mar Avr 16, 2024
mardi, avril 16, 2024

Quatre décennies de lutte révolutionnaire

Alejandro Iturbe
Membre de la Direction Nationale du FOS, la section argentine de la LIT-QI
Américo Gomes
Membre de la Direction Nationale du PSTU, la section brésilienne de la LIT-QI
 Article publié dans le Marxisme Vivant n°10 de juin 2004

 

Le Venezuela est un pays privilégié par ses richesses naturelles. Les réserves pétrolières sont estimées à 300 billions de barils et le gaz naturel à 2,2 billions de mètres cube. La région de l’Orinoco, où se trouve Ciudad Guayana, produit de grandes quantités de fer et d’aluminium. Les centrales hydroélectriques de Macagua et de Santa Helena de Uiraem produisent 490 mégawatts.

Ces richesses ont permis une longue période de stabilité économique. Quand l’ancien président Carlos Andres Peres (CAP) a nationalisé les industries ferro-minières en 1974, puis l’industrie pétrolière en 1976, l’investissement public a augmenté. L’entreprise pétrolière d’État PDVSA, créée en 1976, est la plus grande du monde, avec des associations internationales aux Etats-Unis et en Europe. Elle produit 2,7 millions de barils par jour, dont 70% vont aux Etats-Unis. Ces richesses ont été la base de la constitution d’une classe dominante absolument parasitaire, liée à l’impérialisme américain et enkystée dans les appareils d’État, un mélange de bureaucratie gestionnaire et d’une bourgeoisie agissant directement pour l’impérialisme. C’est pourquoi il était courant de désigner le Venezuela comme l' »Arabie saoudienne de l’Amérique latine ». Les recettes obtenues avec la vente du pétrole ont permis quelques concessions à la population et le maintient d’un régime de démocratie bourgeoise avec une certaine stabilité pendant presque 30 ans.

En même temps, le vol, la corruption et la soumission à l’impérialisme ont conduit le pays à une crise dans les années 80, avec une situation d’insolvabilité, une économie en stagnation, une augmentation du chômage et du niveau de pauvreté, et la réduction des dépenses sociales. Cette situation a donné lieu à une série de soulèvements et d’insurrections qui ont mis la révolution à l’ordre du jour.

De l' »Accord de Punto Fijo » à la promotion de Chávez

Entre 1958 et 1989 (quand a lieu l’insurrection ouvrière et populaire connue sous le nom de « caracazo« ), la politique bourgeoise vénézuélienne a été basée sur le régime institutionnel initié avec l' »Accord de Punto Fijo ».

L’Accord a été signé le 31 octobre 1958, dans la villa du même nom, propriété de Rafaël Caldera (un de ses idéologues). Y ont pris part les dirigeants les plus importants des trois principaux partis bourgeois du pays : Acción Democrática (AD), Partido Social Cristiano (COPEI) et Unión Republicana Democrática (URD). Le Parti Communiste vénézuélien (PCV), assez de fort à l’époque, a été tenu explicitement en marge de l’Accord.

L’idée de « Punto Fijo » s’est développée, au début de cette même année, après le renversement du gouvernement du général Marcos Pérez Jiménez. Ce dernier dirigeait depuis 1952 un régime personnaliste et dictatorial, soutenu par l’armée, sans fonctionnement parlementaire, et un gouvernement dans lequel ces forces bourgeoises ne participaient pas. L' »Accord de Punto Fijo » définissait trois objectifs explicites :

En finir avec l’intervention permanente de l’armée dans la vie politique du pays. Dans les décennies précédentes, aucun gouvernement constitutionnel n’avait pu terminer son mandat, étant interrompus par des coups d’État et des gouvernements militaires. Constituer un régime démocratique bourgeois solide et stable, basé sur les institutions « normales » de ce régime. Les trois partis devaient respecter le résultat électoral, soutenir le régime au parlement (sur la base d’un « programme minimal commun ») et lors des élections (leurs votes étaient additionnés dans un Front Unitaire, comme indicateur de leur force et leur soutien populaire).

Dans ce cadre, on proposait de former des gouvernements forts de coalition. La présidence incombait au candidat ayant obtenu le plus voix, mais le gouvernement devait se former de façon équilibrée, avec des ministres des trois organisations.

Avec ce critère, Rómulo Betancourt, candidat d’AD, a été élu président le 7 décembre 1958. En 1960, l’URD a abandonné la coalition de gouvernement, ce qui a donné lieu alors au bipartisme classique AD-COPEI, en vigueur jusqu’aux années 90.

