mar Avr 16, 2024
mardi, avril 16, 2024

C’est quoi le chavisme ? Le nationalisme bourgeois au temps de la recolonisation

Joseph Weil

Membre de la Direction Nationale du PSTU, la section brésilienne de la LIT-QI

 Article publié dans le Marxisme Vivant n°10 de 2004

 

Le processus révolutionnaire vénézuélien est aujourd’hui un des plus importants d’Amérique Latine. Le dénouement de ce processus peut marquer pour longtemps le développement de la révolution en Amérique du Sud. C’est pourquoi, il est fondamental que l’avant-garde d’activistes révolutionnaires du sous-continent et du monde entier prennent part effectivement à ce processus, en extrayant les conclusions sur son caractère et sur ses perspectives.

Le niveau de vie des travailleurs vénézuéliens est un des plus misérable du continent. Des décennies d’attaques de l’oligarchie, de spoliation par l’impérialisme et de dénationalisation des richesses ont produit un recul dans les conditions de vie du peuple vénézuélien, en mettant fin aux temps du « bien-être pétrolier ».

Chavez, arrivé au pouvoir après la grande mobilisation révolutionnaire connue sous le nom de Caracazo (la rébellion de Caracas), essaye de figurer comme le représentant des masses pauvres contre les oligarchies, comme « bolivarien », et à cet effet, il utilise une partie du revenu pétrolier pour atténuer cette misère à l’aide de mesures d’assistance.

Cette politique se heurte contre l’orientation putschiste et recolonisatrice de Bush, particulièrement en ce qui concerne la question du contrôle des sources d’énergie et du marché pétrolier mondial. Bush veut un contrôle total sur les sources qui approvisionnent le marché des Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle la relative indépendance de Chavez sur la question du pétrole et de l’OPEP, mise en évidence dans l’opposition de Chavez à l’invasion de l’Iraq, a ouvert le conflit avec le gouvernement des Etats-Unis, et que ce dernier a sérieusement travaillé durant ces dernières années pour le renverser.

Ces attaques de l’impérialisme et la rhétorique pour le « Tiers-Monde » de Chavez produisent une sympathie et un enthousiasme des masses pauvres et des activistes vénézuéliens et d’autres pays en défense du chavisme comme une « option révolutionnaire », en pleine désillusion générale avec les secteurs de gauche qui ont capitulé face au néolibéralisme, comme par exemple Lula et le PT au Brésil.

Toutefois, une analyse plus profonde des actions de Chavez et du caractère de classe de son gouvernement et de son mouvement, démontre que la tentative de Chavez de développer un mouvement nationaliste bourgeois n’a pas de grandes possibilités de succès. D’abord, parce qu’au temps de la globalisation et du néolibéralisme provoqués par la profonde crise économique internationale, et sous les attaques féroces de l’impérialisme contre les conquêtes de la classe ouvrière, il n’y a plus de « réserves à pomper », comme dans les années 50. Deuxièmement, parce que les bourgeoisies indigènes d’aujourd’hui, sous l’impact de la dénationalisation des économies et de la recolonisation des pays semi-coloniaux, sont devenues des « contremaîtres » des affaires impérialistes. C’est pourquoi les bourgeoisies « nationales » du Venezuela, du Brésil, d’Argentine, du Mexique, etc. sont complètement serviles et incapables de combattre pour l’indépendance de ces pays face à l’impérialisme.

Cela est devenu clair, au Venezuela, d’une part par la soumission de la bourgeoisie putschiste à l’impérialisme yankee et, d’autre part, par les mesures économiques et politiques timides prises par Chavez qui ne ressemblent en rien à ce qu’ont fait Perón dans ses deux premiers gouvernements, Cárdenas au Mexique, ou même Allende au Chili. Chavez n’a réalisé aucune nationalisation de richesses minérales (comme le pétrole mexicain ou le cuivre chilien), ou d’industries clefs, ni d’améliorations effectives pour les travailleurs (comme en Argentine sous Perón dans les années 40 et 50).

Chavez combat pour les pauvres?

Le fait qu’un vaste secteur des masses vénézuéliennes soutient Chavez et ses politiques sociales, pousse la majorité des intellectuels à le prendre comme exemple, comme « nouvelle voie », ou mieux, comme une voie « possible » actuellement.

