A la lumière de la Commune de Paris, première expérience d’une révolution ouvrière, face à la question de l’État, Marx et Engels sont parvenus à une conclusion transcendantale : contrairement aux processus révolutionnaires précédents, la conquête du pouvoir politique dans une révolution par la classe ouvrière ne la conduirait pas à s’emparer de l’appareil d’État pour le perfectionner et l’adapter à ses propres fins, mais devrait le détruire et le remplacer par un État totalement différent. Un État ouvrier, une dictature du prolétariat qui permettrait d’imposer aux minorités privilégiées accrochées à leurs pouvoirs et à leurs privilèges, les transformations de la société et de l’économie pour conduire la transition vers la fin de l’exploitation et des inégalités propres aux classes sociales dans une transition socialiste vers le communisme.
Par Jorge Martínez, le 12 décembre 2021
Ils ont également averti que la transition vers une société sans classes « porte encore dans tous ses aspects, économiques, moraux et intellectuels, la marque de l’ancienne société dont elle est issue« [1].
L’expérience de la révolution russe menée par les bolcheviks a duré bien plus longtemps que les 74 jours de la Commune de Paris. Au cours de ses plus de sept décennies d’existence, l’État ouvrier russe, depuis la période révolutionnaire avec Lénine à l’avant-garde, jusqu’aux longues décennies de la contre-révolution stalinienne, n’a pas seulement été confronté à la dure épreuve de la réussite d’une révolution. Mais déjà, avec la classe ouvrière au pouvoir sous la direction des bolcheviks, elle était confrontée dans la pratique aux manifestations de ces « marques de naissance » du nouvel État ouvrier, ainsi qu’aux contradictions, non prévues par Marx et Engels, du triomphe de la révolution socialiste dans un pays de capitalisme arriéré.
En février 1917, en pleine guerre mondiale, une insurrection triompha, qui réussit à renverser le Tsar, après quoi un gouvernement provisoire fut établi avec la perspective de mettre fin au règlement de comptes avec le Tsarisme et de développer un état pleinement bourgeois en Russie. Les mois qui ont suivi, marqués par des convulsions politiques, des tentatives de contre-révolution et une situation de double pouvoir, ont préparé la voie à la deuxième révolution, celle d’octobre, au cours de laquelle les soviets ont pris le pouvoir grâce à la direction des bolcheviks, qui, à leur tour, ont bénéficié du rôle décisif de Lénine, lequel a fini par se rallier à la conception de Trotsky sur la nature de la révolution en Russie et a réussi à faire en sorte que le parti surmonte ses vacillations et dirige avec succès la révolution.
Mais l’existence décisive du parti bolchevik et de sa direction révolutionnaire ne pouvait occulter le fait que la révolution triomphait au sein de l’Empire russe, où il y avait le poids de l’arriération féodale dans les campagnes, la prédominance de la paysannerie sur les autres classes de la population (80%), l’existence d’un capitalisme fragile dépendant du capital étranger et une classe ouvrière minoritaire. Ces « marques de naissance » propres à la Russie constituaient un obstacle majeur aux tâches du programme socialiste, une situation en soi déjà défavorable, qui était aggravée par la désastreuse situation de guerre qui saignait l’Europe à blanc.
Pour la direction qui a conduit la révolution d’octobre, la question fondamentale était le triomphe de la révolution socialiste en Europe. Ils étaient conscients, particulièrement Lénine et Trotsky, de la précarité et de la fragilité de la révolution russe et du fait que son sort dépendait fondamentalement de l’aide internationale que la classe ouvrière européenne pouvait lui apporter avec le triomphe, dans les principaux pays capitalistes, des révolutions socialistes qui porteraient la classe ouvrière au pouvoir, vaincraient l’impérialisme et commenceraient la construction du socialisme dans le monde entier.
Par conséquent, pour eux, la consolidation des révolutionnaires dans une organisation, l’Internationale communiste (IIIe Internationale), pour impulser et diriger la révolution mondiale, était la principale stratégie, et l’existence même de la Russie soviétique lui était subordonnée. Tant que la révolution ne triompherait pas en Allemagne ou dans un autre pays européen, tout ce que les bolcheviks pourraient faire au pouvoir ne serait rien d’autre que des mesures contingentes visant à la survie de la révolution en attendant la venue de la révolution mondiale.
Le régime révolutionnaire : la Russie des Soviets
La prise du pouvoir dirigée par les bolcheviks a été ratifiée par le deuxième Congrès panrusse des soviets, qui a également adopté les premiers décrets qui ont donné forme au nouveau pouvoir, répondant aux demandes des masses d’ouvriers, de paysans et de soldats : le décret pour une paix juste et démocratique adressé aux gouvernements et aux peuples des puissances impérialistes en guerre ; l’expropriation sans indemnisation des terres des nobles, des propriétaires fonciers et de l’église ; et le contrôle ouvrier des usines. En outre, la question du pouvoir a été précisée, une question d’importance vitale et fortement controversée au sein du Parti bolchevique et entre celui-ci et les autres partis. La question était la suivante : avec le renversement du gouvernement provisoire de Kerensky, qui devait exercer le pouvoir ?
