dim Mai 19, 2024
dimanche, mai 19, 2024

L’Internationale communiste de Lénine à Staline

Photo: Lénine face au 2e Congrès de l’Internationale communiste, 1920.

Selon les mots de Lénine, la Troisième Internationale a gagné sa place dans l’histoire. Et si l’on considère tout ce qui a été fait au cours de ses quatre premières années, il ne fait aucun doute qu’il en a été ainsi.

Par Alicia Sagra, le 13 décembre 2021

Elle a été fondée en mars 1919, avec de grandes difficultés. En pleine guerre civile, avec la Russie soviétique totalement bloquée, avec des fronts de guerre de tous côtés, ce qui a fait que seul un petit nombre de délégués a pu arriver, certains n’arrivant que le dernier jour du congrès. Mais ceci n’était ni le seul ni le principal problème du congrès de fondation. Comme Lénine l’a dit dans son discours d’ouverture, la Troisième Internationale a perdu deux de ses meilleurs représentants : Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, assassinés avec la complicité du gouvernement social-démocrate d’Allemagne. Et ces assassinats, outre les terribles pertes politiques et humaines qu’ils ont causées, ont eu des conséquences sur la discussion centrale du congrès : fallait-il ou non fonder la Troisième Internationale ? Cette discussion a été présente dans toutes les sessions et n’a été clarifiée que dans la dernière.

Pourquoi ce doute sur la fondation ? Parce qu’à l’exception du parti russe, tous les autres étaient de petites organisations et Eberlein, le délégué allemand, est venu avec la résolution de voter contre, influencé par la position de sa grande dirigeante, récemment disparue, qui croyait que ce n’était pas le moment de fonder une nouvelle Internationale.

Les représentants du Parti russe ne doutaient pas de la nécessité de fonder la Troisième Internationale, mais voulaient avoir le temps de discuter avec le Parti allemand. En conséquence, ils ont convenu de ne pas décider de la fondation de l’Internationale au début du congrès, mais de laisser cette tâche à la fin.

Le deuxième jour, Rakovsky (délégué de la Fédération des Balkans) arrive déterminé à voter pour la fondation, tout comme Steinhard (délégué du Parti communiste autrichien), qui soutient ardemment la position bolchevique. L’arrivée de ces deux leaders a été décisive pour convaincre les délégués des petites organisations de la nécessité de fonder la Troisième Internationale, tandis que le délégué allemand changeait de position, passant du vote contre à l’abstention. Ainsi, le 5 mars 1919, sans aucune voix contre et avec l’abstention des 5 voix réunies par le délégué allemand, après un travail acharné, naissait la Troisième Internationale, la plus grande conquête organisationnelle du prolétariat mondial.

Un véritable parti mondial, pas une antenne du parti russe.

Pour les bolcheviks, tout devait être soumis à l’Internationale, y compris la politique de gouvernement de l’État soviétique. La meilleure preuve en est la périodicité de ses congrès. Dans les moments les plus difficiles du nouvel État, au milieu de la guerre civile et de l’invasion des armées impérialistes, l’Internationale a assuré un Congrès par an. Ainsi, sous la direction de Lénine et de Trotsky, en 1919, 1920, 1921, 1922, les quatre premiers congrès de la Troisième Internationale se sont tenus.

Mais cette périodicité n’était pas la seule preuve du type de parti que l’on voulait construire. La supériorité quantitative et qualitative du parti russe ne faisait aucun doute ; cependant, par décision politique de la direction bolchevique, ses membres étaient en minorité aux congrès de l’Internationale. Lors du congrès de fondation, le parti bolchevique comptait 250 000 militants[i] et la plupart des autres organisations ne dépassaient pas quelques centaines. Mais cette différence numérique abyssale ne s’est pas reflétée dans le nombre de voix au congrès, qui se sont réparties comme suit : Parti communiste russe, Parti communiste allemand, SIP américain, Gauche zimmerwaldienne française : 5 voix chacun. Parti communiste d’Autriche allemande, Parti communiste hongrois, Social-démocratie de gauche suédoise, Fédération révolutionnaire des Balkans, Parti communiste polonais, Parti communiste de Finlande, Parti communiste ukrainien : 3 voix chacun. Parti communiste de Lettonie, Parti communiste biélorusse et lituanien, Parti communiste des Allemands de la Volga, Groupe unifié des peuples de la Russie orientale : 1 voix chacun.

