ven Mar 29, 2024
vendredi, mars 29, 2024

Une histoire avec des racines et un avenir

La LIT-QI fut fondée en janvier 1982 avec comme objectif central la lutte pour résoudre la crise de direction du mouvement ouvrier mondial et pour reconstruire la Quatrième Internationale avec influence de masse.

A la base de sa fondation et de l’effort militant pour sa construction et sa consolidation pendant ces 30 dernières années, il y a la conviction de la pleine actualité d’un principe : seule la mobilisation permanente des travailleurs et des exploités du monde entier, contre l’impérialisme et la bourgeoisie, peut aboutir à la victoire de la révolution socialiste internationale et à l’implantation de la dictature révolutionnaire du prolétariat. Nous ne pensons pas qu’il existe une autre possibilité de surmonter les maux profonds auxquels le capitalisme impérialiste soumet l’humanité. Et nous pensons que pour cela, pour que cette lutte puisse être menée avec des chances de succès, il faut une direction révolutionnaire internationale.

Si la LIT-QI fut fondée il y a 30 ans, en tant qu’organisation, le courant moréniste (dirigé par l’Argentin Nahuel Moreno), qui en était alors la principale composante, naquit en Argentine en 1944. Entre cette année et 1982, ce courant a mené toute une série de batailles et d’activités militantes dans diverses organisations qui se revendiquaient de la Quatrième Internationale.

En même temps, nous croyons qu’il y a une continuité, un « fil conducteur », entre cette activité militante et l’Opposition de Gauche fondée par Trotsky dans les années 1920 pour lutter contre la bureaucratie stalinienne et sa dégénérescence théorique, politique et méthodologique. Nous considérons également cette activité comme la continuation de la fondation de la Troisième Internationale et des élaborations programmatiques de ses quatre premiers congrès (1919-1923), ainsi que de l’action et du programme du Parti bolchevik de Lénine et du rôle de direction de ce parti dans la Révolution russe de 1917. Et la continuité remonte encore plus loin dans le temps, avec les bases théoriques et politiques que Marx et Engels ont établies au XIXe siècle.

Ce fut une longue route, avec de grandes victoires, et aussi de grandes défaites, avec de grands progrès et des périodes de profonde régression. Mais même dans les moments les plus difficiles, quand presque tout semblait perdu, y compris l’espoir même de pouvoir changer les choses, il y avait toujours une poignée de cadres et de militants qui, avec un oeil sur les luttes du présent et les perspectives, gardaient le « fil conducteur » et les concepts d’organisation du socialisme révolutionnaire.

En ces moments difficiles, Marx, Engels, Lénine, Troysky et Moreno, parmi d’autres, ont été capables de « nager contre le courant » et de préparer ainsi l’avenir.

La fondation de la Quatrième Internationale

La bataille qui était à l’origine de l’Opposition de Gauche dans les années 1920 et de la Quatrième Internationale en 1938, était la continuité de la lutte de Lénine, de Trotsky et de Rosa Luxemburg : d’abord contre le révisionnisme des dirigeants de la social-démocratie et de la Deuxième Internationale, puis pour la victoire, la défense et le développement international de la Révolution russe, et la construction du premier Etat ouvrier dans l’histoire, et enfin, pour la fondation de la Troisième Internationale, comme une nécessité impérieuse pour vaincre l’impérialisme à l’échelle mondiale.

Comme indiqué dans l’article sur la reconstruction de la Quatrième Internationale, « entre 1919 et 1923, la Troisième Internationale a été la première tentative, et jusqu’à maintenant la plus importante, de construire une véritable direction révolutionnaire internationale avec un poids de masse, un parti mondial de la révolution socialiste. C’était une grande conquête pour les travailleurs dans le monde entier et, par conséquent, nous revendiquons à la fois sa conception organisationnelle et les élaborations programmatiques des quatre premiers congrès. »

Dans ce même article sont analysées les raisons qui ont mené – dans le cadre du processus même de la dégénérescence, provoquée par le stalinisme dans le parti bolchevik et l’URSS – à la bureaucratisation de cette Internationale et à sa transformation en un instrument de la politique étrangère de la bureaucratie. Cet instrument est responsable de grandes défaites des travailleurs dans le monde, comme celle de la révolution chinoise de 1923-1925, et il fut complice, sans mener de bataille, du triomphe du nazisme en Allemagne et de sa montée au pouvoir en 1933, jusqu’à sa dissolution formelle en 1943.

