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Polémique : Que faut-il attendre d’un éventuel gouvernement Lula?

Par Eduardo Almeida, paru dans Opiniao Socialista, journal du PSTU, section de la LIT-QI au Brésil.  – 18/08/2021

Le 1er janvier 2003. Lula prêtait serment en tant que président de la République. Pour la première fois, un dirigeant ouvrier arrivait au pouvoir. Un immense espoir animait les travailleurs et travailleuses de tout le pays.

Comme vice-président, Lula a fait appel à José Alencar, représentant de la bourgeoisie industrielle. À ce moment-là, le PSTU a affirmé que l’alliance avec la bourgeoisie frustrerait les attentes des travailleurs. À l’époque, peu de gens nous ont entendus. Mais, tout s’est effectivement terminé par une énorme frustration.

Aujourd’hui, à nouveau, les espoirs de la majorité des travailleurs et de la jeunesse sont tournés vers Lula pour les élections de 2022. On espère qu’en janvier 2023, Lula écartera du gouvernement un Bolsonaro détesté, et changera les plans économiques néolibéraux.

Cependant, une fois de plus, Lula cherche un vice-président qui exprimera la présence de la bourgeoisie dans son gouvernement. Cette fois, il veut une présence du capital encore plus importante. Il a même discuté avec le PSDB et le PP. Lorsque nous contestons cette alliance avec la bourgeoisie, la réponse que nous entendons très souvent est la même : « tout est bon à prendre pour battre Bolsonaro ».

Alliances avec la bourgeoisie : la voie vers de nouvelles frustrations

Nous préconisons la plus grande unité d’action dans la lutte pour renverser Bolsonaro, dès maintenant, y compris avec les secteurs de la bourgeoisie qui sont prêts à le faire. Mais cela est très différent d’avoir un projet de gouvernement avec la bourgeoisie. Renverser Bolsonaro, c’est ouvrir la possibilité d’un changement. Former un gouvernement avec la bourgeoisie, c’est poursuivre les plans économiques néolibéraux contre les travailleurs, mais avec un autre visage.

Au lieu d’ajouter, l’alliance avec la bourgeoisie diminue et soustrait. Elle oblige à faire un gouvernement dans le cadre du programme bourgeois. Lula en a donné un exemple dans un message publié sur ses réseaux sociaux le 26 juillet, dans une déclaration contre l’imposition des grandes fortunes : « Le problème n’est pas d’imposer les grandes fortunes, car vous pouvez imposer les grandes fortunes et faire qu’elles s’envolent vers un autre pays ». Autrement dit, on ne peut faire que ce les grands hommes d’affaires approuvent.

Nous pouvons nous retrouver confrontés à de nouvelles et grandes frustrations. C’est de cela que nous voulons parler, en nous rappelant comment ont été les gouvernements du Parti des travailleurs.

 BILAN

Souvenons-nous des premiers gouvernements du PT

Quand on fait un gouvernement dans les limites de l’alliance avec la bourgeoisie, les possibilités se situeront à l’intérieur de la réalité de l’économie capitaliste. Dans les premiers gouvernements du PT, la réalité de l’économie mondiale et brésilienne était très différente de la situation actuelle. Et cela a favorisé le PT.

Lula a pris ses fonctions en 2003, dans une situation de croissance de l’économie mondiale, avant la grande récession internationale de 2007-09, avec un « boom des matières premières » (c’est-à-dire l’explosion de la commercialisation d’une vaste gamme de produits qui servent de matières premières, comme les produits agricoles et minéraux). Cela a permis des années de croissance capitaliste au Brésil, avec des taux de 4, 5 et 6% par an.

