Personne n’a analysé le caractère de l’État soviétique après le triomphe de la contre-révolution stalinienne de manière aussi approfondie que Léon Trotsky. En 1936, en plein boom économique que connaît l’URSS, alors que les faits semblent confirmer la justesse des théories et des politiques de la caste bureaucratique, Trotsky publie un livre intitulé La révolution trahie. Dans cet ouvrage, qui devrait être étudié par celles et ceux qui souhaitent comprendre la trajectoire des anciens États ouvriers, le futur fondateur de la Quatrième Internationale a non seulement analysé la dégénérescence et les contradictions de l’État soviétique, mais il a également fait une prédiction précise de la restauration capitaliste un demi-siècle avant que ce processus ne commence.
Par Daniel Sugasti, 10 janvier 2022
Le livre a cherché à répondre à un événement sans précédent et à l’impact politique énorme : la dégénérescence bureaucratique du premier État ouvrier de l’histoire. Ce processus hautement contradictoire était source de confusion et de vives polémiques, même parmi les membres de ce qui était appelé l’Opposition de gauche internationale, l’organisation dirigée par Trotsky pour affronter la contre-révolution stalinienne.
Il s’agissait, avant tout, de caractériser scientifiquement le caractère de l’Union soviétique. Sans cela, la tâche d’élaborer un programme révolutionnaire était impossible. Dans les années 30, alors que le monde capitaliste était plongé dans une terrible crise, l’économie soviétique connaissait une croissance impressionnante. Trotsky proposait de chercher la base des indicateurs économiques étonnants dans l’expropriation de la propriété bourgeoise, la nationalisation des principaux moyens de production, la planification de l’économie et le monopole d’État du commerce extérieur ; en somme, dans les conquêtes établies par la révolution socialiste de 1917, et non dans la politique bureaucratique du stalinisme. Il a expliqué que la clique du Kremlin ne maintenait ces bases sociales que dans la mesure où elles constituaient la source de ses privilèges matériels, alors qu’en parallèle, elle les sapait progressivement.
Les conquêtes de la révolution socialiste ont permis à l’URSS, dans les années 1940, de sortir d’un pays matériellement arriéré pour devenir la deuxième puissance économique et militaire du monde.
Cela signifie-t-il que, comme le prétendent les bureaucrates, l’URSS a atteint le socialisme ? Trotsky a catégoriquement rejeté une telle affirmation. Il a caractérisé l’URSS comme un État ouvrier qui a dégénéré après que la bureaucratie stalinienne a usurpé le pouvoir politique des soviets (conseils) et qu’avec cela, cet appareil a cessé d’être un instrument au service de la classe ouvrière et de la révolution mondiale pour devenir tout le contraire, c’est-à-dire un instrument de répression en interne et un frein à tout processus révolutionnaire international.
La dynamique de la caste bureaucratique, intéressée uniquement par l’augmentation de ses privilèges, a conduit à un sabotage de l’économie planifiée et des bases sociales de l’État ouvrier, puisque la direction économique n’était pas discutée démocratiquement par la classe ouvrière. Par conséquent, pour le stalinisme, il était essentiel de liquider la démocratie soviétique et d’établir un régime totalitaire, qui a toujours fait appel aux méthodes de la guerre civile contre la classe ouvrière. Un régime politique – bien que reposant sur des bases socio-économiques opposées – jumeau du fascisme. Par conséquent, les plans économiques ne servaient pas à répondre aux besoins de la classe ouvrière, mais aux intérêts mesquins de la bureaucratie.
En bref : la bureaucratie a exproprié politiquement le pouvoir de la classe ouvrière sur l’État, a stérilisé les soviets, liquidant leur caractère de classe et annulant leur contenu révolutionnaire. Des soviets, il n’est resté qu’une coquille vide. Sur la base de cette politique contre-révolutionnaire, une dictature a été imposée, contre le prolétariat.
Sur les contradictions des rapports de classe en URSS, Trotsky a montré que l’expropriation de la bourgeoisie n’avait pas éliminé les classes, contrairement à ce que prétendait le stalinisme, mais que la bourgeoisie se reconstruisait à travers la petite bourgeoisie rurale et urbaine, ainsi que via la bureaucratie privilégiée elle-même. Non seulement l’URSS était loin d’être un « pays socialiste », mais elle n’avait même pas atteint le niveau des économies capitalistes avancées. Toute la question résidait dans le fait que, selon le marxisme, il est impossible pour un pays d’atteindre le socialisme de manière isolée. Le prolétariat peut prendre le pouvoir dans un pays donné et mettre en marche une économie de transition vers le socialisme, mais le socialisme en tant que système n’est possible qu’à l’échelle mondiale, c’est-à-dire qu’il présuppose la défaite de l’impérialisme.
En vérité, l’existence même d’un État policier, d’une terrible dictature contre la classe ouvrière et les secteurs populaires, était d’une part la démonstration du retard matériel de l’économie soviétique ; d’autre part, la preuve irréfutable que le « socialisme » n’a jamais existé en URSS. En premier lieu, parce que la transition vers le socialisme présuppose une large démocratie ouvrière, c’est-à-dire le contrôle du prolétariat sur son propre État. En second lieu, parce que le socialisme exige, en même temps, la disparition progressive de l’État vers le communisme.
L' »État ouvrier dégénéré » était toutefois un élément contradictoire au sein de l’économie mondiale dominée par l’impérialisme. À un moment donné, cette contradiction devait être résolue. Soit par une extension de la révolution socialiste aux pays capitalistes les plus avancés, soit par une restauration capitaliste dans les États ouvriers.
En ce sens, Trotsky a posé qu’il existait trois hypothèses pour l’évolution de cette formation socio-économique contradictoire.
La première était qu’une révolution menée par un parti révolutionnaire, « ayant toutes les qualités du vieux parti bolchevique« , renverserait la bureaucratie et régénérerait l’État soviétique. Cela signifierait, comme il l’a défini, une révolution politique :
« La révolution que la bureaucratie prépare contre elle-même ne sera pas sociale comme celle d’octobre 1917: il ne s’agira pas de changer les bases économiques de la société, de remplacer une forme de propriété par une autre. L’histoire a connu, outre les révolutions sociales qui ont substitué le régime bourgeois à la féodalité, des révolutions politiques qui, sans toucher aux fondements économiques de la société, renversaient les vieilles formations dirigeantes (1830 et 1848 en France, février 1917 en Russie). La subversion de la caste bonapartiste aura naturellement de profondes conséquences sociales; mais elle se maintiendra dans les cadres d’une transformation politique« [1].
En d’autres termes, il s’agirait d’une révolution du régime politique, et non du caractère de classe de l’État. Le trotskiste argentin et fondateur de LIT-QI, Nahuel Moreno, a résumé cette définition en 1980 :
« La révolution politique est une véritable révolution parce qu’elle reflète la lutte acharnée et mortelle entre différents secteurs sociaux, pas des classes mais des secteurs sociaux. La révolution politique est la révolution de la classe ouvrière avec une base populaire contre l’aristocratie ouvrière et ses fonctionnaires, c’est-à-dire ses bureaucraties. Elle est politique parce qu’elle est la lutte acharnée d’un secteur de la classe ouvrière contre un autre secteur ou contre ses fonctionnaires. Et nous disons qu’il s’agit d’une véritable révolution parce que le mouvement ouvrier devra se mobiliser en masse pour chasser ce secteur de la direction de ses organisations, secteur qui luttera jusqu’à la mort pour défendre ses privilèges« [2].
Une révolution de cette nature, selon Trotsky :
« […] commencerait par rétablir la démocratie dans les syndicats et les soviets. Il pourrait et devrait rétablir la liberté des partis soviétiques. Avec les masses, à la tête des masses, il procéderait à un nettoyage sans merci des services de l’Etat. Il abolirait les grades, les décorations, les privilèges et ne maintiendrait de l’inégalité dans la rétribution du travail que ce qui est nécessaire à l’économie et à l’Etat. Il donnerait à la jeunesse la possibilité de penser librement, d’apprendre, de critiquer, en un mot, de se former. Il introduirait de profondes modifications dans la répartition du revenu national, conformément à la volonté des masses ouvrières et paysannes. Il n’aurait pas à recourir à des mesures révolutionnaires en matière de propriété. Il continuerait et pousserait à fond l’expérience de l’économie planifiée. Après la révolution politique, après le renversement de la bureaucratie, le prolétariat aurait à accomplir dans l’économie de très importantes réformes, il n’aurait pas à faire une nouvelle révolution sociale« .[3]
La deuxième hypothèse était que la contre-révolution triompherait grâce à « un parti bourgeois » qui restaurerait le capitalisme. Cela aurait été une contre-révolution sociale, et non politique :
» Bien que la bureaucratie soviétique ait beaucoup fait pour la restauration bourgeoise, le nouveau régime serait obligé d’accomplir sur le terrain de la propriété et du mode de gestion non une réforme mais une véritable révolution« [4].
Mais il y avait une troisième hypothèse : que la bureaucratie resterait au pouvoir pendant une période relativement longue. Dans ce cas, que se passerait-il ? Trotsky a développé cette alternative dans La Révolution trahie :
» La bureaucratie demeure à la tête de l’Etat. L’évolution des rapports sociaux ne cesse pas. On ne peut certes pas penser que la bureaucratie abdiquera en faveur de l’égalité socialiste. Dès maintenant, elle a dû malgré les inconvénients évidents de cette opération, rétablir les grades et les décorations; il faudra inévitablement qu’elle cherche appui par la suite dans des rapports de propriété. On objectera peut-être que peu importe au gros fonctionnaire les formes de propriété dont il tire ses revenus. C’est ignorer l’instabilité des droits du bureaucrate et le problème de sa descendance. Le culte tout récent de la famille soviétique n’est pas tombé du ciel. Les privilèges que l’on ne peut léguer à ses enfants perdent la moitié de leur valeur. Or, le droit de tester est inséparable du droit de propriété. Il ne suffit pas d’être directeur de trust il faut être actionnaire. La victoire de la bureaucratie dans ce secteur décisif en ferait une nouvelle classe possédante. Au contraire, la victoire du prolétariat sur la bureaucratie marquerait la renaissance de la révolution socialiste« [5].
En d’autres termes, si la bureaucratie parvenait à se maintenir au pouvoir dans l’État ouvrier, cette même caste restaurerait le capitalisme et, ce faisant, se transformerait en une classe possédante, une nouvelle bourgeoisie.
Dans le Programme de transition, le programme avec lequel la Quatrième Internationale a été fondée en 1938, Trotsky a posé ce problème de la manière la plus catégorique :
« Le pronostic politique a un caractère alternatif : ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l’organe de la bourgeoisie mondiale dans l’État ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme; ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme« [6].
En bref : si la classe ouvrière soviétique ne réalisait pas une révolution politique qui renverse le Thermidor stalinien tout en sauvegardant les relations de propriété non capitalistes, la restauration capitaliste deviendrait tôt ou tard un fait.
Malheureusement – mais non sans lutte, comme nous le verrons – c’est cette hypothèse, brillamment anticipée par Trotsky, qui s’est confirmée dans la réalité.
Au milieu des années 80, la direction de Mikhaïl Gorbatchev, ainsi que les autorités du KGB, ont décidé de restaurer le capitalisme. En 1986, le XXVIIe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) a entamé le processus de démantèlement de l’ensemble de la structure de l’État ouvrier dans trois directions principales : la liquidation de la propriété socialisée des principaux moyens de production ; la fin du monopole du commerce extérieur ; la fin de l’économie planifiée. La restauration bourgeoise, en fait, avait commencé bien plus tôt dans l’ex-Yougoslavie et en Chine. Aujourd’hui, tous les anciens États ouvriers sont des pays capitalistes, dans tous ces pays règne l’économie de marché.
La restauration du capitalisme est le bilan historique du stalinisme. L’idéologie officielle du « socialisme dans un seul pays », prévalant depuis 1924, impliquait un renoncement à la perspective de la révolution socialiste mondiale. Cette proposition – une falsification grossière du marxisme – n’a jamais dépassé le stade de théorie justificative des conceptions nationalistes enracinées dans la bureaucratie soviétique et sa principale préoccupation : étendre ses privilèges matériels. Cela a trouvé un prolongement dans les règles de la politique internationale de l’URSS : la « coexistence pacifique » avec l’impérialisme, formulée dans l’après Seconde Guerre mondiale mais appliquée depuis longtemps[7].
