Le 17 décembre 2024
Le 8 décembre, la dictature des El-Assad a été renversée par une révolution démocratique et populaire. Les deux principaux piliers du régime (l’armée et les services de répression et de torture, appelés mukhabarat en arabe) ont été dissous, et le dictateur ainsi que les principaux chefs militaires ont fui le pays.
La dictature a perdu sa base sociale en maintenant un régime totalitaire et en soumettant 90 % de la population à la pauvreté. Depuis 2011, plus d’un demi-million de Syriens ont été tués par la dictature et environ 200 000 sont portés disparus dans le vaste système carcéral du régime, qui compte 400 centres de détention, de torture et d’extermination.
Dans le même temps, ses principaux soutiens, la Russie et l’Iran, n’étaient pas en mesure d’apporter le même soutien que celui qu’ils avaient apporté au cours des dix dernières années pour massacrer la population du pays.
La révolution a combiné l’action militaire des milices formées dans la province d’Idlib, dirigées par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a commencé le 27 novembre avec environ 20 000 combattants, avec un soulèvement populaire dans le sud du pays et dans l’agglomération de Damas qui a repris les expériences d’auto-organisation dès le début de la révolution. Au cours de la marche vers Damas, des milliers de prisonniers politiques ont été libérés, un mouvement extrêmement populaire qui a marqué l’attachement de la révolution aux libertés démocratiques écrasées par le régime Assad.
Autre mesure démocratique, le respect des « minorités » confessionnelles : chrétiens de diverses obédiences, alaouites et druzes.
À son arrivée dans la capitale, le chef du HTS, Mohammad al-Joulani, a promis des élections libres dans les 18 mois et a nommé M. Al-Bachir premier ministre d’un gouvernement de transition. M. Al-Bachir est ingénieur, membre du HTS et chef du gouvernement de salut national dans la province d’Idlib. M. Al-Bachir a déclaré qu’il créerait un gouvernement basé sur une économie de marché, intégré au marché mondial. Il a également déclaré qu’il nommerait un groupe chargé de préparer la nouvelle constitution du pays.
En outre, le HTS a cherché à normaliser les relations avec les pays impérialistes et les puissances régionales afin de faciliter l’entrée de l’aide humanitaire et d’attirer des capitaux pour la reconstruction du pays sur une base capitaliste. La question du châtiment des généraux et des tortionnaires a été la première crise entre la population et le gouvernement de transition. La population est très mécontente de la fuite des principaux généraux et tortionnaires, ce qui a forcé Al-Joulani à s’engager à les arrêter et à les punir tous.
L’impact de la révolution sur l’ordre régional et mondial
La révolution a eu un impact important sur l’ordre régional et mondial. La révolution a directement affecté les intérêts de l’impérialisme russe et du régime iranien, ainsi que les intérêts d’Israël, des monarchies du Golfe et des impérialismes américain et chinois.
La Russie a perdu un allié et dépend des bases militaires du pays pour ses actions militaires en Afrique (Libye, Soudan et pays francophones). Sa défaite en Syrie encourage la résistance ukrainienne à lutter contre l’agression russe. Actuellement, Poutine négocie avec le HTS le maintien des bases de Hmeimim et de Tartous, un accord impopulaire qui intéresse le HTS. Les forces iraniennes ont dû fuir le pays et sont détestées par la population syrienne.
L’État d’Israël a perdu sa frontière la plus sûre. Pendant 50 ans, la dynastie Assad a empêché toute action contre les forces israéliennes sur le plateau du Golan. Le maintien de la dictature Assad était stratégique pour les sionistes, car Assad prenait ses distances avec le régime iranien et le Hezbollah afin de se rapprocher des monarchies du Golfe et d’alléger les sanctions économiques.
Mais aujourd’hui, avec la chute d’El Assad, les médias israéliens affirment que plus de 80 % des armes, navires, missiles, avions et autres fournitures militaires de la Syrie ont été endommagés ou détruits par eux. Israël a avancé en territoire syrien et a bombardé 500 cibles militaires et de renseignement syriennes.
Une fois de plus, nous constatons qu’Israël envahit un pays souverain avec l’appui des puissances occidentales, ce qui a été dénoncé par des représentants de l’ONU. Israël a également pris le contrôle de la zone démilitarisée établie en 1974. Il s’est emparé du reste du plateau du Golan, en particulier du stratégique Mont Hermon, ce qui indique son intention de renforcer son hégémonie stratégique dans la région.
Contrairement à ce que prétendent certains secteurs de la gauche réformiste et/ou stalinienne, la révolution syrienne a renforcé la résistance palestinienne en mettant fin à un régime qui emprisonnait et éliminait les Palestiniens. Près de 700 Palestiniens ont été libérés de la prison de Sednay, 63 du Hamas, dont un chef des brigades al-Qassam). En outre, ils ont sécurisé la frontière avec les sionistes. La révolution syrienne sert d’exemple à d’autres peuples du monde arabe. Une nouvelle vague de révolutions arabes qui renversent les régimes arabes alliés d’Israël élargit les conditions d’une victoire de la résistance palestinienne contre Israël. La route vers Al-Quds (Jérusalem) commence à Damas, au Caire, à Beyrouth et à Amman.
