Le 27 mars, la Chambre des Représentants aux États-Unis a adopté une loi de relance historique de 2000 milliards de dollars, avec le soutien presque unanime des deux partis. Après avoir nié la crise pendant des semaines, le gouvernement passe maintenant à l’action, mais pas pour aider la classe ouvrière.
Florence Oppen
Workers’ Voice – la section étasunienne de la LIT
3 avril 2020
La crise sanitaire du coronavirus devient également une crise sociale et économique, pour les travailleurs comme pour les grandes entreprises. Les grèves spontanées se sont propagées comme une traînée de poudre, alors qu’il devient de plus en plus clair que le système capitaliste dans le pays le plus impérialiste du monde est incapable de fournir des services et des fournitures de santé de base, tels que des masques, des kits de test ou des lits d’hôpital, pour ne rien dire de l’équipement plus coûteux comme les respirateurs.
Ce plan de relance est le plus important de l’histoire des États-Unis et il a été présenté comme une combinaison de mesures « pour tout le monde », des chômeurs aux grandes entreprises, un « sauvetage pour tous ». En réalité, il s’agit d’une combinaison d’un plan de sauvetage massif pour les grandes entreprises, à peine deux ans après le grand allégement fiscal que Trump leur a accordé, et juste un minuscule plan de sauvetage pour les travailleurs.
En tant que socialistes, nous accueillons toutes les mesures qui bénéficieront aux travailleurs et soulageront leurs peines, mais nous rejetons absolument le renflouement des sociétés, car tout cet argent pourrait, et devrait, être consacré à l’octroi de services essentiels aux travailleurs, tels que l’accès universel aux soins de santé et les congés payés pour tous, et à l’équipement des infrastructures publiques et la rénovation des installations des usines pour produire en masse des fournitures médicales essentielles actuellement en pénurie. Aucune entreprise ne devrait réaliser des bénéfices pendant cette crise. Nous devons déclarer une urgence sociale et réorienter toute la capacité de production vers les besoins de base et les soins, avec une marge de profit nulle, et d’une façon démocratique, d’en bas vers le haut, où les travailleurs participent a la prise de décisions.
La structure et les priorités du Plan de relance : le profit, au détriment de gens
La communication officielle du gouvernement a détaillé le Plan de relance de sorte qu’il semble donner plus aux travailleurs (30 % du total avec 600 milliards de dollars) et aux petites entreprises (19 %) qu’aux grandes entreprises (25 % avec 500 milliards). La réalité est très différente, car le gouvernement investit 454 milliards de dollars dans la Réserve fédérale à bout de soufle (qui a dépensé la plupart de ses économies lors de la crise de 2008). Un article du magazine American Prospect nous montre que cet argent sera « ensuite placé dans un « acompte de crédit » et créera, moyennant un effet de levier de 10-1, une base monétaire de 4500 milliards de dollars destiné aux plus grandes sociétés d’Amérique.» [1] Il s’agit, à toute fin utile, d’une caisse noire d’entreprises.
L’envergure de ce renflouement a été sous-estimée, comme certaines analyses le font déjà valoir : « La facture n’est pas de 2000 milliards de dollars, mais s’approche de 6000 milliards. Et 4300 milliards prennent la forme d’un bazooka destiné aux PDG et aux actionnaires, pratiquement sans la moindre condition. » [2] En fin de compte, il s’agit de promettre aux entreprises 17 fois plus que ce qui est donné aux travailleurs. La différence entre le soutien accordé aux entreprises et celui accordé aux travailleurs est obscène. Comme le souligne American Prospect, alors que les travailleurs recevront « un paiement de 1200 dollars sous condition de preuve de ressources et une petite assurance de salaire pendant quatre mois … les entreprises obtiennent un montant transcendant d’argent virtuel pour soutenir leur système et éliminer la concurrence« . [3]
Un nouveau plan de sauvetage fiscal pour les grandes entreprises
Le plan de relance prévoit 500 milliards de dollars de prêts aux entreprises, y compris des prêts à des certaines des grandes sociétés étasuniennes qui ont bénéficié d’exemptions fiscales massives. Selon un article du New York Times : « Les entreprises qui bénéficieront des plus gros renflouements sont jusqu’à présent bénéficiaires d’un niveau de rentabilité sans précédent, grâce à d’importantes baisses d’impôt sur les sociétés et à des fusions dans l’industrie, et en évitant des hausses salariales importantes pour les salariés. »[4] Les compagnies aériennes recevront 50 milliards de dollars, et Boeing, balayant sous le tapis les niveaux absurdes d’incompétence dans son développement du 737 Max, qui a fait des centaines de morts, recevra 17 milliards de dollars d’argent public ! Dans la même veine, les grandes chaînes hôtelières telles que Marriott et Hilton obtiendront des fonds publics après avoir dépensé leurs revenus en rachats d’actions au lieu d’augmenter les salaires et les avantages sociaux des travailleurs. Le double scandale de ce sauvetage fiscal n’est pas que, encore une fois, plus d’argent est donné aux grandes entreprises, mais que cela se fait sans conditions en échange, comme l’exigence de base de payer au moins un salaire décent de 15 dollars l’heure à tous leurs travailleurs.
