mar Mar 26, 2024
mardi, mars 26, 2024

Débat: Heloísa Helena et la réforme agraire


Débat du Front de gauche au sujet de la reforme agraire


 


De Mariucha Fontana, du PSTU


 


La candidate du Front de Gauche, Heloísa Helena, a été interviewée par le Journal National de la chaîne de télévision Globo. Nous pouvons tirer deux conclusions de son interview. Tout d’abord, l’on peut dire que d’um point de vue électoral, Héloísa s’en est mieux sortie que tous les autres candidats interrogés. Le jour précédent, Alkmin avait été massacré, ne sachant pas comment se dépêtrer de toutes les questions qui lui étaient faites au sujet des liens du PSDB avec le schéma de corruption intitulé Valerioduto[1] et au sujet de la vague de criminalité à São Paulo et des attaques du PCC[2].


 


Lula s’en est lui aussi très mal sorti. Il est resté sur la défensive par rapport aux questions sur la corruption, et s’est emmêlé les pinceaux en déclarant, commettant deux lapsus successifs, que son gouvernement « combattait l’éthique » et qu' »il n’y avait que le salaire qui baissait« .


 


Héloisa a adopté au contraire une posture offensive, em imposant ses arguments et en ne laissant pas les journalistes de la Globo contrôler son interview. Elle a probablement gagné des points électoraux.


 


Cependant, il faut aussi dire clairement que les positions qu’elle a présentées sont erronées et qu’elles heurtent des revendications fondamentales du mouvement de masse. Ci-dessous, nous allons évoquer certaines des positions qu’elle a exprimées.


 


De cette manière-là, la réforme agraire n’existera jamais


 


Le premier des thèmes à souligner concerne la défense de la réforme agraire qu’elle prône « dans le respect des lois« . Alors qu’on lui demandait si elle exproprierait aussi bien les grand propriétaires terriens productifs et improductifs, comme le défend le programme du PSOL, elle a dit : « Je ne peux pas mon cher, la constitution l’interdit » et « le programme du parti évoque des objectifs stratégiques du parti et n’a rien à voir avec le programme de gouvernement ».


 


« Ce serait impossible de procéder à l’expropriation de la terre, sauf s’il y avait une situation illégale (plantation de cannabis, conditions d’esclavage)« , a-t-elle déclaré. « La Constitution de notre pays est claire: seules les terres improductives peuvent être l’objet d’une réforme agraire », a-t-elle complété.


 


Plusieurs débats sont nés, suite à ces affirmations de notre candidate. Les lois actuelles servent en général aux classes dominantes, et ont été faites pour garantir la propriété privée. Soumettre um éventuel gouvernement d’Heloísa Helena au respect des lois em vigueur, cela signifie accepter la camisole de force de la grande bourgeoisie, qui empêcherait tout modification profonde de la réalité brésilienne.


 


Dans le cas de la réforme agraire, par exemple, le respect de la législation signifie en fait accepter une loi qui remonte au gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, et qui empêche l’expropriation pour la réforme agraire, des terres qui ontété préalablement occupées. C’est une loi à laquelle s’oppose l’ensemble du mouvement des Sans-terre.


 


Cela signifie aussi indemniser les grands propriétaires terriens avec des sommes astronomiques, (selon les exigences de la loi) alors que souvent ces terres ont été obtenues, par des falsifications de titre et par des corruptions de toutes sortes. L’expropriation sans indemnisation des grands propriétaires terriens est l’unique mesure qui permette de canaliser tous les recours de l’Etat pour l’installation des familles sur les terres, en aidant à financer outils de travail, semences, constructions de logements, etc.


 


Pour finir, agir en suivant les lois en vigueur, cela signifie accepter les recours juridiques infinis que les grands propriétaires et leurs représentants au Congrès ne manqueraient pas de faire.


Faire la réforme agraire « en respectant les lois »: c’était déjà la promesse de Lula. Cela a été démontré clairement à nouveau : en respectant les lois, on ne peut pas faire la réforme agraire.