La politique de Lénine était de donner tout le pouvoir aux Soviets, en maintenant l’hégémonie des bolcheviks, seul parti capable d’exécuter les décrets approuvés et de continuer à diriger la révolution et le nouvel État ouvrier. Les autres partis socialistes (mencheviks, socialistes révolutionnaires et internationalistes) plongés dans une crise profonde provoquée par leur collaboration avec la bourgeoisie dans le gouvernement provisoire déchu, en plus d’être contre l’insurrection, demandaient que le pouvoir soit remis à un gouvernement de coalition qui ferait un pont avec la bourgeoisie et les puissances étrangères. En somme, continuer avec un gouvernement de collaboration de classes. D’autres continuaient à soutenir les formes dépassées de la démocratie bourgeoise, réclamant une solution « démocratique ». Mais l’expérience des ouvriers, des soldats et des paysans avait déjà épuisé les institutions de la démocratie bourgeoise. La Douma et le gouvernement provisoire, y compris les ministres socialistes, n’avaient fait que tromper les masses et repousser la satisfaction de leurs revendications, tout en maintenant la guerre impérialiste et en réprimant et emprisonnant l’opposition. Les seules attentes qui persistaient portaient sur l’élection et la tenue de l’Assemblée constituante, une question qui, par la suite, malgré les polémiques, a également montré son caractère obsolète au milieu de la construction d’un nouvel État de la classe ouvrière.
Finalement, le Congrès des Soviets a fini par approuver la proposition des bolcheviks dans laquelle le mot d’ordre de tout pouvoir aux soviets était enfin mis en pratique. Malgré les protestations des socialistes révolutionnaires (SR) et du syndicat des chemins de fer sous le contrôle de ces derniers, qui insistaient pour former un gouvernement de coalition, la proposition a été approuvée par une majorité écrasante.
Le régime soviétique
Depuis les jours de la révolution, l’insurrection et la prise du pouvoir ont souffert d’être présentées à tort comme un coup d’État réalisé par une minorité qui aurait imposé son pouvoir au gouvernement provisoire « démocratique ». Aujourd’hui encore, cette idée simpliste et policière persiste, typique des théories du complot qui continuent à discuter de la théorie du coup d’État. Lénine et Trotsky ont pris la responsabilité de démontrer la véritable nature de la prise du pouvoir. Les bolcheviks ont réussi à conquérir la majorité des soviets à leur politique résumée dans leurs mots d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets » et « Pain, paix et terre ». Par conséquent, le moment de l’insurrection n’est pas tombé comme un éclair dans un ciel serein. Il était attendu par les masses, qui avaient déjà montré qu’elles ne pouvaient plus supporter Kerensky en juillet. Le soutien était majoritaire dans les soviets, sur les fronts de guerre et dans les campagnes. La révolution n’était pas une question d’élite sur le dos du peuple. Lénine avait une confiance totale dans « l’initiative créatrice des masses », c’est-à-dire dans la capacité de la classe ouvrière et des masses à avoir une initiative révolutionnaire d’action et d’organisation. Les rues, les casernes et les campagnes fourmillaient d’élans révolutionnaires et Lénine a su les interpréter.
A la veille de la révolution, Lénine défendait avec force le pouvoir des soviets en opposition à d’autres formules qui se situaient à la marge de la question centrale de l’exercice du pouvoir par la classe. En ce sens, il est pleinement cohérent avec les leçons de la Commune de Paris et la pensée de Marx et Engels. La formule de Lénine correspondait au problème fondamental d’une révolution ouvrière et socialiste : détruire le vieil appareil d’État pour, sur ses ruines, en construire un autre qui répondrait à la mission historique de la classe ouvrière de conduire le dépassement du capitalisme vers la construction du socialisme. Débattant avec ceux qui préconisaient des solutions dans le cadre de la démocratie bourgeoise, Lénine a déclaré : « Le pouvoir aux soviets » signifie une transformation complète et radicale de la vieille machine d’État, un appareil bureaucratique qui entrave tout ce qui est démocratique ; il signifie la suppression de cet appareil et son remplacement par un nouveau, populaire, c’est à dire authentiquement démocratique, celui des Soviets, celui de la majorité organisée et armée du peuple : ouvriers, soldats et paysans ; cela signifie offrir l’initiative et l’indépendance à la majorité du peuple non seulement dans l’élection des députés, mais aussi dans l’administration de l’État et dans la réalisation des réformes et des transformations[2].
