sam Sep 13, 2025
samedi, septembre 13, 2025

Sans-papiers : où en est-on ?

Un millier de personnes ont participé à la manifestation nationale, ce 23 septembre, pour la huitième commémoration de la lutte de Sémira Adamu (finalement assassinée lors de sa sixième tentative d'expulsion en 1998). La présence de Diallo Hawa dans le cortège, rescapée d'une tentative d'expulsion musclée il y a un mois avec son enfant, témoignait de l'actualité et de la vivacité de cette politique de répression. Huit ans plus tard, environ 150.000 hommes, femmes et enfants vivant en Belgique sont toujours dits « illégaux » et soumis à un régime politique d'exception, digne de régimes dictatoriaux : arrestations, incarcérations, humiliations, tortures et expulsions. Nous ne pouvons pas accepter cela, et la lutte déclarée et déterminée contre cette politique est notre seule garantie de victoire.

 

Où en est le mouvement des sans-papiers ?

Certains manifestants se demandaient pourquoi il n'y avait « que » 1.000 manifestants ce 23 septembre, alors «qu'on était 15.000 en juin ». Il est clair que la situation est bien différente, mais en expliquer les causes et en tirer les conclusions n'est pas si simple. Et cela mériterait une discussion ouverte au sein de l'UDEP, l'élaboration d'un bilan, pour voir en ressortir un mouvement plus uni et plus fort. Nous avançons ici cependant quelques éléments et notre point de vu.

 

Avec la création de l'UDEP, l'organisation « par et pour les sans-papiers » pour « la régularisation de tous les sans-papiers », le mouvement avait pris une large ampleur lors de la manifestation pour dénoncer l'accord entre Fédasil et le Petit Château et pour la libération du porte-parole de ce centre ouvert en août 2005. Pour la première fois des milliers de personnes, avec et sans papiers, défilaient côte à côte dans la rue. On a pu remarquer aussi un bloc de sans-papiers dans la manifestation de la grève générale du 28 octobre, en solidarité avec les travailleurs « légaux » qui s'opposaient à une réforme du « marché de travail » avec le mot d'ordre tout à fait correct « Avec ou sans papiers, nous sommes tous des travailleurs ! ».

 

L'occupation de l'église St-Boniface et les nombreuses mobilisations contre l'enfermement des enfants, pour la libération de sans-papiers des centres fermés, etc., ont permis d'obtenir la libération de plusieurs et la régularisation pour un an des occupants. Avec cette dernière victoire, le message est apparu clairement pour beaucoup de sans-papiers, et une quarantaine d'occupations spontanées ont émergé à travers tout le pays. Ces éléments inédits ont été positifs pour la croissance et la force du mouvement.

 

Par contre, ce qui a posé problème, et Presse Internationale n'a pas cessé de présenter ses critiques à ce sujet, ce sont les revendications qui ont petit à petit évolué à partir de la mise en place de la « Loi UDEP ». A partir de ce moment, il a été question non plus de lutter pour la régularisation de tous, mais de réfléchir sur des critères acceptables pour la régularisation. Dans les faits, il s'agissait de savoir qui avait le droit ou non d'être régularisé. Et pour ceux qui participent de près ou de loin au mouvement, on se rend facilement compte qu'il s'agit d'une base solide de division au sein des relations de groupes déjà très difficiles à mener quotidiennement. Avec la loi dite UDEP, il ne s'agissait déjà plus que de faire du lobby sur des parlementaires pour des « critères clairs et permanents ».

 

Tout d'abord cette revendication est dangereuse parce qu'elle n'a aucun contenu, on peut lui faire prendre n'importe quelle forme, et c'est pour cette raison que tous les partis politiques de la bourgeoisie l'ont adopté, sans oublier toutes les associations indirectement ou directement à leur service. Le mouvement était dans une impasse, il avait une autre fin, tous les yeux étaient rivés sur les promesses des parlementaires. Dans le numéro de juin de Presse Internationale nous disions : « Cette étape parlementaire est contradictoire parce qu'elle est pleine d'espoirs, mais également pleine de dangers. » Et nous rajoutions, « face à cet espoir, ce sera le désespoir de ceux qui resteront sur le carreau, avec le risque de démobilisation. » Alors que le mouvement avait une force potentielle énorme, la réponse du gouvernement a été une réforme de la procédure d'asile qui rendra encore plus difficile la possibilité de régularisation et, le 4 juillet, l'évacuation des 48 occupants de l'église Notre-Dame Immaculée à Anderlecht et leur incarcération dans des centres fermés. La désillusion; accompagnée de découragement, a mené effectivement à la démobilisation.