L’histoire a rendu son verdict. La restauration du capitalisme dans les anciens États ouvriers est la preuve de l’échec des théories du socialisme dans un seul pays et de la coexistence pacifique avec l’impérialisme. L’histoire a confirmé, dans un laps de temps relativement court, qu’il n’y a aucune possibilité de réaliser le socialisme sur le terrain national ; que ce nouveau type de société – supérieur en tous points au capitalisme – ne peut être atteint que par une révolution mondiale qui détruise l’impérialisme. Le socialisme sera mondial ou ne le sera pas. La réalité a montré, en somme, que la transition vers le socialisme est inconcevable sans un régime politique de large démocratie ouvrière, car la politique contre-révolutionnaire de la caste bureaucratique – une excroissance sociale étrangère au prolétariat – à l’échelle nationale et internationale sape les fondements socio-économiques de tout État ouvrier et impose tôt ou tard un retour au capitalisme.
Les démocraties populaires
La fin de la Seconde Guerre mondiale a imposé une réorganisation du système international des États, scellée par les accords signés aux conférences de Yalta et de Potsdam en 1945 entre Roosevelt-Truman (États-Unis), Churchill et Staline. La bureaucratie soviétique, suivant la logique de coexistence pacifique que nous avons exposée, concocte avec l’impérialisme une nouvelle division du monde. Les puissances impérialistes, d’une part, ont reconnu le droit de l’URSS à constituer un « bloc » de nations alliées en Europe centrale et orientale. D’autre part, Staline s’est engagé à empêcher la révolution dans le reste de l’Europe et du monde, en particulier dans les pays où la résistance au nazisme était menée par des partis communistes. Le compromis avec les dirigeants impérialistes a empêché la prise du pouvoir dans des pays comme la France, l’Italie et la Grèce. Le Kremlin ne s’intéressait qu’à la consolidation de sa zone d’influence qui, selon sa théorie, devait « coexister » pacifiquement avec le monde capitaliste. C’est ainsi qu’est née la division officielle entre « deux camps », « deux systèmes » : les « États impérialistes » et les « États épris de Paix ».
Dans le contexte de l’avancée militaire soviétique vers Berlin, l’Armée rouge a libéré du joug nazi une série de pays dans lesquels, après la guerre, elle a maintenu une occupation militaire. C’est le point de départ de la formation de ce que l’on appelle le « Bloc de l’Est », ou le glacis soviétique, une chaîne d’États contrôlés, manu militari, par la bureaucratie stalinienne. Ces « pays satellites » ont servi de « tampon » entre l’Europe impérialiste et l’URSS : Allemagne de l’Est, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie (jusqu’en 1948) et Albanie (jusqu’en 1960).
Entre 1945 et 1948, Staline a promu les soi-disant « nouvelles démocraties », c’est-à-dire des gouvernements d’union avec des fractions bourgeoises (fronts populaires), préservant les formes du multipartisme et le rituel des élections parlementaires, mais sous la tutelle de l’armée soviétique. Au début, la propriété privée des moyens de production est restée presque intacte. Mais cette politique a changé en 1948, principalement en raison des pressions impérialistes, concrétisées dans la Doctrine Truman et avec le Plan Marshall. Moscou ordonne aux partis communistes locaux de prendre tout le pouvoir et encourage l’expropriation de la bourgeoisie. Ainsi, des régimes à parti unique ont émergé, calqués sur le modèle stalinien russe[8]. Autrement dit, dans le contexte de conditions objectives exceptionnelles et contrairement à ses intentions initiales, le Kremlin a étendu la structure sociale et le régime bonapartiste en vigueur en URSS, mais ce changement n’était pas le produit d’une révolution ouvrière (comme celle d’octobre 1917), mais, essentiellement, de l’occupation militaire par l’Armée rouge des pays d’Europe centrale et orientale[9].
Ainsi sont nés de nouveaux États ouvriers, mais bureaucratisés dès leur genèse[10]. En d’autres termes, bien que les capitalistes aient été expropriés et que ces économies aient été planifiées, le pouvoir politique est resté entre les mains d’une bureaucratie privilégiée et ennemie acharnée de la démocratie ouvrière.
Voilà le début des soi-disant « démocraties populaires », un bloc de pays économiquement exploités et opprimés par le chauvinisme russe. Il s’agissait d’États dominés par une occupation militaire étrangère permanente. L’oppression de Moscou, comme nous le verrons dans une autre section, posera de manière répétée et dramatique le problème national.
La signification politique des « démocraties populaires » a suscité une intense controverse sur la nature de ces nouveaux États. Dans les rangs du trotskisme, extrêmement affaibli par l’assassinat de Trotsky en 1940, l’extension de l’expropriation de la bourgeoisie à ces pays a fait dire à des courants comme celui dirigé par Michel Pablo et Ernest Mandel que le stalinisme, sous certaines conditions, était capable de jouer un rôle révolutionnaire. D’où la proposition de ce secteur de promouvoir la politique d' »entrisme sui generis » dans les partis communistes ; ce qui impliquait en fait la dissolution du trotskysme dans l’appareil stalinien. Un autre secteur, qui comprenait le courant moréniste, a rejeté catégoriquement cette capitulation et a défini l’occupation soviétique comme des « États ouvriers déformés ». Les conséquences pratiques de ce débat, ainsi que les méthodes bureaucratiques de la fraction Pablo-Mandel, ont précipité la première rupture majeure du trotskisme d’après-guerre, en 1953.
En 1957, Nahuel Moreno synthétise le processus qui a donné naissance au bloc de l’Est. Cette base conceptuelle sera cruciale pour comprendre les révolutions politiques et leur dynamique.
« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Russie est devenue un pays qui exploite les autres nations et leurs travailleurs. Profitant de la montée révolutionnaire des masses d’après-guerre, qui a terrifié l’impérialisme et le capitalisme, et de la présence de l’Armée rouge en Europe orientale, la bureaucratie russe a négocié avec l’impérialisme la reconnaissance de son influence dans la région. Afin d’étendre sa sphère d’influence dans le monde, la bureaucratie a « payé » en lâchant la révolution, et à partir de ce moment-là, le stalinisme est devenu le principal soutien du régime capitaliste affaibli et à moitié détruit en Europe […] À la suite de cette négociation, les « démocraties populaires » d’Europe de l’Est et les hiérarchies du Kremlin y ont établi – après une grande « purification » – leurs agences bureaucratiques nationales »[11].
Dans le domaine de la lutte de classe mondiale, notons au passage que la formation de l’occupation soviétique, ainsi que le triomphe de la révolution chinoise de 1949, ont inauguré une nouvelle étape à l’échelle mondiale : une longue période de victoires tactiques – l’expropriation de la bourgeoisie sur un tiers de la planète comme produit de l’immense pression de la mobilisation révolutionnaire des masses, surtout en Chine – bien que ce soit dans le contexte d’une défaite stratégique. Moreno a toujours dit que cette énorme avancée contenait la terrible contradiction due au fait que ce processus renforçait le principal appareil contre-révolutionnaire de l’histoire, le stalinisme, exacerbant ainsi la crise de la direction révolutionnaire.
« Cependant – disent les thèses fondatrices de la LIT-QI en 1982 – ces processus révolutionnaires colossaux n’ont pas réussi à répondre à la nécessité objective d’une révolution socialiste mondiale. Au contraire, nous sommes arrivés à une situation contradictoire, paradoxale : le plus grand triomphe obtenu au cours de ce processus révolutionnaire – l’expropriation du capitalisme dans un tiers de l’humanité et la constitution de plus d’une dizaine d’États ouvriers – semblait se retourner contre lui. Alors que, dirigés par des bureaucraties, les États ouvriers nationaux sont devenus des obstacles sur la voie de la révolution mondiale« [12].
Compte tenu de la caractérisation de ces nouveaux Etats ouvriers déformés, Moreno a esquissé les axes généraux du programme trotskyste dans ces pays. La précision fait allusion à la polémique avec Pablo et Mandel :
« Le programme élaboré par la Quatrième Internationale pour la zone dominée par la bureaucratie et pour l’URSS elle-même est simple et s’articule autour de deux piliers : la révolution politique et le droit à l’autodétermination des nations dominées par l’URSS. Ce programme a été mis à jour dans la période d’après-guerre avec un ajout d’une importance fondamentale pour les pays occupés par l’Armée rouge : Que l’Armée rouge s’en aille pour que chaque pays puisse faire ce qu’il veut ! Que l’Armée rouge donne l’exemple en n’occupant ou en ne dominant aucun pays ! Cette conquête théorique et programmatique a coûté des années à notre mouvement […] »[13].
Cette synthèse étroite du scénario d’après-guerre en Europe de l’Est et des bases programmatiques de l’aile principaliste du trotskysme servira à comprendre les processus découlant de la crise mondiale de l’appareil stalinien[14]. Un premier jalon de cette crise est sans conteste la mort de Staline le 5 mars 1953. Après trois décennies de « culte de la personnalité », la disparition de l’infaillible « brillant guide des peuples » ne pouvait qu’ébranler le pouvoir de la bureaucratie. Ce n’est pas un hasard si, quelques mois plus tard, le premier processus de révolution politique a éclaté. La première de nombreuses tentatives qui, bien que défaites, allaient confirmer la tendance soulignée par Trotsky[15].
La révolte ouvrière à Berlin-Est
Entre les 16 et 17 juin 1953, une grève lancée par des ouvriers du bâtiment à Berlin-Est a débouché sur une rébellion qui s’est étendue à toute la République démocratique allemande (RDA). Environ un demi-million de travailleurs ont croisé les bras et environ un million d’Allemands de l’Est sont descendus dans les rues de 700 villes.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la proposition d’augmenter le rythme de production sans augmenter les salaires. En effet, à la fin du mois de mai, le gouvernement de la RDA a décidé d’augmenter de 10 % le quota de production. Si les travailleurs d’une branche particulière de l’industrie n’atteignaient pas les objectifs fixés par la bureaucratie, leurs salaires étaient réduits.
Les exigences constantes d’augmentation de la productivité étaient particulièrement odieuses pour la classe ouvrière d’un pays en ruines, qui endurait les privations matérielles avec des menottes, sans aucune liberté démocratique effective. D’autre part, il y avait une large prise de conscience que les objectifs visant à accélérer le développement de l’industrie lourde en RDA faisaient partie d’un plan économique conçu pour répondre aux exigences de l’économie soviétique plutôt qu’aux besoins fondamentaux des travailleurs allemands. Compte tenu du caractère totalitaire du régime, ni les quotas de production ni aucune mesure économique n’étaient décidés par les travailleurs, mais par les bureaucrates, en premier lieu ceux de Moscou. L’électricité, le charbon, le chauffage, tout était rationné. Le nouveau quota de production représentait une attaque contre les conditions de vie déjà pénibles. Dans le secteur de la construction, par exemple, il a entraîné une réduction particulièrement sévère des salaires : entre 10 et 15% pour les travailleurs non qualifiés ; la moitié ou plus pour les travailleurs qualifiés.
Cette offensive de la bureaucratie contre les travailleurs était inscrite dans le cadre de la politique du « nouveau cours », rendue officielle le 9 juin 1953 par le Comité central du SED[16], le parti au pouvoir. Justifiée par la faiblesse des indicateurs économiques, la nouvelle politique signifiait une série de concessions à la bourgeoisie, à la petite bourgeoisie et aux églises : crédits facilités, dénationalisation d’entreprises, diminution des contributions des paysans à l’État, amnistie pour les politiciens bourgeois corrompus en prison, entre autres cadeaux. Le « nouveau cours », d’autre part, n’instituait aucune amélioration matérielle pour la classe ouvrière.
La politique de croissance disproportionnée de l’industrie lourde au détriment de la production de biens de consommation de base a entraîné des pénuries et la famine pour les Allemands de l’Est. La bureaucratie elle-même, une fois que la rébellion a éclaté, a reconnu ce fait. Dans son édition du 17 juin, le journal du SED admet que « le développement forcé de l’industrie lourde a conduit […] à la restriction des moyens de l’industrie de consommation. Cela a empêché l’augmentation du niveau de vie« [17].
Une agitation à Berlin-Est. Le 16 juin, les maçons de tous les chantiers de l’avenue Staline (Stalinallee) ont démocratiquement décidé de se mettre en grève et de marcher vers la « Maison des ministères » pour exiger du gouvernement « communiste » l’abrogation du nouveau quota de production. Cette décision a été précédée d’une série de débats. Dès le 8 juin, les travailleurs du bloc 40 de la Stalinallee, dont 75% étaient membres du SED, ont voté une résolution contre cette imposition.
Au début, les grévistes n’avaient pas d’autre intention que de remettre leurs revendications par écrit aux autorités. Ainsi, ils ont défilé sous une banderole rouge où l’on pouvait lire : « Nous exigeons la réduction des quotas ! ». Alors que les maçons avançaient, des milliers d’autres travailleurs ont rejoint la colonne en scandant d’autres types de revendications : « Travailleurs, unissez-vous !« , « L’union fait la force !« , « Nous voulons des élections libres !« , « Nous voulons être libres, pas esclaves !« .
