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lundi, décembre 16, 2024

CHILI: Récupérer le cuivre, le lithium et l’eau et faire en sorte que la nouvelle Constitution les intègre comme des droits.

Faisons une grande campagne

Le 18 octobre 2019 a rendu évident le mécontentement de la majorité de la population de notre pays face à l’absence de droits sociaux, à la cherté de la vie et à la crise environnementale. Alors que la majorité de la population vit dans la pauvreté ou dans l’endettement, quelques multimillionnaires amassent d’immenses fortunes, qui se transmettent de génération en génération parmi leurs descendants.

Le Chili n’est pas un pays pauvre. Le territoire chilien possède une énorme quantité de biens naturels, qui sont transformés par les êtres humains en marchandises et vendus sur le marché, générant d’énormes ressources économiques. Ces ressources, cependant, dans le mode de production capitaliste, ne sont pas utilisées pour résoudre les problèmes du peuple, et elles s’accumulent dans les mains de quelques familles chiliennes et étrangères. En outre, l’exploitation irrationnelle de ces biens entraîne des dommages toujours plus importants pour la nature.

Le cuivre a été la principale richesse du pays au cours du siècle dernier. Salvador Allende appelait ce minerai « le salaire du Chili ». Aujourd’hui, environ 50 % des exportations du Chili sont constituées de cuivre. Nous sommes le principal producteur mondial et possédons les plus grandes réserves. Ce minéral est l’un des biens naturels les plus importants pour l’humanité, car il est utilisé dans la construction, les secteurs de l’énergie et de l’automobile, les équipements électriques et électroniques, les ustensiles ménagers et une longue liste d’autres utilisations.

Au cours des dernières décennies, notre pays a été littéralement pillé par de grandes entreprises transnationales et par certaines familles chiliennes. Les calculs les plus prudents parlent d’un pillage (sans compter les bénéfices « normaux » de l’exploitation minière à grande échelle) de plus de 12 milliards de dollars par an[1]. Avec l’argent du cuivre, nous pourrions résoudre une série de problèmes sociaux de notre population, tels que le logement, la santé et l’éducation. Cependant, toutes ces énormes richesses finissent dans les poches de grands hommes d’affaires nord-américains, canadiens, australiens, japonais ou chiliens. Aujourd’hui, plus de 75 % de notre cuivre est aux mains de sociétés privées, pour la plupart étrangères, telles que BHP Billiton, AngloAmerican, Glencore, FreePort et Antofagasta Minerals (groupe Luksic).

Le lithium est également une richesse minérale très importante que possède notre pays. Avec la Bolivie et l’Argentine, nous possédons les plus grandes réserves du monde. Selon les experts internationaux, le lithium deviendra le nouvel « or blanc » du futur, car il est utilisé dans de nombreuses nouvelles technologies, notamment dans les batteries des voitures électriques. Notre lithium est aussi un cadeau de la nature. Le premier bénéficiaire en est Julio Ponce-Lerou, ex-gendre de Pinochet, qui est devenu propriétaire de la SQM (Soquimich) pendant les années de dictature et qui est aujourd’hui le magnat du lithium, partageant son exploitation avec le géant chinois Tianqi. Les États-Unis sont également présents dans l’exploration du lithium, avec la société Albermale.

La récupération du cuivre, du lithium et d’autres ressources minérales devrait être une question centrale dans la nouvelle Constitution et dans les débats politiques et économiques du pays. Cependant, ces dernières décennies, une énorme désinformation a été générée sur cette question, en raison de l’énorme pouvoir et de l’influence des transnationales et des grands hommes d’affaires chiliens. En conséquence, la majorité de la population du pays ne connaît pas l’ampleur de ce pillage, qui a été sciemment effacé du débat public. Cela se reflète également dans les programmes des principaux candidats actuels à la présidence, qui ne proposent pas la récupération de ces biens, condition fondamentale pour résoudre les problèmes des peuples qui habitent ce territoire et garantir la souveraineté nationale.

C’est pourquoi nous voulons lancer une campagne pour la nationalisation, sans indemnisation, des grandes sociétés minières du cuivre et du lithium. Pourquoi proposons-nous que ce soit sans indemnisation ? Parce que ces entreprises ont déjà gagné énormément d’argent au cours des dernières décennies en exploitant des ressources naturelles qui appartiennent à tous les habitants du Chili.

L’eau et le problème écologique

L’exploitation capitaliste du cuivre et du lithium est extrêmement néfaste pour les travailleurs et les travailleuses de ces secteurs, pour les communautés d’habitant.es et pour la nature. Les premiers à subir les dommages de cette exploitation sont les travailleurs, qui ont de longues heures de travail, développent des maladies propres au secteur minier (la plus courante chez les mineurs de cuivre est la silicose) et transmettent la contamination à leur domicile, rendant leurs familles malades elles aussi. Les communautés proches des grands projets miniers sont également touchées par la contamination causée par les résidus et la destruction des rivières et des eaux souterraines, ce qui a privé de nombreuses communautés de l’accès à l’eau. Enfin, la nature subit d’énormes dommages du fait de l’exploitation minière capitaliste à grande échelle : destruction des bassins, des glaciers et des écosystèmes.