 

Le gouvernement ne veut pas régulariser

Le problème n'est pas d'écrire une loi, le gouvernement a plein de fonctionnaires à son service pour en produire tous les jours. Le vrai problème est que le gouvernement ne veut pas régulariser les sans-papiers parce qu'ils rapportent beaucoup trop d'argent, sans même pouvoir prétendre à une quelconque allocation sociale. 20% de notre économie fonctionne sur le travail « au noir », etles sans-papiers en assurent une bonne partie à bas prix et sans droits. Dans le secteur du nettoyage, de l'Horeca, des soins de santé ou du bâtiment, les patrons en tirent trop de profit pour que les partis bourgeois lèvent le petit doigt. Les choses sont ainsi dans une société capitaliste, même si on nous dit qu'on vit en « démocratie » et que les politiciens au gouvernement ont l'air sympathique ou « progressiste ». M. Boukourna, député fédéral du PS, pouvait bien venir saluer les occupants d'une église, mais en avril il a voté contre une motion progressiste pour le mouvement, en chour avec son parti. Zoé Genot (ECOLO) a fait de même à l'époque où son parti était dans la majorité. Sous l'injonction du cabinet dirigé par Isabelle Durant, elle a retiré sa question parlementaire sur les politiques d'expulsions, adressée au ministre de l'intérieur. C'est d'ailleurs le gouvernement arc-en-ciel qui a inauguré les vols charters pour les expulsions collectives, plus sûrs et moins coûteux. Enfin, ce sont ces partis qui portent la responsabilité des 15.000 expulsions qui ont eu lieu depuis 1998.

 

En réalité, le gouvernement applique brillamment les directives négociées au niveau européen. Celles-ci consistent premièrement en la gestion des flux de main-d'ouvre selon les pénuries conjoncturelles. Autrement dit, le projet d'Europe forteresse n'est donc pas contre toute immigration, mais il est pour une immigration choisie, bien sélectionnée selon les besoins de la bourgeoisie européenne. Deuxièmement, les directives sont pour la fermeture totale des « frontières extérieures », avec un dispositif de répression adéquat centralisé. Ce qui n'est pas contradictoire avec la première. En fait, les dirigeants européens veulent maintenir cette immigration dans l'illégalité, afin de faire pression sur tout le « marché du travail », sur tous les travailleurs, avec ou sans papiers.

 

Quel chemin pour obtenir des victoires ?

Concentrer son attention sur le parlement ne peut que créer des illusions sur le caractère des partis de la bourgeoisie. Les campagnes électorales ne peuvent une fois de plus qu'apporter une confusion sur le rôle de ces partis et la formation de listes de sans-papiers pour avancer vers des négociations individuelles plus ou moins isolées n'est pas une réelle solution. La seule issue pour arracher des victoires et gagner des régularisations est de gagner un rapport de force, de mobiliser sur des bases solides.

Toute forme de division, selon la loi du « diviser pour régner », est au service du gouvernement. Que ce soit par l'élaboration de critères, par la formation de listes (qui ne peuvent aboutir qu'à une sélection), par son retrait dans les intérêts de sa propre communauté, ou encore en se réfugiant dans des critères juridiques définis par le gouvernement lui-même : réfugiés, demandeur d'asile, clandestin, etc. Il est parfois difficile de percevoir l'origine de cette division, mais seule la lutte avec comme principe la revendication originelle de l'UDEP peut surmonter ces obstacles : « Pour la régularisation de tous les sans-papiers ! »

 

Que ce combat soit long et difficile, c'est évident. Mais sur ce chemin, le mouvement doit avancer d'autres revendications plus immédiates, de première nécessité, pour gagner des luttes, pour améliorer la condition des sans-papiers, pour donner du courage à chacun en montrant qu'on est plus fort ensemble, pour renforcer le mouvement lui-même. C'est avec des « petites » victoires tangibles qu'on sera plus fort. L'accord entre Fédasil et le Petit Château a pu être reporté (empêchant la police d'arrêter des personnes à l'intérieur) et des sans-papiers ont pu être libérés des centres fermés par la mobilisation. Le combat est difficile, mais il faut l'accepter, puisqu'on a pu remarquer que seule la lutte paie. Continuons dans cette voie !