Une longue stabilité

Les débuts du régime de Punto Fijo n’ont pas été faciles. Il a dû faire face à plusieurs tentatives de coup d’État militaire, à des luttes ouvrières et populaires et à des processus de guérilla(1) Toutefois, il s’est peu à peu consolidé et a atteint une certaine stabilité. Après cinq ans, Betancourt a pu passer le flambeau présidentiel à un autre président élu par voie électorale (Raúl Leoni), un fait presque sans précédent dans l’histoire vénézuélienne. Dans une décennie marquée par des coups d’État militaires successifs dans beaucoup de pays latino-américains, la bourgeoisie a été, d’une certaine manière, pionnière dans l’application de la politique de « réaction démocratique » dans le sous-continent, c’est-à-dire dans l’utilisation des élections et des mécanismes des institutions démocratiques bourgeoises pour résoudre ses différents et contrôler le mouvement de masses.

Le secret de cette stabilité institutionnelle a été le développement pétrolier du pays, un des principaux exportateurs mondiaux. Les recettes de la richesse pétrolière ont permis à la bourgeoisie vénézuélienne de discuter de leurs affaires et de « se repartir le gâteau » de manière plus tranquille et, à la fois, de pouvoir faire quelques concessions aux travailleurs et au peuple.

Les années de l’or noir

Dans les années 70, on vit ce qui fut assurément les « années de l’or noir » du régime de Punto Fijo et de la bourgeoisie vénézuélienne. En 1973, la guerre entre Israël et plusieurs pays arabes débouche sur une crise pétrolière internationale, lors de laquelle le prix du pétrole a doublé en quelques semaines et a continué à grimper par la suite. Les grandes compagnies pétrolières internationales ont gagné des fortunes et, à la fois, les pays exportateurs recevaient d’importantes recettes additionnelles de dollars.

Dans ce cadre, en 1974, Carlos Andres Pérez (dirigeant d’AD) assume la présidence pour la première fois. Les historiens disent « qu’il a reçu et a gouverné un Venezuela saoudien ».

Pérez et la bourgeoisie vénézuélienne ont pu se permettre un luxe inouï. On nationalise l’industrie du fer en 1975, et l’industrie du pétrole en créant PDVSA (Petróleo de Venezuela, Sociedad Anónima) en 1976. Les dépenses publiques augmentant de manière colossale : on construit des autoroutes, des barrages et des centrales électriques, des quartiers de logement populaires… La dette nationale interne et externe se multiplie par douze. La bourgeoisie et les classes moyennes du pays vivaient une « débauche d’importations » d’automobiles de luxe, d’appareils électroménagers et d’articles somptueux. En même temps, la situation de plein emploi a permis aux travailleurs, suite à leurs revendications et à leurs luttes, d’obtenir d’importantes conquêtes économiques. Pérez est devenu une figure de la politique mondiale : en 1975, il a reçu le prix Earth Care, accordé par des organisations écologistes, et en 1976 il est devenu vice-président de l’Internationale Socialiste.

Mais la fête n’allait pas durer ; avec le gel et puis la chute du prix du pétrole vers la fin des années 70, les recettes du pays ont commencé également à chuter. Pérez a terminé son mandat en 1979, mais il a laissé comme héritage une lourde dette publique, un État gigantesque et un régime de plus en plus corrompu.

Le contexte mondial des années 80

Dans les années 80, d’importants changements dans la situation économique et politique mondiale ont eu lieu. Aux Etats-Unis Ronald Reagan a assumé la présidence et a développé une politique beaucoup plus dure et plus offensive de l’impérialisme yankee pour faire face au processus révolutionnaire de la décennie précédente, révélé par le triomphe du peuple vietnamien (1975) et les révolutions en Iran et au Nicaragua (1979). Sur le terrain économique, une fois fini le « boom économique d’après-guerre », une grande restructuration de l’économie mondiale a eu lieu : les industries lourdes, d’une plus grande consommation d’énergie, cédaient du terrain et étaient remplacées par des matériaux plus légers et des technologies avec une faible consommation énergétique.

Le prix du pétrole s’effondrait sur les marchés mondiaux et les recettes vénézuéliennes se réduisaient radicalement, donnant lieu à une crise économique de plus en plus accentuée. Honorer la dette publique devenait de plus en plus lourd, ce qui obligeait les différents gouvernements à effectuer des ajustements permanents, ordonnés par le FMI. Les conditions de vie des travailleurs et des masses se détérioraient de plus en plus : le chômage augmentait, le pouvoir d’achat du salaire baissait, les conquêtes et les bénéfices sociaux de la décennie précédente s’amenuisaient ou disparaissaient. Le mécontentement des masses s’accumulait de plus en plus et les grèves des différents syndicats ainsi que les manifestations estudiantines et les protestations populaires dans différentes villes devenaient plus fréquentes.

En 1987, le gouvernement de Luis Herrera Campins (COPEI) a fait face à des luttes ouvrières qui ont culminés dans une grève générale. Dans cette montée Causa R, à ce moment une petite organisation de gauche (stalinienne), a gagné le syndicat des métallos de Guayana.