Quelles sont ces mesures qui lui valent tant de soutien ? Par exemple, Chavez a conclu un accord avec le gouvernement cubain pour envoyer

10.000 médecins au Venezuela contre du pétrole. Ces médecins cubains ont été installés dans les quartiers les plus pauvres et s’occupent gratuitement d’une population qui, jusqu’à ce moment, était marginalisée de tout type d’assistance médicale. Il a aussi pris des mesures pour étendre l’accès à l’éducation aux secteurs les plus pauvres, il a ouvert des marchés d’aliments à bas prix dans les quartiers populaires et a distribué en même temps quelques terres appartenant au gouvernement.

L’attitude de la gauche et de la grande majorité des intellectuels, face à la politique de Chavez, est dépeinte dans un article de Tariq Ali, dans lequel il écrit : « Il y a quelques semaines j’ai eu une longue conversation avec Chavez à Caracas. Il était clair que ce que cherche le président n’est rien de moins que la création d’une démocratie sociale radicale, qui essaye de donner le pouvoir aux couches les plus faibles de la société. En ces temps de dérégulation, de privatisation et du modèle anglo-saxon, dans lequel l’économie dicte la politique, les objectifs de Chavez sont jugés révolutionnaires, même si les mesures proposées ne sont pas différentes de celles du gouvernement Attlee en Grande-Bretagne d’après-guerre. »

Par la suite, Tariq cite Chavez lui-même : « quand j’ai demandé à Chavez d’expliquer sa philosophie, il a répondu : « je ne crois pas dans les postulats dogmatiques de la révolution marxiste (…) Par exemple, s’ils me disent que c’est la raison pour laquelle on ne peut alors rien faire pour les pauvres, je réponds : en ce point nous nous séparons. Je n’accepterai jamais qu’il ne puisse pas y avoir une redistribution de la richesse dans la société. ».

Que voyons-nous, par exemple, si nous examinons de près les mesures prises par Chavez à la chaleur de la révolution vénézuélienne ? Les masses, avec la méthode de la mobilisation directe, ont héroïquement mis en échec deux tentatives de coup d’État, mais aussi le coup institutionnel exprimé dans le référendum révocatoire. Par la mobilisation, les masses ont mis en échec la bourgeoisie vénézuélienne et l’impérialisme. Pour cela, elles ont eu recours à l’auto-organisation et à l’armement populaire, en paralysant et en divisant l’armée et son sommet putschiste.

Dans ce cadre, bien que les mesures palliatives de Chavez signifient d’importantes améliorations pour le niveau de vie des masses les plus appauvries, elles ne résolvent pas les problèmes les plus graves, comme sont le chômage et l’énorme inégalité sociale qui existe dans le pays. D’autre part, ce type de remède cherche à agir comme un « calmant » pour des masses radicalisées et à leur faire accepter les institutions bourgeoises de gouvernement, qui apparaissent sous un voile « démocratique ».

Cette politique d’assistance est très ancienne dans la société capitaliste. Dans des moments de convulsion sociale, ou pour prévenir de grands débordements populaires, les gouvernements bourgeois conservateurs ou réformistes l’ont utilisée dans différents pays au siècle passé, que ce soit Roosevelt ou Johnson aux Etats-Unis, De Gaule ou Mitterrand en France, Attlee en Grande-Bretagne. Les politiques du type « Faim Zéro » de Lula sont aussi des expressions de cette politique, qui a un objectif clair : convaincre les masses qu’il est possible de résoudre les graves problèmes qui ont leur origine dans le capitalisme (la faim, des services de santé désastreux, le manque de logements populaires, la discrimination ethnique, etc.), sans révolutionner le système, sans rompre avec la bourgeoisie et l’impérialisme.

Ces intellectuels tiennent le discours selon lequel la révolution « n’est pas possible ». Ils veulent convaincre la classe ouvrière et la gauche qu’il vaut mieux soutenir quelqu’un qui « lutte encore pour les pauvres » et pour un capitalisme avec distribution de la richesse. Mais, contrairement à ce qu’ils disent actuellement, les conditions politiques et économiques mondiales, sous l’offensive néolibérale, réduisent pratiquement à zéro les perspectives d’un développement soutenu de processus progressifs d’augmentation de droits sociaux ou du bien-être social (un modèle qui serait intermédiaire entre le néolibéralisme et le socialisme).