Lénine avec des délégués au II Congrès de la Troisième Internationale (1920)

Un outil pour impulser, organiser et diriger la révolution socialiste mondiale

Au cours de ces quatre années, la Troisième Internationale a voté une série de résolutions sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat, sur la question des femmes et la question noire, les campagnes, les syndicats, le Front unique ouvrier, sur le régime et l’action des partis communistes, qui sont venus établir les aspects centraux du programme révolutionnaire. Malheureusement, le quatrième congrès n’a pas été en mesure de voter le programme. En tout état de cause, ces résolutions ne laissaient aucun doute sur le fait que l’objectif central de l’Internationale communiste était la révolution socialiste mondiale, ce qui a conduit Lénine à déclarer que :

« L’importance historique universelle de la Troisième Internationale, l’Internationale communiste, réside dans le fait qu’elle a commencé à mettre en pratique le slogan le plus important de Marx, celui qui synthétise le développement séculaire du socialisme et du mouvement ouvrier, le slogan qui s’exprime dans ce concept : la dictature du prolétariat. Cette prévision géniale, cette théorie exceptionnelle est en train de se transformer en réalité.« [ii]

1923-24 – Tout commence à changer

La combinaison de la défaite de la révolution allemande, des destructions et de l’épuisement causés par la guerre civile, de la maladie de Lénine et de sa mort consécutive, a donné lieu à un processus de bureaucratisation de l’État et du parti russes, qui culminera avec le triomphe de la contre-révolution stalinienne dans les années 1930.

Lénine a été le premier à voir le problème. Le 20 novembre 1922, il déclarait : « Ce qu’il faut, c’est que les communistes contrôlent la machine à laquelle ils ont été affectés et non pas, comme c’est souvent le cas chez nous, que la machine les contrôle« [iii]. Et en décembre, il a écrit à Trotsky pour lui proposer de former un bloc « contre la bureaucratie en général et contre le Bureau d’organisation [dirigé par Staline] en particulier« [iv].

La bataille que Lénine voulait mener, avec Trotsky, au XIIe Congrès du Parti communiste russe a été frustrée, car le 9 mars 1923, il a subi une nouvelle attaque qui l’a rendu totalement paralysé jusqu’à sa mort, le 24 mars 1924.

Le processus de bureaucratisation s’est poursuivi, s’exprimant non seulement par des attitudes brutales à l’encontre des nationalités et des mesures qui attaquaient la démocratie interne du parti, mais aussi par l’abandon progressif de la politique révolutionnaire, comme le refus de promouvoir l’industrialisation et la capitulation devant les paysans riches avec le slogan de Boukharine : « koulaks, enrichissez-vous« , qui se combinait avec une différenciation croissante de la situation matérielle des membres du parti.

La lutte contre ce processus dégénératif, menée par la « Troïka »[v], a été dirigée par Trotsky, qui est devenu le principal leader de l’Opposition de gauche. Cette opposition rassemble des personnalités et des secteurs importants du parti. Dès le début du débat, un tiers des organisations du parti dans l’armée s’est prononcé en faveur de l’opposition, tout comme le comité central de la jeunesse communiste et la majorité de ses cellules. En outre, des personnalités comme Préobrajenski, Rakovsky, Mouralov, Sonovski, Piatakov[vi], lui ont également apporté leur soutien.

Léon Trotsky au II Congrès de la Troisième Internationale avec à coté de lui de gauche à droite Paul Levi et Zinoviev.

Comme l’a dit le trotskiste américain Dave Frankel, « si le principal facteur dans ce conflit avait été l’habileté politique et les succès obtenus par les personnes qui composaient les deux fractions, les oppositionnels auraient gagné facilement« [vii].

