mar Avr 16, 2024
mardi, avril 16, 2024

Victoire de Syriza

Syriza canalise un énorme rejet populaire des attaques de la troïka européenne

Le parti Syriza est sorti largement victorieux des élections grecques, bien au-delà de ce que prévoyaient les enquêtes. Le parti Nouvelle Démocratie (ND) de l'actuel premier ministre Andonis Samaras – le principal exécutant des attaques économiques très dures contre la population, exigées par la troïka (UE, BCE, FMI) en échange de deux « sauvetages » de 240 milliards d'euros – a été le grand perdant.
   Une nouvelle étape s'ouvre maintenant, avec de nouveaux acteurs politiques. Les urnes ont assené un coup dur aux partis traditionnels : ND, ainsi que le parti social-démocrate Pasok qui, après avoir été au premier rang de la politique grecque pendant quatre décennies, a été réduit à 4,6 % des voix (13 sièges).
   Le résultat des élections représente une victoire politique spectaculaire du peuple travailleur grec.

 

   Le vote de millions de Grecs pour Syriza fut essentiellement un moyen de punir les partis et les dirigeants qui ont détruit le pays pendant les six dernières années, au service de la troïka et du capital financier allemand. Il signifie un rejet légitime d'une situation économique désastreuse, marquée par la perte de 25 % du PIB en cinq ans ; le chômage d'un quart de la population et plus de la moitié de la jeunesse ; un tiers de la population dans la pauvreté ; une dette extérieure colossale, qui représente 177 % du PIB, que la majorité des analystes considère comme impossible à payer, et qui ne cesse de croître, malgré les « ajustements » de plus en plus durs, imposés au peuple grec par les gouvernements serviles.[1]
   Le vote pour Syriza doit être interprété comme un « ça suffit ! » aux « plans d'austérité » et à ses partis que – tout le monde le sait – la classe ouvrière et le peuple pauvre grecs ont combattus depuis les premières mesures. Ils ont mené plus de 30 grèves générales et d'innombrables autres luttes depuis le début de la crise capitaliste et la « guerre sociale » qui s'en est suivie – mise en œuvre par la troïka contre les peuples européens.
   C'est pourquoi la campagne de Samaras qui a brandi le dilemme entre le vote pour lui ou le chaos – insistant sur la peur, pour ne pas dire la terreur – a été un échec. Après six années d'austérité, de chômage, de faim, de destruction des services publics, d'impôts gigantesques,[2] avec une augmentation de 45 % des suicides et des humiliations de toutes sortes, la majorité des gens ont compris que le « chaos » s'était installé depuis belle lurette et que la plus grande « peur » était que tout allait continuer comme avant.
   C'est dans ce contexte que le discours de Tsipras – affirmant que « l'austérité n'était inscrite dans aucun traité européen » et promettant de « restaurer la dignité nationale » des Grecs — a été entendu. Syriza est apparu comme « le nouveau », dans lequel un peuple qui sent qu'il n'a plus rien à perdre a déposé son juste espoir.
   La montée électorale fulgurante de Syriza – qui a augmenté son score de 5 % à 36 % entre 2009 et 2015 – s'explique, d'une part, par la dureté de la crise économique et les mesures draconiennes des gouvernements successifs, et d'autre part, par l'absence d'une alternative politique révolutionnaire jouissant d'une ample sympathie dans la classe ouvrière. Le résultat grec exprime en même temps un nouveau moment pour les partis soi-disant « anticapitalistes » et « à la gauche » de la social-démocratie traditionnelle et des partis conservateurs. C'est le cas de Podemos en Espagne, qui pourrait capitaliser électoralement une situation économique et un mécontentement social similaires dans son pays.

 

 

Qu'en sera-t-il du gouvernement de Syriza ?