Au contraire, ces options sont aujourd’hui bien moins viables qu’il y a 50 ans (quand d’importantes conquêtes sociales ont été obtenues en Europe ou en Argentine). Il n’y a aujourd’hui pas de possibilités sérieuses d’améliorer les conditions de vie des travailleurs et des masses sans attaquer les racines du système capitaliste-impérialiste, sans avancer dans la direction d’une révolution ouvrière et socialiste. Sans attaquer en profondeur les intérêts de l’impérialisme et de la bourgeoisie, sans mettre un terme à la rapine et la confiscation des richesses, il n’a pas moyen d’améliorer de manière radicale la situation des masses vénézuéliennes.

Ce n’est pas la voie de Chavez. Comme il l’affirme lui-même chaque fois qu’on le lui demande, il prétend avoir de bonnes relations avec le patronat. Par exemple, il veut qu’il y ait des fonds pour des programmes sociaux, qu’il n’y ait pas tant de corruption, pour pouvoir appliquer une partie plus grande du budget dans ce type de programmes d’aide. Ce n’est pas un agenda très différent de ce que la Banque Mondiale propose aujourd’hui pour les pays périphériques, c’est-à-dire investir des fonds dans des projets sociaux ponctuels (« concentration des frais », en finir avec les « déchets ») pour les secteurs les plus pauvres, sans toucher à la politique économique globale ni à l’agenda néolibéral.

Même s’il n’en a pas l’air dans les discours, le problème de fond au Venezuela est que le chavisme suit les injonctions du FMI. Cela conditionne tout changement radical dans la gestion et dans l’application des plans néolibéraux, qui restent au centre de la politique économique vénézuélienne, avec les attaques correspondantes au niveau de vie des masses. Le chômage continue à avoisiner les 20% de la population économiquement active. Les salaires continuent à descendre malgré les hauts profits patronaux de 2003¬2004 qui ont battu des records dans l’industrie pétrolière, dans l’industrie automobile (Ford et GM) et dans les banques. Ford a triplé ses profits au cours du 1er trimestre 2004 et les banques ont eu 130% de profits en plus. Entre-temps, on discute sur la fin de la stabilité de l’emploi.

Le chavisme est-il anti-impérialiste ?

Les défenseurs de Chavez jouent aussi sur le désenchantement face à d’autres options de gauche, comme le PT brésilien, qui applique aujourd’hui la recette néolibérale avec un masque de gauche et capitule face à l’impérialisme. Selon ses défenseurs, Chavez, serait au moins « anti¬impérialiste ».(2)

Il est vrai que Chavez a un certain degré de confrontation avec l’impérialisme. Toutefois, si nous donnons à ce mot le sens de quelqu’un qui effectivement résiste et fait face à l’impérialisme, il n’est pas correct de caractériser Chavez et ses prédécesseurs nationalistes, comme étant « anti¬impérialistes ». Pour des raisons de classe, Chavez est incapable de faire face à l’impérialisme jusqu’au bout et avec tout ce que cela implique, c’est-à-dire commencer à exproprier ses propriétés parce qu’il craint de rompre définitivement avec la bourgeoisie.

Chavez essaye de trouver un terrain d’entente avec l’impérialisme. C’est pour cela qu’il n’a jamais cessé d’approvisionner les Etats-Unis en pétrole ou de payer la dette extérieure, alors que tout le monde connaît le rôle du gouvernement de Bush dans le coup militaire pour l’écarter. Au contraire, Chavez accomplit religieusement les accords économiques et financiers avec l’impérialisme.

D’abord, son gouvernement paye ponctuellement la dette extérieure et maintient les négociations de la ZLEA, même s’il fait des critiques à sa forme actuelle et parle d’un secteur de libre commerce bolivarien.