Mais le poids de l’appareil a été l’élément déterminant, la Troïka a commencé une persécution des opposants. Antonov Ovseenko, l’un des premiers signataires de l’opposition, chef de l’assaut contre le Palais d’hiver en octobre 1917, héros de la guerre civile en Ukraine et chef des commissaires politiques de l’Armée rouge, est démis de ses fonctions et a vu son vote suspendu dans les cellules militaires. Le comité central de la jeunesse communiste est dissous et remplacé par des personnes prêtes à soutenir la Troïka. À l’approche du XIIIe Congrès, les opposants dans les usines sont menacés de licenciement. Lors des réunions du parti, les noms soutenant l’opposition sont notés et leur passé est examiné. C’est dans les régions les plus éloignées que cette pression a été la plus forte.

Ainsi, malgré le fait que dans des conférences de district de Moscou, l’Opposition disposait de 36% des délégués, elle n’a eu que 3 délégués sur un total de 218 au XIIIe Congrès tenu en mars 1924.

La défaite a été écrasante. Lors de ce congrès, d’ailleurs, la suspension temporaire des tendances qui avait eu lieu lors du soulèvement de Cronstadt, juste après la guerre civile, a été élevée au rang de principe.

Le socialisme dans un seul pays.

En septembre 1924, Staline annonce une nouvelle théorie qui révise toute la conception marxiste : la théorie du socialisme dans un seul pays, qui affirmait que le socialisme pouvait être réalisé à l’intérieur des frontières nationales, en tenant compte du fait qu’il y a des pays qui sont plus mûrs pour cela et d’autres qui ne le sont pas. Le seul pays mûr, selon Staline, était l’URSS. Cela signifiait que les partis de l’Internationale devaient se mettre au service de la « construction du socialisme » en URSS. Cette théorie a servi à justifier les politiques de plus en plus nationalistes promues par la bureaucratie.

Les discussions sur la situation en URSS, où les paysans riches prenaient de plus en plus de poids, ajoutées à cette nouvelle théorie stalinienne, ont provoqué la rupture de la Troïka. Kamenev et Zinoviev forment un bloc pour affronter Staline au XIVe Congrès, mais ils sont défaits et évincés de leurs postes au sein du parti.

En 1926, ils se joignent à Trotsky, formant l’Opposition commune qui élabore un programme qu’ils présentent au Comité central. Ce programme n’a pas été accepté et leurs réunions ont été interdites.

Face à cela, Trotsky considère que l’objectif central est de lutter pour la révolution mondiale.

La révolution allemande de 1923 avait été perdue, sous la lourde responsabilité de Staline, mais un profond processus révolutionnaire était en cours en Chine. Mais l’orientation de Staline, qui consistait à capituler devant la bourgeoisie du Kuomintang, a conduit à la défaite de la révolution chinoise (1927) et à la mort de milliers de membres du parti communiste chinois. Trotsky, qui avait lutté contre cette orientation, demanda que le bilan soit discuté au sein de la Troisième Internationale. Cela a provoqué son expulsion du parti et son exil. Dès lors, il a commencé sa bataille pour redresser l’Internationale en formant l’Opposition de gauche internationale.

La troisième internationale stalinisée

L’Internationale, dirigée par Staline, s’est progressivement adaptée, non sans résistance, au processus vécu en URSS. La première chose à noter est le changement de la fréquence de ses congrès. Les quatre premiers ont été annuels (1919, 1920, 1921, 1922). Le cinquième a eu lieu après 2 ans (1924), le sixième après 4 ans (1928) et le septième après 6 ans (1935).

Les relations du parti soviétique avec l’Internationale ont changé, Staline a commencé à la diriger d’une main de fer. Ainsi, il a déterminé le changement de ses présidents en fonction de leur relation avec lui. Lors du sixième congrès (1928), Zinoviev est démis de ses fonctions après la dissolution de la Troïka et il est remplacé par Boukharine qui, en 1929, est persécuté, déchu de ses fonctions au sein du parti et contraint de démissionner de la direction de l’Internationale, étant remplacé par Dimitrov.

Lors du cinquième congrès (1924), la direction allemande (qui n’avait fait que suivre les instructions de Staline) est tenue pour responsable de la défaite de la révolution en 1923 et les conséquences de cette défaite sont minimisées.