Un mini-secours limité pour les travailleurs
Le mini-plan de sauvetage pour les travailleurs est éphémère et reste bien en deçà du strict minimum nécessaire pour traverser cette crise. Il se compose de trois mesures : un versement unique direct de 1200 dollars maximum pour les personnes ne gagnant pas plus de 75 000 dollars, et des montants décroissants pour ceux qui gagnent jusqu’à 99 999 dollars, avec un supplément de 500 dollars pour chaque enfant dans les ménages ayant droit ; certaines mesures de chômage ; et un report de paiement pour les prêts étudiants fédéraux. La mesure la plus convoitée est bien sûr le versement unique. Mais cet argent permettra à la plupart des ménages de couvrir le loyer pendant un mois, laissant très peu pour l’épargne. Dans certaines régions du pays confrontées à des crises du logement, comme la région de la baie de San Francisco, il ne couvrira probablement même pas cela pour de nombreux ménages. Elle exclura également entre 30 et 40 millions de salariés (15 % du total) qui ne déclarent pas régulièrement d’impôts. [5] Plus que d’un versement unique, les travailleurs ont besoin de savoir si leurs besoins de base (soins de santé, nourriture, logement, etc.) seront couverts de l’une ou l’autre façon.
La dénommée loi de relance augmentera également l’allocation de-chômage de 600 dollars dans tout le pays pendant 4 mois. Désormais, les travailleurs des petits boulots payés à la tâche, les indépendants et les travailleurs détachés y auront droit – une évolution positive. Le problème est que plus de 3,3 millions de travailleurs se sont déjà inscrits au chômage, et si les 600 dollars supplémentaires aideront, ils ne permettront aux chômeurs que de se rapprocher un peu de leur salaire initial, qui d’emblée était déjà insuffisant. Les travailleurs confrontés à des difficultés financières supplémentaires en raison du besoin de soins médicaux ou de stockage de fournitures pour la quarantaine ne pourront toujours pas faire face à ces coûts.
Enfin, les 350 milliards de dollars de prêts pour aider les petites entreprises à garder leurs salariés sur la liste de paie sont une bonne idée, mais toujours bien en deçà de ce qui est nécessaire: « Le coût total de la masse salariale pour les seules petites entreprises américaines est de 1500 milliard de dollars tous les trois mois. » [6] Autrement dit, les petites entreprises ont besoin de 4 fois plus d’argent pour sortir de la crise sans licencier personne.
Nous avons besoin de soins de santé universels et de congés payés maintenant
Cette crise aggrave les difficultés économiques rencontrées par la classe ouvrière étasunienne. La grande majorité des travailleurs aux États-Unis vivent de chèque de paie en chèque de paie, ce qui rend impossible d’accumuler une épargne, les pousse à s’endetter de façon chronique et les empêche de faire face aux retombées d’une crise sanitaire mondiale en utilisant uniquement leurs propres ressources.
Les travailleurs ont besoin d’un autre type de soulagement : nous avons besoin de soins de santé universels, maintenant, avec un traitement gratuit pour tous, un congé de maladie payé universel qui donnera à chacun une source de revenu stable, et la cessation de toute activité économique non essentielle pour vraiment arrêter la propagation du virus. En outre, afin de surmonter la pandémie, nous devons fermer l’Amérique-au-but-lucratif, équiper toutes les unités de fabrication disponibles pour la production d’équipements médicaux essentiels et réapproprier toutes les infrastructures existantes pour répondre aux besoins de cette urgence. Les travailleurs, par le biais de leurs syndicats, leurs assemblées, leurs comités et leurs centres , doivent être à l’avant-garde de la planification et de la prise de décision autour de ces investissements pour s’assurer que des mesures de protection et de sécurité soyent assurées.
Cette crise nous rappelle que la seule issue à ces crises est l’organiser par le bas, et la coordination de nos actions à l’échelle régionale, étatique et nationale afin de construire une alternative politique au capitalisme néolibéral. Nous devons amener tous nos syndicats et organisations communautaires à former un front uni pour se mobiliser pour les demandes de secours d’urgence. Nous devons suivre l’exemple de syndicats comme le CWA qui exigent que General Electric recycle les unités de fabrication non utilisées pour produire des respirateurs indispensables, embauche des travailleurs syndiqués qualifiés et assure leur sécurité. De plus, un collectif de travailleurs a formé Réponse des Travailleurs de Connecticut à la Crise, pour développer une issue à cette crise, qui a comme priorité les besoins des travailleurs. L’avenir immédiat et la survie seront en jeu dans les semaines et les mois à venir. Nous ne pouvons pas attendre les élections de novembre, nous devons nous organiser maintenant.
[1] https://prospect.org/coronavirus/unsanitized-federation-reserve-loads-cannon/
[2] https://prospect.org/api/amp/coronavirus/unsanitized-bailouts-tradition-unlike-any-other/
[3] https://prospect.org/api/amp/coronavirus/unsanitized-bailouts-tradition-unlike-any-other/
[4] https://www.nytimes.com/interactive/2020/03/27/opinion/coronavirus-bailout.html?action=click&module=Opinion&pgtype=Homepage
[5] https://www.theguardian.com/business/2020/mar/26/us-stimulus-bill-worker-relief
[6] https://www.theguardian.com/business/2020/mar/26/us-stimulus-bill-worker-relief