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lundi, décembre 16, 2024

Italie : Les métallos en grève pour ne pas mourir !

Article paru sur le site d’Alternative Révolutionnaire Communiste (ARC), tendance du NPA en France.  Il s’agit d’une interview de Fabiana Stefanoni, du Parti d’Alternative Communiste (PdAC), section italienne de la LIT-QI.

La situation sociale en Italie mérite toute notre attention. A la gravissime crise sanitaire du Coronavirus, s’ajoute l’incohérence apparente des mesures prises par le gouvernement de Giuseppe Conte (décret du 11 mars). D’un côté, on trouve des mesures « drastiques » de confinement des familles, avec aussi la mise en sommeil des petites activités économiques (fermeture des petits commerces, des restaurants…) ; de l’autre, les transports doivent continuer, le business à plus grande échelle doit se poursuivre, avec les usines, les bureaux, les banques, les supermarchés, les centres d’appels, etc. censés rester ouverts comme si le Coronavirus s’arrêtait à leur porte ! Mais c’est surtout le monde ouvrier, celui de l’industrie, qui est méprisé par le patronat et le gouvernement. Cet ensemble d’éléments semble déboucher sur une situation sociale potentiellement explosive. Pour les capitalistes et leurs fondés de pouvoir gouvernementaux, le business doit continuer coûte que coûte, la machine à profit doit fonctionner encore et encore. Pour cela il n’y a pas de secret : les magnats du capital doivent continuer à pomper de la plus-value. Il faut donc faire en sorte que les prolétaires continuent à se faire exploiter dans les usines… Cette contradiction est à l’origine de la multiplication des grèves pour préserver la santé des travailleur.se.s., alors que les éléments de protection basiques (masques, gants, gel hydro-alcoolique) sont absents ou présents en quantité insuffisante sur les lieux de travail, que très souvent, il est en pratique impossible de maintenir une distance de plus d’un mètre entre les travailleur.se.s pendant le boulot, et que les ouvrier.e.s remarquent très clairement le mépris du patronat, qui fait passer ses profits avant leur santé et même leur vie. En France, nous avons sans doute beaucoup de leçons à tirer de la situation et des luttes en Italie, parce que les ingrédients qui fondent la colère des travailleur.se.s et l’explosivité de la situation en Italie se retrouvent largement de ce côté-ci des Alpes : une destruction du service public de santé sans doute plus aboutie en termes de privatisation du côté transalpin, mais une même logique de fond ; le même type de négligence et d’irresponsabilité gouvernementales au début de la propagation de l’épidémie ; le même retard, par conséquent, à agir avec détermination pour inverser le cours des événements, avec environ une semaine d’écart ; le même soin apporté à la satisfaction prioritaire des exigences du big business ; le même mépris vis-à-vis des prolétaires, menacé.e.s dans leur vie même par l’exigence qui leur est faite de continuer à travailler, sans se préoccuper des conditions sanitaires de leur travail…

 Lundi 16 et mardi 17 mars, nous avons interviewé Fabiana Stefanoni, du Parti d’Alternative communiste (PdAC).

 Fabiana, peux-tu nous expliquer comment la situation sociale a évolué en Italie depuis le début de l’épidémie de Coronavirus ? Quelle a été l’attitude des syndicats ?

Il y a des syndicats de base qui ont appelé à la grève illimitée. On n’a pas aujourd’hui une grève générale parce que les bureaucraties syndicales ont signé un accord avec le gouvernement et le patronat pour mettre fin aux grèves. Plusieurs secteurs ont été touchés, mais à ce jour, ce sont les métallurgistes qui représentent le secteur le plus combatif.

Dans l’accord signé il y a quelques jours, il est dit que les usines peuvent ne fermer que quelques jours s’il est nécessaire de les adapter pour y mettre en place des conditions de travail sécurisées. De fait, donc, ne fermeront que de grandes usines, quelques jours, une semaine, deux semaines au maximum. Mais la grande majorité des usines ne vont pas s’arrêter. Ils disent aux ouvriers que la sécurité est déjà assurée, et donc que la production peut continuer. Et ils appellent les ouvriers à travailler. De plus, dans cet accord, il est dit que quand les usines sont mises à l’arrêt, on peut tirer sur les jours de congés des travailleurs, qui doivent par conséquent renoncer à leurs droits. Mais le pire dans cet accord, c’est qu’il y est écrit que si dans une usine, il y a un cas de Coronavirus, le patron n’est pas obligé de fermer. Il n’est astreint qu’à communiquer sur ce fait, et on verra après ce qu’il advient ! Vraiment, tout cela est très grave. Maintenant, la haute bureaucratie demande aux ouvriers d’interrompre les grèves, leur dit que tout va bien, qu’ils ont obtenu ce qui était nécessaire.

Comment le PdAC est-il intervenu dans la situation ?