Dans plusieurs de ses écrits, dans les jours qui ont précédé l’insurrection, il se montrait confiant dans le pouvoir véritablement démocratique des Soviets, au point que celui-ci serait la garantie d’une révolution relativement pacifique, comme il l’affirme dans La révolution russe et la guerre civile (septembre 1917).
Le développement pacifique de toute révolution est, en général, une chose extraordinairement rare et difficile, puisque la révolution représente l’inflammation maximale des plus graves contradictions de classe. Mais dans un pays paysan, lorsque l’alliance du prolétariat avec la paysannerie peut donner la paix aux masses épuisées par la guerre la plus injuste et la plus criminelle et donner toutes les terres aux paysans ; dans un tel pays, à un moment historique aussi exceptionnel, le développement pacifique de la révolution est possible et probable avec le passage de tout pouvoir aux soviets[3].
Lénine émet des hypothèses sur les tâches de la révolution
Si les soviets assumaient tous les pouvoirs, ils pourraient déjà garantir aujourd’hui – et c’est probablement leur dernière chance – le développement pacifique de la révolution, l’élection pacifique des députés par le peuple, la lutte pacifique des partis au sein des soviets, la vérification pratique des programmes des différents partis et le transfert pacifique du pouvoir d’un parti à un autre[4].
La politique résolue avec laquelle Lénine a impulsé l’insurrection d’octobre, le transfert du pouvoir aux soviets et les premières mesures du gouvernement ouvrier étaient conformes à ce point de vue. Cependant, l’action contre-révolutionnaire était résolument violente et sanglante dès le début, les obligeant à répondre par la force pour assurer la survie de la révolution.
Les soviets et la démocratie ouvrière
Les soviets révolutionnaires ont poursuivi l’expérience commencée lors de la Commune de Paris. Ils en étaient la continuation et l’instrument grâce auquel principalement les ouvriers, mais aussi les soldats et les paysans pouvaient exercer leur « initiative créatrice » et gouverner leurs propres vies. Les soviets, formés comme organisations de lutte des masses contre le tsarisme, se sont transformés en plaçant la nature de la lutte sur un autre plan, celui de la lutte pour la survie de la révolution et du gouvernement pour mettre en œuvre le programme révolutionnaire.
Les soviets étaient des conseils composés de délégués élus à la base des usines, des quartiers, des régiments et des campagnes. En reprenant la description de Pierre Broué[5], ils disposaient d’une autonomie pour résoudre les problèmes locaux, ainsi que de l’obligation de faire appliquer les décrets du pouvoir central. Ils exerçaient des fonctions exécutives et législatives sur la base d’assemblées délibératives et démocratiques. L’élection des membres des soviets se fait par un vote sur la base de critères de classe, les ouvriers ayant un plus grand nombre de membres dans les soviets que la paysannerie. En outre, toute personne qui emploie du personnel salarié perd le droit de vote. Tout membre du soviet ou de toute autre fonction d’État est révocable.
La question des libertés et de la démocratie a été abordée dès le début, en les garantissant sous le critère de classe (les plus grandes libertés pour les travailleurs) et tant que cela ne mettait pas en danger la dictature du prolétariat. Le régime soviétique a commencé par garantir de larges libertés démocratiques. Par exemple, il a de nouveau interdit la peine de mort, qu’il a ensuite été contraint de réintroduire en 1920, au plus fort de la guerre civile. Même les premières arrestations de contre-révolutionnaires étaient plutôt bénignes. Le général blanc Krasnov, après avoir été arrêté, a été libéré, contre l’engagement de ne plus agir contre la révolution. Puis il s’est échappé et a organisé une partie de la terreur blanche.
Lénine lui-même avait l’intention d’accorder une grande liberté de presse et d’organisation, il insistait pour que le pouvoir des masses à travers les soviets soit réellement efficace.
La plupart des partis qui existaient avant octobre ont continué à fonctionner sous le nouveau régime soviétique. Au cours des premiers mois, les socialistes révolutionnaires de gauche et de droite, les mencheviks, les groupes anarchistes et même le parti bourgeois des Cadets ont eu la possibilité d’agir publiquement, en maintenant leurs locaux et leurs journaux, et même en faisant de l’agitation contre les bolcheviks et le pouvoir soviétique. Lors des élections à l’Assemblée constituante, rien qu’à Petrograd, 19 partis ont pris part aux élections, et au plan national, les partis socialistes, bourgeois et ceux des minorités nationales se sont présentés[6].