Au sixième congrès (1928), le programme présenté par Staline est approuvé (la commission du programme refuse de publier pour les délégués les critiques envoyées par Trotsky). Le programme présenté était basé sur la théorie du « socialisme dans un seul pays » et, comme le soutenait Trotsky, il y manquait une stratégie révolutionnaire pour l’ère impérialiste. Lors de ce congrès, la politique du Comité anglo-russe est approuvée : un bloc permanent avec le réformisme, qui est maintenu malgré la trahison évidente de la bureaucratie réformiste envers la lutte du prolétariat anglais. Et l’on approuve tout ce qui a été fait en Chine, tant la capitulation devant le Kuomintang qui a conduit à la défaite de la révolution que la politique ultragauchiste appliquée après la défaite, consistant à refuser de relancer la tactique de l’Assemblée constituante, et à favoriser des actions aventureuses.

Apparaît alors la proposition des « trois périodes » : la première 1917-1923, de crise aiguë ; la deuxième, 1924-1928, de stabilisation du capitalisme ; la troisième, à partir de 1928, une période de crise générale du capitalisme qui conduirait inévitablement à la révolution. D’où l’apparition du fameux « ultra-gauchisme de la troisième période ». La crise mondiale de 1929 est à l’origine de ce virage, mais la principale raison en est le « virage à gauche » au sein de l’URSS, où la politique de « l’enrichissement des koulaks » a été remplacée par la « collectivisation forcée » dans les campagnes, au prix d’un grand massacre de paysans. Cette politique s’accompagne de la rupture avec Boukharine et l’Opposition de droite et de leur persécution.

Dans cette « troisième période » naît la conception du « social-fascisme » par laquelle toute unité d’action avec les organisations réformistes est rejetée, d’où la tactique des « syndicats rouges » et le refus de promouvoir le Front uni des travailleurs avec la social-démocratie pour affronter Hitler. Cette politique criminelle a favorisé la victoire d’Hitler en 1933 et les ouvriers allemands, désunis, ont subi la pire des défaites, celle que l’on obtient en ne luttant pas. A partir de là, Trotsky considère qu’il est impossible de redresser le parti communiste allemand. Mais il continue à parier sur le redressement de l’Internationale, jusqu’à ce que, le 7 avril 1933, l’Internationale communiste déclare: « La ligne politique du Comité central du PCA, avec Thaelmann à sa tête, était entièrement correcte, avant et après le coup d’État d’Hitler« . C’est alors qu’après une bataille de 10 ans, Trotsky considère que la Troisième Internationale est morte en tant qu’internationale révolutionnaire. En juillet de la même année, il appelle à la construction d’une nouvelle Internationale marxiste, totalement indépendante de la bureaucratie, comme seul moyen de défendre le triomphe d’Octobre 1917.

Le septième congrès (1935) a complètement mis fin au « virage à gauche ». C’est le congrès où la politique d’alliance de classes a été généralisée à tous les pays du monde, en promouvant la politique du Front populaire avec des secteurs de la bourgeoisie, pour affronter le fascisme. Une politique que les différents secteurs du stalinisme continuent de défendre jusqu’à aujourd’hui avec divers arguments, pour affronter la droite, le fascisme ou les coups d’État militaires. Cette politique d’alliance de Staline avec la bourgeoisie a connu sa plus haute expression pendant la Seconde Guerre mondiale. D’abord dans le pacte qu’il a signé avec Hitler en 1939. Plus tard, lorsque le pacte avec l’impérialisme allemand a été rompu par Hitler, l’alliance de classes a continué, cette fois avec les impérialismes britannique et yankee.

La fidélité de Staline à ce nouveau pacte avec l’impérialisme se traduit de façon saisissante par le fait que, à la demande de Churchill, le Premier ministre britannique, il dissout la Troisième Internationale le 15 mars 1943. Une autre expression majeure de cette fidélité a été le renoncement à la révolution en Italie, en France et en Grèce afin de respecter le partage du monde convenu à Yalta et à Potsdam.

