ven Mar 07, 2025
vendredi, mars 7, 2025

Déclaration de la LIT-QI en soutien aux protestations en Iran

On en est au troisième mois de manifestations et de mobilisations massives en Iran. Cette vague de luttes a mobilisé massivement trois grandes forces sociales : les femmes, les jeunes et les nationalités opprimées ; et elle a mis en crise le régime capitaliste islamiste. La profondeur de la mobilisation est la plus grande des cinq dernières années, tout comme le degré de répression à son encontre. Le régime dictatorial de Khomeini a 40 ans, et aujourd’hui, une nouvelle génération se lève contre lui, réclamant son droit à avoir un avenir où les libertés démocratiques, le bien-être social et les droits économiques sont garantis.

Secrétariat international de la Ligue Internationale des Travailleurs – QI
4 décembre 2022

La LIT-QI soutient activement le droit du peuple iranien à renverser son gouvernement, à prendre son destin en main, sans intervention gouvernementale étrangère, et à mener sa révolution jusqu’au bout pour garantir les bases matérielles et sociales de sa liberté. C’est pourquoi nous soutenons la lutte en cours et sommes solidaires avec elle.

Face à la répression croissante du gouvernement, les manifestants changent de tactique.

Plusieurs rapports d’organisations internationales font état de l’ampleur de la répression exercée par le régime contre les manifestants. Dans les zones kurdes, au moins 80 manifestants ont été tués dans l’ouest de l’Iran, et l’agence de presse Human Rights Activists News Agency (HRANA – avec siège à l’étranger) dénombre un total de 419 morts. [1] Plusieurs médias rapportent que 15 mille manifestants ont été arrêtés, que la torture est pratiquée dans les prisons, et que le régime a déjà prononcé trois condamnations à mort de militants sous l’accusation de moharebeh (guerre contre Dieu). En outre, The Economist rapporte que des colonnes de véhicules blindés du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (IRGC) sont « entrées dans des villes comme Mahabad et Javanroud, dans le nord-ouest kurde de l’Iran, tirant avec des mitrailleuses sur les manifestants » et que « des hélicoptères les ont survolés (…) ainsi que des drones émettant des chants martiaux. ».[2] La répression la plus sévère a lieu dans les zones kurdes avec des tirs à balles réelles sur les masses, mais d’autres nationalités opprimées, comme les Baloutches dans le sud-est et les Arabes (majoritairement sunnites) dans le sud, souffrent également.

En raison de la répression, les manifestants changent de tactique, passant des rassemblements de masse, au cours desquels l’IRGC tire sur la foule, aux manifestations spontanées de type « flash mob ». Les manifestants mettent le feu à des symboles de l’État iranien, tels que des commissariats de police et même la maison ancestrale de Khomeini, devenue un musée d’État. De nombreuses vidéos sur les médias sociaux montrent des centaines de manifestations quotidiennes avec des chants contre le régime et pour les droits des femmes, comme « le pervers c’est toi, la femme libre c’est moi » dans les stations de métro de Téhéran.

Der Spiegel cite un militant qui explique : « Nous crions depuis les fenêtres, même si les forces de sécurité ouvrent le feu plus souvent. Nous boycottons les entreprises qui font de la publicité à la télévision d’État. Nous utilisons de l’argent liquide plutôt que des cartes de crédit, pour collecter de l’argent pour les personnes dans les zones kurdes. Il est difficile de leur apporter de l’aide, mais certaines personnes essaient. Quand on traverse les rues, on fait le signe V pour victoire. Nous pleurons jusqu’à nous endormir, et nous nous réveillons avec un nouvel espoir. » [3]

Dans les zones kurdes, des manuels de combat de rue ont commencé à circuler parmi les militants pour assurer l’autodéfense contre la répression de l’État, et au moins 60 soldats et policiers iraniens ont été tués par des manifestants. The Economist rapporte également que « les partisans du Parti de la Vie libre du Kurdistan (pjak), basé dans l’Irak voisin, affirment qu’ils font passer clandestinement des armes et des équipements de protection en Iran à travers les montagnes ».[4]

L’agitation ouvrière se poursuit

Les grèves se poursuivent dans tout le pays et sont en augmentation, avec une mobilisation syndicale continue combinée à la résistance désormais armée des Kurdes et aux protestations généralisées des femmes et des jeunes. Les petits commerçants sont régulièrement en grève depuis le début du mouvement. [5] Fin novembre, les chauffeurs routiers ont rejoint les manifestations et constituent désormais l’avant-garde de la résistance ouvrière au régime. Ils se sont mis en grève dans plusieurs villes comme Ispahan, Bandar Abbas, Qazvin et Kermanshah, en soutien aux grèves d’autres travailleurs industriels. [6] Cette dernière grève a débuté le 26 novembre, lorsque les camionneurs ont appelé à une grève de 10 jours, portant un coup majeur au régime.

