mar Mar 19, 2024
mardi, mars 19, 2024

FRANCE: Que faire pour obtenir le retrait de la contre-réforme des retraites ?

Cet article a été écrit un jour avant que le Premier ministre Edouard Philippe n’explique officiellement la réforme. Lors de sa comparution, il a montré la volonté du Gouvernement de ne pas revenir en arrière sur aucuns points important, ce qui a provoqué une vive colère dans la population. Dans le même temps, les dirigeants syndicaux ont appelé à une nouvelle journée d’action le 17 décembre.

Par: Tendance ARC du NPA – lien

Le succès du 5 décembre

La journée du 5 décembre a été une très grosse journée de mobilisation, avec plus de 800.000 manifestants selon le gouvernement et plus d’1,5 million selon la CGT. Cette journée avait été préparée de longue date : elle était en fait impulsée par les agent·e·s de la RATP, qui, fort·e·s du succès de la grève du 13 septembre, avaient imposé à leurs directions syndicales un appel à la grève illimitée à partir du 5 décembre, alors même que les directions des confédérations et de bien des syndicats n’avaient rien prévu de sérieux pour combattre cette réforme et passaient leur temps dans les salons à se concerter avec le gouvernement. Cet appel a ensuite été repris dans de nombreux secteurs, ce qui a conduit les principales confédérations syndicales à appeler à « une » journée de grève le 5 décembre.

La stratégie des directions syndicales conduit tout droit vers la défaite

Au lieu de s’appuyer sur l’appel à la grève illimitée à la RATP, pour appeler l’ensemble des travailleurs/ses à la grève illimitée à partir du 5, ce qui est la seule stratégie viable pour obtenir le retrait de la réforme, les directions syndicales ont cherché à canaliser le « tous ensemble » dans une journée d’action, sans annoncer la moindre suite. Elles ont également refusé d’exiger le retrait du projet gouvernemental et ont continué à se concerter avec le gouvernement, le communiqué se vantant même de 22 rencontres avec le gouvernement, 22 ! Malgré le succès immense du 5 décembre, les directions syndicales ont refusé d’appeler à de grandes manifestations le samedi avec les Gilets jaunes, maintenant le « cordon sanitaire » entre le mouvement ouvrier organisé et les Gilets jaunes. L’aspect symbolique d’un tel appel aurait été fort, en montrant à toute cette frange du prolétariat trop précaire et/ou isolée pour participer aux journées de grève (et qui s’est reconnue dans le mouvement des Gilets jaunes) qu’elle était prise en compte. Du coup, les manifestations du samedi 7 décembre ont été très faibles. Il y avait pourtant un réel enjeu à cette convergence, afin de réunir Gilets jaunes et grévistes pour mettre en place ensemble des actions de blocage de l’économie et faire monter la pression.

Force est de constater qu’aujourd’hui les directions syndicales continuent de nous proposer la stratégie qui nous a déjà mené.e.s tant de fois à la défaite, comme lors de la mobilisation contre la loi travail en 2016 avec des journées de manifestation isolées, ou comme lors de la mobilisation cheminote contre la casse du rail en 2018 avec la grève perlée. Aujourd’hui, elles organisent la multiplication de journées d’action dispersées jusqu’à l’épuisement des forces, tout en laissant les secteurs les plus en pointe faire seuls une grève reconductible. Sans surprise, les manifestations de mardi 10 décembre (et les taux de grève) ont été plus faibles que celles du 5 décembre (préparées de longue date). Les médias se font un plaisir de parler d’essoufflement du mouvement, ce qui peut bien sûr avoir un effet négatif sur le moral des grévistes. Quand on compare la préparation du 5 et celle du 10, on comprend en fait que les chiffres du 10 témoignent de l’énorme détermination des travailleurs/euses dans certains secteurs à construire ce mouvement malgré la préparation lacunaire des directions syndicales.

Le bras de fer avec le gouvernement va être dur, très dur même, et il faut être à la hauteur de la situation. Pour imposer le retrait, il faut tout mettre en œuvre pour ça, et les directions syndicales ont un rôle à jouer : lancer un appel clair, qui ne tergiverse pas, qui n’essaie pas de laisser des portes ouvertes à la négociation avec un gouvernement au service du patronat. L’argument de Martinez justifiant le fait d’aller discuter avec le gouvernement est qu’il y va pour parler des propositions de la CGT pour un système de retraite plus juste. Imposons déjà le retrait, la CGT pourra ensuite faire ses propositions fortes pour une victoire historique. Or la mobilisation massive et déterminée de tou.te.s les travailleur.se.s suppose qu’ils et elles n’aient aucun doute sur le fait que la réforme ne peut pas être amendée ou arrangée dans un sens favorable ; cela suppose à son tour la rupture de toutes les concertations.