Les monarchies du Golfe, à l’exception du Qatar, s’étaient engagées à intégrer le régime d’Assad dans la Ligue arabe. Avec la chute d’Assad, elles cherchent à se rapprocher du HTS. Leur principale préoccupation est d’empêcher une nouvelle vague de révolutions démocratiques dans le monde arabe.
Depuis dix ans, l’impérialisme américain a investi dans une alliance avec la milice SDF dirigée par le parti kurde PYD pour contrôler 27 % du territoire syrien dans le nord-est du pays. Les SDF ont maintenu un accord tacite de non-agression avec la dictature d’Assad. Sur ce territoire, il y a des terres fertiles et de la prospection pétrolière et gazière. Cette présence garantit aux Américains une position de force dans toute discussion sur l’avenir de la Syrie. Ils craignent également une nouvelle vague de révolutions démocratiques qui pourraient menacer les régimes arabes et la quasi-totalité de leurs alliés.
L’impérialisme chinois prévoit d’intégrer la Syrie dans la BRI (la « nouvelle route de la soie ») et donc dans l’économie chinoise. Ces projets devront être revus et négociés avec le gouvernement de transition.
L’UE, pour sa part, a agi rapidement en suspendant, avec effet immédiat, toutes les demandes d’asile des réfugiés syriens. Nous exigeons qu’aucun Syrien ne soit expulsé de force vers la Syrie. C’est le droit des réfugiés en Europe de décider s’ils veulent ou non retourner en Syrie et nous continuerons à nous battre pour la reconnaissance de leurs droits du travail, politiques et sociaux sur le territoire européen.
Le régime turc veut imposer son agenda contre la révolution
Le régime turc est la puissance régionale qui a bénéficié de la chute d’Assad. Erdogan a donné le feu vert à l’avancée du HTS dans les campagnes de la province d’Alep, mais il ne s’attendait pas à la prise d’Alep et de Hama et ne l’a pas soutenue. Après la prise de Hama, il a soutenu l’avancée du HTS vers la capitale syrienne. Il a profité de l’offensive du HTS pour s’emparer des villes stratégiques de Tel al-Rifaat et de Manbij avec ses milices alliées de l’Armée nationale (Jaish al-Watani), chassant les milices des SDF, ce qui a provoqué la fuite de milliers de familles kurdes qui se trouvaient dans les territoires désormais contrôlés par l’Armée nationale. Erdogan espère occuper toute la bande frontalière et empêcher militairement la formation de toute autorité autonome kurde au Rojava. Ces actions vont à l’encontre des objectifs de la révolution, de la lutte contre l’oppression sectaire ou nationale et de la présence de troupes étrangères.
Le régime turc est devenu le principal pont entre le gouvernement de transition et l’impérialisme et espère exploiter la reconstruction de la Syrie au profit du capital turc.
Les actions des entreprises turques de construction et de ciment ont augmenté après l’annonce de la chute d’Assad, montrant que plusieurs entreprises turques espèrent jouer un rôle stratégique dans la reconstruction
Enfin, le régime turc, à l’instar des Européens, envisage de renvoyer une partie des 3 millions de réfugiés syriens en Syrie.
Aucune confiance dans le HTS ! Promouvoir les conseils populaires et les organisations ouvrières indépendantes
La révolution syrienne a déjà obtenu des libertés démocratiques très importantes, telles que la libération de milliers de prisonniers politiques, le retour des réfugiés dans leurs foyers et la liberté d’expression.
Le HTS a joué un rôle négatif au début de la révolution syrienne en essayant de transformer la révolution démocratique en une guerre sectaire. Par la suite, il a commencé à administrer la province d’Idlib sur une base capitaliste, en cooptant et/ou en réprimant d’autres forces, et sans élections libres.
Le maintien des libertés déjà acquises dépend de l’organisation indépendante de la classe laborieuse et des pauvres au sein de conseils populaires, de syndicats, d’associations étudiantes, d’organisations de défense des droits humains et des droits de la femme, entre autres.
Ces organisations doivent lutter pour les revendications populaires, à commencer par la formation de tribunaux populaires chargés de punir les généraux et les tortionnaires, et la formation de commissions des droits humains chargées d’enquêter sur toutes les archives militaires et sur les 18 services de répression et de torture.
Il est également nécessaire de lutter pour des élections libres pour une Assemblée nationale constituante dans les trois mois, pour rédiger la nouvelle constitution et prendre le pouvoir, et pour établir la subordination de toutes les milices aux conseils populaires.
