Oaxaca est un des 31 états du Mexique. L’écrasante majorité de ses 3,5 millions d’habitants sont des indigènes. La moitié de ses habitants vit de l’agriculture et 45 des 100 communes les plus pauvres du pays se trouvent en Oaxaca. A cause tout cela, Oaxaca souffre une migration constante d’habitants vers les grandes villes du pays et vers les Etats-Unis. Les forces sociales les plus importantes de la région sont les Communautés indigènes paysannes et les enseignants. Les salaires des enseignants sont même, économiquement, le principal soutien de l’économie d’Oaxaca.
D’importants processus d’organisation et de lutte s’y sont développés au cours de l’histoire. En 1976, la mobilisation estudiantine et populaire a renversé le gouverneur Zárate Aquino. Dans les années 70′ et 80′, les communautés indigènes ont mené avec succès une lutte pour la récupération et le contrôle de leurs forêts, qui étaient entre les mains d’entreprises du bois ; lesquelles les pillaient et les exploitaient.
La communauté rurale est, dans les faits, une forme de gouvernement avec une force importante. Dans 70% des communes par exemple, les autorités sont choisies selon us et coutumes et non par le système de partis politiques. C’est pourquoi Oaxaca dispose, depuis 1996, d’une Loi de droits d’indigènes inexistante dans le reste du pays.
Les enseignants et leur lutte
Cela fait 26 ans que les enseignants installent chaque année leur piquet (campement) dans le centre de la ville pour attirer l’attention sur leurs exigences. Ils sont presque 70.000 et sont organisés dans la section 22 de la CNTE (Coordination Nationale des Travailleurs de l’Education). Cette section est celle qui garde actuellement la plus grande indépendance et la plus importante combativité, dans un contexte de grande décomposition et bureaucratisation de la CNTE au niveau national.
Depuis plusieurs mois, ils ont entamé une lutte avec grève et campement dans le Zócalo, le centre urbain de la capitale de l’Etat. Ils ont adressé une demande au gouverneur Ulises Ruiz Ortiz (du PRI – Parti Révolutionnaire Institutionnel) pour une augmentation des salaires et du budget pour l’éducation. La réponse a été négative.
Le 14 juin dernier, Ulises a essayé de déloger violemment le campement des enseignants. En réponse, il y a eu un soulèvement populaire massif qui a mis en échec la tentative du gouvernement et a accentué la situation à l’extrême.
La formation de l’APPO
L’APPO (Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca) s’est constituée à la chaleur de ce processus. Elle est composée de la section 22 et des organisations syndicales et politiques qui la soutiennent, ainsi que de diverses représentations municipales et agricoles. L’APPO a formulé une série de demandes de tous ces secteurs.
La lutte a été entourée de solidarité par d’autres secteurs de travailleurs, les habitants des zones les plus pauvres de la ville et les étudiants, qui soutiennent les manifestations, amènent des vivres aux barricades et aux piquets, contribuent avec des instruments à l’autodéfense, etc..
Certains médias de presse estiment que l’APPO a une influence, de manière plus ou moins directe, sur 500.000 personnes. Il y a eu plusieurs grandes marches qui ont réuni, selon la presse, jusqu’à 200.000 manifestants, ce qui représente un quart de la population de la ville, l’équivalent, à une échelle plus petite, de 5 millions de personnes dans la ville de Mexico ou de São Paulo.
Les premiers jours d’octobre, il y a eu une marche sur la ville du Mexico, qui se situe à 400 km d’Oaxaca. Le nombre de participants à l’arrivé était de plus de 10.000 personnes. A son passage, elle a reçu le soutien des habitants des villages, et dans la capitale nationale, le soutien des travailleurs de la santé.
Crise de gouvernement et double pouvoir
A partir de l’échec dans sa tentative de déloger les enseignant de leur campement, le gouvernement est entré fortement en crise et a presque cessé de fonctionner. Les trois pouvoirs de gouvernement se trouvent bloqués par des piquets de l’APPO et du corps enseignant. La plupart des institutions et des dépendances gouvernementales ne travaillent pas ou fonctionnent de manière clandestine, dans des maisons ou des bureaux alternatifs.
On ne voit presque pas de policiers dans les rues, même pour diriger la circulation automobile. Il y a eu de la désobéissance de policiers envoyés pour la répression, des renoncements massifs ou des demandes de renoncement aux supérieurs. Des travailleurs du Bureau du Procureur de l’Etat ont demandé la destitution du procureur.
L’APPO exerce un double pouvoir dans la capitale et celui-ci s’étend à d’autres parties de l’Etat. Il y a 15 maisons communales occupées dans différents points de la région. Pour assurer la sécurité dans la capitale, l’Assemblée fait valoir, de fait, un couvre-feu pendant la nuit.
Les routes et les voies de communications s’ouvrent ou se ferment selon les ordres de l’APPO. Plusieurs zones sont inaccessibles, que ce soit en voiture ou à pied. Il est très difficile de circuler dans la capitale sans l’autorisation de l’APPO et, dans certains cas, il a été impossible d’entrer ou de sortir d’Oaxaca par voie de terre.
Il y a lieu de souligner le rôle des femmes, aussi bien les enseignantes que les femmes des communautés paysannes et des quartiers populaires. Elles se sont placées indiscutablement à l’avant-garde des mobilisations et des barricades d’autodéfense. Un fait très important a été qu’une mobilisation de femmes a occupé le Canal 9 de TV (étatique) et a transmis pendant plus d’un mois sans interruption, jusqu’à ce qu’un attentat contre les installations et les mâts de transmission fut commis. D’autre part, 14 stations de radiodiffusion ont été occupées. Sept d’entre elles étaient toujours entre les mains de l’APPO jusque il y a peu et elles constituent un excellent élément de diffusion et d’organisation des actions d’autodéfense et de solidarité.
