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vendredi, avril 19, 2024

À l’occasion de la mort d’Hugo Chávez


Hugo Chávez est décédé et l'impact politique est mondial. Ce n'est pas étonnant, car l'ancien président vénézuélien a certainement émergé comme un acteur majeur dans les deux dernières décennies de l'histoire politique, en Amérique latine et en dehors de ce continent.

 

 
 
Ce sont des heures de beaucoup de chagrin et d'incertitude pour des millions de Vénézuéliens qui ont fait confiance politiquement en Chávez et l'ont considéré comme un dirigeant identifié avec leurs intérêts et leurs désirs pour améliorer leur qualité de vie.
 
Il y a aussi beaucoup de militants sociaux et de gauche qui ont vu honnêtement dans la figure de Chávez un chef file véritablement anti-impérialiste et même socialiste.
 
Dans la LIT-QI, nous comprenons ce chagrin et cette consternation, car aucun sentiment populaire ne nous est indifférent. Mais, même au milieu de ce chagrin, nous devons réfléchir à ce qu'a signifié le gouvernement de Chávez, et aux défis actuels de la classe ouvrière et du peuple vénézuéliens.
 
Quel était le gouvernement de Chávez ?
 
La mort de Chávez remet au premier plan tout le débat sur le caractère de classe de son gouvernement et du régime politique qu'il a mis en place au Venezuela, et sur ses vrais rapports avec l'impérialisme.
 
Ce débat n'a pas cessé de marquer une ligne de partage des eaux dans la gauche mondiale et devient d'autant plus nécessaire, à un moment où il existe une incertitude quant à l'orientation que prendra aujourd'hui le chavisme sans Chávez.
 
Notre position est que le gouvernement d'Hugo Chávez n'a jamais été socialiste. Son gouvernement était bourgeois, c'est-à-dire au service du maintien et de la défense du système et de l'Etat capitalistes au Venezuela.
 
Cela ne signifie pas que le gouvernement capitaliste de Chávez était égal à celui de Carlos Andrés Pérez et tous les antérieurs qui ont existé dans le cadre du « pacte de Punto Fijo » (AD et COPEI).[i] Ceux-ci étaient des gouvernements capitalistes pleinement et ouvertement soumis à l'impérialisme ; et après des décennies de pillage et de corruption, ils étaient extrêmement usés et furent remis en question par les masses vénézuéliennes, ce qui a donné lieu au « Caracazo »[ii]. Chávez a commencé à gagner de la popularité dans ce processus et dans sa tentative de putsch contre Pérez.
 
Le projet de Chávez – et ensuite de son gouvernement – a pris un caractère bourgeois de type nationaliste, par cette combinaison de crise des partis bourgeois traditionnels avec la montée ouvrière et populaire. C'est ce qui créa la nécessité de toute la rhétorique « anti-impérialiste » et « socialiste ». Ainsi, le gouvernement a dû faire quelques concessions (essentiellement des mesures de bienfaisance, à travers les Missions) ; mais ces concessions sont très inférieures à celles d'autres gouvernements nationalistes bourgeois, dans les décennies précédentes, comme celui de Perón en Argentine, de Cárdenas au Mexique ou de Nasser en Egypte.
 
Ce qu'il avait toutefois bel et bien en commun avec ces derniers gouvernements, c'est que, par son caractère de classe, il lui était impossible d'aller jusqu'au bout dans ses confrontations avec l'impérialisme. Et il n'a pas tardé à lui capituler finalement.
 
Dans ce cadre, tout le discours sur le « Socialisme du 21e siècle », et les attaques rhétoriques contre l'impérialisme étasunien (surtout en temps de George Bush) ne correspondaient jamais à sa pratique politique et ne servaient qu'à confondre les gens et à cacher la soumission même et l'éternel bradage.
 
Les relations avec l'impérialisme
 
La réalité concrète montre que, dans ces 14 années de gouvernement et de régime chavistes, le Venezuela est toujours aussi dépendant de l'impérialisme comme auparavant.
 
