jeu Mar 28, 2024
jeudi, mars 28, 2024

Grève à Bpost: interview

Un camarade aux piquets a bien voulu répondre à nos questions.
Quelles sont les conditions qui ont mené à la grève ?
Il faut d’abord expliquer au grand public la situation. Je travaille dans un centre de tri. J’ai commencé comme intérimaire, avec une prolongation de contrat chaque semaine. Puis bpost a commencé à proposer des contrats à durée indéterminée pour certains, et ils ont dit en même temps qu’il y aurait moins de travail. Moi, je vois le contraire, le volume de travail reste le même. Dans le secteur des colis, il y a en moyenne toujours des milliers de paquets à trier par jour. Et de plus en plus. Il y a donc une surcharge de travail et moins de personnel. Il y a un mécontentement qui commence à se manifester parmi les gens, que ce soit chez ceux qui font le transport ou le tri. La situation commence à devenir plus compliquée, car le travail est physiquement dur. Il y a parfois des paquets de plus de 20 kilos ! C’est vraiment dur. J’ai vu des gens tomber malades, avec des problèmes de dos, de poignet.
Il y a eu deux ou trois fois des arrêts de travail la nuit, pour dénoncer la situation. Mais quand il y a un arrêt comme ça, la bureaucratie syndicale (surtout les Verts) vient rapidement pour maintenir la situation sous contrôle et le travail reprend. Cette situation perdure et il n’y a pas de solution en vue, pas d’engagements supplémentaires. Pour le Front commun syndical, il fallait contrôler un peu la situation, car il y avait des grèves spontanées partout en Belgique, comme à Bruxelles, à Anderlecht, où les gens sont très combatifs. Le Front décide alors un arrêt pour dénoncer la situation. Donc, la direction syndicale s’est dit que c’était mieux de convoquer à une grève, afin de pouvoir contrôler et diriger le mouvement.
Quels sont les conditions de travail, la sécurité, l’environnement de travail ?
On commence par un briefing par zone. Pour la direction de bpost, ce qui est important, ce sont les chiffres. Ils ne parlent que de chiffres, « Hier on a fait tel résultat, aujourd’hui il faut faire encore mieux ». Mais il y a un manque de personnel et les gens sont bombardés avec les colis. Quand il y a un problème dans la chaîne, il y a une alarme qui commence à sonner, un bruit insupportable. Tous les jours c’est comme ça, c’est très stressant pour les travailleurs. Moi, au début, quand je rentrais à la maison, je n’arrivais pas à bien dormir, car quand je mettais ma tête sur l’oreiller, tous les bruits de la journée me revenaient. C’est fatigant et stressant. Ni la direction de bpost, ni la direction des syndicats ne parlent de cette situation. C’est un environnement insupportable et ils ne veulent rien faire pour changer cela.
Parlons maintenant de la grève.
Début novembre, si je me rappelle bien, nous avons eu la surprise de découvrir des tracts du Front commun syndical qui disaient qu’ils allaient convoquer à une grève chez bpost. Le tract disait : « Tenez-vous prêts ! Suivez les mots d’ordre du Front commun syndical. » Pour moi, cela montre que, pour eux, les travailleurs sont des moutons qui doivent suivre leur berger. (Rires.) C’est comme ça. Pas d’assemblée. La direction syndicale devrait parler avec les travailleurs pour décider quel plan d’action faire. Rien du tout. Juste un tract, c’est un fait accompli. C’est un ordre : on doit faire comme ils ont dit. Nous devons être prêts, au cas où il y a des actions de grève.
La deuxième semaine, il y a eu un autre tract, avec un calendrier de 5 jours de grèves tournantes : centre de tri, puis transports, distribution, call-centers,…
Le mardi 6 novembre était le premier jour de grève, qui devait commencer la veille, à 22 h. Chez nous, il n’y a eu aucun travail du syndicat pour préparer celle-ci , pas d’assemblée, rien. Mais pour une grève, il faut bien organiser les choses. De manière spontanée et volontaire, j’ai donc commencé à discuter avec les gens sur la nécessité de faire un arrêt symbolique. Nous n’avions encore jamais fait une grève. Tout le monde était bien au courant de la situation dramatique au boulot. Certains collègues avaient des doutes, car ils n’avaient jamais fait grève. Il n’y a pas de confiance envers les syndicats, car ceux-ci n’ont pas fait leur travail. Alors j’ai essayé de parler avec les gens. Il y a beaucoup d’arguments. Notre patron gagne plus d’un million par an et nous n’avons qu’un salaire mensuel de 1200-1300. Alors nous devons faire la grève. De plus, il y a la surcharge de travail. On n’arrivera pas à la pension ; les conditions sont trop dures. On ne peut pas rester plus de 3 ans. Certains disent « Ah, on peut rester 5 ans ici », mais je ne le pense pas. Moi, j’ai déjà commencé à avoir des problèmes de dos. Alors, travailler ainsi jusqu’à 65 ou 67 ans, ce n’est pas possible. On rentre tard du travail, ou on travaille la nuit, et on n’a donc pas de vie de famille, pas de vie sociale. On doit juste travailler pour bpost.