La dégénérescence de la Troisième Internationale n’a pas été pacifique

La contre-révolution stalinienne en URSS a été menée par le sang et le feu. Lors des procès de Moscou et dans les camps de concentration, ils ont mis fin à la vie de la plupart des membres du Comité central qui avait dirigé la révolution russe, ainsi que des principaux dirigeants de la Jeunesse communiste, de l’Armée rouge et d’un grand nombre de cadres éminents de la révolution et de la guerre civile. Selon l’historien Viktor Zemskov, chargé en 1989 par l’Académie des sciences d’enquêter sur cette affaire, près de 800 000 militants du parti ont été exécutés et environ 600 000 sont morts dans les prisons et les camps de concentration[viii].

Quelque chose de similaire s’est produit dans l’Internationale, comme le dit Pierre Broué[ix], la plupart de ses fondateurs ont été assassinés sur ordre de Staline : Zinoviev et Boukharine, deux de ses présidents, ont été fusillés. Radek a été assassiné en prison, tout comme Hugo Eberlein, le délégué allemand au congrès fondateur. Le Suisse Fritz Plateen, qui avait présidé le congrès de fondation, a été arrêté en 1938 et exécuté en 1941. Rakovsky, qui avait été un élément décisif dans le vote en faveur de la fondation, a été fusillé en 1941. Le Hongrois Béla Kun a été assassiné en prison en 1938.

En ce qui concerne les partis, il existe des différences entre les partis clandestins et ceux qui étaient légaux dans leur pays. Ces derniers étaient mieux lotis car ils n’ont pas été contraints de s’exiler en URSS, tandis que ceux qui étaient hors la loi dans leur pays et qui se réfugiaient à Moscou, ont découvert rapidement que leur situation n’avait pas changé. Deux de ces partis, le turc et le letton, ont subi le massacre de tous leurs dirigeants réfugiés en URSS.

Dans ce tableau général, il y a eu des cas particuliers, le plus intéressant étant celui du Parti communiste polonais. L’origine de cette tragédie se trouve dans la défense de Trotsky par le parti polonais en 1923-24. Mais c’est en 1936 qu’apparaissent dans les organes de presse du Komintern des dénonciations grossières à l’encontre des dirigeants polonais en exil en URSS, selon lesquelles ils seraient des « espions et des provocateurs ». Ces dénonciations grossières étaient destinées à préparer l’affirmation selon laquelle les services secrets du dictateur polonais, avec les « trotskystes », avaient pris la direction du parti. Avec cet argument, ils ont fait disparaître non seulement dix dirigeants historiques du Comité central mais aussi des centaines de cadres moyens et de militants de base. Enfin, le parti polonais, officiellement qualifié de « nid d’espions », a été supprimé et a disparu des discours et de la presse communiste mondiale.

Les Polonais n’ont pas été les seuls. Motivés par les règlements de comptes, la recherche de « boucs émissaires », la résistance à la nouvelle orientation de l’Internationale, il y a eu des victimes dans différents partis de la Troisième Internationale. Les Hongrois ont été les premiers réfugiés politiques. Au début, il semblait qu’ils ne posaient aucun problème, mais à la fin des années 30, ils ont suivi le sort de leur chef Béla Kun et sont presque tous morts. Le parti communiste yougoslave compte environ 800 victimes, presque toutes des cadres et des anciens secrétaires généraux. Le parti allemand est moins touché car la plupart des exilés, après 1933, sont partis vers l’Ouest. Toutefois, outre Eberlein, déjà cité, plusieurs membres de groupes opposés à la politique de Thaelmann ont été arrêtés et exécutés entre 1938 et 1939. Les Grecs, les Finlandais, les Lituaniens, les Chinois, les Hindous, les Iraniens ont également eu des victimes et il existe une liste de 200 Italiens tués en URSS[x].

Tout cela s’ajoute aux meurtres perpétrés pendant la guerre civile espagnole et contre des militants de l’Opposition de gauche internationale dans divers pays, parmi lesquels Léon Sedov et Trotsky lui-même.

Quelle est la cause de cette tragédie ?