Acción Democrática (AD) était considérée comme « le parti du peuple », avec 58 années d’existence et une histoire de lutte contre la dictature de Pérez Jiménez et de soutien à la révolution cubaine. C’était un parti de masses qui dirigeait le mouvement syndical, étant donné qu’il contrôlait le syndicat CTV (Central de los Trabajadores de Venezuela).

Dans ce cadre, Carlos Andres Pérez assume de nouveau la présidence début 1989, après avoir obtenu un résultat électoral important. Les travailleurs et les masses avaient l’espoir que les « années d’or » de son gouvernement précédent allaient se répéter.

Le caracazo

Toutefois, ces espoirs n’allaient pas durer. Les réserves internationales étaient épuisées et le déficit fiscal monstrueux, il y avait un désapprovisionnement généralisé et les services publics étaient détériorés. Après à peine quelques jours, Pérez a lancé un paquet de mesures économiques brutales contre les travailleurs et le peuple : duplication de la valeur du dollar (ce qui a donné lieu à une montée en flèche générale du prix de tous les produits), augmentations des intérêts bancaires, hausse de 80% du prix de l’essence et de 40% de ceux de tous les services publics.

La riposte ouvrière et populaire n’a pas tardé. Le mécontentement accumulé pendant plusieurs années a explosé : les 27 et 28 février 1989, une grande insurrection contre les mesures à lieu à Caracas et dans toutes les zones voisines de la capitale, et des événements similaires se sont produits dans plusieurs villes de l’intérieur. Des centaines de milliers de personnes des quartiers sont sorties en rue pour protester et piller des commerces et ont fait face à une répression extrêmement dure ordonnée par le gouvernement, avec des barricades, des pierres et des armes. Cela a été le plus grand et le plus violent fait de l’histoire de la lutte de classes du pays : des centaines de personnes sont mortes lors de ces deux jours, la majorité dans les confrontations entre les manifestants et les forces de répression. La répression a été d’une extrême violence : officiellement, il y a eu 243 morts, mais on parle d’un millier, dont beaucoup ont été enterrés dans des fosses communes(2). C’était une action criminelle, en plein état de siège, avec des meurtres, des tortures et des emprisonnements arbitraires.

En même temps, il y a eu de nombreux cas de division dans l’armée, avec des secteurs qui refusaient de réprimer ou qui tout simplement prenaient part aux pillages. Les masses dans la rue, menant une insurrection ouvrière et populaire, ont donné un nouveau cours dans l’histoire du Venezuela.

Cette insurrection a mis en crise toutes les institutions du pouvoir, qui ont été incapables de freiner la rébellion. « En cinq jours le mythe de la démocratie bourgeoise la plus solide de l’Amérique Latine s’est effondré« (3). Cela a été la rupture des masses avec les institutions bourgeoises.

La police s’est dissoute au milieu du soulèvement. Le gouvernement a lancé l’armée contre le peuple, cette armée qui a comme devise la phrase de Bolivar : « Maudit soit le soldat qui fait feu contre son peuple, et celui qui le fait n’aura ni patrie ni drapeau ».

Le n° 41 de Correo Internacional de juillet 1989, la revue de la LIT-QI, déclarait : « Ces jours signifient la fin du Venezuela saoudien, auquel la richesse pétrolière avait laissé trente ans de stabilité économique et politique exceptionnels en Amérique Latine« . En d’autres mots, le même concept était exprimé par la presse vénézuélienne elle-même : « Rien ne sera plus le même dans ce pays dorénavant (…) Le 27 février passé, dans les premières heures de l’après-midi, un nouveau Venezuela est né. » (revue Elite, 14/3/89).

Ses bases économiques étant affaiblies à l’extrême, ses institutions gouvernementales corrodées par la corruption et l’usure, les partis bourgeois, la gauche réformiste et la bureaucratie syndicale de la CTV ayant reçu un coup dur, et presque sans soutien populaire, le régime de Punto Fijo entamait son agonie, après « le coup mortel » reçu lors du caracazo. Comme un résultat après coup, Pérez démissionnait en 1993, au milieu de nouvelles mobilisations populaires et après un jugement politique pour corruption.

Des années de corruption et de crise -la montée de Chavez

A partir de là, il y eu plusieurs années de convulsions sociales. Les partis traditionnels (AD et COPEI) tombaient en ruine, Causa R se transformait en une organisation avec une influence de masses et les anciens guérilleros devenaient des néo-libéraux, les « gauchistes » s’alliaient avec l’impérialisme et les syndicalistes avec les militaires, l’armée s’est divisée et une nouvelle centrale syndicale est apparue. En outre, des centaines d’organismes de base ont été construites, parmi lesquelles les cercles bolivariens, signifiant un saut dans l’organisation de la classe ouvrière et des quartiers prolétaires.

