ven Avr 19, 2024
vendredi, avril 19, 2024

Où va le Venezuela ?

La crise politique du Venezuela est une ligne de partage des eaux dans toute la gauche latino-américaine et mondiale. La majorité de la gauche réformiste s’aligne avec le gouvernement de Maduro « contre le coup d’Etat ». Il s’agit d’une manœuvre criminelle pour cacher le fait que le vrai putsch est l’œuvre de Maduro, qui impose une dictature au service de la « bolibourgeoisie ».

L’impérialisme fait pression sur Maduro avec des sanctions diplomatiques, sous le couvert de « la défense de la démocratie », pour soutenir ses représentants, regroupés dans la MUD (Mesa de Unidad Democrática – Bureau d’Unité démocratique, un parti de droite).
Nous appelons les militants du mouvement de masse dans le monde entier à mener le combat contre la dictature de Maduro et pour une alternative indépendante des travailleurs au Venezuela.

1. Bref rappel de l’histoire récente du Venezuela

Le Venezuela est un pays avec une riche histoire révolutionnaire. En 1989, la mise en œuvre d’un plan du gouvernement néolibéral de Carlos Andrés Pérez (avec une grande dévaluation de la monnaie et une hausse du prix de l’essence) a provoqué un soulèvement populaire, le Caracazo (le coup de Caracas). Les pauvres de Caracas sont descendus des collines, ont fait face à la police et ont pillé les magasins pendant quatre jours.
La répression de l’armée fut dure, avec des milliers de morts. La bourgeoisie a réussi à reprendre le contrôle de la situation, mais le gouvernement et le régime ont été égratignés. L’armée s’est divisée. Hugo Chávez, alors colonel, a tenté un coup d’Etat militaire en 1992. Le putsch a échoué, mais Chávez a gagné un énorme prestige populaire parmi les plus pauvres. Carlos Andrés Pérez a été évincé en 1993.
Chávez a remporté les élections en 1998, ouvrant la voie à une longue – et toujours actuelle – période de gouvernements « chavistes ».
Chávez avait des conflits partiels avec l’impérialisme américain, accompagnés d’une abondante rhétorique, ce qui lui donna un grand prestige dans toute l’Amérique latine. Les discours de Chávez contre Bush étaient clairement différents de ceux de Lula et d’autres gouvernements du Continent.
Au début, l’impérialisme attaquait durement Chávez. Bush a orchestré un coup d’Etat en avril 2002. Les masses ont réagi violemment, avec une nouvelle insurrection qui a mis en échec le coup d’Etat et n’a pris fin qu’avec le retour de Chávez, deux jours plus tard. Par après, il y eut aussi un lock-out dans le secteur pétrolier, à son tour mis en échec en 2003.
L’impérialisme a appris de la défaite du coup d’Etat de 2002 et du lock-out. Il s’est accommodé des gouvernements chavistes et les utilise pour maintenir l’exploitation du pays. Pendant ce temps, il soutenait l’opposition de droite pour tirer profit électoralement de l’usure des gouvernements chavistes et pour reconquérir par la suite le gouvernement.
L’impérialisme a commencé à utiliser ce que nous appelons la réaction démocratique, c’est-à-dire l’utilisation des processus électoraux pour canaliser les crises politiques. Une démonstration de cela est le fait qu’en 2004, l’opposition de droite a proposé un « referendum révocatoire », qui fut accepté par Chávez (et gagné amplement par lui).
Chávez a été réélu en 2006 et en 2012, et il est mort en 2013. Maduro, le vice-président de Chávez, a repris le gouvernement, puis a été élu président en avril de cette année.
La crise économique – avec la chute des prix du pétrole – a mis à plat la base matérielle du chavisme. Depuis 2014, le pays connaît une dépression rarement vue dans l’histoire. Le résultat politique fut la rupture des secteurs populaires qui soutenaient traditionnellement le chavisme. En 2015, l’opposition de droite a remporté les élections législatives : en capitalisant l’usure de Maduro, elle a obtenu plus des deux tiers du Parlement national.
Le gouvernement de Maduro a simplement ignoré le Parlement élu et a eu recours au pouvoir qui, dans le pays, passait par le soutien direct de l’armée. L’élection des gouverneurs, qui aurait dû avoir lieu en décembre 2016, a été reportée, car tout indiquait que Maduro allait perdre des voix. L’opposition a commencé à faire campagne pour un « référendum révocatoire » (le même mécanisme, prévu dans la constitution chaviste, et que Chávez avait accepté en 2004). Mais en dépit de l’obtention des signatures requises, Maduro a manœuvré dans tous les sens pour empêcher le référendum, car il savait qu’il serait évincé.
Actuellement, le gouvernement chaviste a 80 % de la population vénézuélienne contre lui. C’est pourquoi Maduro a orchestré un coup d’Etat. Il a convoqué une « Assemblée constituante », supprimant le suffrage universel pour l’élection des députés. Il a établi des critères faussés entre les électeurs, privilégiant les zones rurales où il a plus de poids. En outre, 30 % des députés ont été élus de façon corporatiste – par « les paysans », « les étudiants », « les entrepreneurs », « les travailleurs » –, étant proposés par les bureaucraties de ces secteurs, alors que beaucoup d’associations et de syndicats sont empêchés par le gouvernement d’organiser des élections pour renouveler leurs directions. Tout cela pour transformer une minorité en majorité.
Il y a eu une gigantesque fraude dans la votation de la « Constituante », dénoncée même par la société contractée par le gouvernement Maduro pour organiser l’élection. Il n’y a pas eu 42 % de votants, comme annoncés par le gouvernement. Des sources indépendantes indiquent 15 à 17 % de la population, même avec toute la pression du gouvernement sur les fonctionnaires et sur ceux qui dépendent des programmes sociaux, pour aller voter.
Les élections municipales qui devraient avoir lieu en 2017 et les présidentielles de 2018 sont remises en question, étant donné que la « Constituante » a fixé son fonctionnement sur deux ans. Luisa Ortega, la procureure générale du pays, nommée par Chávez mais critique du cours bonapartiste de Maduro, fut licenciée par la « Constituante » lors du premier jour.
Pour imposer ce putsch, la répression fut extrêmement dure, avec plus d’une centaine de morts et plus de cinq cents prisonniers. En plus des attaques de l’armée et de la police, il y a les « collectifs », des groupes paramilitaires qui répriment les manifestations et tuent des opposants. Ils ressemblent aux « Tonton Macoutes » d’Haïti et à la « Triple A » du péronisme en Argentine.
Il y a un coup d’Etat au Venezuela, perpétré par le gouvernement Maduro, un gouvernement qui n’a rien de « socialiste » ni d’« anti-impérialiste ». C’est un gouvernement corrompu, désavoué par les masses… et soutenu par une partie importante de la gauche réformiste dans le monde entier.

