Le 4 juillet 2022
Pour Poutine, l’invasion de l’Ukraine a pour but de défendre à tout prix son rôle d’intermédiaire des intérêts de l’impérialisme et de gendarme régional, comme il l’a fait au Kazakhstan et au Belarus récemment. L’objectif est d’atténuer la crise économique qui frappe stratégiquement le pays. La défaite militaire américaine en Afghanistan l’a incité à se fixer désormais cet objectif.
Par Américo Gomes
L’impérialisme américain, avec ses alliés les plus disciplinés (Canada et Grande-Bretagne), voulait accroître la subordination de l’impérialisme européen et surtout de l’Allemagne, en profitant du fait que les États-Unis étaient moins dépendants du pétrole et du gaz russes. Au début, Biden a lancé quelques sanctions économiques partielles, se présentant comme le défenseur du peuple ukrainien et essayant de faire croire à la classe ouvrière qu’il serait favorable à la défaite de Poutine ; mais la situation a changé, après la défaite de Poutine à Kiev, et la prolongation de la guerre qui en a résulté. D’autre part, ils ont utilisé l’invasion pour investir des milliards dans l’armement. Alors qu’il refuse l’envoi d’armes en quantité suffisante pour réduire les différences d’armement entre l’Ukraine et la Russie, l’impérialisme US en profite pour s’armer jusqu’aux dents et renforcer l’OTAN, en envoyant un nombre record de soldats en Europe, en incorporant la Finlande et la Suède, et en augmentant son contrôle militaire sur des pays comme la Pologne, qui aura désormais une base de l’OTAN sur son territoire.
L’impérialisme allemand et son allié français, qui ont l’Europe de l’Est comme arrière-cour et la Russie comme partenaire commercial pour l’approvisionnement en gaz et en pétrole de tout le continent, ne veulent pas d’une défaite de la Russie et sont ceux qui préconisent le plus une solution rapide.
L’accord qu’ont aujourd’hui entre eux tous ces impérialismes et leurs institutions comme l’Union européenne et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), c’est qu’ils veulent tous que la guerre se termine rapidement, en acceptant même la cession d’une grande partie du territoire ukrainien à Poutine. Et ils essaient de convaincre le gouvernement Zelensky d’accepter cette perte. Car ils savent que l’extension du conflit frappe l’ensemble de l’économie mondiale, déjà fragilisée par les conséquences de la pandémie[1]. En plus de susciter des mouvements de protestation dans le monde entier.
Aucun d’entre eux ne comptait sur la bravoure de la résistance ukrainienne qui prolonge le conflit et porte préjudice à tous. Elle a fait échouer le plan A de l’offensive russe, et la poursuite de la guerre a entraîné une aggravation de la crise énergétique et économique en Europe. Zelensky est l’agent de l’impérialisme à l’intérieur de l’Ukraine et entend remplir son rôle d’une manière ou d’une autre puisque la classe ouvrière et la population dans son ensemble, renforcées par la résistance populaire dans la région de Kiev et la défaite de Poutine dans cette région, n’acceptent pas de diviser le pays, ni de briser l’intégrité nationale. Cela a obligé Zelensky à appeler à la résistance à l’invasion, et jusqu’à présent, il n’a pas été en mesure de capituler. Mais les négociations se poursuivent.
Il est illusoire de penser que l’impérialisme veut renverser Poutine. Même après l’invasion, ils ont continué à négocier pour que la guerre prenne fin. Aujourd’hui, leur proposition est de contenir Poutine dans le cadre de l’acceptation du fait qu’il occupe toute une partie de l’Ukraine. Car l’objectif principal a été et continue d’être de veiller à ce que les affaires marchent bien.
De plus, le triomphe de la résistance ukrainienne provoquerait une crise aiguë du régime de Poutine, voire sa chute éventuelle. Et cela pourrait ouvrir des processus révolutionnaires non seulement en Ukraine mais aussi en Russie sans que l’impérialisme ait le temps de trouver une solution de rechange sous son contrôle. Ces processus ont un impact sur l’ensemble de l’Europe de l’Est, voire sur l’Europe occidentale elle-même.
Embargo immédiat sur le pétrole et le gaz avec suspension des paiements
C’est dans ce cadre que l’on peut comprendre la « solution de compromis » faite par la Commission européenne à la fin du mois de mai. Cette proposition, initialement avancée par Macron, consiste soi-disant à éliminer 90% de la consommation de pétrole et de gaz russes en Europe d’ici la fin de l’année (c’est-à-dire à un moment où ils espèrent qu’il n’y aura plus de guerre). Dans le même temps, on exclut l’oléoduc Droujba d’un embargo ; on n’impose des sanctions qu’au pétrole envoyé à l’UE par pétrolier. L’oléoduc Droujba représente un tiers de tous les approvisionnements en pétrole de l’UE en provenance de Russie. Cette proposition profite à l’Allemagne et à ses satellites : La Slovaquie, la République tchèque et la Hongrie, fournisseurs de produits pour l’industrie allemande, qui sont alimentés par le gazoduc Droujba. En d’autres termes, bien qu’elle affirme soutenir la résistance ukrainienne, l’Union européenne continue de remplir les coffres de Poutine et, en fait, de soutenir sa guerre.