Dans une tentative de répondre à cette situation de crise institutionnelle globale, le colonel Hugo Chávez, avec un groupe de jeunes officiers, a dirigé une tentative de coup militaire en février 1992. Il a essuyé un échec et a été capturé et condamné à 20 ans de prison. Depuis la prison, il a commencé à gagner du prestige parmi les secteurs ouvriers et populaires parce qu’il apparaissait opposé au « système ».

En 1993, Carlos Andres Pérez a été renversé par des mobilisations populaires et des accusations de corruption. Après sa démission, les élections ont été gagnées par le vieux politicien bourgeois Rafaël Caldera, avec Convergencia Democrática, une formation peu représentative. Il a obtenu 25% des voix, avec 60% d’abstention. Le dirigeant syndical des usines sidérurgiques de Guayana, Andres Velásquez, de Causa R, a eu la seconde place avec un vote surprenant, mais la fraude a garanti l’élection de Caldera. En 1994, par exigence populaire, Caldera a libéré Chávez. Ce dernier a commencé à former son propre courant politique, le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire, et a initié son parcours vers la candidature présidentielle.

Il a été élu en décembre 1998, avec 56,24 % des votes. Sa victoire sur tous les candidats de l’oligarchie vénézuélienne a été une expression déformée du processus révolutionnaire ainsi que de la crise socio­économique qui n’avait pas pu être dépassée par les plans économiques de Caldera. Chávez prend la présidence en février 1999 et, dans son discours, il organise un plébiscite pour former une Assemblée Constituante, dans le but de recomposer les structures détruites de l’État. Le « OUI » a obtenu 73% des votes et les bolivariens obtiennent une très ample majorité des députés constituants.

L’Assemblée promulgue un Congrès unicaméral, certains droits et garanties du peuple, ainsi que plusieurs revendications concernant travail, et elle réforme le pouvoir suprême judiciaire et électoral. Finalement, elle institue le référendum consultatif, révocatoire et de confirmation. Le terme « Vème République » apparaît et le pays change de nom, devenant la République Bolivarienne du Venezuela. En 2000, après une grève pétrolière fortement réprimée par le gouvernement, il y a de nouvelles élections. La balance pétrolière était en hausse. Chávez est réélu, cette fois pour un mandat de 6 ans.

Il y avait toutefois des contradictions avec l’impérialisme, fondamentalement parce que celui-ci voulait appliquer à tout prix un projet néolibéral au Venezuela. Et il n’était pas d’accord que, pour contenir le processus révolutionnaire, il était nécessaire d’avoir en première ligne un leader populiste qui ne s’incline pas totalement aux Etats-Unis.

La politique économique de Chávez incluait, outre l’approvisionnement régulier des Etats-Unis en pétrole, des dévaluations de la monnaie et le paiement ponctuel de la dette extérieure,. Il n’a jamais attaqué le chômage, les bas salaires ou la misère de la majorité. Malgré cela, le gouvernement des Etats-Unis était très irrité par Chávez. Le président faisait des déclarations anti-impérialistes, et principalement de soutien à Cuba, qui bénéficie d’une forte solidarité de la part Vénézuéliens.

Il a lancé des lois comme celles des hydrocarbures, de la Terre et de la Pêche qui, malgré les critiques bourgeoises, n’apportaient aucune transformation importante. Il a critiqué la Loi antiterroriste de Bush, il a rendu visite à Saddam Hussein et à Anuar Gadafi, il a défendu l’inviolabilité de l’espace aérien pour les avions militaires américains et il a critiqué la Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA).

Dans le secteur pétrolier, il n’a jamais proposé de revoir l’ouverture faite par Caldera, qui a permis l’entrée des multinationales dans l’exploration du pétrole. Il a à peine essayé d’obtenir un plus grand contrôle de l’État sur PDVSA, avec une plus grande participation fiscale pour améliorer les recettes, en plus de défendre l’OPEP comme cartel régulateur des prix. L’impérialisme, qui n’acceptait pas cette politique, a organisé le coup d’État d’avril 2002, le lock-out du mois de décembre de la même année et ensuite le référendum révocatoire.

Coup d’État et insurrection populaire en 2002

En avril 2002, la révolution et la contre-révolution se sont trouvées face à face. D’un côté, la férocité de l’impérialisme et des secteurs de la bourgeoisie nationale qui cherchaient à écraser tout mouvement de révolte ou d’insubordination contre l’impérialisme, de l’autre, la disposition révolutionnaire des masses.