Nous comprenons la joie que ressent en ce moment, à juste titre, la majorité du peuple grec. Ce sentiment n'est autre que l'émotion d'une victoire obtenue contre Merkel et les créanciers de la troïka, avec la défaite de leurs candidats.
   Mais la compréhension des illusions dans le nouveau gouvernement ne doit pas mener au soutien de ces mêmes illusions. Comme nous l'avons dit dans une déclaration antérieure au cours de la campagne électorale, nous, la LIT-QI, nous comprenons qu'un vrai changement requiert que Syriza abandonne sa politique d'accords avec le capital financier et mette en œuvre un programme de rupture avec l'euro et la troïka. Pour nous, c'est la seule issue réaliste dont dispose le peuple grec pour surmonter la ruine dans laquelle il est plongé.
   Dans sa campagne électorale, Tsipras s'est beaucoup occupé à rassurer les marchés et à se présenter comme « fiable » pour l'Europe et le capital. Il a réaffirmé que son objectif est tout au plus de « renégocier » les délais et les intérêts de la dette qui étrangle l'économie. Le vainqueur des élections propose d'annuler une partie de la dette nominale et d'« honorer » le reste selon la croissance du pays. Cela veut dire que la proposition de Syriza est que le peuple grec continue de payer la dette aux banquiers allemands et à la troïka.
   En conformité avec ce scénario, les premiers pas de Syriza vont dans le sens opposé des aspirations populaires. Dès l'annonce du résultat des élections, il a fait connaître l'accord pour former un gouvernement avec le parti Grecs Indépendants (ANEL, qui a remporté 4,7 % des voix et 13 députés), une formation bourgeoise contraire à l'« austérité », mais avec un programme nationaliste de droite et un discours anti-immigration.[3] ANEL est dirigé par un va-t-en-guerre comme Kammenos, issu du partiNouvelle Démocratie, très proche de l'Eglise orthodoxe, avec un programme conservateur réactionnaire. Et l'alliance avec lui préfigure un cours contraire aux attentes d'un véritable changement social.
   Les réseaux sociaux ont déjà diffusé plusieurs plaintes de la part de militants pour la légalisation du mariage homosexuel ou du mouvement LGBT qui craignent que Syriza ne range leurs demandes au placard afin de conserver l'alliance avec la droite.
   Un autre fait est que, quelques heures après la victoire électorale, un personnage important de Syriza, le député Yanis Varufakis, possible nouveau ministre des Finances, a déclaré qu'il y avait « un peu de pose de notre côté », et que « le Grexit [la sortie de la Grèce de l'euro] n'était pas à l'ordre du jour : nous n'irons pas à Bruxelles ou à Francfort avec une approche conflictuelle ».[4] Il a dit que ce qu'ils chercheront, c'est « la connexion de nos paiements avec la croissance », ce qu'il considère comme « positif » pour les deux parties.
   Reste à voir la position qu'assumera la troïka face au triomphe de Syriza. Le deuxième programme d'ajustements se termine le 28 février, le délai dont dispose le nouveau gouvernement pour solliciter le dernier tronçon de cette « aide », correspondant à 1,8 milliard d'euros. Que fera Syriza ? De quelle marge dispose-t-elle, ne fût-ce que pour cette fameuse « restructuration » ? La réalité nous dira ce qu'il en est.
   Pour l'instant, la directrice du FMI, Christine Lagarde, a déclaré dans une interview publiée ce lundi dans Le Monde, qu'« il y a des règles internes à suivre dans la zone euro » et que « nous ne pouvons pas créer des catégories spéciales pour certains pays ».[5]
Le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a également averti que le pays hellénique « ne peut pas se passer du soutien d'un programme d'aide, et qu'un programme de ce type ne peut avoir lieu que lorsque les accords sont respectés ».
   Cependant, il y a des secteurs qui soutiennent la nécessité de « restructurer » les délais afin de ne pas forcer la situation politique et d'assurer la continuité du pillage sans un remue-ménage inutile.
   En ce sens, il y a les déclarations du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker : il y a un mois, il a affirmé à Bruxelles qu'il « n'aime pas de nouveaux visages », mais ce lundi, il a chaleureusement félicité Tsipras pour son « succès » électoral et il a offert l'aide de l'exécutif de l'UE pour parvenir à « une croissance durable » et « une crédibilité budgétaire ».
De même, le président français, François Hollande, était lundi le premier dirigeant européen à féliciter Tsipras, à qui il a offert son soutien pour « retrouver le chemin de la stabilité, la croissance et l'esprit de solidarité qui unit les Européens ».
   Il est important de souligner ici, au-delà des fluctuations possibles dans ces négociations de cabinet, que le chemin de la permanence dans les moules de l'UE et du paiement « renégocié » à la troïka n'a rien à voir avec les espoirs de changement que la majorité du peuple a déposés dans Syriza. Au contraire, cela ne peut apporter que la déception dans de nombreux secteurs qui voient actuellement Syriza comme une alternative pour améliorer leurs conditions de vie.

Notre seule confiance reposera sur la lutte des travailleurs et du peuple grec.

