Le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile (PEMA), de l’UE, qui sera désormais contraignant pour les États membres, est une réforme complète de sa politique migratoire commune, prévoyant un système permanent de » solidarité obligatoire » pour s’assurer que le fardeau de la pression migratoire soit partagé entre les 27 pays. Bien entendu, il ne s’agit pas de solidarité avec les migrants qui fuient vers l’Europe pour échapper de la guerre, la misère ou les catastrophes climatiques causées par les politiques de l’UE et des pays impérialistes, mais de solidarité entre les gouvernements européens avec un objectif commun : continuer à construire la forteresse Europe sur des critères classistes et racistes, en divisant les migrants en fonction de leur couleur, leur lieu d’origine et leur statut socio-économique.i
Centre européen de la LIT-QI
29 décembre 2023
Un pacte raciste qui ferme les frontières, piétine les droits de l’humain et externalise la répression des migrants
Le PEMA est un paquet législatif complexe, en cours de négociation depuis 2020 et qui constituait l’une des priorités de la Commission européenne. Il établit l’obligation de mener les procédures d’asile à la frontière de manière accélérée, en contradiction avec le droit international de l’asile. Si depuis la Seconde Guerre mondiale, toute personne avait le droit de demander l’asile, ce droit, tout comme celui du regroupement familial pour les mineurs, ne sera plus universel sur le territoire européen.
Le Pacte renforce les rejets aux frontières : le renvois automatique de retour sera désormais légal, et financé par l’UE. Il vise à étendre le recours à la détention, en enfermant hommes, femmes et mineurs dans des macro-prisons, en extrapolant le modèle du camp de Lesbos à l’ensemble du territoire européen.
Il introduit la commercialisation des humains. Avec ce pacte, le pays d’accueil qui ne veut pas étudier la demande d’asile paiera 20 mil euros par personne pour la renvoyer vers un autre État-membre de l’UE. Cet argent sera utilisé pour les expulsions et pour renforcer les frontières. Il s’agit également d’un bond en avant dans la criminalisation des migrants.
Le Pacte approfondit le modèle d’étendre les frontières vers des pays tiers, avec moins de garanties. En plus d’incorporer plusieurs pays africains, les pays candidats à l’adhésion à l’UE devront continuer à appliquer les politiques de détention et de contrôle des migrants dictées par l’Europe s’ils souhaitent être pris en considération pour l’adhésion. Le PEMA prévoit une intensification de ces politiques, par la mise en place de procédures de contrôle préalable à l’entrée, en dehors des frontières extérieures de l’Europe.ii
Pour donner un vernis humanitaire à ce pacte, les gouvernements construisent des mythes sur les mafias de passeurs. Ils tentent de nous convaincre qu’ils sont les seuls à pouvoir mettre fin aux agissements de ces criminels sans scrupules, responsables de la mort de migrants vulnérables. Au nom de cette prétendue lutte, ils criminalisent de plus en plus les migrants.
C’est la politique européenne stricte en matière de visas ; l’impossibilité d’effectuer les procédures d’asile dans les consulats et ambassades de leurs pays d’origine ; la politique migratoire de l’UE qui ferme la voie à la migration légale. En désespoir de cause, les migrants empruntent des itinéraires de plus en plus dangereux, mettant leur vie en péril, et tombant parfois dans les filets des réseaux de trafiquants. Depuis 2014, on estime à plus de 28 mil le nombre de décès de migrants en Méditerranée : ce ne sont pas des morts, mais des meurtres, qui s’accumulent année après année.
Le PEMA vient compléter les politiques racistes menées par tous les gouvernements dans leur propre pays.
Plusieurs députés européens disent qu’il fallait approuver ce Pacte pour que l’extrême droite n’utilise pas la crise migratoire comme une arme de guerre lors des prochaines élections européennes. Mais la vérité est que les politiques migratoires de tous les gouvernements européens, qu’ils soient de droite ou autoproclamés progressistes, ont franchi toutes les lignes rouges en termes d’humanité et utilisent la même main lourde avec ceux qui, malgré tout, parviennent à entrer en Europe.
L’Italie a récemment approuvé un nouveau délit d’émeute dans les centres de séjour de rapatriement (CPR) où les migrants qui arrivent en Italie, sans avoir commis de délit, sont enfermés jusqu’à 18 mois dans des conditions inhumaines. En fait, on réduit les fonds destinés à gérer et à financer l’accueil et l’intégration des migrants, et on encourage comme seule solution le recours à la matraque et à la répression.
En France, les contrôles policiers sur les migrants sont permanents et le nombre de personnes tuées par la police augmente d’année en année. La nouvelle loi sur l’immigration, adoptée avec les voix de la droite et de l’extrême droite, est le projet le plus restrictif des 40 dernières années concernant les droits et les conditions de vie des migrants, y compris ceux qui sont en France depuis longtemps. Un autre exemple du racisme et de l’islamophobie de l’État français est la décision du ministre de l’éducation d’interdire l’abaya dans les écoles.