Mais les partis d’opposition ne se sont pas limités aux débats dans les soviets, ni à l’expression de leurs opinions sur les questions les plus brûlantes et les plus controversées. Tant les mencheviks que les SR continuaient à considérer l’insurrection et l’État soviétique comme une grave erreur, et leur action politique était orientée vers l’échec des bolcheviks, afin de reprendre ainsi le chemin de la démocratie bourgeoise. Les mencheviks ont fini par soutenir la contre-révolution blanche et les SR, fidèles à leurs origines terroristes, ont mené diverses actions terroristes visant à déstabiliser le gouvernement bolchevique. L’attentat contre Lénine en août 1918, au cours duquel il a été blessé, a été perpétré par un terroriste des SR. Dès le début, les cadets ont conspiré avec les généraux blancs dans la formation des armées blanches.
Les circonstances de la guerre civile, les positions des SR et des mencheviks qui oscillaient entre le soutien à la contre-révolution et le soutien aux soviets ont fait que les mesures contre ces partis et leurs journaux n’étaient pas permanentes. Ceci montre qu’il n’y avait pas un « principe » pour établir un régime à parti unique ou pour supprimer les libertés a priori. Les restrictions des libertés politiques ont été dictées par la nécessité de défendre la dictature du prolétariat et d’assurer sa survie au milieu d’une réalité hostile.
Le régime soviétique, une fois promulgué, s’est construit au milieu des difficultés complexes et énormes du moment. Ce régime avait une perspective fondamentale : être le point d’appui politique pour le développement des forces révolutionnaires, tant en Russie que dans le monde.
Le point fondamental était la perspective internationale de la révolution. Pour Lénine et Trotsky, le triomphe de la révolution socialiste en Europe était le principal objectif et leur espoir de survie. Ils comprenaient parfaitement à la fois le caractère international du capitalisme, surtout dans sa phase impérialiste, et l’énorme obstacle à la construction du socialisme que représentait le triomphe de la révolution dans un pays arriéré. Ce caractère internationaliste de Lénine et Trotsky et du parti bolchevique était fondamental et c’était le meilleur point de cohésion pour les révolutionnaires internationalistes conséquents qui étaient désorganisés par la trahison de la social-démocratie et de la Deuxième Internationale.
Selon l’internationalisme bolchevique, déjà au pouvoir, le premier problème à surmonter sur la scène internationale était la poursuite de la guerre impérialiste. D’où l’importance de l’appel aux peuples d’Europe pour une paix démocratique et juste, sans annexions. Les négociations de paix de Brest-Litovsk entre l’Allemagne et la Russie ont suscité un vif débat au sein même du parti. La nécessité urgente de mettre fin à ce front impliquait d’accepter des conditions et des concessions humiliantes vis-à-vis de l’Allemagne, ce qui, pour certains dirigeants bolcheviques, était inacceptable et, pour d’autres, une véritable trahison. Finalement, la ligne de Lénine consistant à les accepter a prévalu. L’impératif était de gagner du temps en attendant la consolidation du gouvernement ouvrier en Russie et le triomphe de la révolution en Europe. Bien que des processus révolutionnaires aient eu lieu dans plusieurs pays, aucun n’a été couronné de succès. Ces défaites n’ont pas entamé la confiance de Lénine et Trotsky dans la révolution mondiale, qui devait arriver tôt ou tard. C’est pourquoi l’une des tâches auxquelles ils attachaient la plus grande importance était la réorganisation des révolutionnaires dans la Troisième Internationale.
La question du développement des forces révolutionnaires en Russie était l’autre grande tâche. Avancer vers la « construction de l’ordre socialiste » impliquait de partir du pouvoir politique aux mains des soviets pour réorganiser l’économie sur de nouvelles bases. Le contrôle ouvrier de toutes les activités industrielles, commerciales, agricoles et de services par des comités ou des conseils composés d’ouvriers est décrété, le secret commercial est aboli et les comités de contrôle ouvriers peuvent ordonner tout ce qui correspond à la production (rendement minimum, prix des marchandises, etc.) Ces comités ont également pour mission de relever la production jusqu’alors semi-paralysée. Cela impliquait l’abnégation et la discipline des travailleurs pour produire les biens nécessaires à l’alimentation et à la satisfaction des besoins fondamentaux de la population et pour lutter contre le sabotage.
Un autre décret propose la nationalisation des banques, le refus de tenir compte de la dette extérieure et intérieure du pays, la généralisation du travail obligatoire entre 16 et 55 ans pour tous les citoyens, la distribution contrôlée des biens de consommation de base aux citoyens.
Les bolcheviks n’envisageaient pas encore l’expropriation de la propriété privée des moyens de production[7], ils savaient que dans un premier temps la propriété des capitalistes serait maintenue pendant que la classe ouvrière acquerrait l’expérience et la formation nécessaires pour prendre le contrôle total de la production, un processus dont le contrôle ouvrier est aussi un instrument d’apprentissage. Les circonstances, en particulier la nécessité de soutenir la guerre civile contre les armées contre-révolutionnaires, ont fait que l’État a pris le contrôle des branches stratégiques de l’économie.
