Par les organisations européennes de la Ligue Internationale des Travailleurs (LIT-QI),
le 29 mai 2021
Le « sommet social » de Porto révèle le vrai visage de l’UE.
Le soi-disant « sommet social » de Porto (Portugal) du 7 mai dernier a révélé l’extrême hypocrisie de l’UE et son véritable visage.
L’objectif du sommet était de déguiser l’opération de grande envergure des Fonds de relance par de fausses proclamations sociales. Ces Fonds visent à sauver les grandes entreprises européennes et à renforcer la domination des oligopoles allemands et français. On a également voulu masquer la nouvelle vague de « réformes structurelles » et de coupes accompagnant les Fonds.
Le communiqué officiel est nauséabond dans son impudeur. On y affirme que « l’Europe, plus que jamais, doit être le continent de la cohésion sociale et de la prospérité ». Pourtant, trois ans et demi se sont écoulés depuis le précédent « sommet social » de Göteborg, et pas une seule mesure n’a été prise contre l’augmentation de la précarité et de la pauvreté. Au contraire, elles se sont développées dans tous les pays, tout comme les différences entre les États membres et tandis que grandit la dépendance de la périphérie vis-à-vis des pays centraux plus riches.
Cependant, la démagogie qu’ils avaient programmée s’est effondrée en raison du rejet scandaleux, mené par Merkel, de la publication des brevets sur les vaccins contre le Covid 19. Il y a quelques jours, Biden, modifiant la position étasunienne, s’était déclaré favorable à une libération temporaire des brevets, craignant que la très grave situation de la pandémie en Amérique latine, avec ses nouvelles variantes, ne saborde les efforts de vaccination aux États-Unis.
Le refus de libérer la production de vaccins est un crime de masse. L’UE est directement responsable de la mort de millions de personnes, sacrifiées sur l’autel des profits des grandes entreprises pharmaceutiques américaines et européennes, et en particulier allemandes. Ce n’est rien d’autre qu’un élément de barbarie, une conséquence de la continuité du capitalisme en Europe et dans le monde.
Une gestion infâme de la pandémie par les gouvernements et le silence complice de la bureaucratie syndicale et de la gauche officielle.
Les gouvernements européens dans leur ensemble, avec toute l’UE et avec des différences relatives entre eux, ont appliqué depuis le début de la pandémie une politique dictée par les pressions des grandes entreprises, faisant passer le profit capitaliste avant les vies humaines, ce qui a déjà entraîné 1,2 million de morts, selon les chiffres officiels.
Avec diverses restrictions, dans un « stop and go » continu, ils n’ont jamais arrêté l’activité des secteurs productifs non essentiels ; ils n’ont pas renforcé un système de santé publique déjà sévèrement touché par les coupes sombres précédentes ; les transports sont restés surchargés ; les familles les plus pauvres n’ont même pas eu les moyens de se confiner alors que les hôtels étaient fermés ; et il y a eu un grand retard dans la vaccination en raison de la soumission aux grandes compagnies pharmaceutiques et des accords commerciaux secrets avec elles.
D’énormes sommes d’argent public ont été dépensées pour renflouer les grandes entreprises, tandis que les miettes sont allées aux travailleurs, qui ont vu leurs salaires considérablement réduits avec des suspensions temporaires de travail et des licenciements.
Sans parler des secteurs les plus exploités et les plus précarisés, qui n’ont pas pu accéder aux maigres aides officielles et ont été laissés dans une misère totale. C’est le cas des travailleurs immigrés et de nombreuses femmes et jeunes gens. Parallèlement aux licenciements, on a assisté à une augmentation significative du chômage et du sous-emploi, qui a massivement touché les services, mais aussi l’industrie. Les expulsions de logements se sont poursuivies et des gens on fait la queue pour un bol de nourriture. Dans le même temps, les gouvernements ont laissé les petits entrepreneurs sur le carreau, dont beaucoup ont été acculés à la ruine, notamment dans les pays les plus dépendants du tourisme et des services.