Les grèves récentes étaient appelées par les petits syndicats (et par nous, de fait). Le travail s’est arrêté, nous avons utilisé le front de lutte ‘No Austerity’, nous avons appelé à la grève, nos ouvriers ont commencé à la faire. Maintenant, il y a des ouvriers qui continuent les grèves. Mais la majorité, clairement, est dans le doute, parce que leurs dirigeants syndicaux ont dit qu’ils devaient arrêter les grèves. Pour cela, on va voir ce qui se passe les prochains jours.

Que s’est-il passé aujourd’hui (lundi 16 mars) ? Comment réagissent les travailleur.se.s et les militant.e.s syndicalistes dans les boites ?

Ce qui est bien, ici – et cela peut aussi être utile pour vous en France – c’est que les ouvriers ont fait grève aujourd’hui. Après l’accord signé par les bureaucrates avec le patronat, certaines usines ont fermé une semaine ; pour les plus riches, même, deux semaines – comme Ferrari, parce qu’ils avaient peur des grèves –. Mais beaucoup d’usines sont restées ouvertes, et bon nombre de celles-ci sont arrêtées maintenant. Il y a aussi des dirigeants syndicaux d’entreprise liés aux centrales bureaucratiques qui appellent à la grève pour une semaine, dix jours, contre leur propre bureaucratie. Et donc, il y a une rupture importante avec la bureaucratie, parce que les travailleurs ne veulent pas aller travailler. Et c’est une grande contradiction, parce que tout le monde dit qu’il faut rester à la maison, mais les ouvriers… doivent travailler.

Tu penses qu’on peut en tirer des leçons pour les luttes, en dehors de l’Italie ?

Il est possible qu’il se passe quelque chose de semblable en France. Je ne sais pas comment agit la bureaucratie syndicale chez vous. Il est possible qu’elle ne soit pas aussi médiocre que la bureaucratie italienne. Mais clairement, il y aura une pression très forte pour maintenir les usines en marche, dans la métallurgie etc.

Comment réagissent les patrons ?

Ici, tous les capitalistes ont commencé par dire qu’ils n’allaient pas fermer. Pas même une journée. En fin de compte, il y a beaucoup de grandes multinationales de l’automobile – par exemple Ferrari, Fiat… – qui ont fermé une ou deux semaines. Et ils disent qu’ils le font pour que tout soit parfait pour les ouvriers quand ils retourneront au travail, pour leur santé, leur sécurité, etc. En fait, il est clairement impossible, pour les ouvriers, de travailler en toute sécurité avec le Coronavirus. D’ailleurs, les Ferrari, Maserati, etc. ne sont pas nécessaires.  Mais Fiat – par exemple – a agi différemment : certaines usines ont fermé, pour désinfecter, expliquent-ils ; d’autres sont restées ouvertes ; ou alors, dans la même usine, il y avait beaucoup de secteurs et d’ateliers ouverts, et d’autres fermés. Ou l’inverse : beaucoup d’ateliers fermés, et d’autres ouverts. C’est ce qu’a fait, par exemple, Pirelli, où nous avons des camarades. Et donc, ils ne vont pas agir partout de la même manière. Pour les usines qui vont fermer, ils disent que c’est pour une semaine ou deux au maximum, pour sécuriser ces usines… Mais avec le Coronavirus, c’est impossible !

Fabiana, quoi de neuf aujourd’hui (mardi 17 mars) – Quel bilan peut-on tirer ?

Aujourd’hui, cela a été une grande journée de lutte, de grève. De nombreuses usines de la métallurgie, en particulier, étaient à l’arrêt. Avec une adhésion à la grève de 80% à 100%. Nos camarades présents dans le secteur de la métallurgie, qui ont appelé à la grève, nous disent qu’il y a une adhésion impressionnante. Cela, dans toute l’Italie, dans de très grandes usines. Par exemple, nous avons des camarades dans une usine de SEVEL, c’est-à-dire FIAT Spa et Peugeot réunis. Dans une usine de 6 000 ouvriers, 80% étaient en grève. Il y a eu d’autres usines fermées pour cause de grève. Les petits bureaucrates syndicaux, au niveau des usines, sont parfois contre la grève. Parfois il faut aussi les pousser à appeler à la grève. Quand ils le font, que se passe-t-il ? Dans ces cas, de nombreuses usines se retrouvent fermées, à l’arrêt.

Les patrons disent qu’eux-mêmes vont fermer pour sécuriser l’usine au plan sanitaire ; que contre le Coronavirus, ils vont fermer pendant quelques jours, une ou deux semaines. Mais les ouvriers savent bien qu’en deux semaines, les choses ne vont pas changer. Et les petits bureaucrates dans les boites sont très en difficulté, parce que maintenant, ils n’arrivent pas à défendre l’accord national qu’ont signé les bureaucrates de leur syndicat au niveau national. C’est une contradiction très forte.

Autre chose, intéressante pour vous en France : il semble que, vu que les usines d’ici ferment – soit du fait des grèves en cours, soit parce que des grèves récentes ont obtenu la fermeture des usines – d’autres usines, dans d’autres pays, en France par exemple, ne parviennent pas à avoir le matériel dont elles ont besoin pour travailler, parce que c’est produit en Italie, et ici tout est à l’arrêt…

Propos recueillis par Emma Funk

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