L’alliance contre-révolutionnaire incluait la Fedecamaras (la fédération patronale vénézuélienne), les archi-bureaucrates de la CTV, la haute bureaucratie étatique de PDVSA, les militaires liés aux anciennes oligarchies, les dirigeants d’AD et de COPEI, la haute hiérarchie de l’église catholique, et les propriétaires des grands moyens de communication comme Gustavo Cisneros (qui a 70 compagnies dans 39 pays, avec plus de 35.000 employés). Tous étaient dûment articulés par l’impérialisme américain et son ambassadeur Charles Shapiro.

Cette coalition a convoqué une grève générale pour le 9 avril, d’abord pour 24 heures et l’a ensuite transformée en une grève indéterminée. Le 11 avril, ils ont mené une marche vers le Palais Présidentiel de Miraflores, avec l’objectif clair de provoquer un conflit sanglant. La marche était composée de provocateurs et de membres de la Police Métropolitaine de Caracas (sous les ordres de l’anti-chaviste Alfredo Pena) qui ont fait face à des activistes des cercles bolivariens. La mort de 15 personnes dans ce conflit a été le détonateur du coup d’État : on a accusé Chávez de « génocide » et de « crimes contre l’humanité ». Des militaires putschistes ont capturé le président et l’ont mené au fort Tiuna, le quartier général des rebellés. Ils ont annoncé sa démission et ont appelé Pedro Carmona, de la Fedecamaras, pour occuper le poste de Président.

Ils ont immédiatement formé un nouveau gouvernement et ont annoncé les nouveaux décrets qui ont supprimé le nom de République Bolivarienne ; ils ont dissous l’Assemblée Nationale, le Tribunal Supérieur de Justice et le Conseil National Électoral ; ils ont écarté des maires et des gouverneurs, et ont annulé l’accord entre Cuba et le Venezuela sur l’échange pétrolier, l’assistance médicale et sportive.

Après le coup d’État, ils ont envoyé la répression dans les rues : des forces putschistes soutenues par des groupes paramilitaires (formés par des groupements de droite comme Primera Justicia), des militants d’AD et de l’organisation supposée de « gauche » Drapeau Rouge (avec des fusils et des revolvers) ont fait la chasse aux militants chavistes et aux dirigeants syndicaux et de quartiers. Sous des ordres des maires de Caracas, Chacao et Baruta, ils ont envahi des maisons et ont capturé des activistes. Ils ont cassé l’entrée de l’ambassade cubaine et ont essayé de l’envahir pour chercher d’éventuels exilés. Cette nuit là, il y a eu plusieurs morts.

En réalité, Chávez n’a jamais signé sa démission. Au début les masses ne réagissaient pas, à cause de la désinformation ; par la suite, elles ne croyaient pas que Chávez avait démissionné ; finalement, elles ont commencé à réagir. Dans la nuit du 12, les protestations ont commencé à Caracas, et le 13, elles se sont généralisées dans tout le pays. En Guayana, les travailleurs métallos ont occupé les usines avec les directeurs à l’intérieur, et ont attendu par la suite des ordres de leurs dirigeants. Les travailleurs du pétrole de Puerto La Cruz et les travailleurs de Carabobo se sont préparés pour résister. A Maracay, le peuple a été jusqu’à la caserne des parachutistes et a demandé des armes. Les principales casernes du pays se trouvaient dans cette situation : leurs alentours pris la population. C’est ce qui a fait pencher la balance du côté de l’insurrection. Les soldats organisaient des assemblées pour débattre et ont décidé de ne reconnaître que le gouvernement de Chávez.

A Caracas, des milliers de personnes ont envahi les rues, sont descendus des collines comme lors du « caracazo », jusqu’aux casernes pour demander des armes. Dans les rues, ils ont monté des barricades pour faire face à la Police Métropolitaine. Il y a eu des coups de feu, des concerts de casseroles, des jets de pierres et des tirs qui venaient des collines. Ils ont fermé les avenues avec des barricades en bois et des pneus en feu. Ils ont encerclé les réseaux de télévision et ont exigé qu’on mette la vérité « au grand jour ». Les gens étaient organisés et il y avait des chefs, normalement les chefs de quartier des cercles bolivariens. Il y a eu encore une fois une insurrection classique à Caracas : la ville était entre les mains du peuple et la révolution a mis en échec le coup d’État.

Par la suite la résistance militaire anti-putschiste a commencé, avec les parachutistes de la base « Libertador » Maracay et les troupes de la marine de Catia La Mar. Les putschistes ont eu peur et ont fait des appels par les moyens de communication pour que les gens ne viennent pas à Caracas. Le commando de la Garde d’Honneur, avec un contingent de 3.000 hommes, responsable de la sécurité du palais présidentiel, a pris partie pour Chávez : armés de fusils et de pistolets, ils se sont installés dans le bureau principal et d’autres ailes du bâtiment.