En Espagne, où plus de 500 mil sans-papiers vivent et sont systématiquement discriminés, le nouveau gouvernement progressiste de Sánchez et Yolanda Díaz continue d’ignorer le travail effectué terre à terre par plus de 14 mil personnes et 900 organisations de migrants dans tout le pays pour régulariser ce groupe par le biais d’une Initiative législative populaire présenté au Parlement. Sánchez a reconduit Fernando Grande Marlaska au poste de ministre de l’intérieur du nouveau gouvernement de coalition, responsable du massacre de Melilla en 2022, au cours duquel les forces de sécurité espagnoles et marocaines ont tué au moins 30 migrants qui tentaient de franchir la clôture.
Alors que l’Allemagne cherche à attirer des travailleurs qualifiés de l’extérieur de l’UE pour répondre à son besoin pressant de main-d’œuvre sur son marché du travail, elle a également adopté un projet de loi prévoyant des règles plus strictes pour expulser davantage et plus rapidement ceux qui restent en situation irrégulière dans le pays. Le ministère de l’intérieur estime qu’au moins 50 mil personnes pourraient être visées par la nouvelle loi, qui donne à la police davantage de pouvoirs pour déterminer l’identité d’une personne, et prévoit des inspections au domicile sans préavis.
La Belgique est régulièrement condamnée par ses propres tribunaux, ainsi que par des tribunaux européens, pour l’emprisonnement d’enfants et le traitement inhumain des migrants. Elle collabore avec des régimes répressifs pour identifier les réfugiés politiques, comme ce fut le cas avec la dictature soudanaise d’el-Bechir. En décembre dernier, la presse a rapporté qu’une circulaire de l’Office des étrangers demandait que les migrants palestiniens soient déchus de leur nationalité, afin d’empêcher l’assimilation sur base de liens familiaux.
Le renforcement des mesures répressives et la criminalisation fondée sur le lieu de naissance permettent aux bourgeoisies de chacun de ces pays de surexploiter les migrants, prêts à accepter n’importe quel emploi, en tant que main-d’œuvre bon marché ; et, ce faisant, de diviser la classe ouvrière entre les autochtones et les « étrangers ». Si notre classe reste passive face à ces attaques, c’est à cause de la complicité et de l’omission des directions syndicales qui consentent à ces mesures contre le secteur le plus exploité de notre classe. On a même vu des syndicats défendre la main-d’œuvre « locale ».iii
Il y a des avalanches migratoires parce qu’il y a de l’exploitation et du pillage.
Selon l’Unicef, quelque 129 495 migrants sont arrivés en Grèce, en Italie, en Bulgarie, en Serbie et en Bosnie-Herzégovine par voie terrestre et maritime au cours du seul premier semestre 2023, en provenance de pays tels que la Syrie, l’Afghanistan, le Pakistan ou l’Afrique du Nord. Parmi eux, 34 362 sont des enfants. Cela représente une augmentation de 81 % par rapport à la même période en 2022. Plus de 18 mil enfants migrants sont arrivés sans leurs parents. Les partisans du Pacte affirment qu’il est urgent de durcir les conditions, afin de stopper les flux de migrants et « d’apporter des solutions » aux conséquences de l’immigration de masse. Mais pourquoi ne commencent-ils pas par en expliquer les causes ?
Les gouvernements de l’UE ne peuvent se poser cette question sans mettre à nu leur entière responsabilité. L’UE qui ferme ses portes à ces migrants est la même que celle dont les multinationales pillent les ressources de leurs pays et surexploitent leurs populations. Ceux qui condamnent les peuples à la misère sont les mêmes que ceux qui construisent des murs pour les gens qui essayent d’y échapper.
Quant à l’Afrique en particulier, ils ont pillé et asservi ce continent pendant des siècles et, une fois l’indépendance de nombreux pays africains acquise, tous les accords économiques de l’UE avec l’Afrique depuis 1963 sont des accords qui reproduisent à un degré ou à un autre la domination coloniale précédente.
Au fil des ans, des « Conventions » ont été signées avec l’Afrique (Convention de Yaoundé en 1963 ; Yaoundé II en 1969-1975 ; Lomé I-IV en 1975-2000 ; Cotonou en 2000-2020 et post-Cotonou en 2020-2040) ; ainsi que des « Accords » (Tunisie en 1998 ; Maroc en 2000 ; Égypte en 2004 ; Algérie en 2005), qui ont généralement maintenu les spécialisations économiques établies par les anciennes administrations coloniales.iv Ce pillage colonial inclut les terres, puisqu’il se fait généralement au détriment des cultures vivrières, mettant ainsi à mal l’autosuffisance alimentaire de ces pays. Qui plus est, les matières premières envoyées vers les métropoles reviennent sous forme de produits transformés dans la colonie de l’UE, pour être vendues par les multinationales. Cette relation d’exploitation et de pillage des pays africains oblige l’UE à chercher parmi ses « partenaires africains » des exploiteurs autochtones qui, avec l’aide de gouvernements soumis, garantissent le circuit commercial.