Le gouvernement du PT a maintenu l’ensemble du plan néolibéral et a fait de grands pas dans sa mise en œuvre. En premier lieu, il a maintenu et étendu toute la domination des banques dans le pays. Au cours des huit années des gouvernements Lula, les bénéfices des banques ont atteint 254,76 milliards de R$. Quatre fois plus que les 63,63 milliards de R$ des deux gouvernements Cardoso (1994-2002).  En 2003, la dette publique envers les banques s’élevait à 1,2 trillion de R$. Même si Lula et Dilma ont payé 3,4 billions de R$, la dette a augmenté pour atteindre 4,3 billions de R$, selon l’Institut latino-américain d’études socio-économiques (Ilaese).[1]

Lula avait raison quand il a dit, en 2016 : « les banquiers n’ont jamais gagné autant d’argent que pendant mon mandat ».

Excellentes relations avec l’impérialisme et le capital étranger

Le PT a entretenu d’excellentes relations avec l’impérialisme. Il a sérieusement approfondi la pénétration du capital étranger, à commencer par Petrobrás. Avec la découverte du gisement du « pré-sal » en 2008, Lula aurait pu avancer dans la consolidation d’une Petrobrás détenue à 100% par l’État et l’autosuffisance en pétrole. Il a fait le contraire : il a fait avancer la privatisation de l’entreprise, initiée par FHC, avec les 10e et 11e ventes aux enchères du secteur pétrolier et l’ouverture du capital social aux investisseurs étrangers.

Les gouvernements du PT ont ouvert l’économie aux multinationales. De 1993 à 2002, les multinationales ont transféré 47,1 milliards de dollars US vers leur siège social. Sous les gouvernements du Parti des travailleurs (PT), entre 2003 et 2015, ils ont envoyé 293 milliards de dollars. Pour compléter la soumission à l’impérialisme, Lula a répondu à une demande de Bush et l’armée brésilienne a commandé la Minustah, une force d’occupation militaire « onusienne » en Haïti, au service des multinationales.

Pas de réforme agraire

En ce qui concerne les campagnes, le bilan est impressionnant. Pas pour la réforme agraire, comme l’espéraient les militants. Comme le disait en 2012 l’insoupçonnable João Pedro Stedile : « Au cours des dix dernières années, il n’y a pas eu de progrès en termes de réforme agraire. Au cours des dix dernières années, la concentration de la propriété foncière a augmenté. Pire : elle s’est même concentrée dans les mains d’entreprises extérieures à l’agriculture et dans celles du capital étranger ».

Ce qui a progressé dans les campagnes pendant les gouvernements du PT, c’est l’agrobusiness. Les grandes entreprises nationales et multinationales ont envahi les campagnes, produisant pour l’exportation. Ce n’est pas un hasard si Kátia Abreu, l’un des plus grandes dirigeantes de la bourgeoisie agraire, est resté aux côtés de Dilma jusqu’à la fin, s’exprimant au Congrès contre sa destitution.

Dilma Rousseff avec la dirigeante bourgeoise de l’agrobusiness, Kátia Abreu.

Concessions

Lula et Dilma ont gouverné pour et avec le capital national et international. Mais sous les gouvernements de Lula, avec la croissance économique, il y a aussi eu des concessions aux secteurs les plus pauvres, comme la Bolsa Família, qui a touché 13,6 millions de personnes, et une petite augmentation du salaire minimum. La croissance économique a permis une augmentation de l’emploi, tandis que le chômage est resté à des niveaux faibles, entre 4 et 5%.

Cette combinaison de facteurs a créé l’impression d’une « amélioration des conditions de vie des travailleurs », qui a été largement exploitée par le PT.

Mais ce n’est pas, comme le prétendait le PT, que les pauvres sont devenus une « nouvelle classe moyenne ». Comme l’explique l’Ilaese : « Sur les 21 millions de nouveaux emplois créés entre 2000 et 2010 (la plupart pendant les deux mandats de Lula), 20 millions l’ont été dans le cadre du programme néolibéral de précarisation. De ce point de vue, contrairement à la propagande officielle, la taille de la classe ouvrière (surtout de ses secteurs qui gagnent moins) a augmenté, et le poids des travailleurs de la « classe moyenne », qui gagnent plus de cinq salaires minimums par mois, a diminué. » [2]

Le PT a appliqué toute la recette néolibérale à une époque de croissance économique. Il a garanti la stabilité et des profits élevés pour la bourgeoisie pendant 14 ans, avec de petites concessions pour les travailleurs.