Malgré les prétendues sanctions et interdictions d’importation, la Russie a exporté pour 97,7 milliards de dollars de combustibles fossiles au cours des 100 premiers jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine, soit une moyenne de 977 millions de dollars par jour. Depuis l’invasion, le pétrole est de loin le combustible fossile le plus exporté par la Russie, représentant environ la moitié des recettes totales d’exportation[2].
Pendant ce temps, l’impérialisme européen fait de la démagogie en annonçant qu’il enverra 2 milliards (au maximum) pour l’ensemble de l’aide militaire et sociale à l’Ukraine[3].
Le pétrole brut russe est transporté vers l’Europe par des pétroliers et par un réseau d’oléoducs. La Russie représente 41 % de l’ensemble des importations de gaz naturel dans l’UE. Depuis le début de la guerre, le bloc européen représente 61 % des recettes d’exportation de combustibles fossiles de la Russie. L’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas – membres de l’UE et de l’OTAN – figuraient parmi les plus gros importateurs.
Les sanctions de l’UE n’empêchent pas les opérateurs européens, importateurs de gaz, d’ouvrir un compte en roubles auprès de la Gazprombank[4]. Ce qui a déjà été fait par des géants de l’énergie comme l’italien Eni SpA[5], l’allemand Uniper et l’autrichien OMV[6]. La banque d’investissement Sinara, basée en Russie, a déclaré : « Bien que les mesures annoncées par l’Union européenne semblent menaçantes, nous ne voyons pas d’impact paralysant sur le secteur pétrolier russe« [7]. Pour permettre ce flux, les sanctions supplémentaires imposées aux banques russes en mai n’incluent pas la Gazbrombank, par laquelle transitent les paiements du gaz.
Grâce à cela, la bourse et la monnaie russes, après un début de crise, se sont redressées et les flux d’argent continuent de bénéficier même de la hausse des prix des carburants sur le marché international[8].
Les instruments de la bourgeoisie impérialiste elle-même, comme le magazine allemand Der Spiegel déclarent que : « Il y a eu des surprises désagréables pour lui (Poutine) dans les forces armées. Mais les choses vont mieux dans le domaine des affaires et de la finance. »[9]
Les sanctions contre la Russie devraient entraîner une contraction de moins de 7 % du PIB, contraction qu’il faut comparer à l' »effondrement » du PIB de 45 à 50 % auquel l’Ukraine est confrontée en raison de l’invasion, pour ne pas perdre de vue le préjudice subi par les combattants ukrainiens[10].
Les mesures économiques (sanctions) de l’impérialisme contre la Russie, tout comme les sanctions de la Société des Nations contre l’Italie en 1935, malgré le discours agressif, sont partielles et ne visent pas à faire échouer l’invasion militaire, mais plutôt à affaiblir le gouvernement de Poutine militairement et économiquement. Tout comme ceux appliqués lors de la guerre en Éthiopie dans les années 1930, ils ont laissé de côté des secteurs fondamentaux et stratégiques de l’économie comme le pétrole et le gaz.
L’impérialisme européen soutient l’armée de Poutine et a les mains sales du sang du peuple ukrainien. L’actuel chancelier, Scholz, tente de se justifier : « Je ne vois pas du tout qu’un embargo sur le gaz mettrait fin à la guerre. Si Poutine était réceptif aux arguments économiques, il n’aurait jamais commencé cette guerre insensée. »
Envoi inconditionnel d’armes à la résistance ukrainienne ;
Les troupes russes se sont actuellement concentrées presque exclusivement dans l’est de l’Ukraine, où elles ont lancé une offensive majeure, mais il existe toujours une résistance ukrainienne à Donetsk et Lougansk. Les combats les plus durs se déroulent à Severodonetsk et Lysychansk, où les Russes mènent des bombardements intenses, des frappes aériennes et de l’artillerie lourde.
Mais les armes promises par l’impérialisme n’arrivent pas : avions, artillerie, lance-roquettes, chars, véhicules blindés, missiles antinavires, drones. Tout ce qui est nécessaire pour rendre la victoire ukrainienne possible.