Deuxièmement, non seulement il maintient sans interruption l’approvisionnement de pétrole aux Etats-Unis à des moments sensibles, mais il continue à accueillir les investissements des transnationales américaines dans les nouveaux secteurs du gaz et du pétrole, et il se met à leur disposition pour « stabiliser le prix international du pétrole », comme il l’a déclaré après le résultat du plébiscite. Aujourd’hui, le Venezuela produit 2,5 millions de barils de pétrole par jour, parmi lesquels 1 million sont produits par les entreprises privées impérialistes. Voilà ce qui explique que les grandes multinationales du pétrole font de grands investissements dans le pays. Le gouvernement vénézuélien articule un plan international de « garantie d’approvisionnement », associé à Uribe (l’homme du plan Colombie) et aux gouvernements mexicain et de l’Amérique Centrale. Dans ce plan, la tâche de PDVSA serait de garantir l’approvisionnement et la construction de toute une grande infrastructure d’oléoducs et de gazoducs (le réseau transguajira) qui relierait le Venezuela aux USA en passant par la Colombie et l’Amérique Centrale.

L’agence de presse officielle Venpress a accordé beaucoup d’attention à une réunion sur ce plan qui s’est tenue à Washington : « l’image du Venezuela comme le pays avec les réserves de gaz les plus importantes du continent et son rôle stratégique pour couvrir les futures demandes du marché américain ont été fortifiés lors de la participation du Ministre de l’énergie et des mines, Rafaël Ramirez, au sommet ministériel tenu à Washington les 17 et 18; décembre, une rencontre à laquelle il a assisté comme invité du Département de l’énergie des Etats-Unis« (3).

En troisième lieu, le processus de privatisation de la PDVSA étatique vers les transnationales et la bourgeoisie continue, malgré des changements dans les postes de gérance après le lock-out pétrolier de 2002-2003. Le processus de privatisation n’a pas été arrêté et est stimulé par les lois sanctionnées par Chavez, tel que la Loi d’Hydrocarbures qui, même après la tentative de coup d’État et du lock-out, n’a pas été modifiée (voir encadré).

En quatrième lieu, il n’y a aucune attaque aux profits ou à la propriété capitaliste-impérialiste. Au contraire, ce qui existe, c’est une série de subventions et d’avantages pour les patrons nationaux et étrangers : on réduit les impôts du type TVA pour les grands chefs d’entreprise, on donne des garanties pour les chefs d’entreprise qui reçoivent des prêts des banques privées, etc.

Cette ligne de concessions à la bourgeoisie et à l’impérialisme s’est étendue après la victoire du Non dans le référendum. Les transnationales pétrolières continuent à exploiter le patrimoine national tranquillement et en étendant leurs investissements dans le pays. Un putschiste déclaré et convaincu comme Gustavo Cisneros est non seulement en liberté, mais en plus il se réunit avec Chavez et Carter. Son canal de TV est toujours membre d’un oligopole des moyens de communication qui mentent sans retenue et attaquent le mouvement de masse. Le groupe Polar, le plus grand du pays, qui détient 70% de la distribution de farine et d’autres aliments et qui, pendant le dernier lock-out patronal dissimulait des aliments pour que la population pauvre aie faim, suit tranquillement ses affaires.

Comme l’a précisé James Petras dans un article récent, « Chavez est plus près du New Deal (4) que de la révolution socialiste. Après trois crises politiques (le coup militaire manqué, la défaite du lock-out et la défaite de l’opposition dans le référendum) le président a offert le dialogue et a proposé d’atteindre un consensus avec les principaux ‘barons’ des moyens de communication et avec les autocrates des grandes entreprises et du gouvernement étasunien, un consensus basé sur les actuelles relations de propriété, la propriété des moyens de communication et l’extension des relations avec Washington. »( 5)

L' »issue démocratique » a-t-elle été un exemple d’habilité ?

Un autre argument brandi en faveur de Chavez souligne son « éthique démocratique » ou son « habilité tactique » en promouvant le plébiscite et en ayant mis ainsi en échec la droite et l’impérialisme. Mais, contrairement à ce que proclament ces défenseurs de Chavez, sa politique de laisser intacte la structure capitaliste et d’accepter de porter le processus révolutionnaire sur le terrain électoral, est une façon de dévier le processus et de le diriger vers le terrain préféré de la contre-révolution et de l’impérialisme. En vérité, la bourgeoisie « faiblarde » et l’impérialisme ont recouru au terrain de la démocratie bourgeoise à travers la récolte de signatures et le plébiscite parce que les masses ont catégoriquement mis en échec les coups d’État de 2002 et 2003.