Mais outre le retard historique de l’économie russe, l’appareil productif était à moitié détruit par les désastres de la guerre et les crises politiques qui ont marqué l’année 1917. A cela se sont ajoutées les actions de sabotage, de spéculation et de pillage des bourgeois et des fonctionnaires hostiles aux bolcheviks et au nouveau pouvoir. Ces problèmes ont été suivis par la guerre civile, dans laquelle l’action combinée des armées blanches, de l’impérialisme et de tous les ennemis de la révolution, y compris une bonne partie des mencheviks et des SR, a attaqué l’État soviétique naissant avec la « Terreur blanche ». Puis la nécessité de combattre la contre-révolution s’est imposée avec la formation et l’organisation de l’Armée rouge, tâche confiée à Trotsky. Ainsi, pendant la guerre civile, la priorité dans les campagnes et dans les villes était d’obtenir tout ce qui était nécessaire pour le combat pour la défense de la révolution.
Après le triomphe dans la guerre civile, la priorité devenait la réponse aux problèmes de l’économie. La nécessité de subordonner la production de la campagne et de l’industrie à la garantie de la nourriture et du ravitaillement des soldats de l’Armée rouge a différé la résolution des problèmes les plus fondamentaux de la population. Les pénuries et la faim sont restées constantes dans les campagnes et dans les villes.
Le mécontentement grandissait dans les campagnes. Les paysans en avaient assez que leurs récoltes soient confisquées pour nourrir les soldats. Comme ils ne pouvaient pas vendre leurs récoltes, ils ne cultivaient le plus souvent que ce qui était nécessaire à leur survie. Dans les villes, le contrôle de la production par les travailleurs n’était pas suffisant pour faire décoller l’industrie et la production. Les meilleurs ouvriers étaient en première ligne, de nombreuses industries restaient paralysées, par manque de matières premières ou par simple abandon et désorganisation. Dans les rues, la survie individuelle prévalait, et l’exhortation à la discipline et à l’objectif suprême du socialisme ne suffisaient pas à maintenir la morale révolutionnaire, mais la coercition typique du communisme de guerre n’était pas suffisante non plus. Le mécontentement grandissait dangereusement.
Une nouvelle politique était donc nécessaire. La nécessité de revitaliser l’économie a imposé la mise en œuvre de mesures à caractère capitaliste, visant à stimuler la production de surplus dans les campagnes par le biais des mécanismes du marché. Encore une fois, cette mesure d’urgence était une mesure temporaire, le temps de réussir à vaincre la faim et de relever l’industrie.
Ces mesures pouvaient renforcer les paysans riches (Koulaks) qui, tôt ou tard, chercheraient à s’exprimer politiquement pour sauvegarder la position avantageuse que les mesures du marché libre leur donneraient. Ce risque serait fondamentalement neutralisé par des impôts progressifs en nature, tandis que la collectivisation des campagnes progresserait en convainquant la paysannerie pauvre.
La rupture avec le régime soviétique
Pendant une période d’environ dix ans, de la fin de la guerre civile au début de la collectivisation forcée des campagnes, le régime révolutionnaire, avec le Parti communiste (bolchevique) lui-même et la Troisième Internationale ont subi un processus de bureaucratisation qui a impliqué une véritable contre-révolution dans le domaine politique au sein de l’Union soviétique.
Cette période a coïncidé avec la maladie et la mort consécutive de Lénine, qui dans les derniers mois de sa vie a commencé à mettre en garde contre le cours bureaucratique que le parti était déjà en train de prendre, mais sa mort a interrompu le début de cette bataille contre la bureaucratisation. Après sa mort, Staline et ses alliés de service, au moyen d’intrigues, de calomnies et d’amalgames, n’ont pas cessé d’isoler et de supprimer les secteurs critiques du parti, ce qui, dans la pratique, impliquait l’anéantissement de pratiquement tous les cadres qui avaient dirigé la révolution de 1917.
La guerre civile des premières années a eu pour conséquences des millions de morts et des difficultés économiques prolongées pour les masses, mais elle a également entraîné un affaiblissement des deux piliers de l’État soviétique. Les meilleurs éléments de la classe ouvrière, protagoniste de la révolution de 1917, les plus désintéressés, les plus disciplinés et les plus acquis au programme socialiste étaient aussi ceux qui sont montés les premiers au front pour défendre la révolution contre la terreur blanche. Avec eux, le militantisme du parti bolchevique, formé pendant les dures années qui ont précédé 1917, a été un élément clé de l’Armée rouge qui a courageusement défendu la révolution et a réussi à vaincre la contre-révolution blanche.
Ce triomphe a coûté des millions de vies, dont celles d’une grande partie de cette avant-garde ouvrière et bolchevique. Dans les usines, les emplois sont occupés par une classe ouvrière plus inexpérimentée, nouvellement recrutée dans les campagnes, meurtrie et démoralisée par des années de guerre et d’adversité. Sans formation technique et sans conscience socialiste, l’énergie révolutionnaire s’est affaiblie.