2. Quel type d’Etat y a-t-il au Venezuela ?

La nature de classe d’un Etat est définie, selon Trotsky, par « la nature des formes de propriété et des relations de production que l’Etat concerné protège et défend ».
Il n’y a pas d’Etats « intermédiaires » dans le capitalisme : ils sont bourgeois ou ils sont ouvriers. L’Etat au Venezuela est bourgeois, sans aucun doute. Il est au service du maintien du capitalisme, des sociétés multinationales dans l’exploitation du pétrole vénézuélien, et d’une nouvelle bourgeoisie – la boliburgeoisie – dans le contrôle du pays.
L’Etat bourgeois vénézuélien est resté intact, avec son armée contrôlée par le chavisme. Il n’y a jamais rien eu qui pourrait ressembler à des organes de pouvoir des masses. Le PSUV (le parti chaviste) est un parti bourgeois, contrôlé à partir de l’Etat par les mafias chavistes, semblable au péronisme argentin, au PRI mexicain et au parti Colorado au Paraguay. 

Le « socialisme du 21e siècle » du chavisme n’est qu’une idéologie pour gagner l’avant-garde et les masses pour son projet bourgeois. En fait, le chavisme est un courant nationaliste bourgeois, comme le péronisme en Argentine ou l’aprisme au Pérou, mais avec les limites imposées au nationalisme bourgeois à l’époque de la mondialisation de l’économie au 21e siècle. Chávez a fait beaucoup moins que la nationalisation effective du pétrole par Cardenas au Mexique en 1938, ou même beaucoup moins que les nationalisations du pétrole, de l’énergie électrique et des chemins de fer à l’époque de Perón en Argentine.
La rhétorique anti-impérialiste – ou, pour être plus précis, anti-nord-américaine – de Chávez n’a jamais abouti en une véritable rupture avec l’impérialisme. Après les confrontations verbales avec Bush, la relation avec l’impérialisme étasunien a changé avec Obama. En 2008, Chávez en est arrivé à dire que, s’il était nord-américain, il voterait pour Obama. En outre, avec l’impérialisme européen, la relation a toujours été beaucoup plus conviviale.
Le gouvernement vénézuélien a continué à payer religieusement l’importante dette extérieure. La dénommée « nationalisation du pétrole » – la mesure la plus célèbre de Chávez – n’était que le maintien des coentreprises et une augmentation du pourcentage reçu par l’Etat en partenariat avec les multinationales établies dans le pays pour l’exploitation et le raffinage du pétrole. Ces multinationales peuvent détenir jusqu’à 49 % des entreprises et des réserves de pétrole. Dans le cas du gaz, elles peuvent posséder jusqu’à 100 %. Ce genre d’accord avec les multinationales est similaire à ceux en vigueur dans des pays comme le Brésil. Le chavisme a maintenu l’approvisionnement en pétrole des Etats-Unis, même quand l’impérialisme a envahi l’Irak.
Les quelques nationalisations d’entreprises dans d’autres secteurs, tels que la Compania Anonima Nacional de Teléfonos, la Caracas Electricidad ou la Siderurgia del Orinoco, ont été faites selon les critères d’achat et de vente d’actions, acceptés par les capitalistes.
Certains secteurs centraux de l’industrie, comme l’automobile, sont contrôlés par des multinationales.