C’est pour tout cela que tout projet de nationalisation de ces actifs doit s’accompagner d’une profonde discussion sociale sur la manière de les exploiter, en mettant une limite à l’irrationalité capitaliste et en prenant des mesures pour amortir et réparer l’impact social et écologique. L’une des mesures fondamentales doit être l’annulation de tous les droits d’utilisation de l’eau, qui sont aujourd’hui entre les mains de grands hommes d’affaires, et que les eaux soient gérées par le peuple organisé.

En outre, il est fondamental que nous commencions à discuter de la nécessité de changer la matrice productive du pays, afin que nous soyons moins dépendants de l’exportation de minerai et de produits primaires et que nous puissions investir dans le développement de nouvelles matrices énergétiques, dans la science, la technologie, la production alimentaire et également dans l’industrialisation du pays, en ayant toujours comme priorité d’amortir les impacts environnementaux et de réparer la nature.

Pour le contrôle des travailleurs/ses et du peuple

Lorsque nous parlons de nationaliser le cuivre ou le lithium, nous devons nous demander : voulons-nous que tous ces biens soient exploités par la Codelco[2] de la même manière qu’aujourd’hui ? Notre réponse est définitivement NON !

La Codelco fonctionne comme une entreprise capitaliste. Premièrement, elle détermine son rythme de production en fonction du marché mondial, sans tenir compte des dommages environnementaux et sociaux que provoque l’exploitation minière à grande échelle.  Deuxièmement, la Codelco est gérée comme une entreprise privée. Ses gestionnaires et directeurs sont de grands bourgeois qui font la navette entre le secteur privé et le secteur public. Les postes de direction de l’entreprise sont répartis entre la grande bourgeoisie et ses partis, les partis qui ont administré l’État chilien ces 20 dernières années – L’ex-Concertación et la droite. L’actuel président de l’entreprise, Juan Benavides Feliú, est un grand homme d’affaires du secteur privé, qui a travaillé pour des entreprises telles que Falabella, AFP Habitat, entre autres. Troisièmement, les ressources que produit l’entreprise finissent dans les mains d’un État corrompu qui ne donne pas la priorité au financement des demandes sociales. Ainsi, nous voyons comment l’État subventionne les grands hommes d’affaires de différentes branches alors que des milliers de travailleurs meurent dans les files d’attente des hôpitaux publics.

En outre, cette entreprise publique a été utilisée pour financer les forces armées par le biais de la Loi Réservée sur le cuivre[3]. Ces ressources n’ont servi qu’à acheter des armements et à financer la corruption incontrôlée de l’administration, donnant lieu à des affaires comme le « milicogate »[4]. Quatrièmement, les mines de la Codelco sont presque entièrement aux mains d’entreprises privées : les énormes contractants[5]. Et ici, nous ne parlons pas de PYMES (petites et moyennes entreprises, ndt.) ou de petites coopératives, nous parlons d’entreprises comme l’entreprise de construction Acciona, qui appartient à l’une des familles les plus riches d’Espagne. De grandes entreprises comme Geovita, Zublin, Pizarotti, Maz Errázuriz et d’autres génèrent d’énormes bénéfices pour leurs actionnaires tout en maintenant les travailleurs des entreprises contractantes en dehors du droit du travail et en les soumettant à un harcèlement antisyndical constant. La Codelco est non seulement complice de ce modèle, mais elle le défend et le reproduit.

C’est pourquoi nous disons qu’il ne suffit pas de renationaliser le cuivre et de le confier à la Codelco. Nous devons changer complètement la logique de fonctionnement de l’entreprise publique. La Codelco doit être refondée et l’entreprise publique doit être placée sous le contrôle des travailleurs/ses, avec la participation de toutes les communautés impactées par l’exploitation minière à grande échelle. Nous devons faire de même avec les autres entreprises qui exploitent des actifs minéraux, comme SQM ou Albermale. Cela nous permettrait de récupérer les principales entreprises productrices de richesses de notre pays des mains des grands hommes d’affaires et de leurs partis.

Le contrôle ouvrier et populaire n’est pas une utopie. Au Chili, dans les années 1970, il y a eu de grandes et importantes expériences de contrôle ouvrier qui ont été couronnées de succès, comme dans le cas de Yarur, la principale usine textile du pays à l’époque, qui, après être passée sous contrôle ouvrier, a commencé à donner la priorité à la production pour répondre aux demandes du peuple et non à l’exportation de produits de luxe. Les conditions de vie et de travail de ses travailleurs se sont améliorées qualitativement (salaires, réduction du temps de travail, prestations familiales, etc.) En outre, l’entreprise a commencé à fabriquer une série de machines et d’outils qu’elle devait auparavant importer à un coût énorme.