Lorsque la marche a atteint sa destination, ils n’ont pas été accueillis par le « camarade » Walter Ulbricht, secrétaire général du SED, mais par des fonctionnaires secondaires. Cela a rendu furieuses les personnes présentes. Devant une foule d’environ 10 000 personnes, un orateur a présenté une liste de revendications : annulation des augmentations des quotas de production ; réduction de 40 % des prix dans les magasins d’État ; élévation générale du niveau de vie des travailleurs ; abandon de la tentative de création d’une armée ; élections libres en Allemagne ; démocratisation du parti et des syndicats. Face à l’indifférence de la bureaucratie, les travailleurs ont décidé d’appeler à une grève générale pour le jour suivant. Une chronique de l’époque raconte que les ouvriers, furieux, ont affronté leur interlocuteur stalinien en criant : « Nous sommes les vrais communistes, pas vous ! » Pendant la nuit, les activités de préparation de la grève ont été frénétiques. Du jour au lendemain, il y avait partout des assemblées et des comités d’usine ont été formés. Les débats ont abordé des questions qui allaient bien au-delà des simples revendications économiques, comme l’exigence du paiement des jours de grève et l’absence de représailles contre les membres du comité, la réduction des salaires de la police, la liberté pour les prisonniers politiques, la démission du gouvernement, l’établissement d’élections secrètes, générales et libres, qui garantiraient une victoire des travailleurs dans une Allemagne réunifiée.
La grève générale du 17 juin est un succès retentissant. Plus de 150 000 travailleurs, principalement des métallurgistes, des maçons et des travailleurs des transports, ont occupé les rues du secteur soviétique de Berlin. Des délégations de travailleurs d’Allemagne de l’Ouest ont rejoint la lutte. Des assemblées, des motions de solidarité, des protestations de toutes sortes ont éclaté dans tous les centres industriels de la RDA. Des comités d’usine et même des embryons de soviets (conseils ouvriers) ont vu le jour. La radicalisation des travailleurs a été très rapide. En quelques heures, la grève des maçons de l’avenue Staline s’est transformée en un véritable soulèvement révolutionnaire, ébranlant la bureaucratie stalinienne.
Mais la grève en tant que telle ne s’est pas étendue au secteur occidental. La bureaucratie ouvrière occidentale a réussi à empêcher l’unification de la lutte.
Les chefs de la RDA, effrayés, ont demandé de l’aide à Moscou. Ils avaient perdu le contrôle de la situation. Plus de 20 000 soldats russes, soutenus par les chars de l’Armée rouge stationnés en Allemagne de l’Est, ainsi que 8 000 policiers locaux (Volkspolizei), ont donc envahi les rues pour écraser le soulèvement. Les chars se sont frayé un chemin à travers la foule, qui a jeté inutilement des pierres et tout ce qui lui tombait sous la main. Les Russes n’ont pas hésité à ouvrir le feu pour disperser la manifestation. Le rapport officiel admet que plus de 50 personnes sont mortes. D’autres estimations parlent de centaines de morts pendant la répression. La rébellion des travailleurs avait été étouffée.
Dans les jours qui ont suivi le massacre, la justice de la RDA et les tribunaux militaires soviétiques ont jugé sommairement des centaines de personnes. Il y a eu des exécutions et des tortures dans les prisons de la redoutable police politique, la Stasi. Pour la première fois, la bureaucratie a fermé le secteur est, l’isolant du reste de la ville, prélude au futur Mur de Berlin.
Cependant, à partir de la journée du 17 juin, des grèves et des protestations ont eu lieu dans diverses localités. Mais la défaite était scellée à Berlin. Le gouvernement stalinien de Grotewohl-Ulbricht a été sauvé par l’intervention des chars soviétiques. Otto Nuschke, l’un des vice-présidents du Conseil des ministres, a déclaré : « Les Russes ont raison d’utiliser les chars, car en tant que puissance occupante, il est de leur devoir de rétablir l’ordre« [18]. Ce premier acte de révolution politique, bien qu’éphémère, allait servir d’exemple aux peuples des autres pays de l’Est. Il a montré que la bureaucratie n’était pas omnipotente.
La révolution hongroise de 1956
Entre le 23 octobre et le 10 novembre 1956, la Hongrie a été le théâtre d’une révolution populaire et ouvrière contre le régime bureaucratique stalinien. Le processus a été beaucoup plus large et profond que la grève générale de Berlin. Cependant, comme on le sait, il a connu le même sort que ses frères de la classe allemande. La révolution politique hongroise allait finir par être écrasée par l’Armée rouge, mais non sans avoir légué une référence de combativité qui allait inspirer les processus futurs en Europe de l’Est.
Deux antécédents importants. En février 1956 se tient le XXe congrès du PCUS, au cours duquel Nikita Khrouchtchev dénonce les « crimes de Staline » – auxquels il a également participé -, condamne le « culte de la personnalité » de l’ancien dirigeant soviétique et promet des réformes dans l’État et dans le parti. Le « discours secret » annonçait une « déstalinisation » de la société soviétique, une mesure destinée à répondre à la crise créée par la mort de Staline au sein même de la bureaucratie. Il a également répondu aux pressions générées par le mécontentement de masse qui se développait dans la zone d’influence soviétique. Nahuel Moreno a commenté les différentes interprétations de la manœuvre de Khrouchtchev et de son aile au sein de la camarilla :
« Le 20e Congrès a servi, du reste, aux tendances réformistes du mouvement ouvrier – des titistes à la secte pabliste – à nourrir l’espoir d’une manière pacifique, calme et réformiste de mener à bien la révolution politique contre la bureaucratie. En opposition à eux, nous affirmons que le XXe Congrès montrait que la pression des masses était si puissante qu’elle annonçait la proximité d’une confrontation totale, dans son ensemble, des masses contre la bureaucratie, laquelle ne pouvait manquer d’être contre-révolutionnaire. Les faits [il fait référence à la révolution hongroise], dans ce sens aussi, nous ont donné raison »[19].
En réalité, les changements annoncés se sont vite avérés cosmétiques. Il n’y avait aucune intention de démocratiser l’appareil stalinien. Cependant, le bouleversement provoqué par le 20e Congrès a fait que des secteurs des partis communistes d’Europe de l’Est, mais surtout les peuples de ces pays, ont vu dans ses résultats le début d’une véritable ouverture. Les masses des États occupés ont perçu à tout le moins une brèche qui pouvait être exploitée. Mais lorsqu’ils ont entrepris de l’élargir en canalisant leurs légitimes aspirations matérielles et démocratiques, la prétendue « déstalinisation » a révélé toute sa fausseté. La réponse a été la même que d’habitude : calomnie, persécution, répression impitoyable.
Le premier exemple en est Poznań (Pologne), qui est le deuxième antécédent immédiat de la révolution hongroise. Entre le 28 et le 30 juin 1956, plus de 100 000 travailleurs de l’usine Cegielski se sont mis en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail et de vie. La manifestation a été réprimée par l’action de plus de 10 000 soldats et 400 chars de l’armée polonaise, commandés par des officiers russes. Le bilan est de plus de 70 morts, environ 600 blessés et des centaines d’opposants arrêtés. Bien que la propagande stalinienne ait accusé les manifestants d’être des « anticommunistes » ou des « agents provocateurs contre-révolutionnaires et impérialistes », la réalité est que les grévistes chantaient L’Internationale tout en défilant avec des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Nous exigeons du pain« . Poznań a été à son tour l’antécédent de ce qu’on a appelé l' »Octobre polonais » de la même année. Après la répression à Poznań, consciente qu’un réveil démocratique et un afflux d’autodétermination nationale étaient en cours, la dictature du Parti ouvrier unifié polonais (PZPR, selon son acronyme polonais) a accordé une augmentation de salaire de 50%, ainsi que des promesses de changements politiques.
Mais le mécontentement populaire n’avait pas été réprimé. À la mort de Staline, il faut ajouter dans le cas polonais la mort, survenue moins d’un an après le scandaleux XXe congrès du PCUS, de celui qui était alors secrétaire général du parti, Bolesław Bierut, connu comme le « Staline de la Pologne ». Ainsi, la crise de l' »aile dure » du stalinisme polonais s’est aggravée à tel point que l’appareil lui-même a réhabilité un dirigeant « modéré », Władysław Gomułka, pour prendre le pouvoir. Moscou a menacé d’envahir le pays. De nouvelles protestations populaires ont éclaté. Une délégation soviétique, conduite par Khrouchtchev lui-même, s’est rendue en Pologne pour empêcher l’ascension de Gomułka. Mais il avait le soutien de l’armée polonaise et jouissait d’une certaine crédibilité auprès du peuple. Après des négociations tendues, le Kremlin a cédé aux changements après avoir obtenu l’assurance que Gomułka et ses partisans ne représentaient aucune menace sérieuse pour le pouvoir russe et qu’ils n’avaient pas l’intention de rompre avec le Pacte de Varsovie. Le nouveau dirigeant polonais avait gagné le bras de fer en s’appuyant habilement sur la colère populaire contre Moscou. Les bureaucrates polonais allaient ainsi obtenir une plus grande autonomie dans les affaires intérieures. Le 24 octobre 1956, au sommet de sa popularité, devant une manifestation massive à Varsovie, Gomułka appelle à la fin des manifestations, répète ses promesses et, en réponse aux aspirations nationales, garantit une « nouvelle voie du socialisme », une sorte de « communisme national polonais ».
Moreno expose les raisons pour lesquelles la Pologne n’a pas été envahie par l’URSS en 1956 : « Gomułka était une garantie pour Moscou et avait en même temps le soutien des travailleurs, ayant été persécuté par Staline ; le Kremlin n’a pas osé affronter simultanément la Hongrie et la Pologne et a choisi de réprimer militairement le danger hongrois, plus immédiat (l’influence de l’Église catholique dans le mouvement de masse polonais fonctionnait comme le dernier garde-fou contre-révolutionnaire de la bureaucratie elle-même)…« [20].
Le processus polonais a été suivi de près en Hongrie, où régnait également une terrible dictature stalinienne. La classe ouvrière n’avait pas son mot à dire dans les décisions politiques ou économiques, contrôlée par la direction du Parti des travailleurs hongrois (MDP, dans son acronyme hongrois), qui était à son tour sous la tutelle de Moscou. Dans ce régime de parti unique, où la classe ouvrière n’avait pas le droit de former d’autres partis ou des syndicats indépendants des syndicats officiels, la police politique, appelée Autorité de protection de l’État (ÁVH dans son acronyme hongrois), était presque omnipotente.
L’absence de libertés démocratiques se conjuguait à une hideuse oppression nationale, qui s’exprimait surtout par un terrible pillage des richesses nationales au profit de la bureaucratie russe. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les vainqueurs ont imposé à l’économie hongroise le paiement de 300 millions de dollars en six ans à titre de réparations de guerre à l’URSS, à la Tchécoslovaquie et à la Yougoslavie[21]. Ainsi, le Kremlin a pénalisé les masses hongroises parce que leur bourgeoisie s’était alliée au nazisme. La Banque nationale de Hongrie a estimé en 1946 que le coût des réparations représentait entre 19 et 22 % du revenu national annuel. En 1956, l’hyperinflation, les pénuries et le rationnement devenaient intolérables. La patience populaire était à bout.
Les concessions arrachées au Kremlin par les Polonais ont encouragé le peuple hongrois à se battre pour une série de revendications démocratiques, jusqu’alors étouffées par l’appareil répressif local. Avant même le discours de Khrouchtchev, il y avait des signes de dissidence intellectuelle au sein même du parti hongrois au pouvoir. Le plus connu était le cercle Petofi, du nom du poète national Sandor Petofi, symbole de la révolution bourgeoise de 1848 contre la dynastie des Habsbourg. Ce groupe d’intellectuels a publié depuis 1955 une série d’articles critiques.
La crise s’est aggravée. Le 18 juillet 1956, le Politburo soviétique oblige Mátyás Rákosi à démissionner de son poste de secrétaire général du parti. Rákosi, qui se décrivait comme « le meilleur disciple hongrois de Staline », occupait ce poste depuis 1948. Sa chute a signalé la faiblesse du régime. Il a été remplacé par Erno Gerö, surnommé « le sanguinaire de Barcelone » pour sa participation efficace à la répression du POUM et à l’assassinat d’Andrés Nin pendant la révolution espagnole. Ce changement n’a pas non plus calmé les esprits. En quelques mois, son gouvernement allait être dépassé par les événements.