En outre, Iran International, l’un des médias d’opposition en Iran, rapporte que « de nombreux travailleurs des usines sidérurgiques et automobiles » (telles que Esfahan Steel Company, Alvand SarmaAfarin Incorporation, Morattab Car Manufacturing, Safe Khodro Car Manufacturing Company, Pars Appliances Company de Qazvin) sont en grève. Il note également qu’au cours des dernières semaines, « les travailleurs de dizaines d’unités industrielles, telles que la construction automobile, l’électroménager, les industries lourdes, la pétrochimie, le pétrole, le gaz et la canne à sucre » ont organisé des grèves locales, et que des protestations et la répression du gouvernement ont eu lieu dans plus de 140 universités. [7]

La crise du régime s’aggrave

L’IRGC fonctionne comme une caste économique qui contrôle les secteurs clés de l’économie, un peu comme les militaires en Égypte. Der Spiegel explique qu’il « contrôle des pans entiers de l’économie : aéroports, terminaux pétroliers, hôpitaux et universités ». [8] Cette élite nationale corrompue est désormais détestée par tous les travailleurs iraniens, surtout dans le contexte actuel d’inflation galopante. Le gouvernement iranien sert les intérêts d’un système d’exploitation capitaliste en Iran. Les classes dirigeantes sont désireuses d’obtenir des investissements impérialistes suffisants pour développer davantage l’économie nationale, mais elles n’y parviennent pas. Leur projet est affaibli par les sanctions des États-Unis et de l’Union européenne et elles cherchent donc désespérément à garder une main de fer sur la main-d’œuvre, ainsi que sur les pauvres et les nationalités opprimées, par le biais d’idéologies réactionnaires.

L’aggravation de la crise du régime s’est manifestée lors de la Coupe du monde au Qatar, pour laquelle le régime a orchestré une forte campagne médiatique. Tout d’abord, bien qu’ils aient été photographiés souriants avec les principaux dirigeants du régime, les joueurs de l’équipe d’Iran ont refusé de chanter l’hymne national. C’était le résultat d’une énorme pression populaire contre leur manifestation diversifiée de soutien public au régime meurtrier. En outre, de nombreux supporters de football iraniens ont boycotté le match pour s’opposer au régime, et beaucoup avaient l’intention de porter des drapeaux et des banderoles en soutien aux protestations, mais la police qatarie leur a interdit de le faire. Lorsque, lors des matchs suivants, l’équipe iranienne a chanté l’hymne, il est apparu clairement à tous que c’était parce que le régime avait menacé la vie de leurs familles. [9] Cependant, la manifestation la plus incroyable de la crise a été le spectacle d’Iraniens soutenant publiquement la défaite de leur propre équipe, comme un moyen indirect d’humilier le régime. Le 29 novembre, lorsque l’Iran a perdu contre les États-Unis (une équipe profondément détestée en Iran en raison des sanctions désastreuses que Washington a imposées au pays, des sanctions qui nuisent aux travailleurs), le pays s’est mis à applaudir bruyamment et à faire la fête dans la rue. C’est dans ce contexte, en célébrant la défaite de leur équipe nationale, que Mehra Samak, un Iranien de 27 ans, a été abattu par le régime. [10]

Toutefois, le régime, dirigé par le président Ebrahim Raisi, n’est plus sans failles. Des fissures s’ouvrent et pourraient s’élargir. Les médias officiels iraniens citent désormais publiquement les voix dissidentes qui ont proposé un référendum sur le futur type de gouvernement. Des voix suggérant des élections pour détourner les mobilisations populaires sont également citées. Certains analystes spéculent ouvertement sur le fait que « l’IRGC pourrait renoncer à certaines exigences islamistes, telles que le port du voile par les femmes, en échange de son maintien au pouvoir ». [11] Selon certaines informations, les Guidance Patrols (police de l’hijab) pourraient être dissoutes, ce qui constituerait une formidable victoire pour le mouvement. En fait, de nombreux rapports indiquent que de plus en plus de femmes ne portent aucun voile dans la rue. Il s’agit de femmes de différentes générations, vivant dans des zones urbaines et rurales, et dans toutes les régions du pays. Les femmes affirment leurs droits dans l’action, collectivement, en se protégeant mutuellement dans la rue et en se signalant mutuellement leur engagement en faveur de la libération.