En 1938, Trotsky fonda la Quatrième Internationale comme une continuation de la Troisième, pour défendre l’héritage programmatique et les conceptions organisationnels du marxisme et du léninisme, contre la bureaucratie stalinienne qui était non seulement en train de détruire cette tradition, mais, pire encore, se présenta comme son « héritière » moyennant une horrible caricature de cette dernière.

Dans cette lutte contre le stalinisme, la Quatrième Internationale se proposait d’éduquer des milliers de nouveaux cadres avec le même objectif stratégique que la Troisième : diriger la classe ouvrière dans le processus de la révolution socialiste mondiale. Voilà la grande mission historique de la Quatrième Internationale fondée alors, de son programme et de sa méthode.

La Quatrième Internationale naquit faible, réunissant à peine quelques milliers de militants, à cause de la situation contre-révolutionnaire qui existait après les triomphes du nazi-fascisme et du stalinisme, avant la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte, Trotsky prédit que la Seconde Guerre mondiale, tout comme la Première, allait provoquer une vague de révolutions et que, dans ce processus, la Quatrième Internationale allait acquérir un poids de masse.

Mais le stalinisme l’assassina en 1940 au Mexique. La Quatrième Internationale a ainsi perdu celui qui, de loin, était son principal dirigeant, non seulement parce que sa figure avait un grand prestige auprès des masses, mais parce qu’il était, sans aucun doute, vu sa trajectoire, le plus expérimenté et le plus capable.

La crise dans la Quatrième Internationale

L’assassinat de Trotsky a aggravé les conditions dans lesquelles devait travailler le petit noyau de cadres et de militants trotskystes, regroupés dans la Quatrième Internationale après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

D’une part, en accord avec les pronostics précédents, la guerre a provoqué un grand essor révolutionnaire en Europe et dans d’autres régions du monde, ainsi que l’émergence de nouveaux Etats ouvriers qui rejoignirent l’URSS. Mais d’autre part, contrairement aux prévisions de Trotsky, la Quatrième Internationale n’a pas acquis un poids de masse et n’eut pas d’incidence sur ces processus : elle est restée un petit noyau. C’est le stalinisme qui dirigea ces processus, et ce rôle, ainsi que celui de l’URSS dans la défaite du nazisme et du fascisme, a fait de lui la direction incontestable du mouvement ouvrier et des masses dans le monde.

Dans ce contexte, la majorité de la nouvelle direction de la Quatrième Internationale n’a pas été à la hauteur des exigences. Les organisations trotskystes se sont progressivement divisées en deux grands courants. L’un d’eux, dirigé par Michel Pablo et Ernest Mandel et devenu la direction de la Quatrième Internationale, a adopté une orientation opportuniste. Dans un effort pour intervenir dans les processus révolutionnaires en cours et créer des liens avec eux, ce courant a capitulé face à leurs directions bureaucratiques et petites-bourgeoises : d’abord le stalinisme, puis le titisme (en Yougoslavie) et par la suite les mouvements nationalistes bourgeois, le castrisme, et ainsi de suite.

Sur base de cette capitulation, ce courant a créé des théories de justification et abandonné les principes et la stratégie. Il alla jusqu’à refuser de défendre le retrait de l’Armée rouge quand les révolutions politiques ont éclaté à Berlin-Est (1953) et en Hongrie (1956).

La Bolivie en 1952 et la division de la Quatrième Internationale

Ces positions ont eu une conséquence très négative lors de la révolution bolivienne de 1952. Au cours de celle-ci, suivant le modèle « classique » de la Révolution russe, la classe ouvrière, et en particulier les mineurs, se trouvaient à la tête de la paysannerie et des masses urbaines, dans une insurrection où la milice de la COB (Centrale ouvrière bolivienne) avait vaincu l’armée. Tout au long de ce processus, le POR (Parti ouvrier révolutionnaire, la section bolivienne de la Quatrième Internationale) a joué un rôle de direction. Mais la direction pabliste lui commanda de soutenir le gouvernement bourgeois du MNR, et la révolution échoua.