Outre les multinationales, l’Etat vénézuélien sert un autre secteur bourgeois, la « bolibourgeoisie » (la bourgeoisie « bolivarienne », une référence à Bolivar, le héros de l’indépendance du Continent). Ce secteur bourgeois a émergé de l’appareil de l’Etat, en particulier du sommet de l’armée. Son accumulation capitaliste provient de son activité d’intermédiaire dans les affaires du pétrole à l’étranger, de la corruption ouverte des marchés publics, des « sociétés boîte aux lettres », de la fraude avec le marché des devises. A partir de cet enrichissement, les nouveaux bourgeois se sont mis à acheter ou à créer des entreprises. Le sommet du chavisme a aidé – et aide toujours – à piller les revenus du pétrole, dans le cadre de sa propre accumulation capitaliste.
Le groupe le plus fort est celui de Diosdado Cabello, un haut gradé de l’armée. C’est le deuxième groupe d’affaires dans le pays, propriétaire de banques, d’industries et d’entreprises de services. Un troisième groupe a comme propriétaire un autre officier à la retraite, Jesse Chacon, avec une banque, une usine de lait en poudre et des établissements agricoles. Il y a un troisième important groupe d’affaires, à son tour propriété de deux militaires à la retraite, Ronald Blanco La Cruz et Edgar Hernández Behrens.
En plus de ceux-ci, la bolibourgeoisie comprend les entrepreneurs et les banquiers qui ont approché Chávez depuis le début et qui ont ainsi étendu leur fortune, tels que Alberto Cudemus, président de Feporcina, ou encore Alberto Vollmer, propriétaire de la compagnie de rhum Santa Teresa, Miguel Perez Abad, président de Fedeindustria et fonctionnaire du gouvernement, Victor Vargas Irasqüín (Banco Occidental de Descuento), et bien d’autres.
La bolibourgeoisie pavoise dans sa richesse, avec des voitures, des maisons et des fêtes (souvent à Miami). De plus, les militaires sont directement liés au trafic alimentaire.
Le chavisme a maintenu le capitalisme au Venezuela alors qu’il parlait du « socialisme du 21e siècle ». Le volet « social » du chavisme est le même que celui utilisé par d’autres gouvernements latino-américains, de gauche et de droite : des programmes sociaux de compensation, d’assistance.
Les « Missions » au Venezuela ont la même nature que « Bolsa Familia » au Brésil, « Juanito Pinto » et « Renta Dignidad » en Bolivie, « Faim Zéro » au Nicaragua, « Familles en Action » en Colombie, « Opportunités » au Mexique, « Ensemble » au Pérou.
Ces programmes n’ont absolument rien de « contraire » aux plans néolibéraux. En fait, ce sont des recommandations de la Banque mondiale et du FMI, à appliquer parallèlement aux plans néolibéraux. Ce sont des compensations partielles des réductions des budgets pour la santé, l’éducation et les retraites pour garantir le paiement des dettes aux banquiers. Selon ces institutions de l’impérialisme, ce sont des « programmes efficaces » à « faible coût », qui aident à mettre en œuvre les plans néolibéraux et à maintenir la stabilité politique.
Le néo-libéralisme est appliqué par le chavisme au Venezuela de la même manière que dans le reste du monde. La différence par rapport aux autres pays est le poids du pétrole dans l’économie, ce qui permet une augmentation quantitative du poids de ces programmes compensatoires, qui ont atteint plus de 40 % de la population. Cela a assuré depuis de nombreuses années le soutien électoral et politique au chavisme. Il n’y a rien de « socialiste » au Venezuela. C’est du capitalisme colonial, préservé par le chavisme.