En voyant que « le sol se dérobait sous ses pieds », Carmona a abrogé les décrets du jour précédent et a annoncé qu’il convoquerait l’Assemblée Nationale de manière extraordinaire. Mais c’était trop tard : avec le peuple dans les rues, les militaires lui retirant leur soutien, Carmona essaye de s’enfuir, mais il est capturé à l’intérieur du palais présidentiel même. La bourgeoisie n’a pas d’autre possibilité pour faire face aux masses en insurrection que de ramener Chávez, avec la tâche de recomposer l’État.

Chávez s’entend avec les putschistes

Une fois le coup d’État mis en échec, l’approfondissement du processus révolutionnaire exigeait la désarticulation et la défaite de la conspiration de manière décisive. Mais Chávez a suivi le chemin inverse. Le seul prisonnier a été Pedro Carmona, qui s’est ensuite enfui dans l’ambassade de Colombie. Les autres n’ont subi aucune peine. Les canaux de télévision ont continué à fonctionner et à conspirer. Toute la direction de PDVSA est restée intacte. De retour à Miraflores, vers cinq heures du matin le dimanche, avec un crucifix en main, Chávez a dit : « Du calme, tout va bien, retournez à vos maisons, tout est sous contrôle… Les Cercles Bolivariens, s’il vous plaît, je ne les veux pas armés ; il s’agit d’une révolution pacifique ».

Le lock-out patronal et les mobilisations ouvrières

Les putschistes ont continué à conspirer et ont préparé une nouvelle offensive. Ils avaient maintenu leurs positions et ont même avancé dans quelques secteurs, protégés par l’impunité. La nouvelle attaque a été le lock­out qui a commencé le 2 décembre et a duré jusqu’à février. Le principal objectif de ce lock-out était de limiter la production et la distribution de pétrole : ils prétendaient couper l’oxygène à l’économie vénézuélienne. La haute direction de PDVSA a essayé de paralyser l’industrie à travers l’abandon et le sabotage, par le blocage et la destruction des contrôles automatisés. Ils n’y sont pas parvenus parce qu’ils ont dû faire face aux ouvriers et aux techniciens des puits, des réservoirs, des raffineries et des quais d’embarquements.

Au début, ils sont parvenus à paralyser les raffineries d’Amuay et d’El Palito, ainsi que le pompage des réservoirs qui, avec le blocus des capitaines des navires tanks, a coupé l’approvisionnement en essence dans une partie du pays ainsi que les exportations. On a ainsi saturé les réservoirs de pétrole et d’essence dans les raffineries et les bateaux, ce qui a empêché de continuer le raffinement ; à partir de là, le pompage dans les champs d’extraction a dû être arrêté. Cela a mené à la pénurie de combustibles et de gaz domestique et industriel. Les réactions populaires ont alors commencé, avec l’occupation des réservoirs d’essence, des tanks et des raffineries, accompagnée de la neutralité de secteurs de l’armée.

Il y a eu aussi un lock-out dans d’autres secteurs : ils ont réduit l’horaire des banques et de leurs opérations pour limiter le retrait d’argent, faire pression sur la dévaluation de la monnaie et sur la fuite des capitaux. Les écoles privées, les commerces et les industries fermaient leurs portes, les patrons renvoyaient leurs employés à la maison en leur garantissant leur salaire. Le problème de cette tactique est que, quand la paralysie se prolonge, ces secteurs de la bourgeoisie subissent des dommages par les pertes qu’ils commencent à avoir et, après un mois, ils ont commencé à défendre la fin du « déblayage » et la recherche d’une sortie négociée. La petite bourgeoisie s’est divisée et le groupe « Classe Moyenne en Positif », qui était contre les putschistes, est apparu.

Les moyens de communication restaient entre les mains de la grande bourgeoisie nationale et diffusaient l’information que la paralysie affectait plus de 80% de l’économie. En outre, ils ont appelé à bloquer des avenues et des rues. Certains secteurs plus radicaux ont commencé à effectuer quelques attentats terroristes, comme lancer une grenade contre l’ambassade d’Algérie, saboter des puits pétroliers, fermer des valves, casser des tuyauteries, détruire des machines et des installations et voler des matériaux.

Mais la résistance du peuple vénézuélien a commencé à se développer. A Caracas, la population s’est organisée dans les quartiers pour une juste distribution d’essence et de gaz, pour la reprise des classes et la résistance contre les attaques de la droite et de sa police. Ils ont monté des commerces communautaires où on distribuait des aliments gratuits ou à prix réduits. Une foule immense a entouré une chaîne de télévision privée, dans une zone résidentielle de haute classe moyenne, et l’a obligé de diffuser un communiqué signé par plus de 100 organisations de quartier, politiques et syndicales en exigeant, entre autres, le contrôle social des moyens de communication. Entre la droite et les travailleurs, il y a eu des affrontements qui se sont soldés par des morts et des blessés des deux côtés.