Les intenses controverses sur les orientations à suivre en Bolivie, et surtout les méthodes bureaucratiques et harcelantes de Pablo contre ceux qui n’étaient pas d’accord avec son orientation (telles que l’intervention dans la majorité de la section française, qui refusa de faire de l’« entrisme » dans le PC), ont conduit à la division de la Quatrième Internationale et au début d’une crise qui, en réalité, n’a pas encore été surmontée.

Les autres courants

L’autre courant principal de la Quatrième Internationale a pris une orientation sectaire : puisque les processus ne suivaient pas les prédictions de Trotsky, il ne s’agissait pas de révolutions ni de l’émergence de nouveaux Etats ouvriers. Ne reconnaissant pas cette nouvelle réalité, ces camarades n’étaient plus à même de participer aux nouveaux processus révolutionnaires en cours et se réfugiaient dans une défense propagandiste du programme, de la stratégie et des principes.

Par la suite, plusieurs d’entre eux (en particulier les Anglais avec Healy et les Français avec Lambert) ont abandonné la construction d’une Quatrième Internationale centralisée et sont devenus ce que Moreno appelle le national-trotskysme. Dans le meilleur des cas, ils ont construit de faibles organisations internationales collatérales.

Le SWP, qui était alors le parti trotskyste le plus fort et disposait des cadres les plus expérimentés (dont beaucoup formés par Trotsky lui-même), avait des positions similaires à celles de Moreno en ce qui concerne la défense des révolutions politiques en Hongrie et en Allemagne de l’Est et la reconnaissance de nouveaux Etats ouvriers déformés en Europe de l’Est et à Cuba. Mais il avait une déviation qui allait le mener à jouer un rôle extrêmement négatif sur la crise dans la Quatrième Internationale.

Ce parti n’a jamais assumé la tâche centrale de la construction d’une direction de la Quatrième Internationale, une tâche qui lui incombait, vu son poids et son expérience. Ses dirigeants ne voyaient pas que leur tâche principale était d’être l’axe de la construction de l’Internationale : ils voyaient la Quatrième Internationale comme une fédération de partis et non pas comme une direction internationale centralisée.

Ainsi, le SWP fut le responsable par omission de la crise de cette organisation. Et cette conception le conduira, plus tard, à une révision du trotskysme lui-même : dans les années 1980, il deviendra un grand capitulard face au stalinisme et au castrisme.

Le Morenisme

C’est dans ce contexte que Nahuel Moreno a essayé de construire, pour ainsi dire, une « troisième voie », depuis qu’il avait rejoint la Quatrième Internationale en 1948, comme délégué du POR argentin.

Il a maintenu une défense intransigeante des principes et de la stratégie, mais il a cherché, en même temps, à élaborer des explications marxistes pour les nouveaux phénomènes et à fournir les actualisations nécessaires du programme. Il a joué ainsi un rôle important, par exemple, dans les élaborations qui ont permis de caractériser le résultat des processus en Europe de l’Est et en Chine comme de nouveaux Etats ouvriers. En ce qui concerne la Bolivie de 1952, il a lutté contre l’orientation de Pablo et de Mandel, et pour une politique trotskyste orthodoxe de pouvoir ouvrier, qu’il résuma dans le slogan « Tout le pouvoir à la COB », considérant que cette organisation pouvait jouer un rôle similaire à celui des soviets en Russie en 1917.

L’obsession de Moreno : se construire au sein de la classe ouvrière

Moreno a aussi toujours eu l’obsession de voir les organisations trotskystes, en particulier celles qu’il dirigeait, intervenir et se construire dans les processus concrets de la lutte des masses, en particulier au sein de la classe ouvrière, saisissant les opportunités et surmontant la marginalité qui caractérisait ces organisations.

Si nous avons détaillé un peu l’histoire du courant moréniste en Argentine, c’est parce que ce courant est né dans ce pays et y a connu son plus grand développement. Moreno, comme Trotsky, estimait que le programme du trotskysme est la continuation du marxisme révolutionnaire.

En ce sens, c’est le programme du prolétariat : l’internationalisme ouvrier, la démocratie ouvrière et la mobilisation permanente.

Un parti révolutionnaire ne peut se construire que s’il est basé sur ces trois piliers. C’est pourquoi Moreno avait l’obsession de construire la LIT et ses sections comme intégrées organiquement dans la classe ouvrière, seule garantie de pouvoir être une direction avec une possibilité réelle de diriger la classe ouvrière vers la prise du pouvoir.