3. Qui a la responsabilité de la crise économique vénézuélienne ?

Il y a une dépression au Venezuela. En 2016, le PIB a chuté de 18,6 %, et une nouvelle baisse d’environ 10 % est prévue pour 2017.
Selon l’économiste Michael Roberts, « le PIB du Venezuela en 2017 est de 35 % inférieur à celui de 2013, et de 40 % inférieur par habitant. C’est une contraction nettement plus grande que celle qui a eu lieu au cours de la dépression de 1929-1933 aux Etats-Unis (où le PIB a alors chuté de 28 %). »
A cette catastrophe s’en ajoutent deux autres : l’hyperinflation et les pénuries. L’inflation a atteint 180 % en 2015 et 800 % en 2016, et l’on prévoit 1000 % pour l’année en cours.
La pénurie est terrible. Les Vénézuéliens sont obligés chaque jour de faire une queue interminable pour obtenir du pain. Pour acquérir les produits de base, ils sont tenus d’acheter ceux qui sont importés, à des prix très élevés.
La situation des travailleurs est dramatique. Le salaire mensuel minimum actuel est d’environ 15 dollars par mois, beaucoup moins que celui de la Chine ou de n’importe quel autre pays sud-américain.
La réalité actuelle du Venezuela est presque sans précédent dans l’histoire, hormis dans des pays en situation de guerre. Il y a déjà des vagues de réfugiés vénézuéliens fuyant cette situation vers les pays voisins, en particulier la Colombie et le Brésil. C’est la base matérielle pour la rupture avec le chavisme.
Le gouvernement chaviste et ses partisans dans la gauche mondiale attribuent cette crise « aux multinationales et au sabotage de la bourgeoisie ». Nous sommes d’accord que la domination de l’économie par la bourgeoisie est la racine de cette crise. Mais encore faut-il répondre à la question : qu’est-ce que le chavisme a fait en 19 ans de pouvoir pour en finir dans ce domaine ? Quelle est la responsabilité du chavisme dans cette crise ?
Une comparaison s’impose. En 2017, nous célébrons le centenaire de la Révolution russe. Les bolcheviks ont pris le pouvoir en 1917 dans un pays extrêmement arriéré et dévasté par la guerre. Avec l’expropriation de la bourgeoisie, le pays a pu résoudre les problèmes fondamentaux de la population, tels que l’emploi, l’éducation, la nourriture et le logement. Alors que le monde capitaliste plongeait dans la dépression de 1929 (douze ans après cette prise du pouvoir), l’URSS de l’époque a progressé dans son industrie à un taux de 16 % par an entre 1928 et 1940.
Au Venezuela, le chavisme a fait le contraire pendant ces 19 années. Il a maintenu la domination des multinationales, et il a même approfondi le modèle rentier du pétrole, parasitique et colonial. Le pétrole représentait 64 % des exportations en 1998, et ce chiffre est monté à 92 % en 2012.
Le pays s’est désindustrialisé sous le chavisme. Le taux a chuté de 18 % du PIB en 1998 à 14 % en 2012. Un rapport de Conindustria nous dit que des 33.000 industries qui existaient dans le pays en 1998, on est passé à 17 000 en 2012.
Le pétrole représente 90 % des ressources de l’Etat. Lorsque le boom des matières premières a pris fin, la catastrophe économique et la dépression sont arrivées.
Le bolibourgeoisie est coresponsable de la crise économique, comme une partie de la bourgeoisie dominante. Ces groupes bourgeois parasitiques profitent de la crise et du trafic alimentaire et de devises, tout comme les autres secteurs de la bourgeoisie. Le haut commandement de l’armée est directement associé à la corruption et au trafic.
Le gouvernement chaviste a aggravé la crise en donnant la priorité au paiement de la dette extérieure, avec réduction des importations de produits alimentaires et de médicaments. C’est incroyable de voir comment un pays dans la dépression économique, en hyperinflation et avec des pénuries, paye rubis sur ongle la dette extérieure, obéissant aux banquiers internationaux.
Tous les défenseurs du chavisme comme étant « anti-impérialiste » devraient expliquer cela. Selon Maduro lui-même, « le Venezuela a versé 60 milliards de dollars en engagements internationaux au cours des deux dernières années. »
Selon Michael Roberts, « le gouvernement a décidé « d’honorer » les paiements de la dette extérieure et de réduire en revanche les importations ; en conséquence, les importations de biens et services par habitant ont chuté de 75 % en termes réels (corrigé pour inflation) entre 2012 et 2016, avec une chute encore plus grande en 2017 ».
L’autre réaction de Maduro face à la crise économique fut l’approfondissement du bradage du pays. Contrairement à l’idéologie « anti-impérialisme » de Maduro, en 2016, le gouvernement a annoncé le plan de l’Arco Minero de l’Orinoco, qui a livré aux multinationales 12 % du territoire du pays, riche en or, diamants, fer et autres minéraux.
Les gouvernements chavistes, ayant maintenu et approfondi le contrôle sur le pays par les multinationales et par une bourgeoisie parasitaire, sont responsables de la catastrophe qui frappe le Venezuela.