Pendant la pandémie, les lois xénophobes contre la population migrante et la politique de fermeture des frontières ont alimenté le racisme et l’islamophobie. Des lois en violation flagrante des lois d’asile et de protection, de l’UE et de ses gouvernements. à cela s’ajoute l’exclusion sociale de segments croissants de la population. Et tout cela profite directement à l’extrême droite.
Frontex (c’est-à-dire l’UE) et les pays frontaliers sont directement responsables de l’assassinat en 2020 de 2000 personnes délibérément jetées sur des radeaux à la dérive en mer Égée, dans une forme criminelle de « refoulement à chaud », en plus des migrants noyés sur les routes partant de l’Afrique du Nord et vers les îles Canaries. Cela s’accompagne de la sous-traitance d’Erdogan, de la mafia officielle libyenne ou du gouvernement marocain, pour intercepter les réfugiés et les migrants et les détenir dans des conditions inhumaines. Le dernier « exploit » européen a été l’action criminelle, hypocrite et inhumaine dans l’enclave coloniale de Ceuta, avec le « refoulement à chaud » de milliers de migrants. L’UE et les gouvernements enferment les migrants qu’ils ne peuvent pas expulser, dans des camps de réfugiés et de migrants à Lesbos, à Lampedusa ou aux îles Canaries, dans des conditions de surpopulation et d’absence totale de protection.
Les gouvernements ont également profité de la pandémie, à quelques exceptions près, pour restreindre les droits et les libertés et pour intensifier la répression et l’impunité policière. Au nom de la santé publique, ils ont décrété l’état d’urgence qu’ils ont utilisé pour interdire le droit de grève et de manifestation, tout en laissant libre cours à la répression arbitraire, notamment dans les quartiers les plus pauvres et les plus périphériques. Dans plusieurs pays, nous constatons un recours croissant à l’armée, de nouvelles réductions des droits démocratiques et l’octroi de pouvoirs accrus à la police, comme avec la loi sur la sécurité globale en France, la loi sur la police et la criminalité au Royaume-Uni, ou la « loi bâillon » en Espagne, que le gouvernement de coalition PSOE-UP comptait abroger mais a finalement utilisée de manière généralisée.
Cependant, nous ne devons pas oublier que si les gouvernements ont pu agir de la sorte, c’est parce qu’ils ont été soutenus à tout moment par les bureaucraties des grandes centrales syndicales qui, en étroite alliance avec les patrons, ont été les complices nécessaires de ces mesures. Dans l’arène spécifiquement politique, la gauche officielle a également soutenu l’action des gouvernements, sans les critiquer ni présenter d’alternative.
La fraude de la « solidarité européenne » et les Fonds de recouvrement de l’UE
L’UE se présente actuellement comme une structure « cohésive », avec sa hiérarchie et ses liens de dépendance entre les pays, pour l’instant à moitié cachés sous le fallacieux concept de « solidarité européenne », et dont les principales expressions sont l’achat commun de vaccins et les Fonds de relance.
Après le scandale initial où l’Allemagne et la France avaient interdit l’exportation de matériel sanitaire vers d’autres pays de l’UE, l’achat unifié de vaccins était un impératif : ils ne pouvaient pas permettre, au risque de provoquer une énorme crise, qu’une partie de l’UE soit à court de vaccins (ou les achète à la Russie ou à la Chine) alors qu’eux en assuraient l’approvisionnement. Mais la gestion désastreuse de la Commission européenne, qui retient les informations, fait des courbettes aux grandes entreprises pharmaceutiques, et se mêle de leurs différends commerciaux, a déjà ébranlé cette unanimité.
L’UE et ses gouvernements sont actuellement au cœur d’une campagne de propagande en faveur des Fonds de relance (« Next Generation »), qu’ils présentent comme l’expression de la solidarité européenne et comme la panacée pour la création d’emplois et la prospérité générale.
Mais ces fonds n’ont rien à voir avec la solidarité entre les peuples européens. Ils ne vont pas du tout compenser la perte globale d’emplois, et les emplois qu’ils vont générer seront avant tout des emplois précaires. Il s’agit d’argent public subordonné aux plans du capitalisme allemand et français, qui renforcera la dépendance de la périphérie et sa place subordonnée dans la division européenne du travail, avec des pays rétrogradés à un statut semi-colonial, comme c’est déjà le cas pour la Grèce, et d’autres, comme les pays de l’Est, qui étaient déjà des semi-colonies économiques de l’Allemagne quand ils ont rejoint l’UE.