C’est cette obsession qui a conduit ce premier groupe de jeunes trotskystes argentins à rompre avec la petite bourgeoisie intellectuelle et contemplative, et à s’orienter vers la construction d’un parti ouvrier et d’action. Il y avait là également une démarche importante pour que le trotskysme rompe avec sa situation de marginalité et puisse se présenter comme une alternative politique aux larges masses laborieuses.

Cette obsession est toujours celle de la LIT : se construire parmi les gros bataillons de la classe ouvrière. Pour Moreno, « une organisation trotskyste qui n’est pas pleine de militants ouvriers, vit en situation de crise permanente, même si elle se compose de camarades très intelligents
et capables ».

L’origine du morenisme

Cette obsession à ses racines dans l’origine elle-même de notre courant à partir des années 1940 en Argentine.

Au début, il y avait un petit groupe d’étude de quelques jeunes, qui finit par s’entendre sur les positions de Trotsky. Dans ce groupe d’étude, il y avait, en plus de Moreno, les frères Boris et Rita Galub, Mauricio Czizik et Daniel Pereyra, originaires de familles ouvrières, et « Abrahamcito », qui venait de la classe moyenne. Pour assumer les positions trotskystes, ces jeunes ont eu l’aide décisive d’un travailleur bolivien nommé Fidel Ortiz Saavedra. En 1943, ils se constituèrent en tant que noyau politique, le Groupe Ouvrier Marxiste (GOM). Ils se donnaient l’objectif central de militer au sein de la classe ouvrière pour essayer de convaincre les travailleurs de la nécessité de former un parti révolutionnaire pour arriver au socialisme.

A cette époque, le mouvement trotskyste argentin était très marginalpar rapport à la classe ouvrière : il était composé majoritairement d’intellectuels qui se contentaient de discuter dans les cafés. Moreno comprit bien l’essence même du trotskysme et le groupe tira la conclusion qu’il était nécessaire d’appliquer toutes les forces militantes dans la construction au sein de la classe, afin de mobiliser les travailleurs pour leurs revendications et de former des cadres marxistes pour les tâches de la révolution socialiste. Le processus a été couronné de succès : le groupe a évolué et est beaucoup intervenu dans des grèves et des luttes, où il a gagné des ouvriers et étendu son influence. Le GOM a existé jusqu’en 1948, quand il adopta le nom de Parti Ouvrier Révolutionnaire (POR).

Le développement en Argentine

Dans les décennies qui suivirent, divers projets et tactiques ont été développés, sous des noms différents, qu’il est impossible de résumer dans cet article. Le POR a existé jusqu’en 1956, et a également utilisé la tactique de la légalisation pour s’insérer dans les syndicats, comme la Fédération de Buenos Aires du Parti socialiste pour la révolution nationale (PSRN). C’est ainsi qu’il intervint pour faire face au coup d’Etat contre le gouvernement du général Perón en 1955.

Après ce coup d’Etat, un accord fut conclu avec un secteur de militants syndicaux péronistes qui luttaient contre la dictature et un journal fut édité, Palabra Obrera (parole de travailleur). Ce journal allait jouer un rôle important dans la « résistance péroniste », au point que chaque numéro fut vendu à dix mille exemplaires.. En 1965, les militants de Palabra Obrera rejoignirent le groupe politique dirigé par Mario Roberto Santucho (le FRIP) pour former le PRT (Parti Révolutionnaire des Travailleurs). L’expérience fut de courte durée : Santucho adopta les positions de Castro et de Che Guevara, et une scission intervint dans le PRT en 1967. L’organisation moréniste prit alors le nom de PRT-La Vérité.

Ce nom est resté jusqu’en 1972, quand une ouverture juridique et électorale dans le pays fut utilisée pour légaliser le parti, suite à un accord avec un secteur du PS, sous le nom de Parti Socialiste des Travailleurs (PST). Ce parti est arrivé à comptabiliser environ 3 000 militants, insérés dans la jeunesse et la classe ouvrière, avant le putsch de 1976.

Le PST a joué un rôle héroïque dans la résistance face à la dictature génocidaire qui débuta en 1976. Parmi ses membres, 250 furent emprisonnés et plus de 100 trouvèrent la mort ou disparurent. Le parti agissait dans la clandestinité la plus absolue, maintenant son journal et développant son activité dans le mouvement ouvrier et de la jeunesse et parmi les intellectuels.