Le 22 octobre, une assemblée de milliers d’étudiants universitaires a approuvé une liste de seize revendications politiques[22]. La première disait : « Nous exigeons le retrait immédiat de toutes les troupes soviétiques, conformément aux dispositions du Traité de Paix« . Le deuxième point exigeait l’élection, à bulletin secret, d’une nouvelle direction du parti communiste à tous les niveaux. Le troisième point exigeait la mise en place d’un gouvernement « sous la direction du camarade Imre Nagy« , le seul dirigeant crédible du parti. Ils ajoutent : « Tous les dirigeants criminels de l’ère Staline-Rakosi doivent être déposés immédiatement. » Les autres revendications portent sur le droit de grève, la liberté d’opinion, d’expression, de presse, la radio libre, le salaire minimum pour les travailleurs, etc. Le mouvement étudiant a également annoncé son adhésion à une marche de solidarité avec « le mouvement libertaire polonais« , convoquée pour le lendemain. La déclaration se termine par un appel : « Les travailleurs des usines sont invités à se joindre à la manifestation »[23].
Le 23 octobre, plus de 200 000 personnes ont défilé en direction du siège du Parlement. Les étudiants et les travailleurs criaient : Dehors les Russes !, Rákosi, dans le Danube !, Imre Nagy, au gouvernement ! Tous les Hongrois, avec nous ! Les rues de la capitale sont inondées de drapeaux nationaux aux couleurs rouge, blanc et vert, bien qu’il apparaisse avec un trou dentelé au milieu, où étaient auparavant estampillés l’étoile rouge, le marteau et les deux cornes, symboles du parti stalinien.
Erno Gerö a publié une proclamation condamnant les écrivains et les étudiants et qualifiant les manifestants de foule réactionnaire et chauvine. Cela a suscité la colère de la foule, qui a fait tomber une statue de Staline de dix mètres de haut. Une partie d’entre eux s’est dirigée vers Radio Budapest, fortement protégée par l’ÁVH. Lorsqu’une délégation a tenté d’entrer pour transmettre ses revendications, la police politique a ouvert le feu. Beaucoup de personnes ont été tuées. Des manifestants en colère ont incendié des voitures de police et attaqué des dépôts d’armes. Au lieu de réprimer, les soldats hongrois ont fait preuve de solidarité avec le peuple. La révolution avait commencé.
La même nuit, les chars russes sont entrés dans Budapest. Il y a eu des échanges de tirs partout. Le 24 octobre, les travailleurs ont déclaré une grève générale. D’autres unités de l’armée hongroise se sont rangées du côté des révolutionnaires. La rébellion a submergé le pays. Erno Gerö et le premier ministre de l’époque, András Hegedüs, se sont enfuis en Union soviétique. János Kádár a pris la tête du parti en tant que secrétaire général et a nommé Imre Nagy, un leader de l’aile « réformiste », au poste de Premier ministre. La première chose que Nagy a faite a été d’essayer de démobiliser le peuple. Il a promis qu’il négocierait le retrait des troupes soviétiques si l’ordre était rétabli. Mais le peuple était en mouvement. Les premiers conseils ouvriers et les premières milices ont vu le jour. Malgré leur supériorité militaire, les Soviétiques ont subi de lourdes pertes. Les Hongrois ont adopté des tactiques de guérilla urbaine qui ont mis hors de combat des dizaines de chars russes.
Le 27 octobre, un nouveau gouvernement a été formé, dirigé par Nagy, avec le philosophe Georg Lukács comme ministre de la culture et deux ministres non communistes. L’objectif des « réformateurs » était d’apaiser les masses, de faire reculer le mouvement et de se réconcilier avec les Russes. Après des négociations avec le Kremlin, Nagy annonce le retrait immédiat des troupes soviétiques de Budapest et la dissolution de l’ÁVH. Le 30 octobre, la plupart des unités soviétiques s’étaient retirées dans leurs casernes à l’extérieur de la capitale. Jubilation dans les rues. Il semblait que les Russes quittaient définitivement la Hongrie.
Mais malgré l’exhortation de Nagy à retrouver le calme, la réalité montre que l’organisation indépendante de la classe se renforçait. Les conseils ouvriers se multipliaient. Dans certaines municipalités, ils ont assumé des tâches typiques d’un gouvernement. Il était prévu d’élire un Conseil national. Une révolution politique était en cours, si avancée qu’elle avait créé des embryons de double pouvoir.
À ce stade, le mouvement semblait inarrêtable. Pierre Broué recueille le témoignage de Gyula Hajdu, un militant communiste de 74 ans, qui a rendu publique son indignation face à la bureaucratie : « Comment les dirigeants communistes pourraient-ils savoir ce qui se passe ? Ils ne se mêlent jamais aux ouvriers et aux gens ordinaires, ils n’apparaissent pas dans les groupes, car ils ont tous des voitures, ils ne se rencontrent pas dans le commerce ou au marché, car ils ont leurs magasins spéciaux, ils ne se rencontrent pas dans les hôpitaux, ils ont des hôpitaux pour eux« [24].
La révolution antibureaucratique, comme ses devancières, a également acquis le contenu d’une révolution de libération nationale. Un processus révolutionnaire dans lequel la lutte contre l’oppression nationale exercée par les Russes, que le peuple hongrois a identifié à juste titre dans l’odieux régime stalinien basé au Kremlin, a été l’un des moteurs sociaux les plus puissants. Il ne s’agissait pas d’un processus « chauvin », comme le propageait le stalinisme, mais du cri d’une nation opprimée. Sans comprendre le problème de l’oppression nationale et l’aspiration populaire à l’autodétermination, il est impossible de comprendre les révolutions en Europe de l’Est. Sur ce phénomène, Nahuel Moreno a écrit en 1957 :
« La même chose se produit partout : des modèles de production brutaux et des salaires misérables, la confiscation des récoltes des paysans et une politique autoritaire visant à les faire entrer dans des collectifs agricoles. Cette double exploitation dont souffrent les travailleurs des pays dominés par la Russie se reflète dans la structure politique de ces pays : un régime totalitaire, sans aucune démocratie, contrôlé par une bureaucratie fabriquée et dirigée depuis Moscou. D’où le caractère double des révolutions hongroise et polonaise, c’est-à-dire national d’une part et ouvrier d’autre part. C’est pourquoi, au début, étant donné le caractère général du mouvement, la nation entière contre l’oppresseur étranger, toute la population est intervenue dans la lutte. Mais ensuite, la classe ouvrière reste la seule direction, qui non seulement lutte contre l’exploitation nationale, mais aussi contre l’exploitation de la bureaucratie locale« [25].
L’appareil stalinien prétendait être confronté à une contre-révolution ultranationaliste ou directement fasciste qui cherchait à restaurer le capitalisme et à livrer le pays à l’OTAN. Ceci, comme nous le prévoyions, est complètement faux. Aucune des principales revendications des étudiants, des travailleurs et du peuple en général n’a jamais remis en cause l’économie nationalisée. La révolution a cherché à gagner les libertés démocratiques, c’est-à-dire à démocratiser le parti et l’État, ainsi que le respect du droit à l’autodétermination nationale, en commençant par l’expulsion des troupes d’occupation russes. A tel point que, pour cette tâche, la majorité s’est appuyée sur Nagy et sur un secteur du parti au pouvoir lui-même.
Dans les premiers jours de novembre, Moscou discutait de la façon de liquider la révolution. Molotov a proposé une intervention militaire. Le Maréchal Joukov s’y est d’abord opposé. Khrouchtchev se serait entretenu avec Mao Zedong et Tito, tous deux favorables au recours à la force. Pendant ce temps, la situation des Soviétiques devenait plus précaire. Pendant l’intervalle où les troupes russes étaient absentes de la ville, des foules ont pris d’assaut le siège du parti au pouvoir, brûlé des drapeaux de l’URSS, lynché des membres de la police politique, non pas par « haine du communisme » mais par dégoût pour le stalinisme et ses agents autochtones.
Un élément qui a pesé sur les considérations soviétiques concernant l’intervention militaire est l’attitude possible des États-Unis. Mais lorsque la guerre de Suez éclate le 29 octobre, la bureaucratie soviétique comprend que ses adversaires ont des problèmes plus urgents que le sort des Hongrois. Eisenhower, qui ne souhaite pas non plus de conflits guerriers avec l’URSS, laisse entendre que la Hongrie fait partie de la sphère d’influence soviétique.
Le gouvernement hongrois était complètement dépassé. La figure du premier ministre s’était usée tant devant le peuple que devant les hiérarques russes. Le 1er novembre, Nagy a annoncé la neutralité hongroise et un éventuel retrait du Pacte de Varsovie. Le Kremlin a décidé de lancer une deuxième offensive, la dernière pour écraser la révolution.
Dans la nuit du 3 novembre débute l' »Opération Whirlwind », sous le commandement du Maréchal Iván Kónev. Les Russes ont envahi Budapest à partir de différents endroits, combinant des frappes aériennes, l’artillerie et l’action conjointe des chars et de l’infanterie de 17 divisions. Plus de 30 000 soldats et 1 130 véhicules blindés sont entrés en tirant sur tout ce qui bougeait. La résistance hongroise s’est concentrée dans les zones industrielles, bombardées sans relâche par l’artillerie soviétique. Le 10 novembre, la révolution était écrasée. Plus de 2 500 Hongrois sont morts et environ 13 000 ont été blessés. Les Russes ont perdu plus de 700 soldats et des centaines de chars, un fait qui montre la combativité des révolutionnaires.
Le 10 novembre, un nouveau gouvernement dirigé par János Kádár est installé. Ce personnage, totalement inféodé à Moscou, allait rester au pouvoir jusqu’en 1988. La persécution a été implacable. Une orgie de vengeance politique a été déclenchée. Des milliers de personnes ont été capturées, envoyées dans des goulags sibériens. D’autres ont été exécutées sommairement. Nagy lui-même a été fusillé en 1958. On estime que 200 000 personnes ont quitté le pays pour échapper à la répression stalinienne.
Une fois de plus, l’appareil central du stalinisme a réussi à étouffer, par la répression, une tentative de révolution politique. En Hongrie, les conseils ouvriers étaient le point le plus avancé de la révolution. Mais ces organisations n’avaient aucune centralisation et aucune direction révolutionnaire qui proposait une stratégie indépendante de toutes les ailes de la bureaucratie – la confiance accordée par un large secteur à la personne de Nagy, par exemple, s’est avérée fatale – qui promouvait la centralisation des conseils ouvriers et visait la stratégie de prise du pouvoir pour établir un régime de démocratie ouvrière basé sur l’économie non capitaliste. Sans un parti révolutionnaire, le prolétariat ne pouvait pas résoudre la dualité des pouvoirs en sa faveur. Les régimes staliniens de Moscou et de Budapest ont pu manœuvrer, tromper, épuiser et ainsi préparer le terrain pour l’offensive militaire finale de l’Armée rouge.
Moreno a toujours souligné le caractère essentiel d’une politique indépendante de la bureaucratie dans son ensemble. Dans le texte que nous avons cité, il explique le caractère non révolutionnaire des « réformateurs » des partis communistes du bloc soviétique. La dynamique du processus a montré que des secteurs favorables à une authentique révolution politique n’ont jamais émergé des entrailles de la bureaucratie. Tout au plus, des forces sont apparues qui, sous la pression de l’action des masses, ont proposé de reformuler certaines politiques, mais toujours dans le cadre de régimes à parti unique :
« Les révolutions hongroise et polonaise« , écrit Moreno, « ont également démontré, d’autre part, que les forces fondamentales à l’heure actuelle sont la révolution ouvrière et [anti] coloniale et la contre-révolution impérialiste ». Les révolutionnaires hongrois ont fait appel à la solidarité du prolétariat international, tandis que le pouvoir officiel – Nagy et Gomułka – a fait appel au soutien de l’impérialisme. Ce dernier et l’Eglise tendaient à soutenir ces gouvernements contre les masses – ou face à elles« [26].
Le Printemps de Prague : « Lénine, lève-toi ! Brejnev est fou ! »
Parmi les pays du glacis, la Tchécoslovaquie était l’un des pays les plus industrialisés. Elle avait une classe ouvrière avec une longue tradition de lutte. En 1948, le Parti communiste (PCCH) s’est emparé du pouvoir et a instauré un régime à parti unique subordonné à Moscou. Dans les années 1950, le stalinisme s’est consolidé par des farces judiciaires, des purges, des arrestations, de la torture, etc. Un climat de terreur étouffant a été imposé à la société. Le contrôle rigide exercé par le PCCH allait bien au-delà de la politique et de l’économie. La presse, la littérature, la peinture, la musique, la science… rien n’échappait à la censure du régime.