IMPEACHMENT

La crise du gouvernement Dilma

Lorsque les conditions de vie se sont dégradées, la montée spontanée des luttes en 2013 a explosé, causant l’usure de tous les gouvernements, y compris celui de Dilma. C’était le début d’une énorme rupture entre les masses et le PT.

Mais le PT est parvenu à stabiliser à nouveau la situation et Dilma a remporté un second mandat. Puis est arrivée la récession économique de 2015 (-3,5%) et de nouvelles attaques contre les travailleurs. L’usure du PT a augmenté, puis sont apparus les scandales de corruption. Dilma en est arrivée à être rejetée par 71% de la population, considérant son gouvernement comme mauvais ou très mauvais, un taux plus élevé que celui de Bolsonaro aujourd’hui.

La majorité de la bourgeoisie, qui s’était très bien entendue avec le PT pendant 14 ans, a rompu avec Dilma et a soutenu sa mise en accusation. Le PT ne disposait plus des bases nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre les nouveaux plans de réforme souhaités par la bourgeoisie.

La bourgeoisie a donc approuvé l’impeachment et mis au pouvoir le vice-président de Dilma Rousseff, Michel Temer. Le PT a construit une idéologie selon laquelle il s’agissait d’un « coup d’État » pour destituer Dilma, soi-disant parce que le PT « défendait les droits des travailleurs ».

En vérité, les gouvernements du PT ont été entièrement au service de la mise en œuvre des plans néolibéraux. C’est pourquoi ils se sont discrédités auprès de la population et la bourgeoisie a pu imposer la destitution. Il n’y aurait pas les conditions pour que la droite écarte le PT du pouvoir si Dilma avait encore eu le soutien des masses, comme lors des premiers gouvernements du PT.

Avec l’impeachment, il n’y a pas eu de changement par rapport au régime démocratique bourgeois. S’il y avait vraiment eu un coup d’État, il y aurait eu un changement vers un régime répressif, vers une dictature. Mais cela ne s’est pas produit.

L’impeachment a été une manœuvre parlementaire de la droite (la même droite qui a soutenu le PT pendant 14 ans, avec le même Centrão[3] qui soutient aujourd’hui Bolsonaro), car la bourgeoisie n’avait plus besoin du PT pour gouverner. Parce que Dilma n’avait plus la force d’appliquer les réformes, même si elle était d’accord avec celles-ci. À tel point que la réforme des retraites, appliquée ensuite par Temer, a été élaborée dans le gouvernement de Dilma.

À ce moment-là, le PSTU, à juste titre, n’a pas pris la défense du gouvernement bourgeois de Dilma, ni soutenu la manœuvre d’intronisation de Temer. Il a défendu le mot d’ordre “Tous dehors!”

 

ALERTE

Gouverner dans l’unité avec la bourgeoisie, c’est entretenir la misère des travailleurs.

Faire le bilan des gouvernements du PT a une raison d’être : nous voulons alerter les militants, en particulier dans la jeunesse, sur ce qui pourrait se passer sous un éventuel nouveau gouvernement Lula.

Le projet de gouvernement déjà annoncé par le PT comprend des alliances avec la majorité de la bourgeoisie internationale et nationale. Lula va s’adapter aux limites du capital, à un moment bien plus défavorable qu’à l’époque de ses premiers gouvernements. La réalité postérieure aux récessions de 2007-09 et de 2020 est celle d’une croissance anémique, avec des attaques beaucoup plus dures contre les droits des travailleurs.