Finalement, dans les barricades et les piquets, il y a un approvisionnement et une préparation de bombes molotov, entre beaucoup d’autres choses, comme préparation face à une nouvelle tentative possible de délogement ou face à des provocations.
Les provocations
Le gouvernement d’Ulises, incapable de réagir avec la police, met en oeuvre des bandes de marginaux, de tueurs à gage ou de policiers déguisés pour monter des provocations et pour menacer ou assassiner certaines personnes qui participent aux grèves et aux mobilisations, ce qui rend la circulation en ville très dangereuse. Les vols, les attaques et la violence urbaine ont augmenté dans une ville traditionnellement tranquille où on pouvait transiter sans problème à toute heure de la nuit. Ulises essaye d’utiliser cette situation d’insécurité pour isoler la lutte.
A cela s’ajoutent les assassinats de militants de l’APPO et du corps enseignant, ainsi que le meurtre d’un enseignant opposé au mouvement dans le but de rejeter la faute sur l’APPO. Le gouvernement de l’Etat a stimulé l’ouverture d’écoles avec des parents et des enseignants briseurs de grève et a organisé des classes avec des enseignants improvisés dans des maisons de particuliers, afin de discréditer les parents et le corps enseignant en lutte et de créer des divisions parmi eux.
Un grand problème pour Fox
Le discrédit du gouverneur est énorme. Même les secteurs qui ne soutiennent pas les enseignants et l’APPO disent « qu’Ulises doit s’en aller, étant incapable de gouverner ».
Cette réalité a divisé la bourgeoisie locale. Un secteur propose une intervention armée de l’Etat fédéral pour mettre un terme au conflit, alors qu’un autre secteur demande une solution négociée et se prononce explicitement contre une issue violente.
La situation aiguë en Oaxaca a créé un grand problème pour le gouvernement national de Vicente Fox. Ce conflit se déroule au beau milieu de la crise politique ouverte par le résultat des élections présidentielles et la mise en question soulevée par le candidat adverse, López Obrador. Dans ce contexte, une intervention armée du gouvernement fédéral en Oaxaca pourrait non seulement accentuer le conflit mais le transformer en une question nationale.
En même temps, le renversement d’Ulises aurait comme conséquence que le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) mettrait fin au soutien au Parti d’Action Nationale (PAN – le parti de Vicente Fox) dans d’autres états et, en outre, commencerait à « mettre des bâtons dans les roues » au futur gouvernement de Calderón, déjà affaibli à sa naissance. Ce serait aussi un grave précédent de chute d’un gouverneur par l’action de la lutte populaire. D’autre part, Calderón ne veut pas entamer son mandat avec le conflit d’Oaxaca dans les mains et a demandé à Fox de le résoudre avant de s’aller. Pour toutes ces raisons, le gouvernement de Fox essaye, dans une course contre la montre, une « sortie négociée » à l’intérieur des « institutions ».
Symptômes de fatigue et de division
En faveur de cette « solution », il y a le fait que, après plus de quatre mois de lutte, on commence à voir des signes de fatigue et la division interne devient plus évidente. D’une part, à l’intérieur du corps enseignant, un secteur propose de rester en grève jusqu’à la chute d’Ulises tandis qu’un autre secteur propose de suivre une autre tactique de lutte, de retourner aux classes et de lever le piquet.
On peut aussi percevoir quelques divisions entre le corps enseignant et l’APPO, qui a publiquement dénoncé les enseignants pour leur manque de présence récente dans les piquets et d’autres actions. De fait, il n’y a que les enseignants des vallées centrales qui restent dans le piquet, alors que beaucoup d’enseignants des autres régions l’ont abandonné et certains ont commencé à donner cours.
Ulises a profité de cette situation pour « sonder » la possibilité de déloger les enseignants violemment, à travers une augmentation des provocations. Toutefois, le 30 septembre, face à une rumeur dans ce sens, plusieurs centaines d’habitants des quartiers périphériques et des villages des alentours ont commencé à descendre vers le centre de la ville pour résister (selon l’information de l’APPO donnée par radio). Finalement, la rumeur de les déloger ne s’est pas concrétisée.
Quelle est la solution?
L’axe principal de la lutte du peuple d’Oaxaca est la chute d’Ulises. Diverses alternatives sont proposées pour son remplacement : une Assemblée Constituante, la construction d’APPO’s régionaux, etc.
Comme militants de la LIT-QI au Mexique, nous soutenons la lutte des enseignants et de l’APPO contre Ulises et nous y participons. Nous ne savons pas quel va être le résultat final. Mais nous savons que ce qui se passe à Oaxaca est l’expression d’un problème dont souffre l’ensemble de notre pays : la survie d’un vieux régime antidémocratique, recyclé du PRI au PAN mais qui, pour défendre les intérêts des bourgeois mexicains et étrangers, doit continuer à faire appel à la fraude et à la répression. Il faut liquider ce régime. La lutte d’Oaxaca nous montre le chemin : nous avons besoin d’une grande Oaxaca nationale pour l’obtenir.
Ulises hors du Gouvernement!
L’armée hors d’Oaxaca!
Non à la répression!
Liberté pour tous les prisonniers politiques!
Cessation des ordres de capture contre les militants du corps enseignant et de l’APPO!
Solution positive à toutes les demandes du corps enseignant et des peuples d’Oaxaca!
Solidarité nationale et internationale avec la lutte d’Oaxaca!