Au moment de la guerre des Malouines (1982), après la fondation de la LIT, la haine contre la dictature n’a pas empêché le PST d’avoir une politique de principes d’identifier l’envahisseur impérialiste comme l’ennemi principal. Dès le début, et tout en dénonçant la dictature, le parti
s’est placé dans le camp militaire argentin et a combattu pour la défaite de l’impérialisme. Après la défaite de l’Argentine, il a activement participé à des manifestations qui ont renversé la dictature.

Peu de temps après, une situation révolutionnaire s’est ouverte dans le pays, à laquelle le PST a répondu. Avec un noyau important de cadres, grandement renforcé par la lutte contre la dictature et l’intervention dans le conflit des Malouines, la construction du Mouvement vers le socialisme (MAS) fut lancée sous l’orientation de Moreno. En quelques années, cette organisation est devenue, toujours sous l’orientation de Moreno, le principal parti de gauche dans le pays et le plus grand parti trotskyste dans le monde.

L’internationalisme

Une autre obsession était l’internationalisme révolutionnaire, la conviction qu’il n’y a pas d’issue pour la classe ouvrière et la révolution socialiste à l’échelle nationale. Et, comme Trotsky, Moreno était convaincu qu’il ne peut pas y avoir une organisation révolutionnaire nationale si elle n’est pas construite comme partie d’une organisation internationale.

C’est pourquoi Moreno a consacré, après une courte période initiale, l’essentiel de sa vie militante à la construction de la Quatrième Internationale dans les diverses instances et organisations. Un courant moréniste international a ainsi émergé, dans le cadre du militantisme et des débats et controverses qu’il a développés. Voici quelques exemples.

Dans les premières années de 1960, Hugo Blanco (un étudiant péruvien gagné en Argentine par Palabra Obrera) retourna au Pérou et y organisa et dirigea les syndicats et la lutte des paysans de Cuzco pour la réforme agraire. Il devint alors, selon les mots de Moreno, « le dirigeant de masse trotskyste le plus important après Trotsky ». Cette tradition se poursuit aujourd’hui dans le PST péruvien.

En 1974, un petit groupe de jeunes exilés brésiliens au Chili se connecta avec le courant moréniste et retourna à son pays. Il profita des restes de démocratie que le régime de la dictature brésilienne avait laissés et construisit, en quelques années, une organisation de 800 membres (Convergencia Socialista). Cette organisation a joué un rôle important dans la fondation du PT et de la CUT, dans les années 70’ et au début des années 80’, et s’est construite au sein de ces organisations, mais en opposition à la direction de Lula. Le morénisme a ainsi établi au Brésil des liens très solides avec la classe ouvrière, ce qui, des années plus tard, donnera lieu à la création du PSTU (Parti Socialiste des Travailleurs Unifié), aujourd’hui l’un de partis de gauche les plus importants dans ce pays.

En 1974, le PST argentin envoya des cadres pour participer à la révolution portugaise. Ils y ont gagné des groupes de jeunes étudiants désireux de construire un parti révolutionnaire au Portugal. Ce processus, qui se décline aujourd’hui sous le nom de MAS (Mouvement Alternative Socialiste), est rapporté ailleurs dans ce numéro de Courrier International.

En 1975, en Colombie, un contact fut établi avec le dénommé Bloc Socialiste. Le PST colombien est alors construit à partir d’un secteur de cette organisation. En 1979, le courant moréniste (et en particulier le parti colombien) promut la formation de la brigade Simon Bolivar pour intervenir dans la révolution nicaraguayenne avec les forces du FSLN, contre la dictature d’Anastasio Somoza. Dans ces batailles, trois camarades trouvèrent la mort et plusieurs furent blessés. Les militants et les sympathisants trotskystes étaient fiers d’intervenir directement dans un grand processus révolutionnaire et dans le renversement de l’un des dictateurs les plus sanguinaires du continent latino-américain.

La fraction bolchevik

L’internationalisme s’est manifesté également dans différents regroupements auxquels le morénisme a participé, pour mener des batailles théoriques et politiques au sein de la Quatrième Internationale.