Au début des années 1960, l’économie a commencé à montrer des signes de crise. Entre 1961 et 1963, le produit intérieur brut est passé d’une croissance de 7% à une baisse de 0,1%. La récession a été la base matérielle d’une accélération de la crise politique. En 1967, les premières questions sur le stalinisme sont venues d’écrivains et d’étudiants. Des intellectuels de l’Union des écrivains tchécoslovaques, de l’Académie des sciences et de l’Institut des sciences économiques ont lancé un mouvement critiquant la politique économique et la censure imposées par le parti au pouvoir. Literární Noviny, une revue hebdomadaire, publiait des articles d’écrivains communistes qui, entre autres, suggéraient que la littérature devait être indépendante de la doctrine du parti. La censure a licencié les rédacteurs et établi que le contrôle du magazine reviendrait au ministère de la Culture. Mais les demandes de liberté d’expression, de la presse, de la création artistique et scientifique ne cessaient de croître. La censure est devenue insupportable. Les étudiants ont manifesté pour une meilleure éducation et plus de libertés. Les protestations éventuelles ont été durement réprimées, mais la violence policière n’a fait qu’alimenter le mouvement en faveur des libertés démocratiques. Puis vint la demande d’une fédération équitable entre Tchèques et Slovaques. Deux décennies de régime stalinien ont rendu la subordination du pays à l’URSS odieuse, insupportable. Notons que, comme dans les cas précédents, le problème national s’est posé avec une grande force dans la préparation de la révolution politique tchécoslovaque. La revendication de la liberté d’organisation des syndicats et des partis, en revanche, remet directement en cause le monopole politique du PCCH.
Le mouvement démocratique a eu un impact sur la haute hiérarchie du PCCH. Elle a aggravé la division entre ceux qui admettaient la nécessité de certaines réformes, dans le sens de faire des concessions qui dissiperaient le mécontentement, et les tenants de la « ligne dure », favorables à un redoublement de la répression, pour étouffer la crise avant qu’elle ne devienne incontrôlable. Ainsi, les premières fissures apparaissent dans le parti au pouvoir. Sous la pression du mouvement, Antonín Novotný, secrétaire général du PCCH depuis 1953, est démis de ses fonctions en janvier 1968. Le poste est confié à Alexander Dubček, un dirigeant de l' »aile réformiste » de la bureaucratie. Dans un premier temps, ce changement a été approuvé par Leonid Brejnev, le dirigeant suprême de l’URSS depuis 1964.
Le secteur Dubček ne voulait pas de révolution politique, car cela signifierait un suicide. Par certaines concessions secondaires, il cherchait de nouvelles formes de dialogue avec les masses lassées du totalitarisme russe. Son intention n’était pas de mettre fin à la domination politique du PCCH, mais de restaurer un certain degré de crédibilité de ce parti auprès de la population, de recycler l’image du gouvernement afin d’interrompre le processus en cours, et non de le pousser jusqu’à ses ultimes conséquences. En bref, il s’agissait d’un secteur prêt à donner les bagues pour ne pas perdre les doigts. Dubček a revendiqué cette politique comme un « socialisme à visage humain ».
En février 1968, il a déclaré que la mission du parti était « de construire une société socialiste avancée sur des bases économiques solides … un socialisme correspondant aux traditions démocratiques historiques de la Tchécoslovaquie, conformément à l’expérience d’autres partis communistes … »[27] tout en soulignant que la nouvelle politique visait à « renforcer plus efficacement le rôle dirigeant du parti« . Le 30 mars, Novotný a cédé le poste de président à Ludvík Svoboda, héros de guerre et référence de l’aile dite du renouveau, qui était également bien considéré parmi les Tchèques et les Slovaques. En avril, le PCCH a approuvé le slogan « le socialisme à visage humain ». Ainsi, le gouvernement Dubček-Svoboda a lancé un « Programme d’Action » avec des réformes démocratiques et économiques modérées, mais qui, dans le contexte de l’existant, a été accueilli avec de grandes attentes au sein de la population.
La censure a été abolie le 4 mars. De nouveaux journaux sont apparus. Il y a eu une floraison de différentes expressions artistiques. Certains débats sur des questions épineuses sont devenus publics. La presse a décrit en détail les crimes commis contre le pays sous le règne de Staline, l’oppression nationale, a critiqué les privilèges du régime. Le Programme d’Action prévoyait une ouverture politique contrôlée : élection secrète des dirigeants, liberté de la presse, de réunion, d’expression, de mouvement, accent économique mis sur la production de biens de consommation, ainsi que l’admission du commerce direct avec des puissances occidentales et une transition de dix ans vers un régime multipartite. Le nouveau gouvernement s’est orienté vers une fédération de deux républiques, la République socialiste tchèque et la République socialiste slovaque. En fait, il s’agit là de la seule mesure officielle qui a été maintenue après l’invasion soviétique.
Le Programme d’Action a scandalisé l' »aile dure » du PCCH, qui mettait en garde contre le risque d’accorder autant de libertés, car le mouvement, se sentant victorieux, pourrait dépasser les limites des concessions. La société, quant à elle, faisait pression pour une accélération des réformes. Des questions politiques auparavant impensables ont été discutées à la télévision. Les vieilles purges ont été revues. Entre autres, la figure de Slánský a été complètement réhabilitée en mai 1968. Le Syndicat des Écrivains a nommé une commission, dirigée par le poète Jaroslav Seifert, chargée d’enquêter sur la persécution des écrivains depuis 1948. Il n’a pas fallu longtemps pour que des publications extérieures au parti apparaissent, comme le journal syndical Prace. De nouveaux clubs politiques, culturels et artistiques ont vu le jour. Les « conservateurs » alarmés ont exigé le rétablissement de la censure. L’aile Dubček insistait sur une politique modérée. En mai, elle a annoncé que le XIVe congrès du PCCH se réunirait le 9 septembre. Le conclave devait intégrer le Programme d’Action dans les statuts du parti, rédiger une loi de fédéralisation et élire un nouveau Comité Central.
Les réformes sont allées au-delà de ce que Brejnev pouvait tolérer. Moscou a demandé des explications à Dubček. Dès le 23 mars, lors d’une réunion à Dresde, les représentants de l’URSS, de la Hongrie, de la Pologne, de la Bulgarie et de l’Allemagne de l’Est ont sévèrement critiqué la délégation tchécoslovaque. Pour les dirigeants du Pacte de Varsovie, toute allusion à une « démocratisation » remettait en question, dans la pratique, le modèle soviétique. Gomułka et János Kádár, dirigeants de la Pologne et de la Hongrie, craignaient particulièrement que la liberté de la presse ne conduise à un événement similaire à la « contre-révolution hongroise ».
Entre le 29 juillet et le 1er août, il y a eu une nouvelle réunion. Brejnev était présent. De l’autre côté de la table se trouvaient Dubček et Svodoba. Les Tchécoslovaques ont défendu les réformes en cours, mais ont réaffirmé leur loyauté envers Moscou, leur adhésion au Pacte de Varsovie et au Comecon[28]. Ils se sont engagés à contenir les tendances « antisocialistes », à empêcher la renaissance du Parti social-démocrate tchécoslovaque et à renforcer le contrôle de la presse. Brejnev, pour sa part, a accepté un accord. Moscou a promis de retirer ses troupes de Tchécoslovaquie, tout en les maintenant le long de la frontière, et d’autoriser le congrès du PCCH annoncé pour le 9 septembre.
Mais le climat était toujours instable. En mars, les étudiants ont publié une « Lettre ouverte aux ouvriers », fatigués d’être accusés d’être des « restaurateurs du capitalisme ». Ils ont dénoncé le fait que la campagne de diffamation avait pour but de les séparer de la classe ouvrière. Immédiatement, les premiers contacts entre étudiants et ouvriers ont été établis dans les usines, ce qui a permis de mettre en pratique l’unité ouvriers-étudiants du mouvement démocratique.
Fin juin, paraît le manifeste « Deux mille mots », une « proclamation aux ouvriers, aux paysans, aux professionnels, aux artistes, aux scientifiques, aux techniciens, à tout le monde »[29], écrite par le célèbre journaliste et écrivain Ludvik Vaculik. En substance, il exigeait que Dubček accélère le processus de réforme qu’il avait promis. Le texte a été signé par plus de cent mille personnes, parmi lesquelles des personnalités importantes de la politique et de la culture locales. Les « Deux Mille Mots » critiquaient sévèrement le parti et le régime. Nous en citerons quelques parties intéressantes. Tout d’abord, leur résumé de la bureaucratisation du parti communiste et de l’État :
« Avec espoir, la majorité de la nation a accepté le programme du socialisme. Sa direction, cependant, est tombée entre les mains d’hommes inadaptés […] Le parti communiste, qui, après la guerre, jouissait d’une grande confiance au sein du peuple, est progressivement passé à la défense de ses postes, jusqu’à ce qu’ils soient tous occupés, de sorte qu’il ne restait plus rien […]. La ligne erronée de la direction a fait que le parti s’est transformé, passant d’un parti politique et d’une communauté unie par la même idéologie, en une organisation de pouvoir très attrayante pour les cupides égoïstes, les lâches pétulants et les hommes à la conscience trouble dont les revenus ont influencé le caractère et le comportement du parti […] De nombreux communistes ont lutté contre cette dégénérescence, mais n’ont pas pu empêcher ce qui est arrivé« .
Ainsi, pour être juste, le journal rejette l’idée que les actions du PCCH étaient une véritable expression de la classe ouvrière :
« L’appareil décidait de qui devait faire quoi et de ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, dirigeait les coopératives à la place des coopérativistes, les usines à la place des ouvriers […] Aucune organisation, en fait, n’appartenait à ses membres, pas même celle des communistes. La principale erreur, la plus grande faute de ces dirigeants a été de présenter leur volonté comme la volonté de la classe ouvrière […Mais] aucune personne raisonnable, c’est évident, ne peut croire à cette culpabilité des travailleurs. Nous savons tous, et surtout les travailleurs le savent, qu’ils ne décidaient pratiquement rien : ce sont les autres qui décidaient de qui devaient être les élus des travailleurs. Bien que les travailleurs aient cru qu’ils gouvernaient, une strate très particulière de fonctionnaires du parti et de l’État gouvernait en leur nom« .
Il proposait également une participation politique active et indépendante. Un appel à la défense de la démocratie ouvrière a demandé plus d’auto-organisation et de contrôle ouvrier :
« Demandons […] aux directeurs et présidents de nous expliquer ce qu’ils veulent produire et à quel prix, à qui et pour combien vendre, combien ils pourront gagner de cette façon, quelle part des recettes sera utilisée pour moderniser la production et quelle part il sera possible de distribuer […] Les ouvriers, en tant qu’entrepreneurs, peuvent intervenir en choisissant les hommes les plus aptes dans les administrations des entreprises et dans les conseils d’usine. En tant que personnes dépendantes, ils peuvent mieux défendre leurs droits en élisant leurs dirigeants naturels, des personnes capables et loyales, dans les organes syndicaux, sans tenir compte de la carte du parti« .
Les « Deux Mille Mots » avaient bien sûr des limites. Ils ne proposaient pas de renverser le PCCH, mais de le réformer. Pour les auteurs, il était nécessaire de continuer à croire en la possibilité d’une régénération interne du parti et, par conséquent, du régime. En ce sens, le texte finissait par l’expression d’un soutien au gouvernement et à l’aile de Dubček dans le conflit fractionnel au sein du parti, qui s’est intensifié avec la proximité du Congrès :
« Le Parti communiste de Tchécoslovaquie prépare le congrès qui élira le nouveau comité central. Nous exigeons qu’il soit meilleur que l’actuel. Si aujourd’hui le Parti communiste dit qu’à l’avenir il entend fonder sa direction sur la confiance des citoyens et non sur la violence, croyons-le, dans la mesure où nous pouvons croire les personnes qu’ils envoient maintenant comme délégués aux congrès de district et de région« .
Le manifeste, bien que progressiste, était un produit évident de l’absence d’une direction révolutionnaire.
Malgré cela, la revendication a rendu furieux Brejnev à Moscou. Il a qualifié le document d' »acte contre-révolutionnaire ». En Tchécoslovaquie, Dubček, le présidium du parti et le cabinet ont également dénoncé le manifeste, montrant instantanément les limites de leurs intentions « réformatrices ».