4. Un régime bonapartiste, actuellement beaucoup plus autoritaire

Le régime chaviste était déjà bonapartiste avant la « Constituante », s’appuyant sur le gouvernement et l’armée. Il s’est maintenant considérablement durcit.
Le régime politique d’un pays est défini par la combinaison des institutions par lesquelles le pouvoir s’exerce. Si le pouvoir passe par le Parlement et des élections périodiques, il s’agit d’une démocratie bourgeoise. S’il passe par l’armée, il s’agit d’un régime bonapartiste, autoritaire.
Dans le cas du Venezuela, le chavisme a imposé un changement dans le régime démocratique bourgeois après la prise de pouvoir de Chavez, qui s’est matérialisé dans la Constitution bolivarienne de 1999. Le pouvoir réel passait par le gouvernement Chavez et l’armée. Mais, à ce moment-là, il avait un grand soutien populaire. C’est pour cela que, durant de nombreuses années, cette caractéristique bonapartiste a été masquée par la majorité électorale soutenant le gouvernement. Il y avait un parlement élu, mais sans pouvoir. Et il existait des élections présidentielles, qui ont été maintenues tant que Chavez pouvait les gagner, comme celle pour le poste de gouverneur, etc., et c’était Chávez qui était celui qui désignait les candidats du PSUV et qui imposait ainsi sa volonté à tous les niveaux du gouvernement.
Ce genre de régime politique populiste a été caractérisé par Trotsky comme bonapartiste sui generis. Des choses semblables sont apparues dans plusieurs pays dirigés par le nationalisme bourgeois, comme le péronisme en Argentine, le cardénisme au Mexique et le nassérisme en Egypte. Ces bourgeoisies étaient basées sur des régimes autoritaires, et s’appuyaient sur des secteurs du mouvement de masse – faisant certaines concessions – pour négocier une marge de manœuvre indépendante un peu plus grande, ainsi que de meilleures conditions économiques, dans leur conflit avec l’impérialisme.
Même dans ces moments-là, ils ont maintenu une posture agressive envers les masses. Chavez a durement réprimé les grèves, comme celle de Sanitarios Maracay, en 2007. En 2009, deux travailleurs en grève de Mitsubishi ont été tués par la police.
Il existe une bureaucratie syndicale chaviste corrompue et mafieuse, semblable à la bureaucratie péroniste argentine. Les élections syndicales dans des secteurs clés tels que les travailleurs pétroliers ont été suspendues il y a quatre ans pour garder ces bureaucrates maffieux dans la direction.
La crise économique et la chute des prix du pétrole ont tout changé. Vers la fin de 2015, l’opposition de droite a remporté la majorité parlementaire, mais le gouvernement n’a pas tenu compte du résultat. Le pouvoir continue à passer par le gouvernement et l’armée.
Les prochaines élections présidentielles en 2018 peuvent mettre le pouvoir chaviste en échec car la majorité électorale passe largement par l’opposition de droite. Voilà l’explication de la « Constituante » qui est, en réalité, un coup d’Etat.
La « Constituante » est un tournant bonapartiste au sein du régime, passant même par-dessus la constitution chaviste. Cela annule le vote universel, base de la démocratie bourgeoise, supprime le parlement élu, et conduit à la destitution de  procureure générale. En bref, cela met fin à la « contradiction démocratique » au sein du régime bonapartiste.
Au Venezuela, on assiste à la consolidation de la transformation du bonapartisme sui generis chaviste en un bonapartisme classique de droite. Il suit l’évolution des autres processus du nationalisme bourgeois bonapartistes qui ont évolué vers un bonapartisme de droite, comme le PRI mexicain depuis Cardenas, et l’évolution de Nasser al Sadat et Moubarak en Egypte.