A cette époque, après sa période précédente ultra-gauchiste et de promotion de la guérilla, le courant mandeliste, qui dirigeait le Secrétariat Unifié (SU) de la Quatrième Internationale, abandonnait de plus en plus la perspective de la construction d’une direction révolutionnaire mondiale et se tournait vers des positions de plus en plus capitulardes.

Dans le cadre de la lutte contre ces positions, la plupart des organisations latino-américaines ainsi que des cadres de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie ont formé une tendance interne afin de débattre sur les positions dominantes dans le SU. Ensuite, cette tendance s’est constituée comme Fraction Bolchevik (FB).

La rupture définitive avec le SU eut lieu en 1979, quand sa direction refusa de défendre les membres de la Brigade Simon Bolivar, expulsés du Nicaragua par le gouvernement sandiniste, puis remis à la police du Panama, qui les a réprimés et torturés. La majorité du SU avait adopté une résolution qui définissait les directions du Nicaragua et de Cuba comme « révolutionnaires » et « interdisait » la construction de partis trotskystes dans ces pays.

Naissance de la LIT-QI

La LIT-QI fut fondée peu après. Auparavant, il y avait eu une tentative infructueuse pour faire avancer la reconstruction de la Quatrième Internationale à partir d’une fusion avec l’organisation internationale dirigée par Pierre Lambert (le CORCI), dont l’organisation la plus importante était l’OCI française. Cette tentative a échoué à cause de « l’adaptation révisionniste de la direction de l’OCI au gouvernement de Mitterrand et, en général, à l’appareil social-démocrate français ».(2)

En janvier 1982, un rendez-vous international eut lieu avec les partis de la FB et deux dirigeants importants originaires du lambertisme : Ricardo Napurí (Pérou) et Alberto Franceschi (Venezuela). Le premier point de la réunion était l’organisation d’une campagne pour la défense de la morale révolutionnaire de Napurí, attaqué calomnieusement par Lambert.

Le second point était la discussion sur la façon de faire avancer la construction de l’Internationale. Après l’approbation de la campagne, la réunion résolut à l’unanimité de se transformer en Conférence de fondation d’une nouvelle organisation internationale. Le nom, les statuts et les thèses fondatrices de l’LIT-QI furent approuvés.

A peine fondée, la LIT-QI avait du pain sur la planche : elle naquit à un moment de grande montée des luttes ouvrières. Il fallait répondre à la guerre des Malouines et aux défis en Argentine ; au processus de la revendication pour les « élections directes maintenant ! » et de la fin de la dictature au Brésil ; ainsi qu’à de nombreux autres processus. Il y avait de grands changements dans le monde capitaliste et impérialiste, et de grandes transformations aussi dans le spectre de la gauche mondiale, en particulier à cause de la crisede l’appareil stalinien mondial et des PCs. La LIT-QI a répondu à chacun de ces bouleversements et est devenu l’organisation internationale trotskyste la plus dynamique.

Au milieu de ce processus, en 1987, la mort de Nahuel Moreno porta un coup terrible à la LIT-QI . Son absence fut à l’origine d’un affaiblissement qualitatif de la direction internationale et a eu un énorme impact sur le développement et le dénouement de la crise qui allait la conduire au bord de la destruction.

Le déluge opportuniste

De grands processus révolutionnaires eurent lieu entre 1989 et 1991, qui mirent fin aux régimes totalitaires de parti unique de l’URSS et de l’Europe de l’Est. Ils détruisirent l’appareil central du stalinisme et mirent fin à la camisole de force qui immobilisait le mouvement ouvrier mondial. Toutefois, la restauration du capitalisme avait été imposée quelques années auparavant par les bureaucraties dirigeantes elles-mêmes, et ces processus n’ont pas réussi à l’annuler, malgré leur puissance, à cause de la crise de direction révolutionnaire.

D’une part, la destruction de l’appareil central du stalinisme signifiait une grande victoire, qui a eu des répercussions mondiales puisqu’elle renforçait la conscience anti-bureaucratique et causait l’affaiblissement de toutes les bureaucraties, et pas seulement les staliniennes. D’autre part, une grande partie de l’avant-garde mondiale a vu la restauration comme un résultat des luttes des masses. L’impérialisme a profité de l’occasion pour lancer une grande campagne idéologique en affirmant « la mort du socialisme », « la suprématie du capitalisme » et « la fin
de l’histoire ».