Pendant les premiers gouvernements Lula, l’économie était en croissance et le chômage était faible. Aujourd’hui, les projections indiquent une croissance économique de 1,9 % en 2022; et le taux de chômage est de 14,6 %, selon l’IBGE. Même avec le boom actuel des matières premières, il est peu probable que cette situation s’inverse.

L’ « Annuaire statistique de l’Ilaese 2021 », qui doit être rendu public, montre que la réalité est bien pire, avec 23,36% de la population sans emploi et 17,14% avec un emploi précaire. Autrement dit, plus de 40% de la population fait partie de l’armée industrielle de réserve.

La bourgeoisie a profité de la pandémie pour détériorer massivement les conditions de vie des travailleurs[4]. Temer et Bolsonaro ont imposé les réformes des retraites et du droit du travail au Congrès.

Telle est la réalité de l’économie mondiale et nationale. Et les perspectives sont toujours celles d’une aggravation. Avec les progrès de l’industrie 4.0, de l’internet 5G, de l’intelligence artificielle, le chômage devrait augmenter beaucoup plus. Les tendances sont à l’amplification de la désindustrialisation relative, à la dénationalisation de l’économie et à une plus grande précarité des relations de travail.

Il n’y a aucun moyen de changer cette situation sans une rupture avec l’impérialisme et la bourgeoisie nationale. Il n’y a même pas moyen de revenir à l’époque des premiers gouvernements Lula sans affrontements avec la grande bourgeoisie.

Et Lula n’est pas disposé à le faire. Il veut faire entrer dans son gouvernement les mêmes secteurs de la bourgeoisie qui ont été avec Bolsonaro. Y compris les parlementaires du Centrão, qui l’ont soutenu dans le passé et pourraient le faire à nouveau.

Pour ceux qui en doutent, il suffit de voir si les déclarations de Lula vont dans le sens de la restructuration d’Eletrobras et de la Poste. Ou à l’abrogation des réformes du droit du travail et des retraites.

La logique est la même derrière son refus de taxer les grandes fortunes. Cela signifie limiter les mesures à d’éventuels accords avec le grand capital.

Le plan de Lula, en substance, consiste à revenir à une version améliorée de la Bolsa Família, qui est une recommandation de la Banque mondiale pour tous les gouvernements, et qui est maintenant appliquée par les gouvernements de « gauche » et de « droite » du monde entier, y compris Bolsonaro. Cela ne changera pas le pays. Cela n’apportera que des frustrations supplémentaires.

Le Brésil a besoin d’une rupture avec le capital. Il doit avancer vers une révolution socialiste, pour éviter la barbarie qui se développe. Pour cela, divers militants et le PSTU poussent à la formation d’un Pôle Socialiste et Révolutionnaire pour intervenir dans les luttes directes pour renverser Bolsonaro, dès maintenant, et aussi pour les élections. Nous n’acceptons pas la logique de gouverner dans l’unité avec la bourgeoisie pour maintenir la misère des travailleurs.

Dans le prochain numéro, nous ferons le point sur les politiques du PT à l’égard des femmes, des Noirs et des personnes LGBTI, ainsi que sur ses mesures en matière d’environnement.

[1] O legado do PT no governo (2003-2016): um balanço em perspectiva histórica”, Ilaese, 2019.

[2] Um balanço crítico do governo do PT”, Ilaese (avec des textes de Nazareno Godeiro, Erika Andreassi et Daniel Romero. Disponible sur https://www.pstu.org.br/wp-content/uploads/2020/04/cartilha_Ilaese_governopetista_versao_web.pdf.

[3]  Centrão : « grand centre » ; c’est ainsi qu’au Brésil, on appelle l’ensemble de partis et de parlementaires assez peu affirmés idéologiquement, et qui forme une masse droitière et souvent très opportuniste.

[4] L’expression d’origine (« passar a boiada ») est difficilement traduisible. Elle a été utilisée récemment par Ricardo Salles, ministre de l’environnement, faisant controverse.

 

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