Pour tenter de ne pas se laisser déborder dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine, le capitalisme allemand et français a besoin de l’UE. Les Fonds de relance devraient également servir à fermer la voie aux capitaux chinois, afin qu’ils ne répètent pas les achats d’actifs et d’infrastructures qu’ils ont effectués lors de la crise précédente : ce fut le cas notamment au Portugal (la société énergétique EDP) ou en Grèce (le Port du Pirée).
L’UE justifie ces fonds comme étant nécessaires pour entreprendre la « transition verte et numérique ». Mais le réchauffement de la planète et l’urgence environnementale, dont ils sont largement coresponsables, sont le cadet de leurs soucis. Leur principale préoccupation est de savoir comment faire face à l’épuisement des combustibles fossiles (et minéraux) tout en poursuivant leurs activités et leurs profits oligopolistiques.
Il n’y a aucun plan pour changer la logique du système de production capitaliste et le gaspillage brutal qui l’accompagne, et qui nous mène droit à la catastrophe environnementale et sociale. Sa réduction des émissions de CO2 se base davantage sur sa « capture » que sur son élimination, moyennant des formules comme le soi-disant « hydrogène vert » (énergétiquement inefficace, avec une production associée à la destruction d’écosystèmes naturels et agricoles et affectant la couche d’ozone) et enfin moyennant un déluge de taxes « vertes » sur le dos de la grande majorité laborieuse de la population. La « transition verte » va également de pair avec le pillage, la surexploitation du travail et la destruction de l’environnement dans les pays semi-coloniaux qui concentrent les ressources minérales.
Le soutien à la « mobilité électrique » est aussi un financement public massif de la restructuration des grandes multinationales automobiles allemandes et françaises, ainsi qu’un transfert de fonds vers les secteurs sociaux les plus aisés, qui sont subventionnés pour l’achat de voitures électriques haut de gamme, les seules à avoir un véritable débouché commercial. La « transition numérique » ou la soi-disant « industrie 4.0 », développée sous le contrôle des grands capitalistes et de leurs gouvernements, loin de se traduire en réduction du temps de travail et amélioration conséquente de la vie des travailleurs, en vient à provoquer de grandes pertes d’emplois et une plus grande précarité.
Comme lors de la crise de 2008-2015, ils veulent nous imposer une nouvelle régression sociale généralisée.
L’approbation et la mise en œuvre des fonds de recouvrement sont expressément subordonnées au respect des « recommandations » de la Commission européenne, qui doit les approuver. Cela signifie non seulement qu’ils doivent être investis dans des projets conformes aux intérêts de la grande industrie et de la finance allemande et française, mais aussi que les gouvernements doivent se conformer strictement aux « réformes structurelles » et aux mesures d’austérité dictées par la Commission européenne.
Certaines des mesures concrètes des plans que les gouvernements ont convenus avec Bruxelles et qu’ils gardent secrets commencent à être révélées au compte-gouttes. Les attaques contre le système public de retraite et les droits du travail (négociation collective, stabilité de l’emploi, licenciements, allocations de chômage…) ou les ajustements de la fiscalité au détriment de la majorité des travailleurs sont au premier plan. Les systèmes de santé publique et d’éducation seront gravement touchés. Les coupes dans les dépenses sociales s’accéléreront lorsqu’ils réactiveront le Pacte de Stabilité et de Croissance, ce qu’ils prévoient de faire en 2022.
Sans attendre la fin de la pandémie, nous subissons déjà le début de l’offensive de l’UE et de ses gouvernements pour nous imposer une nouvelle régression sociale et du travail généralisée, un nouveau schéma d’exploitation, alors que la régression brutale qu’ils nous ont imposée ces dernières années est encore chaude. Le fait est qu’actuellement, une grande partie de la réserve sociale dont disposaient les familles ouvrières a été consommée, et pour ce nouvelle recul, elles partent d’une situation sociale déjà très dégradée.