La gauche, en général, fut plongée dans un profond état de torpeur et de démoralisation, et en particulier, beaucoup d’organisations trotskystes furent touchées par ce véritable « déluge opportuniste ». Certains ont conclu que ce n’est pas possible de faire la révolution socialiste, d’autres se sont mis à faire valoir que le socialisme n’était plus nécessaire, et le programme révolutionnaire a été de plus en plus abandonné.

La stratégie de lutte pour le pouvoir fut remplacée par la stratégie électorale dans le cadre de la démocratie bourgeoise, et de nombreuses organisations commencèrent à dépendre matériellement du parlement bourgeois, des subventions gouvernementales ou des appareils syndicaux.

Des choses auparavant impensables devenaient normales : des militants « trotskystes » qui participaient à des gouvernements ou des partis bourgeois, ou qui les soutenaient activement. Des principes fondamentaux du marxisme étaient laissés de côté, tels le centralisme démocratique, la dictature du prolétariat, la reconstruction de la Quatrième Internationale, l’indépendance de classe. Le besoin incontournable de la lutte contre l’impérialisme était remplacé par la défense des réformes visant à « améliorer le capitalisme », une défense justifiée par le chant des sirènes « qu’un autre monde est possible » sans changer le système économique.

La jeune LIT-QI a également subi ce processus corrosif et dévastateur, alors sans Nahuel Moreno. Les coups furent sévères. A un moment, la LIT-QI était pratiquement détruite : elle avait perdu quatre à cinq mille membres, dont 80 % de ses cadres les plus expérimentés. Plusieurs d’entre eux sont devenus des conseillers de Chavez, d’Evo Morales, de Lula et du PT, et même de la droite vénézuélienne.

La récupération

Le défi majeur était de surmonter cette crise. Avec un grand effort des secteurs qui n’avaient pas capitulé, la LIT a commencé à se remettre sur les rails à partir de son Ve Congrès, en 1997. Le programme fut défendu, le régime interne, les finances et les principes de la morale révolutionnaire furent reconstruit. L’étude systématique de la théorie révolutionnaire, comme seul moyen de garantir une pratique révolutionnaire, fut remise sur pied.

Cela a permis de progresser dans des élaborations fondamentales pour la lutte de classes, telles que celles concernant la compréhension des processus de la restauration du capitalisme en Europe de l’Est, en Chine et à Cuba ; l’oppression de la femme comme une question de classe et non de genre ; la crise économique mondiale ; et ainsi de suite.

Aujourd’hui, les principaux partis de la LIT-QI se trouvent dans des pays clés en Amérique latine et en Europe, sans compter des groupes plus petits, mais avec une dynamique d’insertion dans le mouvement ouvrier.

En 2011, la LIT-QI a tenu son Xe Congrès, qui a montré qu’elle est déjà un petit pôle de référence. La « base moréniste » qui a défendu son existence, a été rejointe par des morénistes qui sont retournés dans ses rangs, comme les camarades du PST colombien et les camarades argentins du COI (aujourd’hui membres du PSTU-A), ainsi que par des secteurs trotskystes non originaires de cette tradition, comme le PdAC d’Italie. En outre, le Congrès a pu constater l’adhésion de nombreux nouveaux cadres et de jeunes militants, en particulièrement, par exemple, dans les différentes sections de l’Amérique centrale et au Portugal.

En même temps, la LIT-QI a développé divers outils de théorie et de politique, pour la formation de ses militants et pour la lutte idéologique et programmatique que la situation actuelle exige : la revue théorique Marxisme Vivant – Nouvelle Epoque et son édition de livres, la revue politique Courrier International, le nouveau site web et les Archives Trotsky.

Le programme de la Quatrième Internationale a passé le test de l’histoire.

L’histoire a démontré que la révolution a besoin de se développer à l’échelle mondiale, sans quoi elle sera vouée à l’échec. La preuve fut donnée catégoriquement par l’échec de la politique du « socialisme dans un seul pays » et de la « coexistence pacifique » avec l’impérialisme, mise en oeuvre par Staline et qui a donné lieu a un phénomène inconnu jusqu’alors pour la classe ouvrière mondiale : la bureaucratisation d’un révolution, puis la restauration du capitalisme, tel que brillamment prévue par Trotsky dans son livre « La Révolution trahie ».