5. La farce « démocratique » de l’impérialisme

Le gouvernement Trump « défend la démocratie » au Venezuela, et ne reconnaît pas la Constituante de Maduro. L’Union européenne a fait de même, ainsi que la plupart des gouvernements d’Amérique du Sud.
Il s’agit d’une farce. Ce même impérialisme qui soutient l’Etat nazi-fasciste d’Israël parle de « démocratie » au Venezuela. Le gouvernement des Etats-Unis, qui a parrainé un coup d’Etat en 2002, se dit maintenant défenseur des libertés démocratiques.
En fait, l’impérialisme ne se soucie guère des libertés démocratiques. Il utilise simplement cette tactique pour éroder davantage le gouvernement vénézuélien. Trump fait pression sur Maduro pour avoir un accord qui rende possible des élections, pour que la MUD (l’opposition de droite pro-impérialiste ) puisse gagner.
Ainsi, cette bourgeoisie de droite reprendrait le contrôle du pays. Le programme économique de la MUD est la radicalisation du néo-libéralisme au Venezuela, en ouvrant davantage le pays à l’impérialisme et la réduction ou la suppression des programmes sociaux.
Mais il est important de définir les politiques spécifiques du gouvernement des Etats-Unis, parce que la majorité de la gauche réformiste dénonce le « coup d’Etat militaire impérialiste ». Jusqu’à présent, du moins, ce n’est pas le cas, justement parce que l’impérialisme a appris de la défaite du coup d’Etat de 2002 et défend maintenant une autre tactique, avec le même objectif stratégique.
C’est tellement évident que le New York Times a fait un article expliquant pourquoi le gouvernement des Etats-Unis ne faisait pas d’intervention militaire, en disant que cela pourrait déclencher un « choc plus violent ». Et que « des ondes de choc dans tout l’hémisphère pourrait créer plus de complications pour le gouvernement des Etats-Unis, au moment où il essaye de se concentrer sur la Corée du Nord et l’Iran. »
Le gouvernement américain a également imposé des sanctions économiques mineures, en bloquant les actifs Maduro aux Etats-Unis. Si Trump voulait frapper fort en termes économiques, il cesserait d’acheter le pétrole vénézuélien. Mais cela n’intéresse pas Trump, ni économiquement, ni politiquement.
La plupart des gouvernements sud-américains ont rejoint la position de l’impérialisme ; le Mercosur a suspendu le Venezuela pour « rupture de l’ordre démocratique ». Ces mêmes gouvernements maintiennent des accords commerciaux et des traités avec Israël. De plus, il est impressionnant de voir la farce de Temer et Peña Nieto, qui sont rejetés par 90 % de la population de leur pays, et qui critiquent Maduro.
Nous étions sur la ligne de front lors de la lutte contre le coup d’Etat de 2002 parrainé par l’impérialisme. Face à toute initiative de coup d’Etat militaire de l’impérialisme, nous aurions la même attitude que celle que nous avions en 2002 : catégoriquement contre, et en première ligne de l’affrontement. Et, aujourd’hui, nous sommes contre les pressions diplomatiques et économiques de l’impérialisme. Rien de positif ne viendra de Trump, des gouvernements européens ou des bourgeoisies sud-américaines. Ce sont les masses vénézuéliennes qui doivent renverser Maduro.