Cette régression, de portée générale, a un impact particulièrement virulent sur la périphérie de l’UE, comme cela s’est produit lors de la crise de 2008-2014. L’énorme endettement des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie, existant déjà lors de l’entrée dans la pandémie, a explosé en 2020, continue d’augmenter en 2021, et laisse ces pays à la merci de la BCE et de la Commission européenne. Le gouvernement grec, un véritable héraut de l’UE, a déjà présenté un projet de loi visant à flexibiliser la journée de travail, en mettant fin aux 8 heures et en autorisant les employeurs à porter la journée de travail ordinaire jusqu’à 10 heures. Au Portugal a été rendu public l’engagement du gouvernement Costa de réduire les services d’urgence des hôpitaux, et cela en pleine pandémie.
L’autre visage de la précarité, de la pauvreté et des inégalités sociales est la volonté de concentration des entreprises et de centralisation du capital, autour des plus puissants et au détriment du capital le plus faible. Ce mouvement profite de l’impact inégal de la pandémie entre les différents secteurs économiques et se nourrit d’une liquidité jamais vue auparavant, alimentée par la « tournée gratuite » de la Banque centrale européenne (BCE), le soutien financier des gouvernements aux grandes entreprises et les Fonds de relance européens. Un exemple éloquent est l’accord de fusion entre Peugeot et Fiat-Chrysler (Stellantis) ou l’intervention supplétive des fonds d’investissement.
Une explosivité latente, alors que les peuples de l’Europe de l’Est montrent le chemin
Jusqu’à présent, nous avons surtout évoqué l’Europe occidentale, mais nous ne pouvons pas parler de l’Europe sans prendre en compte le Belarus, la Russie et l’Ukraine. Ce qui se passe là-bas affecte directement les pays de l’Est de l’UE, l’Allemagne et l’équilibre européen dans son ensemble.
Le soulèvement révolutionnaire du peuple biélorusse, qui a commencé en septembre de l’année dernière, avec la classe ouvrière comme principal protagoniste, pour renverser Loukachenko et son régime bourgeois corrompu, basé sur la police politique (KGB), la police anti-émeute (OMON) et l’armée, est particulièrement important. Si le régime de Loukachenko persiste, c’est d’abord grâce au soutien de Poutine, mais aussi grâce à la passivité complice, teintée de belles paroles, de l’UE, et à l’impuissance même de la direction politique bourgeoise de la révolte. Mais la révolution au Belarus n’a pas été vaincue, elle est toujours vivante et cherchera son chemin.
C’est le cas également des manifestations pour la liberté de Navalny et contre la corruption du régime bonapartiste de Poutine. Défiant une répression brutale, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus à plusieurs reprises dans les rues de Moscou et de 140 autres villes du pays, changeant la situation politique et indiquant, pour la première fois, le début d’une crise du régime de Poutine, ami de l’extrême droite européenne et l’un des piliers de la réaction sur le continent et au Moyen-Orient.
Au sein de l’UE, il est nécessaire de mentionner, en raison de sa pertinence, les manifestations de centaines de milliers de personnes, principalement des femmes, qui, avec un soutien populaire massif, ont pris les villes de Pologne en octobre dernier pour défendre le droit à l’avortement et contre le régime pseudo-parlementaire et clérical de Kaczyński. Ces manifestations s’inscrivent dans la continuité de celles qui ont eu lieu en 2016 et au printemps 2020, et constituent la plus grande mobilisation sociale du pays depuis le mouvement Solidarnosc (Solidarité) dans les années 1980.
Avec la trace encore vivante du mouvement populaire des Gilets Jaunes et de la lutte contre la réforme des retraites, il faut signaler les grandes manifestations de fin 2020 en France, contre la Loi de Sécurité Globale de Macron et contre le bonapartisme de plus en plus accentué du régime français. De même, nous devons parler du mouvement de protestation développé en Espagne, avec un fort engagement de la jeunesse, contre l’emprisonnement du rappeur Pablo Hasél en février de cette année 2021. Un mouvement qui a mis à nu le lourd héritage franquiste du régime monarchiste et la complicité du gouvernement de coalition PSOE-Unidas Podemos.