Solidaires : souvent énergique à la base, mais suiviste des autres directions syndicales au sommet

Dans un certain nombre de secteurs, comme à la SNCF ou dans l’Éducation, Sud/Solidaires apparaît comme ayant une meilleure orientation que les autres directions syndicales, favorable dès le départ à la grève reconductible, avec une base militante souvent plus énergique, déterminée et motrice. Cependant, force est de constater que la direction de Sud/Solidaires n’offre pas une véritable alternative à la politique des autres directions syndicales. Sud/Solidaires a signé tous les communiqués de l’intersyndicale nationale, entérinant de fait l’orientation des autres, notamment l’absence de l’exigence élémentaire du retrait. Sans cesser de chercher des accords pratiques avec les autres organisations syndicales, Sud/Solidaires devrait marquer son désaccord avec la ligne de l’intersyndicale et proposer sans discontinuer à la CGT, à FO, à la FSU, de rompre avec cette stratégie désastreuse : en exigeant le retrait pur et simple, en exigeant la rupture des concertations, en demandant un appel intersyndical clair à la grève générale jusqu’au retrait. Cela fournirait un point d’appui très précieux aux militant.e.s oppositionnels d’autres syndicats et plus largement aux travailleur.se.s à la base. En outre, Sud/Solidaires devrait se battre dans tous les secteurs pour la mise en place de comités de grève, pour leur coordination, vers un comité central de grève, dans chaque secteur et à l’échelle interprofessionnelle. La bataille est loin d’être finie et les militant.e.s de Sud/Solidaires qui partagent cette idée peuvent encore la porter et la faire triompher en interne. Cela contribuerait à faire basculer la situation.

Mais rien n’est joué : les travailleur.se.s à la base sont déterminé.e.s à gagner et l’auto-organisation progresse

Néanmoins, les jeux ne sont pas faits. En effet, le 5 décembre a déclenché une dynamique positive d’auto-organisation et de renforcement des liens interprofessionnels. A la RATP et à la SNCF, des comités de grève sont mis en place pour construire la grève. Des AG inter-services sont organisées pour éviter l’isolement et décider de la reconduction de la grève ensemble. Cinq jours après le début de la grève, celle-ci est toujours massive à la RATP et à la SNCF, grâce à la base, malgré les politiques des directions syndicales, notamment celle de l’UNSA qui quémande des aménagements à la contre-réforme pour se retirer de la grève. Dans l’Éducation, la grève a été très importante le 5 décembre. Elle l’a été encore le 10, notamment dans le secondaire où elle a été forte, malgré le trucage des chiffres du gouvernement (qui fait ses calculs en comptant comme « non-grévistes » les profs qui ne travaillent pas le jour de la grève ou qui sont en congé maladie). En outre et surtout, les liens se tissent entre secteurs professionnels. Des AG communes se tiennent, des actions se montent en commun, comme par exemple le blocage des dépôts de bus, avec le souci d’étendre la grève. Le mouvement tente également de se construire dans la jeunesse, malgré la répression et la fermeture préventive de sites universitaires (comme Tolbiac depuis le 2 ou Le Mirail les journées du 5 et du 6). A Lille par exemple, lycéen.ne.s et étudiant.e.s ont convergé en masse mardi 10 décembre dans les rues. A Toulouse, une AG étudiante du Mirail a réuni plus de 700 étudiant.e.s lundi 9 décembre.

Autrement dit, une avant-garde large de travailleurs/ses construisent la grève, développent les organes d’auto-organisation, à l’inverse de la stratégie des directions syndicales qui se concertent avec le gouvernement et refusent d’appeler à la grève illimitée et au blocage de l’économie, et d’organiser tout cela.

Les annonces imminentes d’Édouard Philippe peuvent relancer la mobilisation

Beaucoup de travailleurs/ses sont aujourd’hui sur la réserve et pas encore prêt.e.s à se jeter vraiment dans la bataille. Dans les raffineries, les ports, à EDF, un nombre significatif de travailleurs/ses ont fait grève mardi 5 et jeudi 10 décembre. Ils et elles se posent des questions sur les suites. L’heure est à l’expectative dans pas mal de secteurs. C’est en partie les résultats de la poursuite ininterrompue des concertations qui donnent l’illusion qu’il serait possible d’infléchir la réforme de Macron d’une façon satisfaisante. C’est aussi en partie le résultat des doutes sur la possibilité d’infliger une défaite à Macron, surtout avec cette stratégie des directions syndicales. Les annonces de Philippe, qui vont matérialiser le « rapport Delevoye » en véritable projet gouvernemental, pourraient servir de déclic, et convaincre des travailleurs/ses de se lancer dans la grève reconductible. Il faudra bien sur décortiquer les enfumages et la propagande officielle dès mercredi soir.