6. La rupture des masses d’avec le chavisme

La rupture des secteurs populaires avec le chavisme constitue un changement central dans la situation politique du pays. Les quartiers populaires, qui étaient avant les bastions chavistes, votent aujourd’hui ouvertement contre le gouvernement. La tragédie vénézuélienne est qu’aucune alternative (ni syndicale ni politique) des travailleurs, indépendante du chavisme et contre les deux blocs bourgeois, n’a été construite.
Les mobilisations contre Maduro ne reflètent plus seulement les quartiers de la classe moyenne, comme dans les précédentes mobilisations de la MUD, Elles incluent d’importants secteurs populaires, comme lors des mobilisations contre le gouvernement argentin en 2001 et les journées de juin 2014 au Brésil. Les sondages indiquent entre 80 et 85 % de rejet de Maduro et de la « Constituante ».
Le mouvement ouvrier est paralysé par la dépression économique, par la très dure répression et par le contrôle de la bureaucratie de l’Etat. La PDVSA, ainsi que les usines étatiques, comme Sidor, sont dirigées par des militaires.
La base ouvrière et populaire du pays est contre le gouvernement. C’est en cela que consiste le changement le plus important dans la situation politique du pays, et c’est ce qui a provoqué la crise ouverte du chavisme. Un certain nombre de secteurs chavistes sont en rupture avec Maduro.
La synthèse de la situation vénézuélienne peut être exprimée dans une image simple d’un camarade vénézuélien : dans le passé, celui qui parlait contre Chavez dans un bus d’un quartier populaire de Caracas pouvait se faire agresser ou expulser du bus. Aujourd’hui, celui qui défend Maduro dans ces mêmes quartiers, peut se faire agresser.
Il existe aussi une méfiance contre la MUD dans les secteurs populaires. C’est la raison de fond pour laquelle, jusqu’aujourd’hui, les quartiers populaires, même s’ils sont fortement contre Maduro, ne sont pas sortis en lutte dans un nouveau Caracazo. Cela ne se produit pas encore mais peut survenir à tout moment.
Certains activistes au Venezuela parlent de 15 % de la population soutenant le gouvernement, 35 % soutiennent la MUD et le reste sont contre les deux.
Le gros problème est qu’à cause de la capitulation de la « gauche » réformiste, une alternative de gauche contre le chavisme ne se construit pas.

7. Quelles sont les perspectives ?

Aujourd’hui, le gouvernement Maduro s’appuie essentiellement sur l’armée. S’il existait une rupture militaire, le régime chaviste pourrait s’effondrer. Ce qui explique le soutien de l’armée à Maduro, c’est la bolibourgeoisie. Le sommet de l’armée est une partie essentielle de la bolibourgeoisie, et elle perdrait une partie de ses privilèges si le gouvernement et le régime tombaient.
Selon Rolando Astarita : « Les militaires peuvent acheter dans des magasins réservés à eux (comme par hasard, dans des bases militaires), ont un accès privilégié au crédit pour l’achat de voitures et d’appartements, et ont reçu d’importantes augmentations de salaires. Ils ont également remporté des contrats lucratifs, en exploitant le contrôle des changes et des subventions. Ils vendent, par exemple, aux pays voisins de l’essence achetée à bas pris au Venezuela, avec d’énormes bénéfices. »
Mais si le sommet de l’armée fait partie de la bolibourgeoisie, cela ne concerne pas l’ensemble de l’armée, en particulier les officiers subalternes et les soldats. Pour ce secteur il ne reste que la crise et la répression du peuple. Par conséquent, les éléments de crises à la base de l’armée s’accumulent. Selon les informations de la presse, il y a déjà plus de 100 prisonniers militaires.
En bloquant une solution électorale, le chavisme met fortement le pays sous tension. La crise peut mener à l’une ou l’autre de ces hypothèses :
• une explosion populaire semblable au Caracazo, maintenant dirigée contre le gouvernement chaviste ;
• une répression sanglante du genre « syrien » ;
• une crise de l’armée chaviste, obligeant le gouvernement à céder et à négocier une solution électorale.
Il se peut qu’il y ait une version combinée de ces trois premières hypothèses. Ou il peut aussi y avoir, momentanément, une consolidation du régime bonapartiste après-constituante. La continuité de la crise économique et politique tend à réduire stratégiquement cette hypothèse.