Actuellement, les luttes ouvrières, sociales et environnementales sont nombreuses. Il y a beaucoup de luttes contre les licenciements et les fermetures d’entreprises. Cependant, l’énorme frein des bureaucraties syndicales et la faiblesse du syndicalisme combatif font qu’elles restent isolées et ne s’unissent pas dans une réponse générale qui permette de changer l’équilibre des forces et de couper court aux attaques des patrons et du gouvernement.
Dans ce contexte, il est nécessaire de souligner la mobilisation des travailleurs d’Alitalia contre son démantèlement et pour la défense d’une entreprise publique, unie et sans licenciements. C’est le premier grand mouvement des travailleurs contre le tout nouveau gouvernement Draghi. Leur combat est probablement le plus important en Europe aujourd’hui. Il en est ainsi en raison de sa pertinence économique et politique, de l’ampleur et de la combativité de sa mobilisation, du large débordement des bureaucraties syndicales, et de la lutte des travailleurs pour prendre directement le contrôle de la lutte dans leurs mains, donnant ainsi un exemple à la classe ouvrière européenne.
Dans les différents pays, il existe des expériences partielles de rupture avec la bureaucratie des grandes centrales syndicales, moyennant des syndicats alternatifs existant dans de nombreux secteurs et entreprises. Cependant, il y a une dispersion fréquente parmi eux : certains subissent des pressions corporatistes, et dans d’autres il y a des tendances bureaucratiques contraires à la nécessité de donner le rôle principal à la base et de progresser dans l’unité d’action. Parfois il existe des pressions en faveur de la conciliation avec les grandes bureaucraties, surtout dans les syndicats alternatifs les plus implantés. Nous avons encore un long chemin à parcourir pour faire émerger des alternatives syndicales capables de défier et de renverser les grandes bureaucraties.
Le retard dans l’organisation du mouvement et dans la construction d’une direction politique révolutionnaire qui nous permettent de diriger les affrontements avec les gouvernements, laisse présager un scénario d’explosions sociales avec une grande charge de spontanéité et avec un rôle important de la jeunesse précaire.
Une stabilité politique apparente, avec de nombreuses fissures et une montée de l’extrême droite.
Nous avons, particulièrment dans l’UE, une situation de stabilité politique et institutionnelle qui cache cependant de grandes fragilités. C’est le cas en Italie, avec un gouvernement « technico-politique » d’« unité nationale » autour du « sauveur » Draghi, éminent représentant du grand capital italien et des instances de direction de l’UE, soutenu par un éventail qui va de l’extrême droite de Salvini au Movimento 5 Estelle, au Partito Democratico et à des secteurs de la « gauche » (LEU). Il s’agit d’un gouvernement formé pour prévenir l’instabilité en Italie et pour empêcher que celle-ci n’atteigne le centre de l’UE. Mais paradoxalement, sa constitution reflète une grande instabilité politique et institutionnelle en toile de fond, qui refera surface avec le développement de la crise et le déploiement des mesures antisociales.
Les récents résultats des élections dans la communauté autonome de Madrid, en Espagne, ont mis à nu l’énorme faiblesse du gouvernement de coalition PSOE-UP qui, avec ses promesses non tenues et son faux « bouclier social » face à la pandémie, a favorisé le vote à droite et le renforcement de l’extrême droite. De son côté, Macron, dont la base sociale s’amenuise, tente de regagner du terrain à droite en favorisant l’islamophobie et les atteintes aux libertés, et en relançant son offensive antisociale, actuellement contre les allocations de chômage et bientôt, à nouveau, avec la réforme des retraites. Cette politique renforce toutefois l’extrême droite (RN) qui aspire à la présidence ; tout en encourageant un large groupe de généraux et d’officiers de réserve qui réclament une plus grande intervention militaire dans une proclamation rageusement chauvine, raciste et islamophobe.
Le cas le plus récent est celui du Portugal où, pour la première fois depuis la révolution d’avril 1974, un parti d’extrême droite, « Chega », a fait irruption sur la scène politique, remportant 12 % des voix aux élections présidentielles du 24 janvier dernier. Dans des endroits comme la Belgique, notamment en Flandre, les partis d’extrême droite sont devenus majoritaires ; et dans une ville francophone comme Liège, l’extrême droite a osé lancer, lors du Premier Mai, la provocation d’appeler ses partisans à « balayer » les immigrés de la ville.