Dans l’état de Carabobo, les travailleurs organisés par le mouvement syndical ont pris le dépôt d’essence d’Yagua et l’ont mis en marche de façon manuelle. La même chose a eu lieu en Carenero et Guatire. Les travailleurs du pétrole ont récupéré la raffinerie d’El Palito et l’ont réactivée lentement, en raison du sabotage des pompes, et ils ont occupé la compagnie de distribution Ferrari pour transporter l’essence, sous la supervision de la Garde Nationale et du peuple.

Dans la raffinerie de Puerto La Cruz, les travailleurs ont occupé les lieux et en ont sorti le directeur, coupable de sabotage et qui prétendait la paralyser. Ils ont maintenu les installations opérationnelles, de manière démocratique, en choisissant leurs superviseurs immédiats. Dans l’armée, se sont surtout la troupe et les bas et moyens commandements qui se sont solidarisés avec l’action.

Les métallos de Guayana, qui ont vu la menace de paralysie des usines par manque de gaz dans les fours, ont décidé de faire le voyage dans plus de 15 omnibus jusqu’à Anaco (zone productrice de gaz) et ont occupé les entrées de PDVSA -GAZ pour exiger la réactivation.

La Parmalat a été prise par la population, qui a exigé sa réouverture. La brasserie Polar et Coca-Cola, à Valence, ont été occupés par la Garde Nationale et on y a confisqué des milliers de litres d’eau minérale, de malte et de boissons rafraîchissantes. Avec cela, bien qu’ils aient annoncé qu’ils prendraient des mesures légales, ces entreprises ont été obligées de réouvrir leurs usines.

Selon un travailleur du pétrole, cela a été « une guerre civile à froid », parce que le peuple travailleur a commencé à prendre le contrôle et a obligé le gouvernement et l’armée à durcir ses positions sur la suspension de la vente de devises, le contrôle des changes et des prix, et la démission d’environ 5.000 saboteurs de PDVSA (surtout des cadres supérieurs et des directeurs).

 

Encore une fois, Chávez a cherché un accord

Après le coup d’État d’avril, Chávez n’a rien fait ni pour effectuer des changements économiques ou sociaux, ni pour cesser de payer la dette, ni pour écarter les militaires conspirateurs ou les membres de la direction de PDVSA qui avaient saboté la production. A la fois des militants populaires qui ont fait face aux putschistes ont été emprisonnés, et beaucoup d’activistes révolutionnaires sont morts ou ont été blessés dans les confrontations.

Le Tribunal Suprême de Justice, avec une majorité d’opposition bourgeoise, a déclaré « qu’il n’y avait eu aucun coup d’État » et qu’il ne saisirait ni jugerait aucun saboteur bourgeois. L’Assemblée Nationale, qui soutient Chávez, se divisait entre l’aile « radicale », qui faisait appel aux masses pour les utiliser comme base de manœuvre, et l’aile « conciliatrice », qui tendait des ponts à l’opposition bourgeoise, en cherchant une issue électorale avec la seule condition qu’on suspende la paralysie. Forts de leur impunité, les conspirateurs prétendaient causer une crise économique dans le pays, mener la population à l’insurrection et préparer un nouveau coup d’État.

Comme médiateur du conflit, Chávez a accepté que cela soit le secrétaire général de l’OEA, César Gaviria, un pro-impérialiste, celui qui, alors président de Colombie durant l’épisode de la Constituante de 1991, a détruit les mouvements partisans M-19 et EPL, en plus d’offrir une couverture pour le meurtre de dizaines de dirigeants du FARC et de l’ELN.

Au Brésil, Lula a annoncé avec euphorie la formation du groupe « Amis du Venezuela », pour servir d’intermédiaire dans la crise. Un groupe totalement subordonné à Gaviria et formé par les présidents Fox (Mexique), Lagos (Chili), Aznar (Espagne) et le gouvernement des Etats-Unis. Mais le lock-out a été mis en échec par la résistance et l’organisation de la classe ouvrière et de la population la plus pauvre.

Après cela, Chávez a tout essayer pour garantir le contrôle sur l’industrie pétrolière : il a commencé une restructuration d’en haut vers le bas, nommant des gérants et des directeurs chavistes, avec une totale absence de participation démocratique des travailleurs, et il a présenté la proposition de diviser l’entreprise en Oriental de Petróleos S.A. et Occidental de Petróleos S.A., ouvrant ainsi la possibilité légale de privatiser une partie de cette industrie.

La manœuvre du plébiscite

La troisième tentative de l’impérialisme et des secteurs les plus à droite de la bourgeoisie nationale pour renverser Chávez a été le plébiscite révocatoire de cette année. Ces secteurs étaient érodés après l’échec du coup d’État et du lock-out, tandis que les masses étaient plus fortes et organisées. Voilà pourquoi ils ont changé de tactique : puisqu’il n’avait pas été possible de mettre en échec la révolution avec la confrontation directe, le mieux serait de la mettre en échec à travers la réaction démocratique.

