Jeudi 10 février dernier le monde enseignant wallon manifestait à Bruxelles, puis le 29 mars dernier à Mons. Quelques 10 000 travailleurs et représentants, enseignants.es, personnels administratifs et ouvriers en colère, venus de tout le sud du pays, battirent le pavé de la capitale quatre heures durant, sous la pluie. Étaient également présents des délégations d’enseignants venus de Flandre, en solidarité. Au moins autant d’enseignants qui n’avaient pas fait le déplacement s’étaient déclaré en grève, suivant le préavis déposé en front commun par les trois organisations syndicales. Un front commun qui trahit une lassitude et une exaspération qui ne peut plus se contenir dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Malgré la bonne humeur générale dans le cortège, constitué de groupes parfois importants de collègues, dont certains faisaient leur première manif, les témoignages recueillis ne laissent la place à aucun doute : le ras-le-bol est général.
Par: Ligue Communiste des Travailleurs, section de la LIT-QI en Belgique
Ni la pluie ni le programme flou de la bureaucratie syndicale quant à l’organisation de l’action – seule une concentration place Surlet de Chokier avait été annoncée – n’ont donc pu entamer la détermination des profs à se faire entendre devant le Ministère de la FWB. Après un cortège annoncé à demi-mot, le rassemblement sous les fenêtres de la ministre a ainsi duré plus de deux heures avant que les manifestants commencent à se disperser.
La colère est la même dans les différents secteurs, malgré des spécificités entre enseignement primaire, secondaire, spécialisé, libre ou officiel, et ce fut l’occasion d’échanger les expériences concrètes et les vécus. Ainsi, quelques témoignages poignants sur les conditions de travail, finalement partagés sur le haut-parleur du bus syndical en toute fin de rassemblement.
Le personnel de l’enseignement n’en peut plus
Pour symboliser l’état de la situation, qui devient intenable, des enseignants distribuèrent des bons (factices…) pour des tranquillisants ! En première ligne des responsabilités évidemment, la situation COVID et son train de mesures et règlements, changeant au gré des « codeco » et de l’évolution de la pandémie. Si la société dans son ensemble fut mise à rude épreuve, le monde de l’école a pris évidemment une grande part des complications : fermetures, réouvertures des établissements, réorganisations des groupes classes, protocoles de sécurité, enseignement à distance, etc. Le moindre ne fut pas de voir le monde politique et économique considérer l’école comme un monde où on ne fait pas grand chose, les enseignants comme des fainéants, et au final l’institution toute entière comme une garderie dont la fonction principale serait de garder les mouflets pendant que papa et maman vont se faire exploiter pour maintenir les bénéfices des entreprises.
Les cas de maladies, quarantaines, voire de travailleurs craignant pour leur santé, font exploser l’absentéisme dans des proportions jusque là inconnues, augmentant la charge de travail sur le personnel restant, gonflant les tailles de classes, multipliant les périodes de surveillance. Tout cela s’ajoutant à une situation d’avant-crise déjà critique en terme d’effectifs et de sous-financement.
Également dans le viseur des enseignants, et sans doute détonateur du mouvement, le « Pacte d’excellence ». Un package de réformes venues du privé et imposées d’en haut, initiées par un audit proposé par une société de consultance américaine à la sinistre réputation, Mc Kinsey – Une étude du New York Times dénonce les contrats de Mc Kinsey avec les dictatures et régimes autoritaires parmi lesquels l’Arabie Saoudite, la Chine et… Yanoukovitch, le président chassé par la révolution de Maïdan en Ukraine ! Ce cabinet de consultance parmi les plus importants du monde est ainsi fréquemment utilisé pour lisser l’image des régimes les plus autocratiques, ou marchandiser les services publics. Ce contrat juteux aurait été accordé à la faveur des relations du patron de Mc Kinsey Belgique avec la ministre de l’époque, Joëlle Milquet, et financé par des fonds privés, dont les préoccupations démocratiques sont manifestement loin de ce qu’on pourrait attendre. Un aspect de ces réformes, les « Plans de Pilotage » menés dans les écoles par le personnel, ont pour objectif assumé de faire mieux avec moins de moyens, et représentent déjà une charge de travail supplémentaire, en réunions et réorganisations. Mais quand le contexte compliqué du COVID s’est imposé, seuls de brefs ajournements de la réforme, quand il n’était pas possible de faire autrement, furent mis en place.
De nombreux autres griefs sont avancés : l’augmentation de la charge administrative – multiplication des justifications, des rapports – l’évolution permanente et la complexification des suivis individualisés, la taille des classes, la réorganisation du spécialisé via les Pôles Territoriaux, la réforme des évaluations. Moins de temps, plus d’élèves, personnels découragés, burnouts, enseignants qui quittent la profession… sans compter ceux qui n’y entreront même pas. La coupe est pleine et ils entendent bien le faire savoir.
De nouvelles mobilisations à venir
La mobilisation fut indéniablement une réussite, en nombre et en détermination. Cependant la stratégie syndicale semble bien insuffisante pour pousser les revendications, et aboutir aux aménagements nécessaires dans les politiques successives. Lors du rassemblement par exemple, les manifestants semblaient décidés à occuper la place le plus longtemps possible, débordant l’appareil syndical : les instances syndicales, barricadées dans leur bus, et inondant l’espace sonore de chansons parfois infantilisantes, semblaient elles trouver le temps long : ils annoncèrent arriver à court de carburant ! Une façon d’abréger la concentration, pressés sans doute d’aller déjeuner ? Et le lendemain, alors que la ministre avançait quelques miettes symboliques pour éteindre l’incendie, plus de nouvelles des organisations. Il a fallu un mois avant de voir un nouvel agenda d’actions remettant les revendications en avant : des arrêts de travail et assemblées, fin mars, et deux manifestations, le 29 mars à Mons et le 5 mai à Liège. Mais cette mollesse syndicale reflète juste leur orientation stratégique, à savoir la discussion dans les coulisses, dans le dos des travailleurs. Une stratégie magistralement résumée par le président de la CGSP Enseignement, Mr. Thonon qui, critiquant les négociations par vidéo-conférences, écrivait : « Or différents travaux ont démontré à quel point les coulisses des négociations remplissent un rôle nécessaire pour permettre aux acteurs de mieux se connaître, de mieux se comprendre, ou pour trouver des compromis qui seraient impossible à atteindre si les échanges se limitaient aux seuls espaces officiels » (La Tribune n°17, mars 2022)
Avec des dirigeants qui érigent les accords de dessous de table en vertu, il faudra beaucoup de monde, et de la pression sur nos directions syndicales pour obtenir de la ministre des conditions de travail dignes et un refinancement à la hauteur, pour ces métiers dits « essentiels ». Une mobilisation à la base du personnel des écoles, un agenda d’actions décidées par les travailleurs, des grèves reconductibles, des comités de lutte sont indispensables pour mener à bien ce juste combat. Et aussi : une lutte contre le Pacte d’Excellence, qui est rejeté de manière unanime, des comités de grève incluant les délégués, pour prendre les décisions concernant la poursuite du mouvement, qui repose actuellement trop sur les permanents. Sans cela le risque est grand de voir s’éteindre la possibilité de gagner collectivement.
Tous dans la rue ce 5 mai pour défendre l’enseignement !
Tous ensemble contre le Pacte !
Refinancement massif pour un enseignement de qualité !
Plus de temps pour les enfants, moins de temps pour le plan !