L’héroïsme des masses vénézuéliennes a fait reculer deux fois la tentative de coup d’État, dirigé par l’impérialisme en alliance avec la bourgeoisie à sa solde. L’insurrection des masses contre le coup d’État en 2002 est parvenu à contrôler Caracas et les principales villes du pays et, en deux jours, a mis en échec le haut commandement de l’armée et a obligé les putschistes à reculer. La bourgeoisie n’a pas eu d’autre alternative que de permettre le retour de Chavez au gouvernement, comme seule possibilité pour récupérer le contrôle sur les masses en insurrection.

Chavez, de retour au pouvoir, a tenté de concilier avec la droite putschiste et a évité des mesures dures qui leur auraient enlevé leurs sources de pouvoir tant dans les moyens de communication comme dans l’industrie du pétrole. La première chose qu’a fait Chavez a été d’appeler la population en rébellion à faire confiance aux institutions et à retourner chez eux et à désarmer les milices formées dans la confrontation face au coup d’État.

Même avec la nouvelle conspiration et le lock-out pétrolier postérieur, Chavez a accepté la continuité du pouvoir économique intact des putschistes ; il n’a pas touché à la propriété privée des grands moyens de production ni des moyens de communication qui ont ouvertement soutenu les coups d’État. Finalement, Chavez a essayé la conciliation sur le terrain institutionnel en acceptant la « médiation » internationale.

Le rôle joué par des figures comme Jimmy Carter, ainsi que par l’OEA dans la préparation du référendum, avec le soutien de Lula et son Groupe d’amis (dont faisaient partie Bush et Aznar), a été celui d’imposer des reculs au gouvernement Chavez en préparant une future capitulation complète. Ils ont imposé une série de restrictions au gouvernement mais ils ont laissé le champ libre à la campagne pour le OUI dans les médias. Leur préoccupation a été de s’assurer que, en obtenant la victoire, Chavez ne prenne pas de mesures contre l’opposition. Et ils ont eu gain de cause. Leur plus grande victoire a été de garantir que le chavisme accepte le terrain de la démocratie bourgeoise pour dissoudre les divergences. Cela prépare une défaite future du processus révolutionnaire puisque, sur ce terrain, le maître est celui qui a de l’argent et du pouvoir économique.

Il convient d’ailleurs d’alerter que, bien que l’impérialisme et la bourgeoisie ont connu une défaite dans le référendum, la dynamique de la participation des masses n’est pas celle de l’action insurrectionnelle contre le coup de 2002. Et si aujourd’hui, par la proximité des soulèvements révolutionnaires, il a été encore possible de mettre en échec la droite dans le référendum, cela ne durera pas toujours. Avec l’usure provoquée par la continuité du système capitaliste et la domination impérialiste de l’économie et des moyens de communication, le gouvernement nord-américain et la bourgeoisie vénézuélienne peuvent se réorganiser et, en combinant le boycottage économique et l’opposition électorale, ils peuvent finalement soumettre Chavez à l’usure. Ils peuvent alors obtenir, par la voie d’une négociation acceptée par Chavez, l’imposition de leurs règles. Dans ce cas, il ne serait même pas nécessaire de le renverser. Ce n’est pas par hasard qu’un des hauts moments des pourparlers pour le plébiscite, afin d’en faire accepter le résultat, a été la réunion, instrumentalisée par Carter, entre Chavez et le multimillionnaire Cisneros, putschiste de la première ligne en 2002.

Dans cette vision qui fait l’éloge de « l’attitude démocratique » de Chavez, il manque également le rappel de quelques expériences latino-américaines dont il faut faire le bilan. Par exemple, il y a lieu de faire une évaluation critique du sandinisme et de son inspirateur, le castrisme, dans la défaite de la révolution nicaraguayenne et de l’Amérique Centrale ; il y a lieu de voir comment les règles tracées par la direction chaviste ressemblent à celles de la direction du FSLN dans les années 80.