Nous ne doutons pas que la Codelco et les autres entreprises minières pourraient être gérées par un Conseil ouvrier et populaire des mines, qui remplacerait l’actuel Conseil des mines, où se réunissent les grands patrons qui pillent le pays.

Le contrôle ouvrier et populaire de certaines entreprises ne doit être qu’une étape dans le renforcement d’un mouvement social qui culmine dans un véritable pouvoir ouvrier et populaire, où les travailleurs/ses contrôlent l’État et gèrent les principales entreprises du pays (entreprises énergétiques, ports, banques, etc.), mettant toute cette richesse au service de l’ensemble de la population et planifiant toute l’économie pour mettre fin à la logique capitaliste irrationnelle. De cette façon, nous pourrons établir d’autres relations internationales avec d’autres nations et pays, des relations basées sur la solidarité et la fraternité, sur l’échange équitable, et non sur la subordination de notre pays aux grandes entreprises et aux puissances capitalistes.

Pour une initiative populaire des électeurs

En ce moment, nous voulons matérialiser cette campagne en recueillant des signatures pour une initiative populaire constituante afin de la présenter à la Convention constitutionnelle. Nous devons réunir 15 000 signatures dans 4 régions du Chili pour que cette proposition soit discutée à la Convention. Nous pensons qu’il est possible d’en collecter beaucoup plus et de générer un vaste mouvement social autour de ces exigences.

Les 6 points de cette initiative populaire pour une norme constituante devraient être :

  1. Mettre fin à toutes les concessions de cuivre et de lithium accordées aux grandes entreprises minières privées ; maintenir l’exploration et l’exploitation et des petites et moyennes entreprises minières privées, en donnant la priorité au maintien des écosystèmes et à la non-contamination des communautés ;
  2. Nationaliser les grandes sociétés minières de cuivre et de lithium, sans payer d’indemnités. Dans la nouvelle Constitution, faire de ces actifs minéraux la propriété des peuples qui habitent ce territoire ;
  3. Mettre fin à la sous-traitance dans les entreprises minières et garantir que tous les travailleurs aient les mêmes droits ;
  4. Créer un Conseil ouvrier et populaire des mines, qui aura pour fonction de gérer ces entreprises et leurs ressources. Ce conseil devrait être composé de représentants des travailleurs des mines, des communautés affectées par l’exploitation minière, et de représentants des organisations de la classe ouvrière (syndicats, assemblées territoriales, associations professionnelles, etc 😉
  5. Annuler tous les droits d’utilisation de l’eau. Dans le cas de l’exploitation minière, l’eau doit être gérée de manière rationnelle, en donnant la priorité au maintien des écosystèmes et à la consommation humaine ;
  6. Élaborer des plans quinquennaux pour l’utilisation de l’excédent de la grande exploitation minière, qui donnent la priorité à l’investissement dans la santé, le logement, l’éducation et la restauration de la nature. Ces plans doivent être approuvés par l’ensemble de la population au moyen de référendums contraignants.

Nous invitons tous les travailleurs et toutes les travailleuses, les organisations sociales, les syndicats, les féministes, les écologistes et les jeunes à rejoindre cette campagne. Récupérons le cuivre et le lithium pour financer les droits sociaux dont nous avons besoin ! Récupérons le cuivre et le lithium pour mettre fin à l’exploitation irrationnelle de ces biens naturels et arrêter la destruction de la nature et des écosystèmes !

Signataires :

    MIT– (Mouvement international des travailleurs) (LIT-QI)

María Rivera Iribarren – Députée constituante et leader national du MIT

Edward Gallardo – Leader du Syndicat national interentreprises de l’industrie minière (SIM) et directeur du bulletin La Voz del Minero

Lara Heredia – Trésorière du syndicat des travailleurs d’Upcom

Diego Esteban Guerra González – Président du syndicat de l’entreprise Gualapack Chile Spa

Marcela Olivares – Présidente de l’Association des employé.es de la Corporation de l’assistance judiciaire

 

[1] Département d’Economie de l’Université du Chili (uchile.cl).

[2] Codelco : Corporación Nacional del Cobre  Une entreprise détenue à 100% par l’Etat chilien. Le plus grand producteur de cuivre du monde, avec des réserves estimées pour 200 ans (ndt).

[3] Ley Reservada del Cobre de 1976, qui a établi que 10% des revenus générés par la Codelco serviraient à financer les forces armées, avec un minimum de 90 millions de dollars annuels (ndt).

[4] Milicogate est un cas de corruption au Chili, plus précisément de fraude et de détournement de fonds publics de la Loi Réservée sur le Cuivre, perpétrée par des membres de l’Armée chilienne. Cette affaire a été divulguée par le journal The Clinic en 2015, dans une série de reportages signés par le journaliste Mauricio Weibel (ndt).

[5] Personne ou entreprise qui passe contrat avec l’Etat ou avec une autre personne, pour la fourniture de marchandises ou l’exécution de travaux (ndt).

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