Dans ce climat d’instabilité, le Kremlin a retiré son soutien à Dubček. La bureaucratie stalinienne a décidé de faire appel, une fois de plus, à la force. Dans la nuit du 20 au 21 août, une force conjointe de quatre pays du Pacte de Varsovie – l’Union soviétique, la Bulgarie, la Pologne et la Hongrie – envahit la Tchécoslovaquie[30]. En quelques heures, plus de 250 000 personnes sont tuées. En quelques heures, plus de 250 000 soldats et 3 000 chars occupent la capitale.
La résistance dans les rues a été spontanée. Des milliers de personnes sont sorties pour protester. Certains tentaient d’engager le dialogue avec les soldats sur les chars russes. Dans d’autres endroits, les habitants ont modifié la signalisation des routes pour tromper les envahisseurs. Ils ont peint des chars soviétiques avec la croix gammée, faisant allusion à l’invasion nazie de 1938. Sur les murs sont apparus des graffitis tels que « Le Cirque soviétique est de retour à Prague« , ou « Lénine, lève-toi. Brejnev est fou !« . Mais la ville a été reprise. Le Congrès du parti s’est tenu dans la clandestinité, dans une usine de la banlieue de la capitale, protégée par des milices ouvrières. Plus de 1100 délégués ont répudié l’occupation soviétique.
Le 20 août, Dubček, Svoboda et d’autres membres du gouvernement ont été arrêtés et emmenés à Moscou. Sous une forte pression, ils ont capitulé l’un après l’autre. Ils ont signé le protocole de Moscou, qui justifiait l’intervention armée, rétablissait la censure, dénonçait le XIVe congrès du Parti et ses résolutions, et réaffirmait la loyauté envers le bloc de l’Est, entre autres points. Le Printemps de Prague s’est terminé dans le sillage des chars russes.
Moscou a maintenu Dubček à son poste pendant quelques mois, bien qu’il soit déjà un cadavre politique. En avril 1969, Dubček a perdu son poste de secrétaire général au profit de Gustáv Husák, qui allait diriger le pays jusqu’en 1989. La période de « normalisation » avait commencé, annulant toutes les réformes démocratiques. Après quelques mois en tant qu’ambassadeur en Turquie, Dubček s’est retrouvé fonctionnaire dans un parc forestier. La « normalisation » a été cruellement imposée. Les prisons étaient pleines. Entre 1969 et 1971, plus de 500 000 membres ont été expulsés du PCCH. La terreur stalinienne a été entièrement rétablie.
À l’époque, l’appareil de propagande du stalinisme accusait les masses tchécoslovaques de promouvoir la « restauration du capitalisme ». C’était le principal argument pour justifier l’invasion du Pacte de Varsovie et les persécutions brutales qui ont suivi. Les nostalgiques du stalinisme, plus d’un demi-siècle plus tard, répètent la même histoire. Mais une analyse rigoureuse des faits n’autorise pas une telle conclusion. Le peuple tchécoslovaque ne s’est pas battu pour une restauration bourgeoise. A aucun moment, pour reprendre la formulation de Trotsky, il n’a été proposé de « changer les bases économiques de la société ». Pas plus en Tchécoslovaquie qu’ailleurs où un processus de révolution politique a été amorcé. Les masses, dans le contexte d’une répression impitoyable et à leur manière, ont lutté pour la régénération des partis communistes et des États ouvriers ; elles aspiraient à une démocratie ouvrière.
L’écrasement du « Printemps de Prague » a été, comme dans les cas précédents, un succès militaire au prix d’un énorme coût politique. L’invasion a exacerbé la crise dans de nombreux partis communistes. La brutalité du stalinisme a une fois de plus entaché l’image du socialisme aux yeux du monde. Les scènes de répression de civils désarmés par les chars soviétiques ont fourni de précieuses munitions à la propagande impérialiste. C’est la bureaucratie stalinienne, et non les masses tchécoslovaques, qui a facilité les choses pour le mouvement anticommuniste. Comme l’a dit Pierre Broué, « Certes, la bourgeoisie ne peut que se réjouir lorsque, pour des millions d’hommes, l’image du communisme a le visage repoussant du stalinisme, de la dictature bureaucratique, de la force brute et de la répression policière contre la jeunesse et les travailleurs« [31].
Solidarność, la révolution politique polonaise de 1980.
À la mi-août 1980, une vague de grèves ouvrières a secoué la République populaire de Pologne. L’étincelle a été l’annonce d’une forte hausse des prix des denrées alimentaires. Une des révolutions politiques les plus impressionnantes a commencé, peut-être la plus importante du mouvement ouvrier organisé. Après le soi-disant « dégel polonais » de 1956, d’importantes luttes ouvrières ont eu lieu, toutes violemment réprimées : les grèves de 1970 et 1976, ainsi qu’un fort mouvement d’intellectuels et d’étudiants en 1968. Ce dernier processus a déclenché une purge antisémite répugnante orchestrée par le régime : plus de 20 000 survivants juifs de l’Holocauste ont été expulsés du pays.
La grève de 1970 a eu lieu entre le 14 et le 19 décembre. La répression de l’État a tué au moins 44 ouvriers et en a blessé plus d’un millier. Gomułka a été remplacé par Edward Gierek. Il s’agit d’un tournant dans la politique polonaise d’après-guerre et dans la dynamique future du mouvement ouvrier. En 1976, la dictature du PZPR a ordonné une augmentation de 69% du prix de la viande et de 100% du prix du sucre. Le rationnement des produits de base s’est intensifié. Une vague de grèves a secoué le pays. Dans la ville de Radom, des manifestants en colère ont pris d’assaut le siège du PZPR. La solidarité de l’intelligentsia avec les travailleurs a donné naissance au Comité de défense des travailleurs (KOR, selon son acronyme polonais), une plate-forme d’opposition démocratique, en quelque sorte le prédécesseur du processus de 1980. La grève a été durement réprimée, bien qu’elle se soit terminée par l’annulation de l’augmentation des prix.
Suivant la politique de l’impérialisme, le Polonais Karol Wojtyła été élu pape en 1978 et s’est rendu dans son pays l’année suivante. Au cours d’une messe à Varsovie, Jean-Paul II a prononcé sa célèbre phrase « n’ayez pas peur », encourageant l’opposition au régime du Parti ouvrier unifié de Pologne et, bien sûr, désignant l’Église catholique – la seule institution légale et indépendante du régime, avec de nombreux fidèles en Pologne – comme une direction politique alternative.
Au début des années 1980, l’économie polonaise était en crise totale. La production industrielle et agricole s’est effondrée. La Pologne avait la plus lourde dette du monde. En 1979, la dette extérieure était de 21 milliards de dollars. En 1982, le pays devait 28,5 milliards de dollars à cinq cents banques et quinze gouvernements occidentaux. Moscou a contribué à hauteur de plus de 10 milliards de dollars pour que Varsovie puisse payer les intérêts, mais n’a pas été en mesure de maintenir ce flux[32]. L’impérialisme drainait les ressources du bloc soviétique. Neal Ascherson, journaliste spécialiste de l’Europe de l’Est, a décrit le cercle vicieux comme suit : « Les importations de technologies avancées, par le biais de prêts en devises fortes, doivent se poursuivre pour la raison essentielle qu’elles sont nécessaires à la production de biens exportables, seul moyen d’obtenir les devises nécessaires au remboursement des dettes antérieures« [33]. Dès 1976, la dette extérieure représentait 40% de la valeur des exportations vers l’Occident. Le régime s’est endetté essentiellement pour importer la technologie occidentale – dans l’espoir de moderniser son industrie et de pouvoir exporter des produits compétitifs – mais comme la balance commerciale était défavorable[34], les comptes n’ont jamais été clôturés et la solution de la bureaucratie a été d’emprunter davantage[35]. C’était le cycle de la dette typique de tout pays semi-colonial.
La gestion bureaucratique de l’économie, pour aggraver les choses, rendait difficile l’absorption des technologies importées. En 1980, on estimait que la valeur des équipements non installés dépassait les 6 milliards de dollars. En 1979, l’économie était en baisse de 2,3 %. Le service de la dette représentait 92% des exportations vers les pays capitalistes. En 1986, la dette de la Pologne envers les pays capitalistes s’élevait à 31,3 milliards de dollars, un montant deux fois et demi supérieur au total des exportations annuelles[36]. La même année, la Pologne a adhéré au FMI et à la Banque mondiale. La Yougoslavie, la Roumanie et la Hongrie avaient fait de même auparavant.
Au cours de la dernière décennie, l’impérialisme, dominant dans l’économie mondiale, avait fermement pénétré l’économie des anciens États ouvriers. La politique de soumission à l’impérialisme, notamment les exigences de remboursement de la dette extérieure, ne permettait pas d’orienter une partie de la production exportée vers le marché intérieur, une mesure qui aurait pu atténuer en partie les détestables pénuries. Le sabotage de l’économie socialisée par la bureaucratie a, quant à lui, pris une dimension alarmante. À cette époque, en Pologne, quelque 80 % des terres arables étaient déjà entre les mains de particuliers. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les grèves de 1980.
Le 14 août de cette année-là, la grève a commencé au chantier naval « Lénine » de Gdansk, symbole de la répression exercée contre les staliniens polonais en décembre 1970. Ce processus a bouleversé la situation de manière irréversible. La grève des chemins de fer à Lublin, un nœud ferroviaire stratégique sur la route de l’URSS, a rendu Brejnev furieux. Face à la force du mouvement de grève, le ministre de la défense de l’époque, Wojciech Jaruzelski, ne conseillait pas le recours à l’armée. À la fin du mois d’août, plus de 700 000 travailleurs se sont mis en grève sur 700 lieux de travail à travers le pays. Des comités de grève ont vu le jour dans plus de 200 entreprises.
Le principal leader de la grève au chantier naval de Gdansk était l’électricien Lech Wałesa. Il y travaillait depuis 1967 et a été licencié en 1976. Il a formé le comité de grève en 1970. Il a été arrêté à plusieurs reprises pour avoir prôné le syndicalisme libre. L’autre dirigeante importante était Anna Walentynowicz, une grutière populaire dont le licenciement a précipité la grève. Les travailleurs ont exigé la réintégration des deux, sans représailles.
Le 16 août, un comité de grève interentreprises (MKS, selon son acronyme polonais) est formé avec les délégués d’autres comités de grève qui sont arrivés au chantier naval de Gdansk.
Le 17 août, le MKS dresse une liste de vingt et une revendications. Le cahier des charges ne se limitait pas à des revendications économiques, mais exigeait fondamentalement des droits politiques : la légalisation de syndicats indépendants, la liberté d’expression, le droit de grève, etc. Les ouvriers qui avaient été licenciés devraient être réintégrés. Les étudiants expulsés des universités pour leurs idées devraient être réadmis. Les grévistes ont également exigé la libération de tous les prisonniers politiques, l’abolition des privilèges de la police et de l’appareil d’État. En bref, les syndicats libres devaient avoir du poids dans les décisions politiques qui affectaient la vie quotidienne : « … intervenir dans les décisions (…) qui concernaient : les principes de répartition du revenu national entre consommation et accumulation, la répartition du fonds de consommation sociale entre les différents objectifs (santé, éducation, culture), les principes fondamentaux de la rémunération et l’orientation de la politique salariale, en particulier en ce qui concerne le principe de l’augmentation automatique des salaires en fonction de l’inflation, le plan économique à long terme, l’orientation de la politique d’investissement et la modification des prix »[37].
Faisant preuve d’irrévérence, les 21 revendications ont été écrites sur un grand tableau en bois qui a ensuite été accroché à la porte du chantier naval, symbole de la lutte à l’échelle nationale.
La grève, entourée du soutien populaire, a contraint les autorités à demander une négociation. Ainsi, le 31 août 1980, Lech Wałesa, devenu le principal leader de la grève, s’est assis à la table des négociations avec Mieczyslaw Jagielski, le vice-premier ministre polonais, pour signer les accords de Gdansk. L’événement a été télévisé en direct dans toute la Pologne.
C’était une mauvaise affaire pour la bureaucratie. La concession la plus importante était l’autorisation de fonder un syndicat indépendant du contrôle du parti communiste. Les prisonniers politiques devaient également être libérés. Les demandes économiques devaient être satisfaites progressivement. Wałesa, pour sa part, a accepté que le nouveau syndicat respecte la Constitution de la République populaire de Pologne et reconnaisse la direction du parti au pouvoir. La figure de Wałesa a grandi. En quelques semaines, l’électricien inconnu est devenu un acteur politique national que la bureaucratie ne pouvait ignorer. Pour avoir une idée de l’ampleur de la crise, en septembre 1980, Edward Gierek perd la direction du parti au profit de Stanisław Kania. Le mouvement ouvrier a mis la bureaucratie à genoux.