b

Aujourd’hui, les manifestants en Iran n’expriment pas seulement leurs revendications autour des droits des femmes ou des demandes économiques. Les manifestations se sont unifiées autour de l’exigence de la fin du régime. Pour qu’un véritable changement social ait lieu, le régime islamique doit être renversé par le peuple iranien, et seulement par lui. Le succès de la poussée révolutionnaire actuelle dépend de la capacité à coordonner la résistance à l’échelle nationale, du développement des méthodes d’autodéfense de la classe ouvrière et de l’émergence d’une direction ouvrière indépendante. La clé de ce processus est le rôle que le prolétariat industriel peut jouer dans l’organisation d’une grève générale qui pourrait paralyser complètement le pays et couper les profits qui alimentent la manne de l’IRGC. Toutes les grèves en cours doivent donc être pleinement soutenues, étendues à d’autres secteurs et à d’autres zones géographiques et doivent également être unifiées à l’échelle nationale pour renverser le régime.

Le régime iranien est aujourd’hui un allié de Poutine et fournit des armes (notamment des drones et des missiles) pour écraser la résistance ukrainienne. Une victoire du peuple iranien contre Raisi et Khomeini, avec une affirmation retentissante des droits démocratiques, notamment des droits des femmes et des nationalités opprimées, isolerait davantage Poutine et galvaniserait la résistance ukrainienne.

En tant que socialistes, nous nous opposons aux récits véhiculés par les courants néo-staliniens qui s’alignent sur le régime iranien et qualifient ces protestations d’instiguées par des « agents étrangers » afin de les discréditer. Ces récits ne font que renforcer les régimes meurtriers de Raisi, Assad et Poutine qui camouflent leurs intérêts capitalistes et justifient la répression sanglante des travailleurs sous une rhétorique « anti-impérialiste » fausse et vide.

Nous pensons que le régime actuel en Iran doit être remplacé par un gouvernement de la classe ouvrière. Seul un gouvernement construit et dirigé par les travailleurs, les agriculteurs et les nationalités opprimées peut mettre le contrôle de l’ensemble de l’économie entre les mains des travailleurs pour construire une société sans exploitation, avec des soins de santé et une éducation gratuits, et garantir tous les droits démocratiques, y compris le droit de sécession pour les minorités opprimées, et la pleine égalité pour les femmes et les communautés LGTBQ.

Dans le monde entier, nous devons exiger la libération immédiate des plus de 15 mille prisonniers politiques et la fin des sanctions étasuniennes et européennes qui abaissent le niveau de vie des Iraniens. Nous devons nous joindre aux protestations et aux manifestations de solidarité. Les travailleurs du monde entier doivent apporter leur solidarité matérielle à ceux qui luttent en Iran, amplifier la voix des travailleurs qui mènent les luttes et soutenir leur combat contre le régime sanguinaire, en mobilisant leurs syndicats, leurs organisations étudiantes et communautaires pour qu’ils se joignent aux actions et campagnes de solidarité.

___________________

[1] https://www.bbc.com/news/world-middle-east-63703239

[2] https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2022/11/24/while-irans-turmoil-persists-jitters-spread-through-the-region

[3] https://www.spiegel.de/international/world/the-regime-s-legitimacy-is-eroding-iran-protests-continue-despite-brutal-repression-a-e17fc90d-7ddd-4e55-8df7-35bbc526bd00?sara_ecid=soci_upd_KsBF0AFjflf0DZCxpPYDCQgO1dEMph

[4] https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2022/11/24/while-irans-turmoil-persists-jitters-spread-through-the-region

[5] https://www.wsj.com/articles/iran-hands-out-more-death-sentences-to-protesters-11668611590?mod=Searchresults_pos1&page=1

[6] https://www.iranintl.com/en/202211273755

[7] https://www.iranintl.com/en/202211273755

[8] https://www.spiegel.de/international/world/the-regime-s-legitimacy-is-eroding-iran-protests-continue-despite-brutal-repression-a-e17fc90d-7ddd-4e55-8df7-35bbc526bd00?sara_ecid=soci_upd_KsBF0AFjflf0DZCxpPYDCQgO1dEMph

[9] https://www.cnn.com/2022/11/28/football/iran-soccer-family-threats-intl-spt/index.html

[10] https://www.publico.pt/2022/11/30/mundo/noticia/mehra-samak-27-anos-morto-carro-apitou-celebrar-derrota-irao-2029824

[11] https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2022/11/24/while-irans-turmoil-persists-jitters-spread-through-the-region

Ces articles peuvent vous intéresser

Découvrez d'autres balises

Artigos mais populares