 


Si Heloísa voulait éviter um problème juridique par rapport à sa candidature, et ne voulait pas déclarer qu’elle allait enfreindre les lois, il suffisait qu’elle dise qu’elle allait avec le mouvement de masse, lutter pour changer la loi. Mais, à l’inverse, elle a souligné de la même façon « le respect des lois en vigueur » nécessaire pour affronter les autres priorités sociales : « Pour tout ce qui est lié aux domaines de la sécurité, de la santé, et de l’éducation, on ne peut pas faire plus que ce que la législation en vigueur permet ».


 


Pourtant… Une grande partie du mouvement syndical brésilien défend non pas le respect, mais la révocation d’une loi: celle de la réforme du système de couverture sociale et des retraites (qui d’ailleurs est une des revendications du Manifeste du Front de gauche).


 


N’exproprier que les terres improductives?


 


Un autre point en débat, c’est sa position sur les terres productives de grande extension qui, selon elle, seront respectées et ne feront pas partie des plans de la réforme agraire.


 


Le centre de production agricole au Brésil est lié à l’agrobusiness, à des grandes entreprises nationales et à des multinationales (la plupart d’entre elles étant liées à des banques comme Bradesco, Itaú, ou Banco Real, ou des industries comme Mannesman, Belgo Mineira et Votorantin) qui occupent les meilleures terres et produisent pour l’exportation.


 


Si l’on n’inclut pas ces entreprises dans la réforme agraire, on laisse purement et simplement de côté la partie centrale des terres brésiliennes. Cela signifierait alors ne pas modifier l’agrobusiness exportateur qui contrôle la plupart des terres brésiliennes. Ce serait comme faire un plan pour l’industrie sans toucher aux grandes entreprises multinationales qui la contrôlent.


 


Résoudre les problèmes sociaux en respectant les institutions?


 


Ensuite interrogée sur sa position par rapport à l’occupation des terres et des bâtiments publics, Heloisa a déclaré : « Dans mon gouvernement cela n’aura pas lieu » et « les occupations de terres improductives et d’espaces publics ont lieu uniquement dans les gouvernements qui sont incompétents, irresponsables et insensibles par rapport à la réforme agraire ». « Nous allons nous anticiper », a-t-elle affirmé.


 


Il est bon de rappeler que Lula avait fait la même promesse électorale: il allait faire la réforme agraire « à la pointe du stylo » et les occupations ne seraient plus dès lors nécessaires.


 


En réalité, de cette manière, on laisse de côté le recours à la mobilisation directe des masses, sans laquelle ne sera faite aucune réforme agraire dans ce pays. Alors que les Sans-terre attendaient du gouvernement une réforme agraire qui respectât les lois en vigueur, elle n’est jamais arrivée. Ce sont les occupations de terre qui ont rendu possible, lors de ces vingt dernières années, l’expropriation d’une surface plus grande que celle correspondant à l’Etat de Rio, ce qui représente beaucoup plus que durant de longues décennies.


 


Il n’y a qu’un seul programme


 


La différence que Heloisa établit entre programme de parti et programme de gouvernement est une erreur. En réalité, cette posture est celle adoptée par les partis de la bourgeoisie au Brésil et suivie aussi par le PT. La propre Heloísa Helena a lutté directement contre cela. Quand elle a été expulsée du PT, elle a déclaré que la seule chose qu’elle faisait était de défendre le programme du parti contre la réforme du système des retraites, programme abandonné par Lula quand il a assumé le gouvernement. La réponse des militants du PT était alors exactement la même: le programme du parti, c’est une chose, le programme du gouvernement, c’en est une autre ». Si le gouvernement – instance maximum du pouvoir politique – n’était pas un instrument pour mettre en pratique le programme du parti, à quoi sert le gouvernement?


 


Une grande partie de la crédibilité d’Héloisa vient du fait que des millions de travailleurs et de jeunes identifient en elle quelqu’un de différent par rapport aux hommes politiques traditionnels, qui promettent une chose et en font une autre. Evitons de reproduire l’erreur de ces derniers.


 








[1] Mot-valise, formé du nom de Marcos Valerio, entrepreneur qui organisait le schéma de corruption pour aprouver les réformes néo-libérales du gouvernement  Lula, au Congrès, en achetant les votes des députés – et sur le suffixe –duto, correspondant au suffixe français –duc, comme dans aqueduc – c’était un conduit qui déversait beaucoup d’argent!


[2] Premier Commando de La Capitale

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