D’autre part, un processus similaire existe au sein du parti lui-même. Depuis 1917, le parti a connu une croissance exponentielle après le triomphe de la révolution d’octobre. Mais les meilleurs éléments de la classe ouvrière n’ont pas été les seuls à entrer dans le parti. Le triomphe des bolcheviks a conduit de nombreux parasites et opportunistes à entrer dans le parti dans l’espoir d’obtenir des avantages du côté des vainqueurs. Le processus de faillite des anciens partis a également amené de nombreux militants formés au réformisme et à l’opportunisme à chercher une expression politique dans le parti bolchevique.
Au niveau de l’État, bien que les soviets aient été un outil puissant, leur efficacité dans la gestion de l’État dépendait également de leur capacité à résoudre les innombrables problèmes qui se posaient chaque jour. En ce sens, il était nécessaire, dès le départ, de conserver certaines fonctions et certains postes des anciens fonctionnaires de l’État. Cette couche de fonctionnaires, hostile aux bolcheviks au début, espérait, tout comme les SR et les mencheviks, qu’ils échouent et soient vaincus. Mais les bolcheviks ont réussi le test en menant la guerre civile, et de nombreux bureaucrates ont fini par se résigner au nouveau pouvoir et ont cherché en son sein à préserver leurs intérêts. Cette caste de fonctionnaires a prospéré, en contraste avec l’épuisement de la classe ouvrière et de son parti. Ils ont cherché à s’exprimer politiquement au sein du parti au pouvoir.
Cette expression politique s’est avérée être le stalinisme. Staline, qui avait déjà fait preuve de comportements bureaucratiques et de tendances à l’intrigue et à l’autoritarisme, dénoncés par Lénine lui-même dans son testament, finit par rassembler autour de lui les cadres les plus vacillants et progressivement les secteurs les plus conservateurs de l’appareil du parti et les nouveaux membres du parti issus de l’ancienne bureaucratie tsariste.
Contrairement au parti bolchevique de l’époque de Lénine, dont la caractéristique fondamentale était les militants professionnels, forgés dans la clandestinité, la discipline, qui construisaient un parti avec un centralisme démocratique, dans lequel les différences, les luttes internes et les débats étaient normaux, le Parti communiste du début des années 1930 était un parti monolithique, où les décisions étaient prises dans un petit sommet et où la base n’avait que la possibilité d’obéir et d’appliquer ce qui venait d’en haut.
A cette époque, Staline et ses alliés justifiaient l’ensemble de leur méthode et de leur politique par une supposée continuité de la pensée et des orientations de Lénine. Cette idéologie, caractérisée par l’idolâtrie, les mensonges historiques et la misère théorique, a été appelée à tort « léninisme ». Mais cette idéologie n’est rien d’autre qu’une dégénérescence des postulats de Lénine et une rupture avec l’expérience révolutionnaire, le programme et la théorie marxiste. Il a construit une doctrine stérile, dépourvue de toute dialectique matérialiste, schématique et vulgaire, qui a tenté de construire une justification théorique à l’abandon de la stratégie de la révolution mondiale, à la collaboration de classes et à la bureaucratie stalinienne.
Dans pratiquement tous les aspects de la vie soviétique, cette contre-révolution s’est exprimée. Les avancées sociales gagnées avec du sang et des sacrifices, ont progressivement reculé, la stratification et l’inégalité se sont accrues chaque jour entre d’un côté une caste de bureaucrates du parti au pouvoir de l’État, et de l’autre la classe ouvrière et à la paysannerie, épuisées par les privations et la répression.
Du point de vue du régime politique, la relation entre le parti au pouvoir (le Parti communiste) et les soviets a cessé d’être celle d’une avant-garde politique qui dirige et éduque les travailleurs et, à travers eux, toutes les masses dans la gestion de l’État, de l’économie et de la société, pour se transformer en son contraire, pour étouffer l’initiative révolutionnaire, pour imposer un contrôle totalitaire et antidémocratique afin de garantir le contrôle politique et les privilèges de la nouvelle caste bureaucratique.
Toutes les mesures restreignant la démocratie ouvrière dans l’État, la société et le parti, ainsi que les mesures économiques capitalistes (NEP), étaient pour Lénine et la direction révolutionnaire des mesures temporaires dont le seul but était d’assurer la survie de l’État ouvrier face aux menaces contre-révolutionnaires.
Mais pour Staline et la caste bureaucratique, la démocratie ouvrière et les libertés démocratiques, ainsi que la conscience et l’action révolutionnaires des masses, menaçaient leur pouvoir et leurs privilèges. Dans le domaine économique, ce qu’ils défendaient, c’était les bases sociales et économiques qui sous-tendaient leurs privilèges.