Le chancelier allemand Scholz parle sans cesse d’envoyer ses chars Léopard, mais rien ne se passe, pas même les 5 000 casques promis ne sont arrivés, tout comme « Les armes que le gouvernement espagnol nous a promises à Madrid ne sont pas arrivées« [11].
Conclusion : les forces armées de Poutine dépassent de manière écrasante les Ukrainiens en termes d’équipements, quel que soit le critère choisi.
« Nous devons obtenir un millier de systèmes d’artillerie parce que la Russie en a 10 000. Si nous avons des centaines de quelque chose, ils en ont des milliers. Nous devons lutter contre cela. » « Je suis heureux que Scholz nous ait promis son meilleur système de défense anti-aérienne, IRIS-T, pour octobre. Le problème est que nous ne savons pas ce qu’il adviendra de nous d’ici octobre« , conclut la députée Klympouch-Tsintsadzé[12].
SOUTIEN TOTAL À LA RÉSISTANCE UKRAINIENNE
Pour la défaite militaire de la Russie
Par conséquent, il est du devoir des organisations du mouvement ouvrier qui soutiennent la résistance ukrainienne de dénoncer l’envoi déficient d’armes par l’impérialisme, d’exiger plus d’armes pour l’Ukraine ; et de dénoncer l’inefficacité des sanctions impérialistes, qui ne vont que jusqu’à ce que dictent les intérêts des pays impérialistes. Il est fondamental d’exiger l’embargo sur les importations de pétrole et de gaz avec une suspension immédiate de leur paiement.
Avec cela, il faut la rupture des relations diplomatiques et commerciales avec ce pays, en liant cela à notre programme qui affirme la nécessité de confisquer les biens des grands « oligarques » bourgeois, et de mettre toutes ces propriétés au service de la résistance et de la reconstruction de l’Ukraine, sous le contrôle de la classe ouvrière, pour être à la disposition de la résistance ukrainienne. Nous exigeons que la dette extérieure ukrainienne soit immédiatement éliminée.
Poser des revendications n’est pas antagoniste avec le fait d’exiger des « sanctions ouvrières » ou des « boycotts dirigés par les travailleurs » contre le gouvernement et la machine militaire russes. » C’est pourquoi il est essentiel de soutenir et d’informer l’ensemble de la classe des actions des travailleurs qui, par le biais de leurs organisations, boycottent les produits russes.
En commençant par le pétrole et le gaz, ce qu’ont fait les dockers d’Angleterre, de Suède et de Hollande, est exemplaire : ils ont refusé de décharger le pétrole en provenance de Russie. Il faut souligner les déclarations de leurs dirigeants selon lesquelles ce pétrole est « souillé du sang du peuple ukrainien », car il sert à financer l’armée russe. Et de plus en plus, il est nécessaire de multiplier les actions comme le convoi de solidarité que la CSP CONLUTAS et les syndicats du Réseau syndical international ont envoyé aux travailleurs ukrainiens.
[1] https://www.publico.pt/2022/06/24/mundo/noticia/alemanha-faz-soar-alarmes-riscos-ataques-economicos-putin-2011313?utm_content=Editorial&utm_term=Novo+Banco+contratou+empresa+de+lobbying+para+gerir+crises+de+reputacao.+Zelensky+substitui+embaixadora+em+Portugal&utm_campaign=59&utm_source=e-goi&utm_medium=email
[2] https://elements.visualcapitalist.com/importers-of-russian-fossil-fuels/
[3] https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/stronger-europe-world/eu-solidarity-ukraine/eu-assistance-ukraine_en
[4] https://www.tagesschau.de/wirtschaft/unternehmen/gas-rubel-sanktionen-gazprom-uniper-rwe-shell-101.html
[5] https://www.aljazeera.com/economy/2022/5/16/eu-gives-companies-green-light-to-buy-gas-from-russia
[6] https://www.prensalatina.com.br/2022/04/27/dez-compradores-de-gas-russo-na-europa-abriram-contas-em-rublos/
[7] https://www.usatoday.com/story/news/world/2022/05/31/ukraine-russia-live-updates/9998948002/
[8] https://www.theguardian.com/world/2022/apr/27/russia-doubles-fossil-fuel-revenues-since-invasion-of-ukraine-began
[9] https://www.spiegel.de/international/world/putin-s-disaster-and-what-could-happen-next-a-e8c89bfa-b7a3-4e32-908a-7642a301eda6?sara_ecid=nl_upd_1jtzCCtmxpVo9GAZr2b4X8GquyeAc9&nlid=bfjpqhxz
[10] https://time.com/6176748/ukraine-war-economy/
[11] https://elpais.com/internacional/2022-06-18/ucrania-alerta-de-que-solo-podra-ganar-la-guerra-si-occidente-acelera-el-envio-de-armas.html?sma=newsletter_radar_20220625?event_log=oklogin