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Brésil: « Comment ça, un vote utile pour le PSTU ? »

Le 21 mai 2022

La semaine dernière, une story (message instantané posté sur Instagram pendant 24 heures) de Rita von Hunty a provoqué une énorme polémique sur les réseaux sociaux. Rita, nom drag queen du jeune enseignant, acteur et Youtubeur Guilherme Lima Pereira, 31 ans, a critiqué l’alliance de Lula avec Alckmin, ainsi que les omissions du programme pétiste sur des questions telles que la réforme du droit du travail. Dans la story, elle termine en recommandant les pré-candidatures de gauche, parmi lesquelles celle de Vera, du PSTU et du Pôle Socialiste Révolutionnaire.

Par Diego Cruz

La story a duré un jour, mais la polémique a persisté toute la semaine. Le PSTU a été parmi les sujets les plus commentés sur Twitter, et Rita a subi un sévère processus d' »effacement ». Ils sont même allés jusqu’à parcourir ses réseaux sociaux et pour la diaboliser, ils ont exhumé un post d’il y a presque 10 ans qui critiquait Dilma. Tout cela pour avoir simplement émis une opinion politique, avec des arguments et des justifications.

La drag queen Rita von Hunty

Dans ce torrent d’attaques, le PSTU n’est évidemment pas apparu au cœur d’une tendance aux commentaires louant sa pré-candidature. Une grande partie des messages a qualifié d' »irresponsable » l’appel au « vote utile » en faveur du PSTU au 1er tour, car, face à l’énorme crise sociale et à la menace d’un coup d’État de Bolsonaro, la priorité devrait être d’élire Lula rapidement. Et ce, malgré Alckmin, ont encore noté beaucoup de personnes.

« Le pays compte 20 millions de personnes qui ont faim et vous jouez les révolutionnaires« , disait l’un des messages sur Facebook. Ce post pourrait bien résumer le sentiment de la plupart des personnes qui ont été indignées par le commentaire de Rita. Ce sont des personnes légitimement préoccupées par la crise profonde dans laquelle le pays est plongé, indignées par les crimes successifs pratiqués par le génocidaire au pouvoir, et qui placent leurs attentes dans la candidature qui apparaît le plus en mesure de battre Bolsonaro.

C’est un désir légitime et compréhensible, mais c’est quand même erroné. Premièrement, l’alternative représentée par Lula-Alckmin, soutenue par le PSOL, ainsi que par des secteurs du centrão[1], le bolsonariste Claudio Castro à Rio, des secteurs du marché financier, du grand capital et de l’agrobusiness, est-elle capable de résoudre les dramatiques problèmes sociaux et économiques auxquels une grande partie de la population est confrontée ? Abordera-t-elle l’inégalité sociale abyssale qui fait qu’aujourd’hui des gens meurent de froid dans les rues, tandis que des files d’attente record se forment pour l’achat de jets par les riches ? Non, ça n’arrivera pas.

L’abrogation de la réforme du travail, responsable de la précarisation massive du travail, ne deviendra pas non plus une réalité avec le ticket Lula-Alckmin. Nous sommes plongés dans une crise capitaliste profonde, avec 45 millions de personnes qui terminent la journée le ventre vide, quelque 92 millions soumis au chômage et au sous-emploi. Si l’on ne s’attaque pas aux inégalités, si l’on ne touche pas aux privilèges, aux profits et aux propriétés des milliardaires et des super-riches, la propagande du PT selon laquelle les gens recommenceront à faire des barbecues le week-end restera de la fiction. Ce n’est pas du « radicalisme », c’est malheureusement la réalité, et peut-être la connaissez-vous et même en convenez-vous.

Voter Lula-Alckmin ne permettra pas de vaincre l’extrême-droite

Il est certain que Lula et Alckmin ne feront pas de grands changements, mais la priorité est de vaincre les putschistes et l’extrême droite et pour cela nous devons élire Lula au premier tour. Vraiment ? Voyons ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis. Joe Biden, élu avec de grands espoirs de vaincre le trumpisme, voit sa popularité s’effondrer. Dans un scénario de crise et d’inflation, les Républicains, désormais totalement sous l’hégémonie de Donald Trump, apparaissent comme les favoris des prochaines élections.