Le 17 septembre, le congrès fondateur du syndicat Solidarité s’est tenu. À son apogée, l’organisation comptait plus de 10 millions de membres (environ 80 % de la force de travail totale en Pologne) dans un pays de 35 millions d’habitants. Dans les 500 jours qui ont suivi l’accord de Gdansk, Solidarité a accueilli des sections du mouvement des étudiants, des agriculteurs et des artisans. Il s’agissait non seulement du premier syndicat indépendant dans les États occupés, mais aussi, et de loin, du plus grand syndicat au monde. Son principal organe de décision était la Convention des délégués représentant 38 régions et deux districts. Un programme de réformes politiques et sociales a été approuvé. Sur le programme était écrit : « L’histoire nous a appris qu’il n’y a pas de pain sans liberté ». Lech Wałęsa a été élu à la Commission nationale, l’organe exécutif. En novembre, un tribunal de Varsovie a légalisé le mouvement Solidarité. En septembre 1981, le premier congrès de Solidarité a élu Wałęsa comme président.
Solidarité s’est transformée en un mouvement doté d’une implantation nationale. Suite au passage à tabac de 27 membres de Solidarité de Bydgoszcz le 19 mars, le mouvement a répondu par une grève de quatre heures à laquelle ont participé un demi-million de personnes et a paralysé le pays le 27 mars[38]. Le gouvernement a dû ouvrir une enquête sur ce passage à tabac. Le gouvernement a dû ouvrir une enquête sur les passages à tabac. Des grèves ont éclaté partout pendant des mois. La classe ouvrière était à son apogée.
La contradiction de cet énorme processus de réorganisation ouvrière était sa direction politique, à commencer par Wałęsa lui-même, un agent de l’Église catholique, une institution qui était pleinement engagée dans la construction de Solidarité. L’évêque Henryk Jankowski, par exemple, était au coude à coude avec Wałęsa, qui est rapidement devenu une célébrité dans le monde capitaliste. Le 15 janvier 1981, une délégation du syndicat Solidarité, dirigée par Wałęsa, a rencontré le pape Jean-Paul II à Rome. Le soutien des gouvernements de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher à sa personne était explicite. En 1982, le magazine Time a déclaré Wałęsa « homme de l’année ». Un an plus tard, Wałęsa a reçu le prix Nobel de la paix. Le syndicaliste polonais a dédié le prix à la Vierge noire de la ville de Częstochowa, l’un des plus importants lieux de pèlerinage catholiques. Le profil politique de Solidarité combinait, outre la tendance catholique, des éléments du nationalisme polonais et du libéralisme occidental. Solidarité prêchait également le précepte de la non-violence à ses membres.
Mais Solidarité n’était pas seulement un syndicat. C’était la direction incontestée de la classe ouvrière, l’expression authentique de la poussée révolutionnaire qui, malgré sa direction conciliatrice et pro-impérialiste, a mis en échec le régime stalinien à l’intérieur et à l’extérieur de la Pologne.
Selon Moreno, Solidarité avait trois caractéristiques fondamentales : « […] formellement, c’est un syndicat ; c’est la seule organisation démocratique qui rassemble la totalité des masses révolutionnaires ; et en même temps, il est dirigé indirectement par un grand appareil contre-révolutionnaire, l’Église« [39].
En 1981, selon le fondateur de LIT-QI, il y avait un double pouvoir en Pologne :
« Premièrement, ce double pouvoir est institutionnel et centralisé (ce qui constitue un grand pas historique) entre le gouvernement du parti unique, de la bureaucratie, et Solidarité. Il existe deux pouvoirs en Pologne : l’un en crise, presque en ruines, qui est le gouvernement ; l’autre est celui des masses laborieuses, qui s’exprime dans Solidarité. Entre les deux, se dresse une institution qui soutient le pouvoir vacillant de la bureaucratie : c’est l’Église, avec Walesa à la tête de Solidarité« [40].
Face à cette réalité, le trotskyste argentin a proposé ce qui devrait être l’axe d’un programme révolutionnaire :
« La clé de la politique trotskyste dans un processus révolutionnaire comme celui de la Pologne est de montrer ouvertement à la classe ouvrière, aux paysans, aux étudiants, aux travailleurs urbains qu’aucun problème n’a de solution en dehors d’une révolution populaire et ouvrière qui renverse la bureaucratie au pouvoir. C’est le problème décisif, auquel nos tactiques sont subordonnées. Bien que nous ne soulevions pas les slogans » à bas le gouvernement maintenant » ou » faisons l’insurrection maintenant « , nous devons signaler avec une clarté absolue au prolétariat et aux masses qu’il est nécessaire de faire des pas concrets dans leur politique, leur direction, leur organisation et leur préparation pour mener à bien une insurrection contre l’appareil militaire de la bureaucratie. Par conséquent, le trotskisme doit souligner minute par minute, dans son agitation et sa propagande, que le point nodal et décisif du processus révolutionnaire est le pouvoir d’État. Et la résolution de ce problème passe par la préparation politique et organisationnelle du mouvement ouvrier et des masses pour affronter et vaincre les forces armées de la bureaucratie« [41].
La croissance de Solidarité – qui semblait imparable -, couplée à une immense crise économique – aggravée par une gigantesque dette extérieure envers l’impérialisme – et la pression constante de Moscou pour rétablir l’ordre, ont fait que le régime, bien que sonné, a entrepris de durcir la politique de suppression de Solidarité. Pour ce faire, en octobre 1981, le premier secrétaire Kania a été remplacé par le général Jaruzelski, alors premier ministre (et ministre de la défense), véritable chien de garde des Soviétiques.
Le 13 décembre 1981, Jaruzelski a décrété la loi martiale, un véritable coup d’État réactionnaire. Des patrouilles militaires sont apparues partout. Quelque 1 750 chars et 1 400 véhicules blindés sont descendus dans les rues. Wałęsa et les principaux dirigeants de Solidarité, réunis à Gdansk, ont été arrêtés. On estime que plus de 10 000 militants de Solidarité ont été incarcérés dans 52 prisons, dont la moitié au milieu de la nuit du coup d’État. Il y a eu plus de cent grèves et occupations d’usines et de mines, mais toutes ont été vaincues. Le 16 décembre 1981, la police a tué neuf mineurs et en a blessé 22 autres lors de la répression de la grève à la mine Wujek, à Katowice. Solidarité est passé dans la clandestinité. Le lendemain, lors d’une manifestation à Gdansk, la police a tué un autre travailleur et en a blessé deux. Le 14 décembre, la grève a commencé dans la mine de charbon de Piast, en Haute-Silésie : quelque 2 000 mineurs ont résisté pendant 14 jours à plus de 650 mètres sous terre. Mais le coup d’État a été consolidé. Un Conseil militaire de salut national a été créé et a contrôlé le pays jusqu’en 1983. Pendant cette période, l’état de siège a régné. Les réunions, les grèves et toutes sortes de protestations étaient interdites. La censure s’est intensifiée. Abrité par le climat de terreur, le régime a appliqué une série d’attaques terribles sur le niveau de vie. Le 1er février 1982, les augmentations de prix étaient en moyenne de 257 %, mais certains produits ont augmenté jusqu’à 400 %. Le 8 octobre 1982, le syndicat Solidarité a été officiellement déclaré illégal.
Moreno a écrit : « Le coup d’État n’est pas l’œuvre du seul Jaruzelski. Il a été découvert par la suite que Moscou faisait pression pour mettre fin à Solidarité sous la menace d’envahir le pays ou d’orchestrer une révolution de palais contre Jaruzelski lui-même. En effet, 20 divisions de chars russes étaient stationnées à la frontière »[42].
Cependant, le syndicat s’est réorganisé et a continué à opérer clandestinement, appelant à des grèves dans les mines, les chantiers navals et le secteur des transports entre 1981 et 1988. Grâce à une structure illégale et à des moyens de communication tels que la radio Solidarité, les militants ont pu obtenir des informations et organiser la résistance. Au début de 1983, l’organisation comptait plus de 70 000 membres et, entre autres activités, publiait plus de 500 journaux clandestins appelés bibuła. Le 14 novembre 1982, Lech Wałęsa a été libéré.
Le 22 juillet 1983, la loi martiale a été suspendue. De nombreux membres de Solidarité emprisonnés ont été libérés et une amnistie a été accordée. Le régime a été battu.
Dans la seconde moitié des années 1980, l’économie polonaise – et l’ensemble du bloc soviétique – se trouvait en grande difficulté. Les grèves de 1988 en Pologne ont montré aux bureaucrates locaux que sans une solution au problème de Solidarité, la possibilité d’une explosion sociale était réelle. Dans le même temps, l’appareil d’État était traversé par de graves conflits entre clans. En URSS, la Perestroïka et la Glasnost étaient en cours, dans le cadre de la décision du PCUS de restaurer le capitalisme. Dans ce contexte, le régime a négocié avec Solidarité une transition vers la démocratie libérale.
En février 1989, les négociations de la « Table ronde » ont commencé. En avril, il a été décidé, entre autres, de rendre la légalité à Solidarité – qui a rapidement obtenu un million et demi de membres -, la création de la deuxième chambre du Parlement et le poste de président de la République de Pologne. Il a également été convenu de convoquer des élections générales libres, au cours desquelles 100 sièges au Sénat et 35 % des sièges à la Diète, la chambre basse du Parlement, seraient élus. Lors de ces élections, qui ont eu lieu le 4 juin 1989, les candidats soutenus par Solidarité ont remporté 99 des 100 sièges du Sénat et tous les sièges en jeu de la Chambre des représentants. Le 12 septembre 1989, la nouvelle Diète a élu Tadeusz Mazowiecki à la tête du premier gouvernement non communiste de Pologne après la Seconde Guerre mondiale. Cela a généré un effet domino dans tout le bloc de l’Est. La même année, le mur de Berlin tombe et les premières républiques soviétiques ou leur sphère d’influence déclarent leur indépendance vis-à-vis de Moscou. En Pologne, Jaruzelski a lui-même mené les négociations pour la transition « pacifique » vers un régime démocratique libéral. Le PZPR avait perdu tout prestige. À la fin du mois d’août 1989, grâce à des jeux parlementaires, un gouvernement de coalition dirigé par Solidarité a vu le jour.
Le 9 décembre 1990, Wałęsa triomphe aux élections présidentielles et devient président de la Pologne pour les cinq années suivantes. Le 17 septembre 1993, le président Wałęsa scelle l’accord ordonnant le retrait des soldats russes de Pologne, qui y campaient depuis 1945.
Le gigantesque mouvement ouvrier polonais de 1976-1989, bien qu’héroïque, n’a pas réussi à accomplir une révolution politique, en partie à cause de la dure répression du régime, mais fondamentalement à cause de la trahison de la direction contre-révolutionnaire, agent de l’impérialisme et de l’Église catholique, incarnée par la figure de Wałęsa. En d’autres termes, les conditions objectives étaient plus que mûres, ce qui manquait était le sujet politique révolutionnaire. Selon Moreno :
« Le facteur qui a empêché ce triomphe et permis la victoire momentanée de la bureaucratie [en 1981] a été la crise de la direction révolutionnaire du prolétariat, en l’absence de la seule organisation capable de la surmonter : le parti trotskyste. Cette question vitale sépare également les trois grands courants qui se disent trotskystes. Le SU, en particulier le SWP aux États-Unis, a capitulé directement devant la direction de Wałęsa. Ils lui ont donné du poids à tout moment, n’ont jamais dénoncé son caractère consciemment contre-révolutionnaire et se sont contentés de souligner son immaturité. Il s’agissait, pour eux, d’une direction révolutionnaire immature. Le lambertisme, qui nous accompagnait, a dénoncé Wałęsa à quelques reprises, principalement en raison de ses liens avec l’Église. Mais avec sa conception selon laquelle Solidarité n’était qu’un syndicat et non l’organisation des masses révolutionnaires, il n’a pas donné à cette dénonciation l’importance fondamentale qu’elle avait. Par ces deux voies, le lambertisme et le SU sont arrivés à la même politique : rendre abstrait le problème de la direction révolutionnaire et du pouvoir, le pire crime qui puisse être commis pendant une révolution. La dénonciation des directions contre-révolutionnaires n’est qu’un aspect de la politique visant à surmonter la crise de direction ; l’autre, vital, est la construction du parti révolutionnaire avec une influence de masse« [43].
Considérations finales
Tous les processus de révolution politique dans les anciens États ouvriers ont été défaits. Ce fait a prolongé l’existence de la bureaucratie stalinienne dominante et, malheureusement, a finalement ouvert la voie à la restauration bourgeoise. Dans le cas de l’ex-URSS, comme nous l’avons déjà dit, ce processus a commencé en 1986.