L’historien trotskyste Pierre Broué donne une explication essentiellement subjective : « L’histoire de l’Internationale a commencé, comme nous l’avons vu, par la perte – trois assassinats et une mort de chagrin – de quatre de ses fondateurs, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Leo Jogiches et Franz Mering. Cinq ans plus tard, elle perd Lénine, qui fut le combattant le plus constant, le plus lucide et le plus aguerri en faveur de sa proclamation et sa construction. Comprenons-nous bien ? Elle a été littéralement décapitée. Imaginons, pour mesurer l’ampleur de la mutilation, que Marx et Engels soient morts quelques années après avoir rédigé le Manifeste du Parti communiste. Que serait-il advenu de ce système de pensée, de ce « marxisme » qui a tant marqué les idées politiques et sociales du XIXe siècle ? Qui aurait garanti son développement et son épanouissement ? En fait, c’est la destruction de toute une ligne de front« [xi].

Cette explication ne semble pas correcte. L’importance de l’aspect subjectif, du rôle du dirigeant est très pertinente, et l’absence de Lénine a eu un poids énorme. Mais on ne peut ignorer qu’elle s’est combinée à d’importants facteurs objectifs : la défaite de la révolution allemande (et plus tard de la révolution chinoise), la destruction et l’épuisement de la classe ouvrière après la guerre civile. Si Lénine était mort en 1917, avant d’atteindre la Russie, son absence aurait été décisive, comme le dit Trotsky, le pouvoir n’aurait pas été pris. Mais en 1923-24, il y avait le parti qu’il avait construit et il y avait Trotsky, en tant que grand leader du parti et de la révolution.

D’autre part, à partir de l’interprétation de Broué, on pourrait conclure que la perte de la Troisième Internationale était inévitable, autrement dit, que la bataille de l’Opposition de gauche était vouée à l’échec. Ce n’est pas le cas. L’issue n’était pas déterminée et dépendait du développement de la révolution mondiale.

Dans la lutte des classes, on gagne ou on perd, mais rien n’est déterminé à l’avance. Et quand on perd, il est important de se rappeler ce que Trotsky a dit dans une convocation à la Quatrième Internationale en mars 1934 : « La classe ouvrière s’élève en forant elle-même un rocher de granit. Parfois, elle glisse de quelques marches : parfois, l’ennemi dynamite les marches qui ont été découpées ; parfois, elles sont enterrées parce qu’elles sont faites de mauvais matériaux. Après chaque chute, il faut se relever ; après chaque glissade, il faut remonter ; chaque étape anéantie doit être remplacée par deux nouvelles. »

 

Notes :

[i] Pierre Broué, Le Parti bolchevique.

[ii] Lénine, La Troisième Internationale et sa place dans l’histoire, Moscou, 15 de abril de 1919.

[iii] Lénine, Oeuvres complètes, Tome XXXIII

[iv] Diário das secretarias de Lênin.

[v] Bloc de Staline, Kamenev et Zinoviev, formé en décembre 1922, qui dirigeait le Politburo du Parti.

[vi] Eugeni Préobrajenski, principal économiste bolchevique, a dirigé dans l’Oural la lutte clandestine, ainsi que la lutte pour la révolution et la première partie de la Guerre civile. Christian Rakovsky a dirigé le premier gouvernement soviétique en Ukraine, après avoir dirigé les communistes en Bessarabie durant la Guerre civile. Il a ensuite été ambassadeur en Angleterre et en France. Nicolaï Mouralov a dirigé les Gardes rouges lors de l’attaque du Kremlin en octobre 1917. Commandant du district militaire de Moscou pendant la Guerre civile. Membre de la Commission centrale de contrôle du parti. Lev Sonovski, chef du département d’agitation et de propagande. De Youri Piatakov, Lénine dit dans son testament qu’il était l’un des leaders les plus remarquables de la jeune génération.

[vii] Dave Frankel,  “História da Oposição de Esquerda”

[viii] Jornal La Vanguardia, Estado Español, 3 de junio de 2001

[ix] Pierre Broué, Histoire de l’Internationale Communiste, Chapitre 32

[x] Pierre Broué, Histoire de l’Internationale Communiste, Chapitre 32

[xi] Pierre Broué, Histoire de l’Internationale Communiste, Chapitre 17

Ces articles peuvent vous intéresser

Découvrez d'autres balises

Artigos mais populares