Allons voir plus près de nous, au Chili. Gabriel Boric a été élu avec un large front de partis de gauche et de secteurs bourgeois, avec une proposition de réformes de l’intérieur de l’institutionnalité et du régime. Quelques mois après son investiture, son soutien populaire s’est effondré. Le 17, Boric a décrété l’état d’exception dans les zones mapuches pour réprimer les indigènes qui luttent contre les entreprises du secteur extractif dans leurs régions. Comme au Brésil, la polarisation sociale chilienne a également donné à l’extrême droite une dimension nationale, dans ce cas avec Antonio Kast.

Ici, nous avons une aile d’extrême droite consolidée et organisée, avec un projet déclaré de dictature. Avec une base sociale qui comprend des secteurs des forces armées et de la police militaire, ainsi que des secteurs civils qui sont délibérément armés pour intégrer les milices bolsonaristes. Une fois vaincus en octobre, et acceptant le résultat des sondages, ces gens-là ne vont pas rentrer chez eux pour regarder Netflix. La frustration face à un futur gouvernement Lula-Alckmin renforcera ce qui, pour les masses, apparaît comme étant son antithèse : l’extrême droite. Par conséquent, la simple élimination de Bolsonaro par un vote n’enterrera pas l’extrême droite et ne supprimera pas la menace de coup d’État et de dictature. En perpétuant les conditions sociales qui ont permis l’émergence et le renforcement de ce fléau, celui-ci continuera à nous hanter.

L’extrême droite ne sera vaincue que par la mobilisation et l’organisation de la classe ouvrière, notamment en garantissant son autodéfense, et en mettant fin à la régression, à la décadence et à la barbarie que nous subissons et qui en constituent le terreau.

La nécessité de gagner les consciences

Dire qu’un futur gouvernement Lula-Alckmin subira inévitablement un processus d’usure n’est pas une vue de l’esprit, et encore moins de la futurologie. La crise et la décadence capitalistes sont aujourd’hui bien plus importantes qu’en 2003. Le Brésil est beaucoup plus subordonné à l’impérialisme, et sa régression quant à son insertion dans la division mondiale du travail s’est beaucoup aggravée. Il n’y a rien à l’horizon qui ressemble au super-cycle des matières premières qui avait permis au gouvernement Lula de l’époque de faire des concessions aux secteurs les plus appauvris et les plus vulnérables. Un projet qui choisit, dans le cadre du régime, de gérer cette crise capitaliste se traduira, tôt ou tard, par des attaques contre la classe ouvrière.

La vérité est que nous ne parviendrons pas à en finir avec la faim, les inégalités sociales, le chômage et la précarité, ni avec les menaces qui pèsent sur les libertés démocratiques à travers des élections, qui sont dominées par le pouvoir économique, par ceux qui profitent précisément de ce système. Cela peut sembler étrange pour un parti d’affirmer cela, n’est-ce pas ? Mais le PSTU participe aux élections non pas pour avoir à tout prix des élus, mais pour défendre un projet socialiste, pour chercher à gagner la conscience des travailleurs en faveur de cette stratégie et pour avancer dans l’organisation de la classe.

Il ne s’agit pas seulement d’un vote de protestation, ou simplement de « faire valoir une position ». Il s’agit de renforcer une alternative et une stratégie qui puissent réellement signifier un changement structurel dans ces 500 ans d’exploitation et d’oppression. Et voyez-vous, ce n’est pas une invention du PSTU. Lors des élections de 1982, les premières après le coup d’État de 1964, toujours sous la dictature militaire du gouvernement Figueiredo, le PT a participé aux élections avec l’objectif de diffuser un programme classiste et de faire progresser l’organisation indépendante des travailleurs. Et c’est pour cette raison même qu’il n’avait pas préconisé un « vote utile » pour une quelconque candidature bourgeoise progressiste et démocratique pour « vaincre » la dictature. Lula, par exemple, savait qu’il n’aurait aucune chance d’être élu gouverneur de São Paulo (il a terminé en quatrième position), mais il s’est présenté pour défendre ce projet.