Avec l'arrivée de Tsipras et de Syriza au gouvernement, la gauche révolutionnaire grecque et la gauche mondiale doivent choisir : soutenir politiquement ce gouvernement et faire la propagande des illusions posées en lui, ou continuer la lutte pour le maintien de l'indépendance politique et la mobilisation permanente de la classe ouvrière, comme seule garantie de changement social.
   La première option exige d'assurer au nouveau gouvernement la paix sociale. Pour la seconde, il faut maintenir une vigilance constante, déposer l'espoir de changement uniquement dans la lutte ouvrière et populaire, et exiger à partir de cela au nouveau gouvernement un plan de sauvetage des travailleurs et du peuple : un plan qui leur restitue l'emploi, des salaires décents, l'éducation et la santé publique et de qualité, une pension avec laquelle les gens peuvent vivre, et la garantie du droit au logement. La défense de la souveraineté nationale implique d'exiger au nouveau gouvernement la récupération des ressources économiques et financières ; la récupération-nationalisation de toutes les entreprises privatisées ; l'expropriation sans indemnisation des industries et des entreprises, sous contrôle ouvrier ; avec la nationalisation des banques, incontournable pour l'application d'un plan d'urgence sociale.
   Il s'agit, en substance, d'exiger ce qui a motivé la mobilisation des travailleurs et du peuple grec au cours des dernières années, y compris 30 grèves générales ; il s'agit d'exiger ce qui a motivé leur vote : un véritable changement social.
   La campagne électorale est terminée ; le gouvernement de Tsipras doit maintenant choisir entre l'application d'un plan de sauvetage des travailleurs et du peuple ou le payement de la dette aux banquiers et aux spéculateurs. Ou avec les travailleurs et le peuple grec, ou avec la troïka. C'est ça le dilemme que ni les phrases ingénieuses ni les « importantes lacunes » ne peuvent contourner.
   La campagne électorale, les pirouettes « pragmatiques » à répétition de la direction de Syriza et les premiers pas dans la formation du gouvernement avec la droite suggèrent que le gouvernement de Tsipras ne sera pas un gouvernement qui sert les intérêts de la classe ouvrière et du peuple pauvre de la Grèce.
   Par conséquent, la LIT-QI – avec respect pour les illusions des travailleurs et du peuple grec, et avec la joie partagée pour s'être débarrassé des voleurs et des despotes de tous les jours – ne dépose pas la moindre confiance politique dans le nouveau gouvernement. Notre confiance et nos espoirs seront toujours déposés dans la lutte des travailleurs et du peuple grec pour les mêmes exigences qui l’ont motivée au cours des années.
   D'autres exemples historiques ont démontré que l'abandon des espoirs de changement exprimés dans ces élections, de pair avec la continuité d'une crise économique et sociale brutale comme celle de la Grèce, revient à ouvrir la voie à des partis carrément fascistes comme Aube Dorée – arrivé à la troisième place dans ces élection, avec 6,2 % des voix et 17 sièges –, qui défendent un programme de rupture avec l’euro et la troïka, mais le font dans une perspective xénophobe, ultranationaliste et d'extrême droite.
   La grande tâche consiste donc à travailler pour l'organisation et l'indépendance politique de la classe ouvrière, en ayant confiance uniquement dans ses propres forces, dans l'énorme capacité de mobilisation dont le peuple grec a fait preuve au cours des dernières années. C'est dans ce contexte qu'il faut construire une organisation révolutionnaire dans le pays.
   Etant donné que la catastrophe sociale ne donne aucun jour de répit, la classe ouvrière et la gauche révolutionnaire grecque ne doivent donner au nouveau gouvernement ni cent jours de grâce, ni même un seul jour ; ils doivent exiger de lui ce qui a motivé le vote pour lui. Nous voulons le changement social, nous voulons l'application en Grèce du seul plan de sauvetage qui fait défaut : celui des travailleurs et du peuple.
_________________
[1] La dette grecque s'élève à 320 milliards, dont 240 milliards correspondent à des créanciers européens. Selon le dernier eurobaromètre de la Commission européenne, 38 % des analystes considèrent que la situation économique est arrivée à sa limite et ne peut plus empirer.
[2] En 2013, les impôts représentaient près de 42 % du revenu d'une personne avec un salaire moyen.
[3] observador.pt/2015/01/26
[4] noticias.uol
[5] europapress.es

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