Quels seront les prochains pas de l’impérialisme ?

La comparaison avec les sandinistes au Nicaragua est ici à l’ordre du jour. Malgré les concessions et les vacillations de Chavez et de sa confrontation limitée, l’impérialisme l’attaque et a essayé de le renverser par trois fois. L’impérialisme yankee veut avoir le contrôle total du pétrole vénézuélien et ne peut permettre le moindre signe d’indépendance. L’impérialisme agit ainsi parce qu’il a besoin de piller des volumes chaque fois plus grands de richesses pour soutenir les profits des transnationales, principalement maintenant, alors que la résistance iraquienne compromet son plan de disposer des réserves du Moyen-Orient.

Le problème de fond auquel doit faire face l’impérialisme est le processus révolutionnaire de masses qui est derrière ces affrontements. Comme en Iraq, la véritable force du processus révolutionnaire réside dans la résistance des masses et non dans les dirigeants, même s’ils sont nationalistes et ont une ligne d’indépendance relative, comme ça a été le cas de Saddam Hussein. Toutefois, la tactique de l’impérialisme ne sera pas nécessairement l’invasion du Venezuela, comme elle l’a été en Iraq. Il est plus probable qu’il utilise la tactique utilisée au Nicaragua. Pour arriver à son objectif, il va varier et combiner la pression avec l’objectif d’expulser Chavez du pouvoir, avec l’exigence de chaque fois plus de concessions pour négocier.

Même si aujourd’hui le gouvernement est à un moment de haute popularité, cela ne durera pas éternellement. Comme l’a montré la période du lock-out, il peut y avoir une nouvelle usure dans la mesure où les promesses du gouvernement ne sont pas transformées en une réalité palpable. Cela paraît être le nouveau front choisi par les « faiblards », ou du moins par ceux qui ont accepté de se positionner, pour un temps, dans le domaine de la démocratie bourgeoise. Cette tactique donne de l’air à la bourgeoisie pour se restructurer et pour essayer de contre-attaquer dans une conjoncture plus favorable.

En ce sens, il est important d’analyser la portée de quelques changements tactiques récents, qui peuvent signifier des modifications sur le terrain des relations de l’impérialisme avec le chavisme. Après le résultat du plébiscite, Chavez a cherché de nouveau la conciliation avec les Etats-Unis et avec l’opposition bourgeoise vénézuélienne. Avec Carter et l’OEA comme garants, il s’est mis à parler de stabiliser le pétrole et d’ouvrir des relations avec l’opposition « civilisée ». Cela va de pair avec le fait qu’après la défaite dans le plébiscite, le gouvernement Bush a accepté la victoire de Chavez. Un secteur important de la bourgeoisie vénézuélienne s’est mis à ouvrir un nouveau front « civil » d’opposition et de pression dans la légalité, comme cela a été clairement le cas avec Cisneros. Ces secteurs se mettent probablement à jouer un rôle semblable à celui de Violeta Chamorro dans le Nicaragua sandiniste : faire pression sur Chavez pour qu’il fasse des concessions, et le soumettre à l’usure jusqu’à le renverser électoralement. Ou même, obtenir qu’il commence lui-même à reculer plus largement sur ses positions concernant le pétrole et qu’il commence à accepter l’appropriation des richesses de façon plus profonde, dans le style de ce que fait Lucio Gutiérrez en Équateur.

 

Annexes :

Une comparaison nécessaire :L’expérience sandiniste au Nicaragua

Les sandinistes ont été la direction d’une guérilla de masses qui a détruit, par une insurrection, l’armée et la dictature criminelle d’Anastasio Somoza, et qui a pris le pouvoir en 1979. Cela a conduit à un processus révolutionnaire dans toute la zone de l’Amérique Centrale, particulièrement au Salvador, au Guatemala et au Honduras.

Toutefois, contrairement à ce qu’a fait la direction de la guérilla de Cuba en 1959¬61, le Front Sandiniste n’a pas exproprié la bourgeoisie qui avait soutenu la dictature. Le mot d’ordre qui exprimait cette politique, avec l’accord explicite de Fidel Castro, a été « le Nicaragua ne sera pas un nouveau Cuba ». En synthétisant, il s’agissait d’attaquer seulement les « somozistes » et de ne pas toucher les propriétés de la bourgeoisie « libérale ». On en est arrivé à faire des décrets contre les occupations de terres ou d’usines qui appartenaient à des bourgeois n’ayant pas été des défenseurs de Somoza.