Afin d’y parvenir, ils ont fait une pétition pour réclamer un plébiscite sur la continuité ou non de Chávez. La récolte de signatures a été une farce : la patronale, le gouvernement des Etats-Unis, l’Église et les multinationales ont investi de l’argent dans cette campagne et ont obligé leurs employés à signer ; il y a eu des fraudes scandaleuses, des falsifications de signatures, des signatures doubles et des signatures de personnes décédées ; tout cela a été certifié par les activistes du mouvement syndical et populaire.

Même ainsi, ils ne sont pas parvenus à atteindre le nombre suffisant de signatures et, comme c’était tellement scandaleux, le Conseil National Électoral, majoritairement identifié avec l’opposition, n’a pas pu reconnaître la validité du résultat. Mais le Ministère de l’Extérieur américain, l’OEA, le Centre Carter et les « Amis du Venezuela » ont fait pression. Finalement, Chávez a accepté de réaliser le référendum, et il l’a présenté comme une victoire étant donné que, selon lui, cela menait l’opposition sur le terrain de conflit le plus favorable. L’argument a été de comparer ce vote avec une lutte populaire du 19ème siècle et de dire que la lutte s’était transformée en une nouvelle « Bataille de Sainte Agnès »(4).

Le peuple vénézuélien avait mis en échec l’impérialisme et l’oligarchie locale sur le terrain de la lutte de classes et dans les rues ; c’est cela son terrain le plus favorable. On cherchait maintenant de dévier la lutte vers le terrain de la démocratie bourgeoise putréfiée et frauduleuse, où la lutte de classes est déformée. C’est bien le terrain le plus favorable pour les patrons, étant donné que c’est le pouvoir économique du plus fort qui y gagne.

Pour convaincre le peuple vénézuélien, qui n’était pas d’accord avec le référendum, Chávez a fait valoir qu’à ce moment là les conditions socio­économiques et politiques étaient meilleures, que le rythme de croissance de l’économie était arrivé à 12 % et que les prix du baril de pétrole étaient hauts. Les investissements dans le secteur social ont augmenté, ainsi que les dépenses étatiques avec des programmes de santé, d’éducation, de construction de logements, de micro-entreprises et de réforme agraire. L’impact social était visible et favorisait les couches les plus pauvres de la population. Les organisations sociales responsables ont été profondément implantées dans les quartiers les plus pauvres. Avec cela, il affirmait qu’il était impossible de perdre le scrutin. Il convient de souligner que ces programmes d’assistance n’améliorent pas les revenus salariaux et ne créent pas des projets d’emploi à grande échelle. Le chômage continue à près de 20 % et les niveaux de pauvreté autour de 50 %.

De fait, Chávez a gagné le référendum avec une marge de 18 points (59% contre 41%). C’est une victoire populaire importante, principalement parce que le peuple a fait face au pouvoir économique des grands capitaux, les monopoles des moyens de communication et le soutien de Washington.

Mais l’impérialisme aussi a obtenu une victoire, parce qu’il a mené le processus révolutionnaire sur le terrain de la démocratie bourgeoise, en fortifiant les institutions du régime et en créant l’illusion, pour des milliers de militants, que les Etats-Unis peuvent être vaincus dans les urnes.

Après le référendum, Chávez a signé un accord de 5.000 millions de dollars avec Texaco-Mobil et Exxon, pour explorer les réserves de pétrole et de gaz dans la Ceinture de l’Orinoco. Ces compagnies pétrolières veulent investir de 5 à 20 milliards de dollars dans de nouvelles explorations.

 

Notes

(1)Le plus important entre eux a été celui dirigé par Douglas Bravo, le haut dirigeant politique du Parti Révolutionnaire vénézuélien (une scission guévariste du PCV), qui a promu et dirigé l’organisation partisane Frente José Leonardo Chirinos. Le groupe a été vainsu et Bravo emprisonné.

(2)La insurrección de Febrero, Elio Comenares, Ediciones La Chispa. p. 60

(3 ) La insurrección de Febrero, Elio Comenares, Ediciones La Chispa. p 57 4

(4) La « Batalla de Santa Inés » a eu lieu les 9 et 10 septembre 1859, conduite par Ezequiel Zamora pendant la Révolution Fédérale (1859-1863). Zamora a dirigé un soulèvement de paysans pauvres et d’anciens esclaves contre les grands propriétaires fonciers. Dans la bataille, Zamora faisait semblant de s’enfuir afin de mener les troupes ennemies à un terrain plus favorable pour lui, et là il les a annihilés.

 

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