Nous sommes sortis avec un groupe de quelques dizaines avec un délégué, et j’ai dit : on va discuter entre nous, il y aura une assemblée à la porte de l’entreprise pour organiser la grève et pour nous organiser entre nous. Bref, pour voir quelles sont nos revendications. Mais le délégué nous ramène vers le piquet du Front commun syndical, les Rouges, les Verts et les Bleus avec leur tente, comme si on allait faire une petite fête. Pas de discours qui explique pourquoi on est là. Rien !
Ce piquet y est resté du mardi 6 jusqu’au vendredi 9. Ils n’ont même pas garanti le piquet jusqu’au mardi 13. Vendredi à 6 h ils ont suspendu le piquet. Je ne sais pas pourquoi. Car le calendrier de leur plan d’action prévoyait pourtant la grève. Et ils ont laissé les travailleurs à leur sort : « Vous faite la grève si vous voulez, vous êtes couverts. » C’est une méthode de la direction syndicale, car ce vendredi 9, il y a eu une réunion entre le Front commun et bpost. Et je pense qu’ils ont levé le piquet pour donner un bon signal à la direction de bpost. Nous avons discuté entre nous. Il y avait beaucoup de travail suite à la grève, et on a décidé de continuer la grève. Mais il n’y avait pas de piquet.
Ensuite, le lundi matin, on a appris par les médias qu’il y avait un préaccord. Les délégués ont été appelés, et le soir, ils nous ont dit de suspendre la grève. Mais aucune communication avec les travailleurs sur le contenu du préaccord. L’information est toutefois arrivée d’une manière ou d’une autre, et comme il n’y avait rien de positif, rien qui change notre situation, les travailleurs ont continué le mouvement d’une manière spontanée, sans la bureaucratie syndicale. A Charleroi, à Anderlecht, partout en Belgique. Et la direction des Verts, pour ne pas rester seule et isolée des travailleurs, a dit : « Nous aussi, on n’est pas d’accord », et ils ont commencé à monter des piquets. Mais les Rouges et les Bleus ont dit qu’ils « choisissent le dialogue avec la direction de bpost, car ils nous ont donné des choses positives. » Toutefois, dans la réalité, n’y a rien de positif. En plus, la direction de bpost a imposé de nouvelles conditions, comme la flexibilité renforcée. Quand il y a plus de travail dans le secteur des lettres, les travailleurs des paquets passent aux lettres, et vice-versa. Ça, c’est nouveau. Donc : qu’est-ce qu’il y a de positif dans cet accord ?
Il y a encore eu un arrêt de travail, soutenu uniquement par la CSC, mais toujours sans assemblée, et avec plus de difficulté de mobiliser les gens, qui sont méfiants envers les syndicats et ne veulent pas perdre trop de salaire en faisant beaucoup de jours de grève. Le délégué permanent CSC nous explique l’accord et dit qu’il faut continuer la grève. Mais, le soir, le délégué nous dit qu’il y a eu un coup de fil du national qu’il faut suspendre le piquet, parce que bpost avait commencé à menacer d’envoyer des huissiers. Donc, ils nous ont dit de suspendre les piquets parce qu’il n’y avait pas de forces pour les garantir. Et effectivement, je le vois, c’est vrai ! Mais pourquoi n’y a-t-il pas de forces ? Parce qu’ils n’ont pas fait leur travail ! Ils n’ont pas organisé les gens. Ils font tout d’une manière bureaucratique, par en haut, et ils ne parlent pas avec les gens.
Après une discussion, on a suspendu le piquet, et l’argument des permanents était qu’il faut laisser une chance au dialogue. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de réponse..
Comment organiser mieux la grève ? Comment faire pour que le mouvement soit mieux organisé ?
C’est simple. Il faut d’abord prendre contact avec les travailleurs. Sinon, avec un plan d’action sans la participation des travailleurs, on est foutus d’avance. Pour moi, la conclusion de ce plan d’action des directions bureaucratiques, c’est qu’il n’y a pas de résultats. On voit que les travailleurs veulent faire la grève, d’une manière spontanée, et jusqu’à maintenant, il y a des travailleurs qui luttent. Car ils sont mécontents des conditions de travail et ils veulent faire grève d’une manière organisée contre la direction de bpost. Mais la bureaucratie, d’une manière ou d’une autre, démoralise les gens, car ils n’organisent rien, ils laissent les gens à leur sort.
D’abord, on doit commencer avec des assemblées. On doit reprendre le contrôle de notre syndicat. On doit respecter la démocratie ouvrière. Il faut faire des assemblées dans chaque centre de bpost, où l’on discute et vote le plan d’action à faire. Mais je pense que dans aucun centre il n’y a eu ça.
Tout se passe dans le bureau des syndicats, ils discutent entre eux de ce qu’ils vont négocier. Mais les travailleurs restent éloignés de ces méthodes. Nous devons recommencer avec des méthodes de base d’un syndicat combatif : des assemblées où on discute, on s’organise. Sinon, on n’aura pas de victoire.
Veux-tu ajouter quelque chose ?
Voici, pour moi, l’élément le plus positif, le fruit de tout ce qui s’est passé, de tous ces jours de grève. Je peux dire qu’il y a un noyau solide de collègues pour les prochaines actions. C’est le plus important de tout, car il y a des collègues qui veulent changer la situation. Et dans le futur, on pourra organiser des combats et des luttes contre la direction, et aussi contre la bureaucratie. Comme ça, on va essayer que les syndicats viennent mettre les pieds dans notre lieu de travail, et non plus rester dans leurs bureaux.

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