Ainsi, l’activité créatrice et révolutionnaire des masses exprimée dans les soviets, défendue par Lénine, a perdu tout son élan sous Staline et a fini par n’être qu’une coquille formelle du pouvoir réel: une bureaucratie d’État entre le Parti communiste et les organes de l’État a été remplacée par une coquille formelle, soutenue par la répression brutale de toute manifestation de mécontentement ou d’opposition.
Sur le plan social, les inégalités, au lieu de diminuer, ce que l’on pourrait attendre d’un processus de construction d’un État ouvrier, ont augmenté, en raison du renforcement des membres du parti et des fonctionnaires de l’État par opposition à la persistance de la pénurie, des privations et de la répression pour les masses.
L’internationalisme prolétarien prôné par Lénine et Trotsky a été remplacé par un retour au nationalisme, prenant la défaite des soulèvements révolutionnaires en Europe dans les années 1920 et la survie de l’Union soviétique au milieu d’un monde impérialiste hostile, comme une démonstration du fait qu’il était possible de construire le socialisme en Russie, indépendamment du sort de la révolution mondiale. A partir de là, il finit par adopter la pseudo-théorie du socialisme dans un seul pays.
Les relations avec la paysannerie ont également changé. Lénine et Trotsky ont toujours préconisé une politique visant à convaincre la paysannerie des avantages du socialisme et de la production collective et technique dans les campagnes, par opposition aux vieilles méthodes et coutumes de production héritées du féodalisme. Ils savaient que cela ne serait ni facile ni automatique et que cela dépendait, pour une part, de l’émancipation des paysans vis-à-vis des propriétaires terriens et, surtout, du maintien de la classe ouvrière dans son rôle dirigeant et hégémonique sur la société, c’est-à-dire la dictature du prolétariat.
Par conséquent, la politique principale était de convaincre patiemment. C’est le sens des décrets de répartition des terres faisant des concessions à la paysannerie en matière de propriété foncière, repoussant la socialisation complète de la propriété rurale.
Trotsky a aussi exprimé cela en 1933.
La dictature du prolétariat en tant qu’organisation pour la liquidation des exploiteurs était nécessaire pour réprimer les propriétaires fonciers, les capitalistes, les généraux et les koulaks, dans la mesure où ils soutenaient les classes possédantes. Les exploiteurs ne peuvent être gagnés au socialisme ; leur résistance devait être brisée, quel qu’en soit le prix. Pendant la guerre civile, c’est là que la dictature du prolétariat a le plus exercé son pouvoir.
Pour la paysannerie, dans son ensemble, la tâche était et reste complètement différente. Nous devons gagner la paysannerie au régime socialiste. Nous devons lui montrer dans la pratique que l’industrie d’État peut lui fournir des biens à des conditions beaucoup plus avantageuses que celles qui prévalent sous le capitalisme et que le travail collectif sur la terre est plus fructueux que le travail individuel[8].
Mais la politique de Staline était différente. La collectivisation forcée des campagnes a remplacé la politique léniniste de persuasion. Face au renforcement des Koulaks et au développement de dangereuses tendances capitalistes échappant au contrôle de l’appareil, Staline, qui s’était appuyé pendant plusieurs années sur ces riches paysans, a fini par leur imposer, ainsi qu’aux paysans pauvres, l’expropriation violente des terres, des cultures et des animaux, ce qui a entraîné à nouveau le mécontentement, les protestations et un effondrement de la production alimentaire.
Au sein du parti, lorsque l’interdiction des fractions et des groupes est devenue permanente, elle a été suivie par la persécution et l’exclusion de tout dirigeant ou militant qui critiquait l’appareil. Les années 30 sont caractérisées par des arrestations, des déportations, des assassinats et des simulacres de procès, au cours desquels des membres de l’ancienne direction bolchevique tombent les uns après les autres et Trotsky est d’abord exclu du parti, puis exilé, pour finir assassiné par un agent stalinien au Mexique. Il n’existait même pas de garantie pour ceux qui servaient les intérêts de Staline. Ses anciens alliés Kamenev, Zinoviev, Boukharine, entre autres, après être tombés en disgrâce ont fini par être accusés d’être des contre-révolutionnaires, des agents de l’impérialisme, des agents du fascisme, etc.
La Tchéka, l’organe créé au cours des premières années pour réprimer les activités contre-révolutionnaires et de sabotage, est remplacée par la GPU, une police politique plus proche de l’Okhrana tsariste que de la Tchéka. Elle est chargée d’arrestations massives, de la torture et de l’espionnage. En 1936, les procès de Moscou ont commencé, des farces judiciaires au cours desquelles pratiquement toute la génération de militants et de dirigeants bolcheviques a été arrêtée, condamnée et exécutée.