 

Défendre les combattants

Comme provocation et pour juger de la force du mouvement, le gouvernement a contre-attaqué en arrêtant ceux d'Anderlecht. Une occupante et sa fille se sont fait expulser ce 22 septembre. D'autres expulsions ont jusqu'à présent échoué. Il y a urgence. Si nous ne sommes pas capable de défendre nos camarades de lutte, si nous ne sommes pas capable de les libérer, on peut craindre le même sort pour les autres occupations, et la perte des sans-papiers les plus dynamiques. La première nécessité est de pouvoir garantir cette victoire, et de se mobiliser pour leur libération, comme l'on très bien fait les occupants de l'église St-Bernard à St-Gilles lors de leurs deux manifestations de cet été. C'est la mobilisation qui a obtenu la libération de Dédé, c'est la mobilisation qui a obtenu la libération de Barry. Tous ensemble, tous ensemble pour :

« La libération de ceux d'Anderlecht ! »

 

Qui sont nos alliés ?

On a compris qu'il ne suffit pas de voter pour les partis qui disent « soutenir les sans-papiers », même s'ils font d'inévitables promesses pour s'attacher favorablement au dossier de la régularisation. On peut en dire de même pour des associations telle que le CIRE, qui peut éventuellement négocier quelques cas pour gagner de la légitimité, mais qui est directement au service du gouvernement puisqu'il a été créé et est financé par ce dernier.

Comme expliqué ci-dessus, si le gouvernement maintient une partie de la population dans l'illégalité, c'est pour des raisons purement économiques, et plus précisément pour faire pression sur le « marché du travail ». Qu'il ait un emploi ou non, un « sans-papiers » fait partie de ceux qui ne dépendent que de leur propre force pour survivre, ou de la solidarité de leur frère. D'un point de vu social, un « sans-papiers » est donc un travailleur, et il fait partie de la classe des exploités. On peut même dire qu'actuellement en Belgique les « sans-papiers » représentent le secteur le plus exploité de notre classe. A partir du moment où l'analyse considère les sans-papiers comme des « citoyens » (ce que font beaucoup d'association de « soutien »), et non comme des travailleurs, on voile nécessairement l'essentiel de la question. Et c'est cela qui en fin de compte a détourné le mouvement de ses objectifs d'origine. Si les sans-papiers organisés ont inévitablement besoin de soutien, ils ne pourront atteindre une totale victoire qu'en comptant sur eux-mêmes, sur leurs propres organisations, et sur les organisations qui défendent les intérêts de leur classe en tant que tels. Comme le scandaient les sans-papiers de l'UDEP lors de la manifestation le jour de la grève générale, cette alliance de classe s'est traduite par le mot d'ordre : « Avec ou sans papiers, nous sommes tous des travailleurs ! »

 

La route est longue, mais pour arracher des victoires et en finir véritablement avec ce régime dictatorial du gouvernement, les sans-papiers auront besoin de la puissance des méthodes de luttes de notre classe, telle que la grève ou les occupations d'usines et de chantiers, etc. C'est par une lutte tenace, parfois sanglante, que nos aïeux ont sorti les enfants des mines, aujourd'hui sortons les enfants des centres fermés, avec des bulldozers s'il le faut !

 

Il est temps de resserrer des liens avec les rares syndicalistes combatifs qui étaient présents aux mobilisations des sans-papiers. Il s'agit d'exiger aux bureaucrates syndicaux, par la pression de la mobilisation, de donner accès légalement au travail pour tous et de commencer par affilier tous les travailleurs pour offrir un minimum d'assistance juridique.

 

Continuons le travail de coordination avec les autres organisations d'immigrants et de sans-papiers à l'étranger. La politique d'immigration de la bourgeoisie est plus que jamais internationale, il est nécessaire de pouvoir y répondre par une politique et des actions internationales.

 

Mais il faut avant tout que chacun s'engage pleinement dans le mouvement, que chacun construise l'organisme national de lutte qu'est l'UDEP. Pour cela, il est indispensable que des rencontres de discussions sur les stratégies du mouvement soient organisées, des rencontres où chacun puisse s'exprimer en toute liberté de telle sorte qu'une décision puisse s'en extraire et être respectée.

 

 

Défense des sans-papiers !

 

Libérez tous les prisonniers politiques !

 

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