nous continuons à construire, une structure de sections, de publications, une force militante, que nous mettons à disposition pour avancer dans la reconstruction de la Quatrième Internationale.
Aujourd’hui, 40 ans après la fondation de LIT-CI
La pandémie, la crise économique mondiale, la famine, la crise des réfugiés, la guerre de libération nationale en Ukraine, les soulèvements ouvriers et populaires comme ceux du Sri Lanka et de l’Iran, ceux des États-Unis face à l’assassinat de George Floyd, les luttes des femmes et d’autres secteurs opprimés, le retour des soi-disant « gouvernements progressistes » en Amérique latine, ainsi que la croissance de l’extrême droite dans le monde entier, tout cela nous fait dire que nous devons conclure cette brève esquisse historique en réaffirmant la définition des Thèses Fondatrices de la LIT-QI : la nécessité fondamentale pour résoudre les problèmes de l’humanité est la révolution socialiste mondiale, et la question centrale pour cela est de surmonter la crise de la direction révolutionnaire, en avançant dans la reconstruction de la Quatrième Internationale comme une continuité politique, programmatique, méthodologique et morale de la Troisième Internationale dirigée par Lénine et Trotski.
Novembre 2022.
[1] O trotskismo operário e internacionalista na Argentina, coordenador Ernesto González, Editorial Antídoto, page 293.
[2] Idem.
[3] La FI (Fraction Internationale): constituée par la majorité du PST espagnol et par le SR en Italie, qui faisaient partie de la LIT; TBI (Tendance Bolchevique Internationale), constituée par la majorité du PST colombien, les partis du Costa Rica, du Honduras et du Nicaragua et par un secteur du MAS argentin; Nuevo Curso (Cours Nouveau), constitué par la direction du MAS argentin, par un secteur du parti brésilien, le parti vénézuélien, le parti uruguayen, la LST en France; TR(Tendance pour la Reconstruction) constituée par la majorité du parti brésilien, du parti bolivien et du parti chilien, et un secteur du parti espagnol.
[4] MST. Movimiento Socialista de los Trabalhadores, parti issu de la TM, la tendance qui a rompu avec le MAS en 1992
[5] Les anti-défensistes : un secteur du SWP opposé la défense principielle de l’Etat ouvrier dégénéré en URSS dans une guerre impérialiste.