Quelles perspectives pour la lutte des travailleurs sans papiers ?
Depuis la victoire partielle de la de la lutte de Saint-Boniface, grâce à la pression du mouvement au niveau national, les « sans-papiers » sortent de plus en plus nombreux, tant pour occuper que pour manifester. Presse Internationale propose de faire un petit retour en arrière sur le mouvement des sans-papiers ainsi que de proposer quelques pistes pour la discussion au sein du mouvement.
Une politique criminelle au service du patronat
Un « sans-papiers » est d'abord un travailleur qui fuit son pays d'origine, pour des raisons soit économiques, soit politiques. La situation de guerre et de misère dans laquelle est plongé son pays d'origine est la conséquence directe d'une colonisation au service des différentes entreprises impérialistes. Et quand ce travailleur arrive dans nos pays, les différents gouvernements refusent de lui donner les droits minimums pour vivre, tel que le droit au travail et à la protection sociale ainsi que le droit à l'éducation et à la formation. Ils déclenchent ensuite une féroce répression pour garantir à tout prix que ce travailleur devenu « clandestin » accepte sans broncher des conditions de travail scandaleuses ! Le patronat profite grassement du statut d'illégalité et c'est ainsi que plus de 20% de notre économie fonctionne sur le travail « en noir », principalement assuré par des travailleurs sans papiers. Cette brutalité a tristement été illustrée le 8 mai dernier. Un travailleur moldave, qui avait fuit son pays pour ne pas devoir aller se battre en Tchétchénie, a eu un accident de travail. Son patron s'est débarrassé de lui dans un parc à Alost. Faute de soins adéquats, il passera le restant de ses jours paralysé dans une chaise roulante. Et le patron ? Il n'a même pas été inquiété.
Pour noircir le tableau, la bourgeoisie belge, par l'intermédiaire de son ministre de l'intérieur entend bien durcir encore plus les conditions d'accès au pays. Une importante réforme proposée par Dewael réduit les possibilités de régularisation et annonce un durcissement de la répression. En fait le gouvernement violet ne fait qu'appliquer les directives européennes sur l'uniformisation des politiques d'immigrations. Les deux volets principaux de cette politique sont la gestion du flux de main-d'ouvre selon les pénuries conjoncturelles et la fermeture totale des frontières, avec bien sûr un dispositif de répression adéquat, bref, la matérialisation de l'Europe forteresse.
UDEP ou l'organisation des travailleurs sans papiers
Contre cette politique, des occupations et des manifestations ont eu lieu depuis des années en Belgique. Elles étaient souvent des réponses ponctuelles à la politique criminelle d'emprisonnement et d'expulsion dont les sans-papiers font les frais : cette répression indispensable pour les rendre dociles. En septembre 1998, une jeune nigériane, Sémira Adamu, a été assassinée lors de son expulsion. Le mouvement d'indignation s'est vu renforcé et à même fait du remous au gouvernement, alors arc-en-ciel (PS, Ecolos et Libéraux). Des politiciens indignés ? Apparemment plutôt gêné de cet étalement sur la place publique de leur pratiques criminelles. En octobre de cette année, des « sans-papiers » occupent l'église du Béguinage et y resteront pendant deux ans. Cette lutte a finalement su imposer des régularisations. Le 22 décembre 1999, une loi est votée qui organisera la première opération de régularisation depuis celle de 1974.
LaCIRE (Coordination et Initiatives pour et avec les Réfugiés et Étrangers) s'occupe depuis 1954 de cette problématique. Toutefois, son principal souci a toujours été d'encadrer le mouvement de solidarité envers les sans-papiers et d'éviter qu'ils ne franchissent les limites de la sacro-sainte « démocratie ». Elle s'oppose systématiquement aux mobilisations, préférant « un agenda politique à long terme » qui évite soigneusement d'affronter ouvertement le gouvernement.
Le 6 juin 2003, quatorze Iraniens en fin de procédure d'asile, et après l'échec de tous les recours légaux, s'installent dans l'église des Minimes, au centre de Bruxelles, où ils entament une grève de la faim. Le 27 juillet 2003, environ 300 Afghans, hommes, femmes et enfants, occupent l'église Sainte-Croix à Ixelles et y entament aussi une grève de la faim. Fin août 2003, 17 Iraniens occupent un local au Petit Château. Toutes ces luttes requièrent une organisation bien plus combative.
L'été 2004 se constitue à Liège l'Union de Défense des Sans-Papiers – UDEP, qui affirme rapidement (en moins d'un an !) son caractère national. Elle s'inscrit dans la tradition de lutte des camarades français de la Coordination Nationale des Sans Papiers (CNSP) et part d'une revendication cruciale : la régularisation de TOUS les sans-papiers.
Petit à petit, l'UDEP a organisé des rassemblements puis, avec l'aide des Comités de Soutien (voir cadre), de grandes mobilisations, accumulant des forces et de la sympathie dans la population belge. Elle a su vaincre le principal obstacle sur lequel butaient les collectifs de belge d'aide aux « sans-papiers » : réunir les sans-papiers. En effet, le travailleur sans papiers est constamment réprimé et se replie dans la clandestinité, restant avec ses compatriotes, avec sa communauté.
L'UDEP a su montrer à tous les « clandestins », qu'ils étaient des travailleurs comme la majorité des belges, quel que soit leur pays d'origine, qu'ils contribuaient à l'économie et qu'ils avaient le droit de s'organiser et de revendiquer de meilleures conditions de vie. En un mot, l'UDEP à su vaincre le principal obstacle savamment entretenu par le gouvernement : la peur.