8. Le soutien de la majorité de la gauche réformiste au putsch de Maduro

La majorité de la gauche réformiste et centriste dans le monde soutient le putsch « constitutionnel » de Maduro. Non pas toute la gauche réformiste, mais la majorité. Il s’agit des partis staliniens à travers le monde, ainsi que des partis sociaux-démocrates avec des cadres d’origine stalinienne, comme le PT au Brésil. C’est le cas aussi des partis néo-réformistes comme le PSOL (Brésil), Podemos et Izquierda Unida (Espagne) et Die Linke (Allemagne). Il y a également des secteurs centristes, dont certains se disent trotskistes, tels que le CIO (Comité pour une Internationale Ouvrière) et le MAIS (Brésil), qui soutiennent ouvertement Maduro.
Puis il y a les secteurs réformistes plus proches de la social-démocratie, qui s’y opposent, bien que de façon limitée, comme le Bloc de gauche (Portugal), Mélenchon (France) et une partie du PSOL. Finalement, cela peut arriver que le fait d’être allié de Maduro ne soit pas bon pour gagner des voix. Bachelet, au Chili, a dénoncé le putsch de Maduro. Le gouvernement uruguayen a soutenu la suspension du Venezuela dans le Mercosur.
Il y a encore des secteurs centristes tels que le PO, le PTS et le Nouveau MAS (Argentine), qui s’opposent à la Constituante de Maduro, mais refusent de défendre le mot d’ordre « Maduro, dégage », une capitulation face à la dictature vénézuélienne.
Les réformistes et les centristes qui soutiennent le putsch sont complices de l’assassinat de plus de 100 personnes et de l’emprisonnement de plus de 500. Et ils assument la responsabilité de tout ce qui peut encore advenir, comme la consolidation du putsch. Ils sont complices d’une dictature capitaliste, lui donnant une couverture « de gauche ». C’est un crime politique.
Ils parlent de la défense « du socialisme » et « de la gauche ». En fait, ils font le jeu de la propagande anticommuniste de la bourgeoisie, en associant le socialisme à l’ordure capitaliste et corrompue de Maduro. De ce fait, ils contribuent à fausser complètement l’image du socialisme, exactement comme l’a fait le stalinisme. Il faut que les travailleurs en Amérique latine et dans le monde sachent qu’il n’y a rien de socialiste au Venezuela et que les socialistes révolutionnaires s’opposent à cette dictature capitaliste et corrompue.
Le réformisme et le centrisme n’ont pas cessé de dénoncer les « coups d’Etat parlementaires ou militaires » contre les gouvernements nationalistes bourgeois et de front populaire, quand ils n’existaient pas. Maintenant qu’il y a un putsch, mais perpétré par le chavisme, ils en assument la défense.

9. Un programme pour le pays

– Maduro, dégage !
– Pour une grève générale organisée à partir de la base pour renverser le gouvernement et ce régime. Pour un « Réveil vénézuélien » qui unifie toutes les luttes contre Maduro !
–   Elections générales, maintenant !
– A bas la répression ! Liberté et autonomie syndicales ! Elections libres dans tous les syndicats, sans ingérence de l’Etat !
–   Pour la plus large unité d’action contre la dictature de Maduro ! Les travailleurs doivent organiser et décider des actions à la base contre le gouvernement.
–   Aucun soutien à la MUD, qui veut capitaliser le mécontentement de la population afin d’imposer un plan économique encore pire.
–   Pour l’indépendance politique des travailleurs par rapport aux deux blocs bourgeois !
–   Programme économique pour les travailleurs, basé sur l’expropriation des multinationales et des grandes entreprises. A bas le plan néolibéral de Maduro et de la MUD. Le pétrole et le gaz doivent être à 100 % au Venezuela. Pour la révocation du plan de l’Arco Minero de Orinoco. Pour le non-paiement de la dette extérieure. Expropriation des entreprises de la bolibourgeoisie et de toutes les grandes entreprises ! Gel des prix des produits alimentaires, emprisonnement et expropriation des spéculateurs.
–   Pour le contrôle ouvrier et populaire de la production et de la distribution de nourriture ! En défense du peuple pauvre, expropriation de la nourriture des compagnies bourgeoises !
–   Emprisonnement et confiscation des biens de tous les corrompus et corrupteurs !

-Echelle mobile des salaires selon l’inflation !
–   Pour l’auto-défense des travailleurs ! Nous appelons les bases de l’armée à rompre avec leur direction, à ne pas réprimer les travailleurs et à se joindre aux manifestations avec leurs armes.
–   Ni Maduro ni la MUD ! Pour un gouvernement socialiste des travailleurs !
–  Pour la construction d’une direction révolutionnaire au Venezuela.

Maduro, dégage !
Elections générales, maintenant !
Ni Maduro ni la MUD ! Pour un gouvernement socialiste des travailleurs !
Pour la construction d’une direction révolutionnaire au Venezuela.

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