Chávez a toujours payé ponctuellement la dette extérieure aux créanciers internationaux. Au total, la dette vénézuélienne a récemment atteint un record de 105 milliards de dollars, soit 30 % du PIB du pays.
 
Les nationalisations promues par Chávez, tant vantées dans son courant latino-américain, étaient, dans tous les cas, des tractations qui assuraient des indemnisations succulentes pour les secteurs bourgeois « affectés ». Qui plus est, dans de nombreux cas, il s'agissait tout simplement de l'achat d'actions de ces sociétés par l'Etat, ce qui donnait lieu à la création de « sociétés mixtes » qui permettent aux multinationales d'exploiter les ressources naturelles et énergétiques, ensemble avec l'Etat. De cette façon, des entreprises impérialistes comme Chevron et Exxon-Mobil contrôlent non seulement la production de pétrole du pays, mais elles sont devenues propriétaires de 40 % de celle-ci.
 
Toutefois, ces dernières années, même le ton des discours est en baisse. La vérité, c'est que Bush était une chose et Obama autre chose, y compris dans la rhétorique de Chávez. Il suffit de se rappeler ses déclarations lors des dernières élections : « Si moi j'étais étasunien, je voterais pour Obama. Et je pense que si Obama était de Barlovento ou d'un quartier de Caracas, il voterait pour Chávez. J'en suis sûr. »
 
Est-il vrai qu'au Venezuela il y a un « socialisme du 21e siècle » ?
 
La réalité sociale est également contraire aux discours officiels. Etant donné que jamais des mesures anticapitalistes de fond n’ont été prises et qu'il n'y a pas eu de rupture avec l'impérialisme, le peuple vénézuélien continue d'être à la merci des fléaux du chômage, des pénuries, de l'inflation élevée – 20 % en 2012 – et de l'extrême pauvreté. Cette dernière touche 29,5 % de la population, en dépit de toutes les mesures de bienfaisance du gouvernement. Selon les chiffres officiels pour 2010, les 20 % les plus riches de la population accaparent 45 % du revenu national alors les 20 % les plus pauvres doivent se contenter de 6 %.
 
Dans ces conditions, parler de « socialisme du 21e siècle », c'est aider la campagne mondiale contre le socialisme que l'impérialisme mène depuis la restauration du capitalisme dans l'ex-URSS et les Etats de l'Europe de l'Est. Comment peut-il y avoir du socialisme, quand le taux d'exploitation de la classe ouvrière augmente et l'économie privée a le vent en poupe, au détriment de la misère du peuple, et que la bourgeoisie s'approprie la part du lion du revenu national ?
 
Cette réalité est indéniable et les « missions » tant vantées n'ont pas résolu les problèmes – et ne peuvent pas les résoudre –, car il ne s'agit que de mesures compensatoires, telles que proposées par la Banque mondiale, sur la base d'une redistribution minimale des revenus du pétrole pour remédier à la situation désespérée de secteurs de la population dans une pauvreté extrême, et il s'agit de contenir, dans une certaine mesure, d'éventuels troubles sociaux et de créer, en même temps, une clientèle progouvernementale politico-électorale.
 
L'autre côté de la médaille de cette politique économique est l'émergence et le renforcement de nouveaux secteurs bourgeois, complètement parasitaires des affaires de l'Etat. En effet, à partir des « entreprises mixtes » et de la cooptation de beaucoup de dirigeants syndicaux et sociaux, une bourgeoisie bolivarienne, dite « bolibourgeoisie » s'est développée.
 
Ces nouveaux riches, qui ont amassé des fortunes à partir des affaires avec l'Etat, ont comme un de leurs principaux représentants l'ancien militaire et actuel président de l'Assemblée nationale, Diosdado Cabello, propriétaire de trois banques et de plusieurs entreprises qui ont des contrats avec l'Etat.
 
Un régime autoritaire et antiouvrier ?
 