Actuellement nous assistons à une explosion des luttes. Partout des « sans-papiers » sortent de la clandestinité et revendiquent leur droit à l'existence. De nombreuses églises (plus de 13) et des bâtiments publics sont occupés. Les occupants exigent leur régularisation, ils exigent de pouvoir vivre et travailler normalement afin de pouvoir bâtir un avenir pour eux et leurs enfants. Mais ils exigent également une amélioration générale de la situation pour tous les sans-papiers.
« Je ne sais pas si nous gagnerons ce combat. Si je marche aujourd'hui, c'est pour lui » dit une femme en désignant son enfant lors de la manifestation contre le projet de réforme de Dewael.1 Nous les avons tous et toutes cette préoccupation sur les possibilités de victoires du mouvement, et personne ne peu garantir quoi que ce soit car la lutte des classes ne se programme pas comme une pièce de théâtre. Nous pouvons toutefois apprendre de ces luttes et nous préparer au combat.
Tout d'abord il est indispensable de renforcer le mouvement et surtout l'organisme principal de lutte, l'UDEP. L'organisation ayant une dimension nationale, elle doit accroître sa centralisation en convoquant régulièrement des assemblées générales et y approfondir les discussions politiques, principalement sur les stratégies du mouvement. Il est fondamental aussi de combattre la surexploitation des travailleurs sans papiers au niveau européen et international. Dans ce sens la venue des camarades français et espagnol lors de la grande manifestation du 25 février est un pas important. D'autre part, l'appel international pour le Premier mai ne peut que renforcer l'organisation du mouvement au-delà des frontières.
1 Le Soir 22/04/06
Avoir confiance dans le gouvernement ou dans nos propres mobilisations ?
Ce qui surprend de prime abord les travailleurs étrangers qui arrivent en Belgique, c'est le fossé qu'il existe entre le discours sur « l'état de droit » et « la démocratie », et la brutale répression à laquelle ils doivent faire face. Pour eux, c'est clair et net : la Belgique n'est démocratique que dans ses discours et est en pratique un état policier. Ils ont parfaitement raison ! Du point de vue marxiste, les Etats sont des démocraties pour la bourgeoisie et des dictatures contre les travailleurs. Il est significatif que c'est le secteur le plus exploité de notre classe qui le découvre en premier lieu.
Mais alors, si c'est si évident, pourquoi le mouvement des sans-papiers persiste-t-il à négocier, voir à sceller des alliances avec des représentants de cette dictature du profit ? Pourquoi ne compte-t-il pas sur ses propres forces ainsi que sur celles du mouvement ouvrier « avec papiers » pour mettre en échec les plans du patronat défendu par le gouvernement ?
Une réponse nous vient des expériences de la lutte. Prenons l'exemple du CIRE qui à mainte reprise a promis des régularisations aux sans-papiers. Le CIRE ne se présente pas ouvertement comme ce qu'elle est : un organisme créé et financé par le gouvernement. Beaucoup de « sans-papiers » lui font confiance parce qu'ils ne veulent ni ne peuvent négliger aucun allié. Ce n'est que plus tard, quand il s'avère que le CIRE refuse d'étendre la lutte et d'accompagner les revendications du mouvement, lorsqu'elle appelle les associations et les syndicats à boycotter la marche du 25 février, que son caractère pro-gouvernemental apparaît clairement aux yeux de tous.
Le danger de confusion est d'autant plus grand que nous ne pouvons pas négliger les différentes tactiques du mouvement, comme une proposition de loi, ou d'autres propositions réformistes, mais néanmoins progressistes. Il peut même être utile de faire des accords tactiques avec certains parlementaires pour profiter des divergences d'intérêts dans des secteurs de la bourgeoisie et de leurs partis.
Mais le mouvement et surtout l'UDEP, ne doivent avoir aucune illusion sur le caractère de ces « alliés ». Ils doivent se rappeler que la réponse des gouvernements, face aux luttes des peuples et des travailleurs, fut toujours la même : resserrer les rangs et envoyer leur police et leur armée pour défendre la domination bourgeoise. Un parlementaire peut s'afficher comme « progressiste » mais il ne défendra pas la lutte contre son propre parti et il ne mettra pas en cause le gouvernement dans lequel son parti participe. Le « socialiste » Boukouna peut bien venir saluer les occupants d'une église, mais il s'est docilement levé pour voter à la chambre, en chour avec son parti, contre une motion progressiste pour le mouvement. Zoé Genot (Ecolo), a fait de même à l'époque où son parti était dans la majorité. Sous l'injonction du cabinet dirigé par Isabelle Durant, elle a retiré sa question parlementaire sur les politiques d'expulsions, adressée au ministre de l'intérieur. C'est d'ailleurs le gouvernement arc-en-ciel qui a inauguré les vols charters pour des ces expulsions collectives, plus sûres et moins coûteuses. Enfin, ce sont ces partis qui portent la responsabilité des 15.000 expulsions qui ont eu lieu en 1998, dont celle tristement célèbre du 24 septembre, où après 11 tentatives d'expulsions, l'Etat n'a pas hésité à ordonné à ses sbires d'utiliser les méthodes les plus brutales, qui furent fatales à Sémira Adamu.
Isabelle Durant peut bien se déclarer « solidaire » avec les occupants de Saint-Boniface, mais elle se garde de se prononcer sur des questions trop gênantes concernant la libération de nos camarades de lutte, raflés lors de cette occupation. Ainsi, même dans l'opposition, les partis ou les parlementaires dits « progressistes » se retranchent derrière la loi et acceptent et cautionnent finalement, par leur silence, les pratiquent barbares du gouvernement.
Décidément, pour obtenir la libération des sans-papiers et de leurs enfants emprisonnés, la suppression des centres fermer ainsi que l'arrêt des expulsions et une régularisation pour tous, nous ne pouvons compter que sur nos propres forces.