Les actions des gouvernements, tant ceux de la droite traditionnelle que ceux de la « gauche », provoquent le désenchantement des travailleurs, le désespoir des secteurs sociaux les plus précaires sans couverture sociale officielle, l’appauvrissement et la ruine de larges secteurs de petits entrepreneurs et de professionnels. La gauche officielle et la bureaucratie syndicale n’offrent non seulement aucune alternative, mais elles étouffent en outre la combativité des travailleurs par leur politique de conciliation avec les grands capitalistes. Ce faisant, ils permettent à l’extrême droite de prétendre qu’elle a des alternatives, alors que son projet est d’augmenter l’exploitation à des niveaux encore plus barbares et de blâmer les secteurs les plus exploités et opprimés.
La gauche réformiste est en faillite. Il faut construire des partis révolutionnaires.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans les mêmes conditions que lorsque la précédente crise a éclaté, où des partis comme Syriza en Grèce, Podemos en Espagne ou le Bloco de Esquerda au Portugal sont apparus pour de larges secteurs du militantisme et de la population travailleuse comme une véritable alternative de gauche aux vieux partis socialistes ; ils se sont convertis depuis belle lurette en gestionnaires du capital, en alternance avec les partis de droite.
Arrivé au gouvernement en janvier 2015 comme le grand espoir, Syriza a trahi en seulement six mois le peuple grec (qui avait voté massivement contre le mémorandum européen) pour devenir le nouvel homme de main de la Troïka en Grèce. C’est Tsipras qui a mis en œuvre les plans de pillage du pays et les attaques les plus brutales contre les droits et les conditions de vie du peuple grec. Après un certain temps, il a fini par être intégré officieusement dans le cénacle des partis « socialistes » européens.
Le Podemos espagnol, surfant sur le mouvement des indignados de la Journée du 15 mai 2011, a stérilisé ce mouvement en le mettant sur les rails du régime monarchique. Il a sauvé le PSOE de la faillite et il a fini par devenir une force subordonnée au gouvernement Sanchez, qu’il a légitimé et qu’il accompagne dans son discrédit. Après la trahison de Syriza, Podemos est devenu la grande référence internationale de la nouvelle gauche. Cependant, en un temps record, il est parti en vrille. Les récentes élections à Madrid symbolisent son échec, comprenant l’abandon de son leader Pablo Iglesias, désormais sans suiveurs. La successeure qu’il a nommée, la ministre Yolanda Díaz (PCE), s’est empressée de déclarer que la mission de Podemos-UP est de « générer le calme et la tranquillité », et que ce dont il s’agit, c’est de dialoguer et d’aller main dans la main avec Biden, l’UE, l’OIT… « parce que le sens commun de l’époque a changé » (sic). Ils n’ont pas non plus ouvert la bouche face au drame humain de Ceuta.
Le Bloco de Esquerda, qui, avec le PCP, a été décisif pour sauver le PS portugais grâce à la Geringonça (le bricolage d’une coalition électorale), est déjà un parti institutionnalisé et intégré dans le régime portugais, avec une présence au Conseil d’État.
Les Corbynistes britanniques, qui n’ont pas pu, ni voulu, affronter l’appareil bourgeois du Parti travailliste, ont été réduits à un groupe de pression inoffensif au sein du Labour, avec lequel ils sont incapables de rompre.
Le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), bien qu’il ait perdu sa pertinence depuis des années, a été pendant un temps une référence importante de l’« extrême gauche » française et européenne. Il traverse actuellement une crise aiguë de décomposition. Il a été fondé il y a 12 ans par la LCR (la section française du Secrétariat Unifié), qui s’est ensuite dissoute en lui. Ils disaient qu’une « nouvelle époque » s’était ouverte, dans laquelle la révolution socialiste n’était plus à l’ordre du jour ; ce qui impliquait un « nouveau programme », dans lequel la lutte pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière disparaissait au profit de la « radicalisation de la démocratie » ; où le parti léniniste cessait d’avoir un sens et devait être remplacé par un parti d’un nouveau type, qui regrouperait les « anticapitalistes », comme le NPA.