L’explication de cette défaite comporte de nombreux éléments, mais elle est essentiellement due à la combinaison de la répression brutale exercée par l’appareil stalinien, de l’émergence de directions – oppositionnelles aussi contre-révolutionnaires – qui ont tout fait pour liquider les processus de révolution politique (Gomułka, Nagy, Dubček, Wałęsa) et, surtout, de l’absence d’une direction révolutionnaire. Un tel parti révolutionnaire, suffisamment enraciné dans la classe ouvrière et les peuples d’Europe de l’Est, qui aurait proposé le renversement des bureaucraties sans toucher aux bases socio-économiques de ces Etats, dans les conditions du 20ème siècle, n’aurait pu être qu’un parti trotskyste de principes. Mais une telle chose n’existait pas dans l’ex-URSS ou ses États satellites, ni en Chine, à Cuba, au Vietnam ou dans tout autre endroit où la bourgeoisie avait été expropriée.
Suivant une schématisation de Nahuel Moreno, la réalité a montré que les révolutions politiques n’ont pas progressé par rapport au premier moment, qu’il a appelé la « révolution de février », caractérisée par « un mouvement ouvrier et populaire pour la conquête de la démocratie en général, unissant tous les secteurs mécontents. Ce sera un mouvement ouvrier et populaire pour la démocratie : tous unis contre le pouvoir bonapartiste et totalitaire de la bureaucratie. Pour cette raison, des courants petits-bourgeois émergeront, qui ne sauront pas très bien s’ils doivent ou non collaborer avec l’impérialisme dans leur empressement à renverser la bureaucratie totalitaire. Ce qui caractérisera cette première révolution antibureaucratique de février, c’est qu’elle n’aura pas de parti trotskyste à sa tête, car il n’aura pas eu le temps de mûrir et de se former« [44]. La restauration a eu lieu bien avant que le parti trotskyste puisse émerger et mûrir.
A ce propos, il est intéressant de lire l’évaluation que fait Nahuel Moreno des révolutions politiques en Pologne et en Hongrie :
« La raison fondamentale pour laquelle le pouvoir des ouvriers n’a pas prévalu en Pologne et en Hongrie était l’absence d’un parti révolutionnaire. L’absence d’une direction révolutionnaire a privé le mouvement de centralisation, d’homogénéité et d’objectifs précis. Dans ces pays, la révolution politique était lancée, avec la lutte non seulement contre l’oppression soviétique mais aussi contre la bureaucratie nationale [se référant à l’attente populaire de Gomułka et Nagy]« [45].
Non moins importante était la conclusion que la réalité de ces processus montrait que les partis staliniens ne pouvaient pas être « réformés », ni ne possédaient un « double caractère », ni ne pouvaient être « poussés » vers une ligne révolutionnaire, comme le pablo-mandélisme le proposait depuis le début des années 1950 :
« Ni les partis communistes ni leurs organisations de jeunesse, affirme Moreno, n’ont pu être « rafistolés » ou transformés. Toute avancée révolutionnaire a dû se faire malgré eux, avec des décrochages et des ruptures à la recherche d’autres canaux. En Hongrie comme en Pologne [à partir de 1956], le parti révolutionnaire tendait à émerger comme une possibilité indépendante, comme un nouveau groupement plutôt que comme la continuation des partis communistes dans leur ensemble« [46].
Le pronostic de Trotsky, bien que négatif, a été confirmé par l’histoire. La bureaucratie n’a pas été renversée – mais ce n’est pas faute de combativité ouvrière et populaire – et la restauration capitaliste a eu lieu. La nouvelle classe bourgeoise, étroitement liée à l’impérialisme, a émergé des entrailles de la précédente caste bureaucratique et s’est consolidée par le pillage de l’État. Cependant, quelques années après la restauration, de grandes mobilisations populaires ont réussi à vaincre les régimes staliniens, totalitaires et à parti unique, tant en Europe de l’Est que dans l’ancienne Union soviétique. Le peuple soviétique et les peuples d’Europe de l’Est ont gagné d’importantes libertés démocratiques dans ces pays, se sont vengés de ces sinistres dictatures, mais n’ont pu empêcher la restauration.
C’est pourquoi, de nos jours, dans tous ces pays, une révolution socialiste est à nouveau nécessaire, car la classe ouvrière devra s’emparer du pouvoir politique et des moyens de production, aujourd’hui aux mains de la bourgeoisie sortie des entrailles de la bureaucratie soviétique. Les partis communistes qui dirigent encore des pays comme la Chine, le Vietnam, la Corée du Nord et Cuba, dirigent en fait des États bourgeois qui encouragent et défendent totalement les relations d’exploitation capitaliste. Ces partis ne sont communistes que de nom, mais sont capitalistes en fait. La révolution socialiste devra également régler ses comptes avec eux.
[1] TROTSKY, Léon. La Révolution Trahie. Disponible sur : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revtrahie/frodcp11.htm
[2] MORENO, Nahuel. Atualização do Programa de Transição. Teses XXIII. Disponible sur : <https://www.marxists.org/espanol/moreno/actual/apt_3.htm#t23>, consulté le 17/11/2022.
[3] TROTSKY, Léon. La Révolution Trahie. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revtrahie/frodcp9.htm
[4] Idem.
[5] Idem. Souligné par l’auteur de l’article.
[6] TROTSKY, Léon. Programme de Transition. Disponible sur : <https://www.marxists.org/espanol/trotsky/1938/prog-trans.htm>, consulté le 17/01/2022. Souligné par Trotsky.
[7] Le terme a été inventé par Nikita Khrouchtchev en 1955. Le XXIIe Congrès du PCUS (1961) a approuvé ce concept comme axe de la politique étrangère officielle. Le dictionnaire d’économie politique de Borísov, Zhamin et Makárova la définit comme suit : « Ce qui est fondamental dans la coexistence pacifique d’États aux régimes sociaux divers, c’est la renonciation à la guerre comme moyen de règlement des différends internationaux et leur solution par des moyens pacifiques ; l’égalité des droits entre les États, la compréhension et la confiance mutuelles entre eux ; la prise en considération des intérêts des deux parties, la non-ingérence dans les affaires intérieures, le strict respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les États ; le développement de la collaboration économique et culturelle fondée sur la pleine égalité et l’avantage mutuel […] ».
[8] En 1949, entre 80 et 95% de la production industrielle de ces pays avait été nationalisée.
[9] Dans ce contexte, en octobre 1947 naît le Kominform, conçu comme un instrument d’échange entre les partis communistes européens, et en 1955 est signé le Pacte de Varsovie, une alliance militaire du « Bloc soviétique » pour s’opposer à l’OTAN, la coalition militaire créée en 1949 par les puissances impérialistes de l’Ouest. La réalité a montré par la suite que le Pacte de Varsovie était structuré pour maintenir la discipline dans les États membres, et non pour une confrontation avec l’impérialisme.
[10] Il y a eu d’autres Etats ouvriers bureaucratisés d’origines diverses, ou surgis de révolutions : Chine, Yougoslavie, Albanie, Nord-Vietnam et Corée du Nord, bien que ceux-ci aient aussi été gouvernés par des bureaucraties.
[11] MORENO, Nahuel. O marco histórico da revolução húngara. Disponible sur : <https://www.marxists.org/espanol/moreno/1950s/mhrh.htm#_Toc534111153>, consulté le 29/11/2021.
[12] Tese da Fundação LIT-CI. Tese III. Disponible sur : <https://www.academia.edu/14717003/Tesis_de_fundaci%C3%B3n_de_la_LIT_CI?auto=download>, consulté le 30/11/2021.
[13] MORENO, Nahuel. O marco histórico da revolução húngara.
[14] La crise et la division de l’appareil stalinien se sont exprimées, entre autres, par la scission Staline-Tito en 1948 et la scission sino-soviétique à la fin des années 1950. Ces crises, ainsi que les conflits entre l’URSS et les cliques dirigeantes des États du glacis, résultaient d’affrontements entre intérêts nationaux, puisque chaque bureaucratie nationale cherchait à maximiser ses privilèges, découlant du contrôle de « ses » États ouvriers bureaucratisés.
[15] Sur ce thème, voir: TALPE, Jan. Os estados operários do glacis. Discussão sobre a Europa de Leste. São Paulo: Editora Lorca, 2019.
[16] Parti socialiste unifié d’Allemagne, SED, selon ses initiales en allemand. Il est né le 22 avril 1946 de la fusion, promue par Staline et Walter Ulbricht, entre le KPD (Parti communiste d’Allemagne) et le secteur oriental du SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne). Il a été le parti au pouvoir en RDA jusqu’en 1989.
[17] MANDEL, Ernest. Le soulèvement ouvrier en Allemagne orientale, juin 1953. Disponible sur : https://www.marxists.org/francais/mandel/works/1953/06/rda.pdf
[18] Declaração. Os proletários de Berlim se levantam. La Vérité. Órgão de defesa dos trabalhadores, nº 317, de 26 de junho a 9 de julho. Disponible sur : <https://vientosur.info/el-levantamiento-obrero-en-alemania-oriental-junio-de-1953/>, consulté le 30/11/2021.
[19] MORENO, Nahuel. O marco histórico da revolução húngara.
[20] MORENO, Nahuel. Escritos sobre revolução política. Disponible sur : <http://www.nahuelmoreno.org/escritos/escritos-sobre-revolucion-politica-1958.pdf >, consulté le 04/12/2021.
[21] Voir : <https://web.archive.org/web/20060409202246/http://yale.edu/lawweb/avalon/wwii/hungary.htm#art12>, consulté le 30/11/2021.
[22] Les revendications ont été élaborées par une section d’étudiants du MEFESZ (syndicat des étudiants des universités et académies hongroises). La réunion a eu lieu à l’Université des technologies de la construction.
[23] Voir: <https://es.wikipedia.org/wiki/Demandas_de_los_revolucionarios_h%C3%BAngaros_de_1956>, consulté le 30/11/2021.
[24] FRYER, Peter; BROUÉ, Pierre; BALASZ, Nagy. Hungria em 56: revoluções operárias contra o stalinismo. Buenos Aires: Edições do I.P.S., 2006, p. 106
[25] MORENO, Nahuel. O quadro histórico da revolução húngara…
[26] Idem.
[27] NAVRATÍL Jaromir. The Prague Spring, 1968. A National Security Archive Document Reader (National Security Archive Cold War Readers). Central European University Press, 2006, pp. 52-54.
[28] COMECON, Conseil d’Assistance Economique Mutuelle. Fondée en 1949, c’était une organisation de coopération économique entre l’URSS et ses Etats satellites.
[29] Manifeste “Duas Mil Palavras”: <https://pasosalaizquierda.com/dos-mil-palabras-dirigidas-a-los-obreros-a-los-campesinos-a-los-empleados-a-los-cientificos-a-los-artistas-a-todos/ >, consulté le 30/11/2021.
[30] La Roumanie, la Yougoslavie et l’Albanie ont refusé de participer à l’invasion. Le commandement soviétique n’a pas fait appel aux troupes de la RDA pour éviter de revivre les souvenirs de l’invasion nazie de 1938, bien que cela soit inévitable.
[31] Voir: <https://www.laizquierdadiario.com/La-primavera-de-los-pueblos-comienza-en-Praga>, consulté le 30/11/2021.
[32] Voir: <https://elpais.com/diario/1982/03/02/internacional/383871604_850215.html>, consulté le 04/12/2021.
[33] Idem.
[34] Entre 1971 et 1973, les importations ont augmenté de 19,3% par an, alors que les exportations n’augmentaient que de 10,8%.
[35] Voir: < https://elpais.com/diario/1981/02/17/internacional/351212403_850215.html >, consulté le 04/12/2021.
[36] A dívida externa da Polónia e quem deve superá-la. Revista de Comércio Exterior, vol. 37, não. 8, México, agosto de 1987, p. 682.
[37] Voir: < https://elpais.com/diario/1981/02/17/internacional/351212403_850215.html >, consulté le 04/12/2021.
[38] Voir: <http://isj.org.uk/the-rise-of-solidarnosc/>, consulté le 30/11/2021.
[39] MORENO, Nahuel. Escritos sobre revolución política…
[40] MORENO, Nahuel. Sobre a revolução política polonesa(1981/1982). Buenos Aires: CEHUS, 2018, p. 2.
[41] Idem, p. 10.
[42] MORENO, Nahuel. Sobre a revolução política polonesa…, p. 11.
[43] MORENO, Nahuel. Sobre a revolução política polonesa…, p. 21.
[44] MORENO, Nahuel. Atualização do Programa de Transição. Tese XXIII…
[45] MORENO, Nahuel. O marco histórico da revolução húngara…
[46] Idem.