Alors qu'il s'est appuyé partiellement sur le mouvement ouvrier et de masses, Chávez a toujours essayé de le contrôler et de le museler. Il a stimulé et renforcé une bureaucratie syndicale avec des caractéristiques de gangsters et complètement subordonnée à son image.
 
En ce sens, toute la propagande officielle et tous les discours, sur « la défense de la révolution bolivarienne » et « la construction du socialisme » contre « les ennemis de la patrie », servaient également à la mise au pas du mouvement syndical et populaire, et le sont toujours. C'est ce qui a imposé l'idée que celui qui n'est pas avec Chávez est avec la « contre-révolution ».
 
En 2006, Chávez a franchi un cap en ce sens, quand il a promu la formation du PSUV (Parti Socialiste Uni du Venezuela), avec l'intention d'« envelopper » le mouvement ouvrier et la gauche vénézuélienne dans un « parti unique ».
 
En conséquence de ce régime, tous les secteurs (y compris de nombreux secteurs ouvriers) qui sont allés se battre ont été victimes de répressions brutales, d'assassinats sélectifs et de persécutions politiques ou syndicales. Entre autres, on peut citer la répression contre les travailleurs de Petrocasa (dans l'Etat de Carabobo), de Sanitarios Maracay, de Mitsubishi, et contre les peuples autochtones et plusieurs secteurs de paysans qui ont occupé les terres de latifundistes, « bolivariens » ou non.
 
Tous ces secteurs qui se sont battus contre les mesures gouvernementales ont été accusés, sans exception, de « déstabilisateurs » ou de « contre-révolutionnaires », comme d'ailleurs tous ceux qui ont refusé d'entrer ou de se diluer dans le PSUV.
 
Le soutien de Chávez aux régimes génocidaires
 
Tous ces faits seraient déjà suffisants pour montrer qu'il n'y a pas de socialisme au Venezuela, mais bien un gouvernement qui a garanti des fortunes à un secteur de la bourgeoisie, qui a payé religieusement la dette extérieure et qui a continué à brader les richesses à l'impérialisme ; un gouvernement qui, pour retenir les gens, a combiné la bienfaisance sur base des ressources provenant des périodes de bons prix internationaux du pétrole avec la répression directe contre les secteurs ouvriers et populaires qui se sont engagés dans la lutte.
 
Nous devons toutefois mentionner encore deux faits démontrant profondément le caractère de classe du gouvernement de Chávez. Le premier, qui démontre la soumission de Chávez aux intérêts de l'impérialisme mondial, est la collaboration honteuse avec le gouvernement réactionnaire, laquais des Etats-Unis, de Juan Manuel Santos, le successeur du génocidaire Álvaro Uribe. Chávez a remis des militants liés aux FARC au gouvernement colombien (comme ce fut le cas du journaliste Joaquín Pérez Becerra etd'autres militants sociaux), violant même les normes juridiques en vigueur au Venezuela pour de tels cas, et tout cela suite à une demande directe de Santos. Comment peut-on classifier comme anti-impérialiste, quelqu'un qui collabore avec les principaux laquais des Etats-Unis en Amérique du Sud, en remettant des combattants aux prisons colombiennes ?
 
D'autre part, quand le processus révolutionnaire a éclaté au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le gouvernement « socialiste » de Chávez a déclaré un soutien inconditionnel aux dictateurs sanguinaires comme Kadhafi et Al Assad, à un moment où les peuples libyens et syriens ont pris les armes contre ces régimes. Et il l'a fait en les présentant comme des « combattants anti-impérialistes », alors que, depuis belle lurette, ils n'ont fait d'autre chose que s'incliner devant l'impérialisme. Cela a causé une grande confusion parmi les militants des révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, qui identifient ainsi « la gauche » comme alliée avec les dictateurs assassins qui oppriment leurs peuples, à cause du poids de Chávez (et de Castro). Chávez a donc trahi ces révolutions populaires et il a offert la lutte pour les libertés démocratiques et des droits de l'homme à l'impérialisme, sur un plateau en or.
 