Mais la barbarie sociale, écologique et sanitaire dans laquelle nous entraîne le système impérialiste, et l’exacerbation de la lutte de classes qui l’accompagne, et va s’accentuer, mettent à l’ordre du jour avec une extrême urgence la nécessité d’avancer, au fil des luttes actuelles et des explosions à venir, dans la construction de partis révolutionnaires et d’une internationale révolutionnaire. Des partis et une internationale basés sur la tradition marxiste et soutenus par un programme qui jette un pont entre les demandes les plus urgentes du moment et la lutte pour renverser le capitalisme et ouvrir la voie révolutionnaire vers le socialisme. C’est la tâche à laquelle s’attellent les partis de la Ligue Internationale des Travailleurs (LIT-QI).
Préparons-nous aux prochaines explosions par un programme de sauvetage des travailleurs et des peuples.
Les gouvernements européens s’apprêtent à annoncer la fin imminente de la pandémie. Ils le font alors que la situation en Asie et en Amérique latine est loin d’être maîtrisée et que personne ne peut être sûr que la propagation de nouvelles variantes du virus dans ces régions privées de vaccin ne provoquera le retour de la pandémie. La libération immédiate des brevets sur les vaccins, leur commercialisation à prix coûtant et la vaccination de masse gratuite de la population est une exigence élémentaire face au crime de masse des grands groupes pharmaceutiques et des gouvernements impérialistes. Il est tout aussi essentiel de renforcer les soins de santé publics, ce qui heurte de front les règles constitutives de l’UE, qui prônent la privatisation et l’assujettissement des services publics à la logique du marché.
La période dans laquelle nous sommes entrés est marquée par les licenciements et les fermetures d’entreprises, le chômage structurel, la baisse des salaires, de nouvelles attaques contre les retraites, la santé publique et l’éducation, et de nouveaux records en matière de précarité de l’emploi, de pauvreté, d’expulsions de logement et de dégradation de l’environnement. Cette offensive vise particulièrement la périphérie et les secteurs les plus exploités de notre classe : les immigrés, les femmes et les jeunes ; et elle est étroitement liée à l’exacerbation de la xénophobie, du racisme et du machisme, ainsi qu’aux atteintes aux libertés.
Tout cela met au premier plan la lutte pour le rejet des traités de l’UE, du Pacte de Stabilité et de Croissance, et des réformes et coupes associées aux Fonds de relance. Cela redonne toute son importance à la lutte pour le non-paiement de la dette publique des pays ; contre la précarité et la discrimination, les licenciements et les fermetures d’entreprises ; pour la répartition du travail sans réduction de salaire ; pour une restructuration générale de l’industrie et de l’économie au service des besoins des populations, le plein emploi et un véritable programme de durabilité environnementale.
Un programme qui n’a rien à voir avec la fraude du « capitalisme vert » de l’UE et son Green New Deal. Tout cela exige l’expropriation des grandes entreprises énergétiques, des banques et des secteurs et entreprises stratégiques, leur contrôle démocratique par les travailleurs et le peuple. Cela exige l’expropriation des logements vides aux mains des banques, des fonds d’investissement et des grands propriétaires et avec ça, la construction d’un grand parc de logements publics à loyer social. Rien de tout cela ne sera possible sans rompre avec l’UE, la grande machine de guerre du capital européen contre les services publics, les droits du travail et les droits sociaux.
L’offensive du capital comprend une nouvelle série d’attaques contre les libertés démocratiques, le renforcement de la législation répressive et de l’impunité policière et, plus généralement, le renforcement des tendances autoritaires des États. C’est pourquoi nous devons nous battre pour l’abrogation des lois répressives, pour le châtiment exemplaire des abus de la police, pour la dissolution des organes spéciaux de répression et pour l’élimination des armées professionnelles. Contre ceux-ci, il faut opposer les armées fondées sur le principe démocratique du peuple en armes, les armées de milices volontaires et l’entraînement militaire universel.
