jeu Mar 28, 2024
jeudi, mars 28, 2024

Sur la fermeture de la RCTV du Venezuela

Au Venezuela, il y a un processus de durcissement du regime, moyennant differentes mesures du gouvernement de Hugo Chavez qui augmentent le controle de celui-ci sur les differents secteurs de la societe, dont les moyens de communication. La fermeture de la station de television RCTV, le 27 mai dernier, en est une manifestation claire. Apparemment, il s’agirait d’une mesure progressiste et beaucoup de travailleurs et d’etudiants l’ont vue avec sympathie, puisqu’elle attaque une station de TV bourgeoise et reactionnaire, qui a toujours fait campagne contre les interets du peuple venezuelien.


Toutefois, si nous analysons plus attentivement la mesure, nous verrons que ce n’est pas le cas. L’experience historique nous montre que des mesures de ce type, apparemment populaires, finissent par ce retourner, tot ou tard, contre les interets des travailleurs.


 


Un faux argument : « attaquer les putschistes »


 


Avec l’argument que le gouvernement Chavez est un « gouvernement populaire » et qu’il « construit le socialisme du 21eme siecle », la grande majorite des courants de gauche ont soutenu la mesure. L’argument principal est qu’il s’agit d’un « canal putschiste », ce qui est vrai. La RCTV et toutes les autres stations privees, controlees par des bourgeois millionnaires, ont effectivement fait une campagne ouverte et violente pour le putsch d’avril 2002. Quelques-une en sont meme arrivees a promouvoir l’assassinat de Chavez.


Effectivement, au moment meme du putsch, la mesure de fermer cette station aurait eventuellement ete necessaire, pour eviter qu’elle continue a fonctionner comme courroie de transmission et porte-parole de la politique orchestree par le gouvernement de George Bush.



Mais la fermer maintenant, plusieurs annees plus tard, quand le moment du putsch est deja passe et qu’on n’apercoit aucun danger d’une nouvelle tentative putschiste a l’horizon, n’est justifie d’aucune facon. Rien n’indique qu’il y aura un autre putsch a court terme, justement parce qu’il y a un accord entre la bourgeoisie qui avait promu le putsch et Chavez, pour maintenir ce dernier au gouvernement. Certains des principaux bourgeois putschistes font meme partie du PSUV, le parti de Chavez, et s’appellent eux-meme des « chefs d’entreprise socialistes » !


Il est vrai que l’imperialisme, ainsi que la bourgeoisie et la droite venezueliennes, ont eu la politique de renverser Chavez par le putsch de 2002, suivi par le lock-out economique. Mais l’echec de ces tentatives, grace a la mobilisation ouvriere et populaire, les a oblige a accepter Chavez comme la seule alternative pour controler le mouvement de masses. C’est pourquoi, ils ont abandonne leur orientation putschiste et ont prefere promouvoir une politique differente : parier sur l’usure de ce mouvement a long terme afin de pouvoir le mettre en echec par la voie electorale. Les critiques dures contre la mesure de Chavez, de la part de l’imperialisme, des gouvernements latino-americains et de la presse internationale et nationale, font partie de cette politique d’usure, non de la preparation d’un climat putschiste.


En meme temps, l’imperialisme et les grands bourgeois venezueliens ont commence a faire de tres bonnes affaires avec le gouvernement, comme le groupe Mendoza-Polar ou les nouveaux « chefs d’entreprise socialistes ». Les banquiers ont eu en 2006 une croissance spectaculaire de leurs profits, de 38%.


Mais supposons un moment que ce soit vrai que Chavez a ferme la RCTV pour attaquer les putschistes. La question reste : pourquoi n’a-t-il pas ferme les autres stations, qui ont aussi ete putschistes ? Pourquoi n’a-t-il pas ferme la station de Cisneros, le plus grand des putschistes ? Cisneros, le principal chef d’entreprise du secteur des communications du pays, proprietaire de Venevision, a ete a la tete du putsch contre Chavez. Et non seulement il n’a pas souffert de repression, mais aujourd’hui il a un accord de fait avec le gouvernement et engrange des profits avec la fermeture de la RCTV, en gagnant les affaires publicitaires de sa concurrence.


 


« Une station reactionnaire »


Une verite qui sert de pretexte pour attaquer la liberte de la presse.


 


L’autre argument, avance par ceux qui defendent la fermeture du canal de TV, est qu’il s’agit de liquider une station reactionnaire, qui transmet une programmation contaminee par l’ideologie bourgeoise.