Le gouvernement de transition propose de reconstruire l’économie sur une base capitaliste, en attirant des capitaux étrangers, ce qui mettra les richesses du pays entre les mains d’une demi-douzaine de millionnaires associés à des sociétés étrangères. Notre proposition est de nationaliser les biens des millionnaires comme Rami Makhlouf et de placer les grandes entreprises sous le contrôle des travailleurs pour répondre aux besoins du peuple. En outre, une politique de réforme agraire est nécessaire pour accroître la production de denrées alimentaires bon marché pour l’ensemble de la population.
Révolution et contre-révolution au Moyen-Orient
La question syrienne dépasse depuis longtemps le problème de la dictature. Aujourd’hui, la Syrie est l’une des zones de conflit international-régional et ce pays est confronté à un réel danger de destruction et de division du fait des interventions des différentes puissances mondiales et régionales qui cherchent à créer un nouveau statu quo ou à consolider leur position dans la région. Il est clair que les grandes puissances telles que les États-Unis et la Russie, ainsi que les puissances régionales telles qu’Israël, l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, veulent réaliser leurs projets d’une manière qui n’aboutira qu’à une oppression plus forte, à l’exploitation et à la violence sanglante. Des conflits sectaires pour les peuples de la région.
La seule façon d’éviter ce danger est de miser sur une nouvelle vague de révolutions dans toute la région.
La Palestine est au centre de l’attention mondiale. L’État d’Israël mène un génocide dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, avec un processus de nettoyage ethnique (expulsion de la population palestinienne de ses maisons et de ses terres) et des massacres quotidiens.
La déclaration d’Al-Joulani, chef de la milice HTS, selon laquelle il respecte l’accord de cessez-le-feu sur le plateau du Golan, signé par le dictateur syrien Hafez el-Assad en 1974, et qu’il ne permettra pas à la Syrie de devenir une plate-forme pour des attaques contre Israël est inacceptable, et pas seulement parce que le peuple palestinien et le peuple syrien sont frères dans la lutte contre l’impérialisme et l’oppression.
Elle est inacceptable parce qu’elle indique une stratégie de reconstruction de la Syrie en alliance avec les impérialismes américain, européen, russe et chinois, en alliance avec les monarchies du Golfe et le régime turc, et en « paix » avec Israël. Cette stratégie conduira la Syrie à sa division et à sa soumission aux intérêts impérialistes. Pour défendre les intérêts des travailleurs syriens en termes de liberté et de justice sociale, il est nécessaire de s’allier avec les peuples opprimés et, en premier lieu, avec le peuple palestinien.
Nous exigeons qu’Al-Joulani se prononce contre l’agression israélienne contre la Syrie et le Liban, pour le retrait des troupes israéliennes du plateau du Golan, mais aussi qu’il fasse preuve d’une solidarité inconditionnelle avec le peuple palestinien, en appelant à la fin du génocide à Gaza et en Cisjordanie et à une Palestine libre, du fleuve à la mer. C’est le moins qu’Al-Joulani puisse faire.
Ensuite, il y a la question des Kurdes. Les Kurdes sont une nationalité opprimée et représentent 10 % de la population du pays. Actuellement, les milices de l’Armée nationale, alliées au régime turc, chassent les milices kurdes du SDF et assiègent le Rojava. Al-Joulani et le gouvernement de transition du HTS restent silencieux. Il est nécessaire d’exiger le retrait des troupes turques de tout le territoire syrien et la fin des attaques de l’Armée nationale. Le droit à l’autodétermination du peuple kurde du Rojava doit être garanti, afin qu’il puisse décider de son avenir démocratiquement, sans ingérence du régime turc et avec une grande liberté partisane. Mais ce n’est pas en s’alliant avec les États-Unis, comme le fait sa direction politico-militaire, le PYD/SDF, que les Kurdes obtiendront leur droit à l’autodétermination en tant que peuple.
Le retrait de toutes les troupes étrangères (Israël, États-Unis et Turquie) et la récupération des bases militaires russes sur la côte sont décisifs pour l’avenir de la Syrie et la libération de toute la région.
Afin d’expulser les forces impérialistes du pays et de la région, il est nécessaire d’appeler à une nouvelle vague de révolutions contre les dictatures arabes, toutes alliées à l’impérialisme.
La situation au Moyen-Orient exige que chaque avancée soit suivie d’une autre. Il n’y a pas de paix possible avec l’impérialisme, avec Israël ou avec les régimes réactionnaires.
Construire un parti révolutionnaire
Pour réaliser la révolution, nous avons besoin d’un nouveau parti révolutionnaire, totalement différent du HTS, ouvrier, socialiste et internationaliste.
Les trois factions du Parti communiste syrien (Youssef, Bakdash et Jamil), qui sont les principaux partis de gauche, ont trahi la révolution en s’alliant à la dictature d’Assad depuis 1974, et sont méprisées par la population laborieuse syrienne.
Le nouveau parti révolutionnaire devra être construit dans la chaleur de la révolution pour influencer la direction du pays et lutter pour le pouvoir des travailleurs, vers une Syrie socialiste faisant partie d’une fédération de pays arabes socialistes.