Les dimensions de la purge indiquent que l’objectif atteint par Staline était d’anéantir l’avant-garde révolutionnaire responsable d’avoir conduit la révolution.
La comparaison des listes des exécutés avec celles des membres des organes dirigeants est tout aussi instructive : ont été éliminés plus de la majorité absolue des membres du Comité central de 1917 à 1923, les trois secrétaires du parti entre 1919 et 1921, la majorité du Politburo entre 1919 et 1924. Entre 1924 et 1934, nous avons été obligés d’interrompre la comparaison par manque de données. Quoi qu’il en soit, sur les 139 membres titulaires ou suppléants que le Congrès de 1934 a élus pour siéger au Comité central, au moins dix étaient déjà en prison au printemps 1937, 98 autres ont été arrêtés et exécutés au cours des années 1937-1938, dont 90 entre les deuxième et troisième procès de Moscou. Seuls 22 membres, soit moins d’un sixième, se retrouveront dans le Comité central nommé en 1939 : la grande majorité des absents, avaient déjà été exécutés à ce moment-là[9].
De nombreuses voix ont insisté pour montrer que la terreur stalinienne et la bureaucratisation de l’URSS étaient une conséquence directe des conceptions de Lénine sur le parti, l’État et la lutte politique. Mais tant les idées de Lénine telles qu’exprimées dans ses écrits, son expérience concrète en tant que dirigeant du parti bolchevique et de l’État ouvrier, que les preuves historiques elles-mêmes, montrent que le stalinisme, par opposition à un « développement », une « déviation » du léninisme et du marxisme, a signifié une rupture, une nouvelle réalité politique ancrée en URSS et ensuite dans les autres États ouvriers qui ont émergé dans la période du second après-guerre.
La différence fondamentale entre Lénine et la période révolutionnaire des premières années de l’Union soviétique, et Staline et le processus de bureaucratisation et de dégénérescence de ce même État, c’est la manière dont ils ont affronté les « marques de naissance » capitalistes aggravées par les adversités et les fortes contradictions qu’impliquait le triomphe de la révolution socialiste dans un pays arriéré.
Lénine a maintenu sa confiance dans la classe ouvrière et donc une politique d’appel à la lutte de classe et à l’initiative révolutionnaire des masses, avec l’idée qu’elles sont capables de conduire un État au socialisme, et que face aux menaces et aux dangers contre-révolutionnaires, les restrictions à la démocratie ouvrière et aux libertés dépendent des besoins concrets et sont, de toute façon, des mesures transitoires, destinées à disparaître.
En revanche, Staline, face aux contradictions et aux « marques de naissance », malgré son passé bolchevique, a fini par être l’expression de la politique des intérêts de la bureaucratie, opposée à la démocratie ouvrière et à la participation des masses à l’État par le biais des soviets. La suppression totalitaire de la démocratie ouvrière, la centralisation absolue et bureaucratique des affaires de l’État et de la société par l’appareil du parti étaient la garantie de la survie de la bureaucratie et de ses privilèges et, en fin de compte, comme l’a montré la restauration du capitalisme en URSS et dans les autres États ouvriers, la principale raison de l’asphyxie et de l’effondrement des bases sociales et économiques des États ouvriers.
Références :
Broué, Pierre. Le parti bolchévique.
Lénine. « Le problème fondamental de la révolution.
— La révolution russe et la guerre civile ». Œuvres complètes
— Les tâches de la révolution ». Œuvres complètes
Marx, Karl. « Critique du programme de Gotha ». https://www.marxists.org/espanol/m-e/1870s/gotha/gotha.htm#iv.
Pipes, R. La revolución rusa. DEBATE. Penguin Random House Grupo Editorial España, 2016. https://books.google.com.co/books?id=CzoxDQAAQBAJ.
Trotsky Léon. «Control obrero y nacionalización». En Naturaleza y dinámica del capitalismo y la economía de transición. Buenos Aires: CEIP León Trotsky, s. f. Trotski, León. «Control obrero y nacionalización». En Naturaleza y dinámica del capitalismo y la economía de transición. Buenos Aires: CEIP León Trotsky, s. f.
— Histoire de la Révolution russe.
— «La degeneración de la teoría y la teoría de la degeneración». Accedido 16 de noviembre de 2021. https://ceip.org.ar/La-degeneracion-de-la-teoria-y-la-teoria-de-la-degeneracion.
[1] Marx, » Critique du programme de Gotha « .
[2] Lénine, « Le problème fondamental de la révolution ».
[3] Lénine, « La révolution russe et la guerre civile ».
[4] Lénine, « Les tâches de la révolution ».
[5] Broué, Le parti bolchevique.
[6] Pipes, The Russian Revolution.
[7] Trotsky, « Control obrero y nacionalización ».
[8] Trotsky, « La degeneración de la teoría y la teoría de la degeneración ».
[9] Broué, Le parti bolchevique.