Bien qu’une véritable révolution agricole à partir des bases paysannes ait suivi le renversement de Somoza en 1982, trois ans après la prise du pouvoir 60% de l’économie était privée, 81% des terres appartenaient aux grands propriétaires terriens, 75% des manufactures aux bourgeois nicaraguayens, ainsi que 80% du commerce en gros. On a continué à payer la dette extérieure, bien qu’elle ait été souscrite par le dictateur Somoza !

Malgré cette bonne volonté du gouvernement sandiniste, la bourgeoisie et l’impérialisme, comme toujours « peu reconnaissants » avec ceux qui lui font des concessions, n’acceptaient pas l’indépendance conquise par le pays grâce à l’insurrection. Ils se sont mis à préparer le retour à la « normalité » et la mise à l’écart du Front Sandiniste du pouvoir.

A cette période, Ronald Reagan, président des Etats-Unis, avait comme politique fondamentale l’expulsion des sandinistes du pouvoir et la défaite de la révolution en Amérique Centrale, pour assurer le contrôle impérialiste dans la zone et écraser toute tentative d’orientation indépendante. Pour cela, en même temps qu’il finançait et armait la Contra (6), sa grande tactique a été d’exiger des concessions aux sandinistes sur le terrain politique et d’imposer la démocratie bourgeoise comme arme pour construire une opposition bourgeoise qui pourrait mettre le Front Sandiniste électoralement en échec. La direction sandiniste a accepté ces conditions pour maintenir son alliance avec la bourgeoisie « progressiste ».

Cette politique de la direction sandiniste (collaborer avec la bourgeoisie locale et l’impérialisme tandis que les privations de la population pauvre augmentaient vertigineusement) a eu comme résultat, petit à petit, l’usure de la direction sandiniste. Ces pénuries étaient provoquées par le boycottage économique impérialiste et les attaques de la Contra. Non seulement le Front Sandiniste n’a pas fait face à la bourgeoisie, mais il a empêché les paysans de prendre les terres et les travailleurs de la ville d’assumer le contrôle des entreprises. A cause de cela, le Front Sandiniste a entre autres perdu de plus en plus le contact avec les masses et a été bureaucratisé en reconstruisant l’Etat bourgeois, détruit pendant l’insurrection. Alors qu’il conciliait avec la bourgeoisie, les droits fondamentaux pour le mouvement ouvrier et paysan, comme le droit de grève ou l’occupation de la terre, ont été retirés par des décrets-loi à partir d’octobre 1980.

La population pauvre approvisionnait les cadres et les soldats qui allaient combattre la Contra, mais la bourgeoisie refusait d’envoyer ses fils à la lutte pour la défense du pays.

Les conditions de santé et le niveau de vie se détérioraient de jour en jour. Contrairement à Cuba, où les masses ont eu des acquis dans ces domaines clefs après la révolution, les masses nicaraguayennes, neuf ans après que le Front Sandiniste ait pris le pouvoir, connaissaient encore une situation pitoyable. La bourgeoisie elle-même a profité de cette situation, a responsabilisé le gouvernement dans son prosélytisme électoral et a fini par mettre en échec le Front Sandiniste dans une élection présidentielle.

Ils ont été vaincus par la candidate Violeta Chamorro, qui avait été la « partenaire » qu’ils avaient promue au gouvernement après le renversement de Somoza, la personnification de la bourgeoisie « démocratique », la raison pour laquelle « on ne pouvait pas attaquer la propriété », la nécessité d’avoir un Gouvernement de Reconstruction Nationale et d’éviter à tout prix « de perdre des alliés ». Mais, peu de temps après avoir pris part à ce gouvernement, Chamorro s’est écartée et s’est ensuite lancée comme opposition (avec d’autres ex-alliés bourgeois du sandinisme comme Alfonso Robelo) jusqu’à parvenir à mettre en échec le Front Sandiniste et sortir du pouvoir par la voie électorale, 10 ans après l’insurrection, en 1989.