Nous devons veiller au respect des droits démocratiques fondamentaux tels que le droit à l’autodétermination nationale des peuples, ce qui est fondamental dans des États comme l’Espagne. Aucune union forcée !
La lutte contre l’extrême droite joue de plus en plus un rôle fondamental. La réponse récente du quartier ouvrier de Vallecas (Madrid) est un magnifique exemple à suivre. L’extrême droite Vox a voulu commencer sa campagne électorale à Madrid en convoquant un rassemblement dans le principal quartier ouvrier et de gauche de Madrid, une provocation en bonne et due forme. La gauche gouvernementale du PSOE et de Podemos a appelé à les « ignorer », c’est-à-dire à ne rien faire, à leur laisser le champ libre et à laisser leur provocation impunie. Pour eux, la réponse se résumait à demander aux gens de voter pour leurs candidats à eux. Cependant, des centaines de militants et de jeunes du quartier, loin de suivre leurs conseils, résistant à la police et faisant face à une forte répression, ont empêché l’événement d’avoir lieu. Peu après a étécélébré le Premier Mai, et la manifestation unitaire du syndicalisme alternatif a organisé à Madrid un dispositif d’autodéfense en collaboration avec la jeunesse antifasciste, pour prévenir toute provocation de l’ultra-droite et y faire face. C’est la voie à suivre et à approfondir, celle de l’organisation de l’autodéfense ouvrière et populaire.
L’UE qui ferme ses portes aux arrivants est la même que celle dont les multinationales pillent les ressources de ces pays et surexploitent ses habitants ; la même que celle dont la population a émigré en masse dans le monde entier pendant les grandes guerres. Nous devons nous opposer frontalement aux politiques de l’UE et de ses gouvernements qui condamnent d’abord des millions de personnes à la misère, puis érigent des frontières et des lois qui les condamnent soit à mourir en Méditerranée lorsqu’ils tentent de fuir la faim, soit à vivre dans des camps de réfugiés surpeuplés qui reproduisent les ghettos d’autres époques. Il faut l’abrogation des lois sur les étrangers et la régularisation des immigrants ; la fermeture des camps et des centres d’internement ; la reconnaissance des droits de nationalité à ceux qui sont nés sur le sol européen, et du droit de refuge à ceux qui fuient les guerres et la mort ; et la dissolution de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). Native ou étrangère, une seule classe ouvrière !
L’UE est un instrument des grandes puissances européennes pour défendre leurs intérêts économiques et géopolitiques dans le monde. C’est pourquoi nous exigeons le retrait de tous les détachements militaires européens d’Afrique, du Liban et d’Asie, la dissolution de l’OTAN et le démantèlement des bases américaines en Europe.
Dans les prochains temps, l’aggravation de la crise va remettre à l’agenda, avec une force particulière dans la périphérie, la nécessité de rompre avec l’UE et l’Euro. La bataille pour vaincre les plans du capital est une lutte conjointe contre nos propres gouvernements et contre l’UE, car les deux forment un paquet inséparable, impérialiste, anti-ouvrier et anti-populaire.
La bataille pour les revendications, contre les gouvernements et l’UE, exige d’ouvrir la perspective stratégique de la lutte pour mettre en avant des gouvernements ouvriers soutenus par des organisations de base, démocratiques et de lutte. Des gouvernements qui seront le premier acte de la bataille pour une Europe des travailleurs et des peuples, pour une union libre et volontaire dans des États Unis socialistes d’Europe. Cela reste l’axe stratégique de tout programme révolutionnaire dans chaque pays de l’UE et au-delà, pour le Belarus, l’Ukraine et la Russie.
Organisons-nous pour lutter pour une issue ouvrière et démocratique
face à la dégénérescence capitaliste !
Pour une Europe socialiste des travailleurs et des peuples !
Les organisations européennes de la Ligue Internationale des Travailleurs (LIT-QI) :
PdAC (Partito di Alternativa Comunista), Italie
Corriente Roja, Espagne
Em Luta, Portugal
ISL (International Socialist League), Royaume-Uni
LCT/CWB (Ligue communiste des travailleurs), Belgique
POI (Parti Ouvrier Internationaliste), Russie