Comme le disait un tract du PT de janvier 1982, « notre objectif n’est pas seulement de gagner des voix, mais il est avant tout de servir à l’organisation politique des travailleurs. Pour le PT, les élections sont un outil pour faire avancer et grandir la mobilisation et l’organisation du peuple. Elles sont un pas de plus sur le long chemin de notre libération. Les travailleurs votent pour les travailleurs. Pour gagner les élections, il faut voter pour le PT« . La participation du PT aux élections était fondamentale pour consolider le parti et surtout pour renforcer le classisme, c’est-à-dire l’idée que les travailleurs ne seront libérés que par leur propre lutte. Bien que le PT en tant que parti n’ait jamais eu le socialisme comme stratégie, il a été progressiste car il s’est confronté à la tradition de la gauche de l’époque, principalement du PCB, encline à des fronts avec des secteurs de la bourgeoisie,

Depuis lors, le PT s’est adapté et intégré complètement à l’institutionnalité et au régime. Les gouvernements du PT, pour leur part, ont représenté une énorme régression de cette conscience de classe, en méséduquant les travailleurs et les jeunes, en leur faisant croire que leurs intérêts sont les mêmes que ceux des patrons, et que pour améliorer leur vie, il suffit de voter pour eux. Et c’est pourquoi, aujourd’hui, de nombreux jeunes et travailleurs qui veulent vraiment vaincre Bolsonaro et la crise ne voient que l’acte de voter comme seule issue. Et dans ce cadre, ils voient tout au plus l’alliance avec Alckmin et la droite comme un moindre mal.

Vote utile

La pré-candidature de Vera à la présidence vise à défendre une alternative révolutionnaire et socialiste à la crise du capitalisme, et à chercher à gagner la conscience de la classe ouvrière, de la jeunesse et des pauvres à ce projet. Elle soutiendra que les changements ne viendront que par la lutte et l’organisation de la classe, et non en gouvernant avec les grands patrons, les multinationales, les banquiers et les grands propriétaires terriens, mais contre eux. En expropriant les milliardaires et les grandes entreprises au profit des travailleurs et de la majorité de la population. Elle dira aux travailleurs qu’ils ne doivent pas faire confiance aux leaders populistes ou aux candidats dictateurs, mais qu’ils doivent prendre leur destin en main et se gouverner eux-mêmes.

L’utopie, c’est de croire que, dans le cadre du système capitaliste et de ce régime des riches, on va résoudre la faim, la pauvreté, le chômage et la misère. De penser que, dans un éclair de conscience altruiste, l’impérialisme, l’agrobusiness, les banquiers et les grandes entreprises accepteront de renoncer à une partie de leurs profits et de leurs propriétés pour réduire les inégalités. Ils ne le feront pas, précisément parce qu’ils en dépendent.

Le PSTU est trop petit, affirment-ils. Oui, malheureusement nous sommes encore petits face à ce défi. Mais nous avons la responsabilité de défendre cette alternative révolutionnaire et socialiste, car nous savons que sans elle, la classe ouvrière restera l’otage de la bourgeoisie et de l’impérialisme. Il ne servirait à rien que nous soyons plus grands et que nous nous positionnions comme un petit auxiliaire d’une candidature, d’un programme et d’un projet qui perpétue ce système. Et croyez-nous, parler de socialisme aujourd’hui, alors que nous en sommes à un tel niveau de misère et de chaos social, cela n’a rien de difficile.

Pour défendre cette alternative, nous allons effectivement demander des voix et nous battre pour les obtenir. Chacune de ces voix sera une brique de plus dans la construction et le renforcement de ce projet. Voter « utile », donc, pour ceux qui veulent vraiment changer ce pays, et jeter Bolsonaro et le bolsonarisme dans les poubelles de l’histoire, c’est voter pour le socialisme et la révolution.

[1] Centrão. Une réalité politique difficile à traduire en français. Littéralement, il s’agit du « grand centre » de l’échiquier politique. On utilise ce terme pour décrire des partis politiques et politiciens bourgeois sans idéologie bien définie, mais qui cherchent à se rapprocher du pouvoir exécutif pour en tirer des avantages matériels, arroser leurs réseaux clientélistes, etc.

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