Ce n'est pas un hasard si tant Santos de Colombie comme Al Assad pleurent aujourd'hui le départ de Chávez et lui rendent hommage.
 
Perspectives
 
Depuis le départ physique de Chávez, Nicolás Maduro, précédemment vice-président et successeur désigné directement par le désormais ancien président, a assumé le pouvoir. De nouvelles élections sont annoncées dans les 30 jours, et la plupart des forces politiques estiment qu'une victoire électorale du chavisme, avec l'élection de Maduro comme président, est le résultat le plus probable, même si ce n'est pas certain.
 
Mais ce qui est certain, gagne qui gagne, c'est que le nouveau président devra mettre en œuvre une série de plans d'ajustement économique, clairement impopulaires, et sans la figure de Chávez pour faire le contrepoids dans les affrontements de classe. Et pour cela, le chavisme devra renforcer les mesures totalitaires pour freiner les luttes et les protestations contre ces nouvelles attaques économiques et sociales.
 
La droite vénézuélienne traditionnelle, ouvertement réactionnaire et putschiste, voit la mort de Chávez comme une occasion pour relever la tête et reprendre le pouvoir. Capriles et la vieille bourgeoisie vénézuélienne, qui veulent retourner au pouvoir afin d'obtenir des bénéfices comme agents directs de l'impérialisme, ne sont pas une issue pour le peuple et les travailleurs. Capriles représente une autre variante politique capitaliste proyankee qui va continuer à exploiter les travailleurs, comme c'est le cas dans les gouvernorats depuis de nombreuses années (Miranda, Zulia, Carabobo, etc.) Leur programme est de brader mieux le pétrole vénézuélien aux cartels internationaux et de défendre les grands entrepreneurs nationaux et étrangers. Capriles n'est qu'un plat réchauffé et ne propose rien de nouveau pour les travailleurs et le peuple.
 
Il faut construire une issue ouvrière et socialiste
 
Une profonde réflexion s'impose actuellement sur le bilan de ce que le gouvernement Chávez a représenté, chez tous les militants sociaux, et surtout dans toute la gauche révolutionnaire et socialiste.
 
Il s'agit d'un débat stratégique pour tous ceux qui aspirent à une véritable issue ouvrière et socialiste. La tâche urgente est de construire un troisième espace politique, avec indépendance de classe et en opposition, tant au chavisme comme à la droite traditionnelle néolibérale. Pour nous, la seule issue pour résoudre définitivement les problèmes de la classe ouvrière et du peuple vénézuélien passe, aujourd'hui encore, par l'organisation et la mobilisation indépendantes de leurs forces.
 
Nous avons besoin d'une alternative politique qui hisse le drapeau du gouvernement ouvrier, paysan et populaire, qui exproprie la bourgeoisie et l'impérialisme, qui nationalise la banque et le commerce extérieur, et qui, de cette manière, commence à construire une société sans classes. En d'autres termes, la construction d'une véritable direction politique socialiste, révolutionnaire et internationaliste.
 
Pour ce faire, il est essentiel que la classe ouvrière vénézuélienne compte uniquement et exclusivement sur ses propres forces et prenne en main son destin. C'est la seule voie vers un vrai socialisme.


[i] Un pacte, signé en 1958 dans la ville de Punto Fijo entre trois partis, AD (Action démocratique), COPEI (Comité d'organisation politique électorale indépendante) et URD (Union républicaine démocratique), en vue des élections de décembre de cette année suite au renversement du dictateur Marcos Pérez Jiménez. Le Pacte, qui prétendait « consolider la démocratie », avait exclu d'emblée le Parti communiste et devenait finalement la base du bipartisme (AD et COPEI) après que l'URD se retira en 1962. (NdT)

[ii] « L'émeute de Caracas » de fin février 1989, contre les plans d'ajustement, introduits par Carlos Andrés Pérez, le président élu trois mois plus tôt (le 4 décembre 1988) avec 53 % des voix. (NdT)

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