Le déni du caractère international de la révolution – caractère qui résulte de la nature internationale de l’impérialisme capitaliste – et de la bourgeoisie et du prolétariat en tant que classes antagonistes, et leur remplacement par « le socialisme dans un seul pays » et « la coexistence pacifique », furent les facteurs décisifs qui ont conduit à la déroute des partis communistes dans le monde entier, autrefoisprincipaux organisateurs du prolétariat mondial.

Mais cela ne signifie pas qu’il soit facile de construire un nouveau parti révolutionnaire qui incarne la continuité du marxisme ; le dur combat pour la construction de partis révolutionnaires et pour la reconstruction de la Quatrième Internationale continue, car c’est une nécessité pour surmonter la crise de direction révolutionnaire, principal obstacle à l’avancement de la révolution socialiste mondiale.

Maintenant que les masses luttent en Europe et au Moyen-Orient pour un programme de revendications très similaire à celui naguère soulevé par les masses en Amérique latine, la conviction du caractère international de la révolution est plus que jamais à l’ordre du jour.

Les différents secteurs qui ont tourné le dos au marxisme et qui ont abandonné la défense de l’internationalisme et de la dictature du prolétariat, avec l’argument que tout cela est tombé à l’eau dans les pays de l’Est, ou ceux qui ont finalement considéré le stalinisme comme « le moindre mal », ceux qui ont rejoint les restes du stalinisme, le castro-chavisme, le « socialisme du XXIe siècle », sont irrémédiablement condamnés à « la poubelle de l’Histoire ». Aujourd’hui, la bataille se poursuit et c’est une lutte contre l’abandon du marxisme par la plupart des anciens courants qui se revendiquaient comme révolutionnaires.

Contrairement à la grande majorité de ceux qui ne défendent plus le trotskysme, nous disons qu’il faut partir d’une conclusion centrale : le programme de la Quatrième Internationale a réussi le test de l’histoire. C’est ce qu’affirmait Trotsky, bien que dans un sens négatif : un Etat ouvrier dirigé par la bureaucratie, sans une révolution politique victorieuse des travailleurs qui renversent cette bureaucratie, s’effondrera tôt ou tard et ouvrera la voie à la restauration du capitalisme.

De nouveaux défis pointent à l’horizon, mais la LIT-QI a confiance dans la réaffirmation du Programme de transition, proposé par Trotsky en 1938 et mis à jour selon les nouvelles tournures de la lutte des classes. Ce programme a montré, depuis lors, être plus que cela : c’est une méthode pour analyser la situation politique et proposer les bannières de lutte à partir du niveau de conscience des masses, pour que celles-ci se mobilisent, avancent dans leur conscience et rejoignent les rangs de la révolution. Cela nous donne un cadre théorique et programmatique pourfaire face aux nouvelles réalités qui se présentent dans la situation mondiale.

Le Xe Congrès de la LIT-QI, en 2011, a montré que le strict respect de cette orientation est toujours une pierre angulaire de la consolidation de l’Internationale et de chacune de ses sections, de plus en plus intégrées dans les luttes des travailleurs, contre la crise du capital et les attaques contre leur niveau de vie. Ce Congrès a montré également que la défense de la LIT-QI en tant que moteur de la reconstruction de la Quatrième Internationale fut un bonne réponse historique, parce que cela signifiait une réaffirmation du programme trotskyste, de la méthode et de la morale révolutionnaire. Il a montré que le maintien de ce « fil de continuité », mentionné au début de cet article, qualifie aujourd’hui la LITQI en tant que petit point de référence, pour les travailleurs dans leurs luttes et pour les révolutionnaires qui sont prêts à consacrer leur vie à la construction de l’Internationale et de la révolution socialiste mondiale. Cette histoire, qui a commencé depuis belle lurette avec Marx, Engels, Lénine, Trotsky et les bolcheviks, se maintient vivante dans les rangs de la LIT-QI.

Bien sûr, tout ce processus n’a pas été exempt de beaucoup d’erreurs. Mais le cap a été maintenu et le présent et l’avenir s’ouvrent actuellement devant nous avec une totale confiance et volonté révolutionnaire.

Notes
 
(1) Cet article a apparu dans la Courrier Internationale nº 7.
(2) Thèses de fondation de la LIT-QI.

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