Les multinationales et leurs représentants politiques imposent à ces pays des politiques fiscales qui facilitent la fuite de capitaux, déterminent les déficits budgétaires des États, pillent les ressources publiques locales ou placent des emprunts étrangers. L’UE a également fait de l’Afrique la plus grande décharge de déchets électroniques au monde. Dans des pays comme le Ghana, de gigantesques étendues de déchets électroniques constituent le gagne-pain de dizaines de milliers de personnes vivant à proximité de décharges qui détruisent les terres et portent atteinte à la santé de milliers de personnes. De même, l’agrobusiness qui s’empare des terres est imposé à ces pays, au détriment des petits agriculteurs autochtones, par l’intermédiaire des États de l’UE inscrits dans la Banque Africaine de Développement.
À cela s’ajoute la crise pandémique, qui a accéléré en Afrique la contraction économique, la dépréciation de la plupart des monnaies, la dénommée « insécurité alimentaire » et une augmentation vertigineuse de la dette extérieure. Celle-ci a atteint 322 % en Afrique subsaharienne, au cours des dix dernières années.v En 2022, 60 % des pays africains dépensaient plus pour le remboursement de la dette que pour les soins de santé.
L’impérialisme chinois, l’étasunien et, dans une moindre mesure, le russe pillent également l’Afrique depuis des années, transformant le continent africain en un grand champ de bataille entre les différents impérialismes. Les richesses africaines sous forme de ressources naturelles affluent vers ces pays, qui exploitent la main-d’œuvre africaine, tandis que l’Afrique reste appauvrie et lutte pour sa survie.
Les apôtres de la démocratie, les dirigeants de l’Europe du progrès et leurs propagandistes ne pourront jamais expliquer les causes des avalanches migratoires, car cela conduit inexorablement à mettre à nu le système capitaliste lui-même. Un système social où, comme le disait Marx, « le capital vient au monde ruisselant de sang et de boue par tous les pores, de la tête aux pieds« .
Organisons-nous pour lutter pour une issue ouvrière à la dégénérescence capitaliste !
Mettre fin aux avalanches migratoires exige des mesures chocs, à commencer par l’annulation immédiate de la dette extérieure, ainsi que l‘abrogation de tous les traités, conventions et accords coloniaux. Pour le droit illimité des États africains à exproprier unilatéralement les entreprises, les banques, les compagnies d’assurance et les agro-industries actuellement aux mains des multinationales étrangères. Pour la défense de l’environnement et de la vie, la rupture des traités qui ont fait de l’Afrique une décharge de déchets toxiques ou des acheteurs d’émissions de CO2 ; pour la suspension des brevets privés, l’élimination des secrets commerciaux et l’expropriation des entreprises pharmaceutiques afin de garantir l’accès universel et gratuit à la vaccination et au traitement ; pour des soins de santé publics universels.
Le pacte qui manque, c’est entre les travailleurs et les peuples !
Cela requiert également de lutter dans chaque pays européen pour l’abrogation de toutes les lois sur les étrangers et pour la légalisation des migrants ; pour la fermeture des Centres de détention ; pour la reconnaissance des droits à la nationalité pour ceux qui sont nés sur le sol européen et le droit au refuge pour ceux qui fuient la guerre et la mort.
Dissolution de l’Agence européenne de Garde-frontières et de Garde-côtes (Frontex.)
Native ou étrangère, la même classe ouvrière !
En tant que sections européennes de la LIT-QI, nous appelons toutes les organisations politiques, syndicales et sociales à rejeter ce pacte honteux, qui est la continuité des politiques impérialistes de l’Europe forteresse ; ainsi qu’à rejeter les campagnes xénophobes et racistes, forgeant ainsi le seul pacte qui manque : celui de l’unité des travailleurs natifs et migrants, contre la bourgeoisie et ses gouvernements.
Dans ce monde où ce qui progresse c’est la barbarie à laquelle nous conduisent ces gouvernements capitalistes, la bataille pour vaincre les plans du capital est une lutte conjointe contre les gouvernements de chaque pays et contre l’UE, car les deux forment un ensemble inséparable, impérialiste, anti-ouvrier et anti-populaire.
Non à l’UE ! Pour une Europe socialiste des travailleurs et des peuples !
iTraduit de <https://www.corrienteroja.net/declaracion-europea-de-la-lit-ante-el-nuevo-pacto-europeo-de-inmigracion-y-asilo/>
Le Pacte sur la Migration et l’Asile a été présenté par la Commission européenne le 23.09.2023.[NdT]
ii“Externalizar la opresión. Como Europa externaliza la detención de migrantes fuera de sus fronteras”. Transnational Institute et Stop Wapenhandel. Avril 2021
iiiLors de la grève de Lindsay Oil en 2009, en Grande Bretagne, le mot d’ordre de la bureaucratie syndicale était: « British jobs for British workers ».
iv<https://vientosur.info/africa-la-trampa-de-la-deuda-y-como-salir-de-ella/>
v Chiffres de la Banque mondiale, 2022.