Un dirigeant sandiniste, Bayardo Arce, a déclaré, en 1984, « qu’ils allaient construire le socialisme avec les dollars du capitalisme ». Toutefois, ce qui est arrivé, c’est que le capitalisme les a utilisés pour reconstruire l’Etat capitaliste, y compris l’armée, avec les cadres de la guérilla eux-mêmes, et qu’il les a ensuite usés et expulsés du pouvoir par la « voie sans issue » de la démocratie bourgeoise.

Le résultat tragique, outre la défaite de la révolution, a été l’incorporation de la direction sandiniste à l’appareil de l’État et sa conversion à la démocratie bourgeoise coloniale latino-américaine. Ils se sont adaptés d’une telle manière au régime bourgeois que, jusqu’à aujourd’hui, les dénonciations de leur corruption font honte à la gauche de la région. Le Front Sandiniste a dégénéré jusqu’à s’être transformé en un appareil électoral adapté à l’État bourgeois et à l’impérialisme, avec des relations organiques avec la social-démocratie, et avec plusieurs de ses dirigeants transformés en bourgeois.

 

Résolution du Congrès des travailleurs pétroliers

(21 octobre 2003 -Maracay) Cher Président,

Nous, qui souscrivent la présente, préoccupés par la situation actuelle de PDVSA, nous nous adressons à vous afin de vous démontrer que nous avons compris comment l’action du pouvoir oligarchique de la droite nationale et transnationale, à travers Miquilena et son entourage, a laissé un cadre légal qui permet subrepticement le processus de privatisation de notre industrie pétrolière. Nous sommes spécifiquement préoccupés par l’application discrétionnaire de la Loi d’Hydrocarbures (qui, par exemple, dans son article 20, permet le secret sur les négociations pour les multinationales), de la Loi Organique d’Hydrocarbures Gazeux (articles 2 et 24 où on exclut la participation de l’État dans les négociations) et des articles 301 (égalité de conditions entre investissement étranger et national) et 303 (privatisation des filiales, associations et entreprises de PDVSA) de la Constitution de la République Bolivarienne (…)

PDVSA est au peuple. Pour une politique énergétique souveraine.

Avec ces stratagèmes légaux, ils prétendent étendre à 65 années les concessions d’exploitation de gaz et à 40 années celles du pétrole, conformément à ce que ces normes proposent mais dans des conditions désavantageuses pour le pays, en livrant notre richesse à l’impérialisme contre lequel le Libérateur nous a mis en garde. Si les concessions grossières, accordées avec ce que l’on a appelé l’ouverture pétrolière étaient une honte et un vol de la nation, le fait qu’il existe un PLAN SECRET D’AFFAIRES DE PDVSA nous préoccupe (…) l’application de ce plan d’affaires impliquant à la longue l’augmentation de nouvelles négociations sans la contrepartie d’impôts plus importants. Ces aspects constituent en outre l’acceptation directe de la ZLEA en matière énergétique (égalité de conditions entre le capital national et étranger), ainsi que la privatisation d’organismes publics et la livraison de nos richesses à l’impérialisme guerrier et globalisant. (…)

Notes

(1) Journal La Jornada du 17/8/04, Mexique

(2) Ignacio Ramonet va jusqu’à dire que Chavez est une expression actuelle de l' »exemple de Bolivar », c’est-à-dire, de la libération de l’Amérique Latine, un Bolivar du 21ème siècle.

(3) Lusbi Portillo, “¿Uribe y Chavez, procónsules del imperio?” www.soberania.info, 4/08/04

(4) Le New Deal a été une politique du président américain F.D. Roosevelt pour sortir de la dépression de la décennie de 1930, en appliquant des fonds de l’État dans des travaux et dans les régions les plus sous-développées pour stimuler l’économie, en particulier dans le secteur de la construction civile.

(5) Article de 3/9/04, site Rebelión.

(6) Les Contras sont les mercenaires paramilitaires qui fustigeaient de façon permanente le Nicaragua pour saboter l’économie, bloquer le commerce et obliger les sandinistes à négocier et à céder.

 

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