Construire une direction démocratique de la grève

L’un des autres enjeux pour intensifier la mobilisation tout comme pour garantir que les travailleurs/ses gèreront elles et eux-mêmes leur grève est de mettre en place une direction de la grève qui émane réellement de ce que veut la base. Cela prend du temps, et nous en avons peu. Il faut donc aller vite : dans les secteurs les plus avancés, à la RATP et à la SNCF, il faut se fixer l’objectif de constituer un maximum de comités de grève, et que ceux-ci envoient des délégué.e.s pour constituer une coordination nationale de la grève, qui sera la direction légitime de la grève. Si une telle direction se constituait à la RATP et à la SNCF, et si elle s’adressait aux directions syndicales pour qu’elles appellent l’ensemble des travailleurs/ses à la grève illimitée jusqu’au retrait, cela aurait une portée politique considérable. Et cela donnerait de la force à l’ensemble des travailleurs/ses pour rejoindre la grève, cela bousculerait des directions syndicales intermédiaires, et cela enclencherait une dynamique qui balaierait les bureaucrates.

L’auto-organisation doit d’abord se construire secteur par secteur avant d’être intersectorielle. Même si des embryons de coordination intersectorielle doivent se mettre en place dès maintenant, nous devons avoir conscience qu’ils n’auront de légitimité que s’ils s’appuient sur une vraie auto-organisation sectorielle. Il ne faut pas opposer l’un et l’autre, mais voir que l’un n’a de sens que si l’autre est fort.

La force des travailleurs/ses, c’est la grève, mais c’est aussi leur capacité à s’auto-organiser pour décider de l’avenir de la grève et pour garantir que leurs revendications l’emporteront. En premier lieu, cela permet de ressentir clairement notre force collective, de nous rendre compte que nous n’avons pas besoin d’institutions politiques ou syndicales pour nous représenter, et de prendre pleinement conscience d’appartenir au même camp en lutte contre le gouvernement et le patronat. Cela permet aussi de mettre en échec la politique des bureaucraties syndicales, dont le rôle fondamental est d’éviter tout mouvement trop dur qui menacerait l’ordre social, tout en négociant quelques miettes que le gouvernement pourrait vouloir leur donner pour ne pas trop les discréditer aux yeux des travailleurs/ses. Les hautes directions des appareils syndicaux sont bien trop institutionnalisées pour être de véritables représentantes des travailleurs/ses.

Nous pouvons gagner : bloquer l’économie pour contraindre Macron à retirer sa contre-réforme

Macron ne pourra rien faire face à une grève de masse qui bloque l’économie. Il sera contraint de céder, et son quinquennat sera terminé. Il ne pourra plus nuire car il sera sous surveillance des travailleurs/ses fort.e.s de leur victoire. Cette victoire dépasserait largement une victoire contre la réforme des retraites : elle inverserait le rapport de forces. Elle montrerait que la dynamique engrangée depuis 2016 a enfin atteint sa pleine maturité. C’est pourquoi il y a un enjeu central à gagner grâce à ce mouvement.

Des secteurs (comme les transports, les raffineries, …) sont plus stratégiques que d’autres car l’arrêt de travail a chez eux des conséquences immédiates et palpables. Mais pour gagner, nous avons besoin d’une grève qui aille au-delà de ces secteurs. D’une part parce que les secteurs les plus stratégiques ont besoin que d’autres les rejoignent pour avoir la volonté de tenir. D’autre part, parce que le pouvoir pourra réprimer des secteurs stratégiques isolés en les séparant des autres travailleurs/ses alors qu’il ne pourra rien faire face à une grève qui se généralise. Celles et ceux qui sont dans des secteurs moins centraux pour la production ont donc néanmoins un rôle clé à jouer : en cessant le travail et en se consacrant à la grève, ils sortent les autres secteurs de leur relatif isolement et peuvent ainsi contribuer à créer une situation politique intenable pour Macron.

Plus que jamais, nous devons porter les débats stratégiques et la nécessité de l’auto-organisation dans le mouvement, mais aussi, bien sûr, prendre toutes initiatives concrètes pour le construire et l’étendre. C’est en unissant les travailleurs/ses de l’ensemble des secteurs dans la grève et des actions de blocages qu’on pourra vaincre Macron et sa contre-réforme.

Ecrit par Gaston Lefranc

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