Chavez en est arrive a faire valoir qu’il ne fermait pas le canal pour sa position putschiste, mais comme un acte de censure contre sa programmation. « Ce canal a fait beaucoup de mal au pays pendant des annees : les contre-valeurs, le bombardement mediatique de la violence, la haine, le racisme, le sexe mal vu et mal compris, le manque de respect envers la femme et les enfants, le manque de respect envers beaucoup de manifestations de la vie sociale, contre les homosexuels, contre le pays et le monde, contre les personnes qui ont une certaine insuffisance physique… Voila la raison de fond ! » (Folha de S Paulo, 5/6/07)


Il s’agit effectivement d’une station reactionnaire, qui propage l’ideologie bourgeoise nefaste et defend des valeurs et des interets opposes a ceux de la classe ouvriere, en particulier, des femmes travailleuses et des pauvres, des enfants et des opprimes. Selon Chavez et les organisations qui le defendent, ce serait un motif pour ne pas permettre que la RCTV continue avec ses transmissions. Tout cela n’est toutefois qu’un pretexte, etant donne que toutes les stations du Venezuela (et non seulement la RCTV) sont dirigees par la bourgeoisie ou par le gouvernement, et que toutes propagent ce meme type d’ideologies.


 


Les veritables raisons de la mesure du gouvernement Chavez


 


Mais si le putsch n’est pas le motif de l’attaque contre la RCTV, etant donne que ce putsch n’existe pas et qu’il n’y en a pas en preparation, et si l’ideologie bourgeoise de ce canal de television n’est pas non plus le motif, puisqu’elle n’est pas l’exclusivite de la RCTV, alors se pose la question : Quels sont les veritables motifs de cette attaque contre la RCTV ?


La reponse est dans ce que nous disons au debut de cette declaration : « Au Venezuela, il y a un processus de durcissement du regime, moyennant differentes mesures du gouvernement de Hugo Chavez, qui augmentent le controle de celui-ci sur les differents secteurs de la societe, dont les moyens de communication. »


La preuve est que, quand Chavez a assume la presidence, le gouvernement ne controlait qu’un seul canal de television, a Caracas, et actuellement, il en controle six. Une autre preuve plus recente : tous les instituts d’enquete ont publie des resultats qui indiquent qu’entre 65% et 80% des Venezueliens s’opposent a la fermeture de RCTV. Chavez a repondu en sanctionnant ces instituts. (Les deux plus importants ont vu leur licence suspendue pour deux jours). Son argument a ete, a cette occasion, la « violation des lois fiscales ».


Cette politique de Chavez sur le terrain des communications accompagne sa strategie sur le terrain politique. Par exemple, son appel a construire le PSUV a pour but de controler tous les secteurs de la societe, et specialement les travailleurs. C’est pourquoi, il exige que toutes les organisations ouvrieres entrent dans ce parti, et ceux qui ne le font pas sont accuses de « contre-revolutionnaires ». A cela il faut ajouter qu’il a declare qu’il faut en finir avec l’« autonomie » des syndicats et de leurs centrales. Ceci signifie que les organisations des travailleurs devront se soumettre aux decisions du PSUV, c’est-a-dire, aux decisions du gouvernement Chavez.


               


Ce n’est pas la premiere fois qu’il y a, en Amerique latine, un cas comme celui de la RCTV


 


La mesure prise par Chavez contre la liberte de la presse, sous le pretexte d’attaquer un canal putschiste ou reactionnaire, a provoque beaucoup de confusion dans les rangs de la gauche, meme dans les secteurs qui, a partir de positions revolutionnaires, s’opposent au gouvernement. Beaucoup de ces secteurs, soucieux a juste titre de combattre l’imperialisme et la bourgeoisie putschiste, finissent par soutenir le gouvernement Chavez dans son attaque contre la liberte de la presse. C’est une offensive qui se dirige aujourd’hui contre un secteur de la bourgeoisie mais qui, demain, sera dirige contre les travailleurs qui ont l’audace de s’opposer au gouvernement. Cette confusion est due surtout au fait que beaucoup de secteurs d’avant-garde sont surpris et croient que les mesures prises par Chavez ont un caractere inedit, ce qui n’est pas le cas.


En 1951, en Argentine, le general Peron a exproprie le journal La Prensa, propriete d’un secteur de l’oligarchie, afin d’augmenter son controle totalitaire sur les travailleurs. Les arguments utilises par Peron ont ete les memes que ceux qu’utilise Chavez actuellement. Et il y a eu aussi un secteur de la gauche qui a soutenu cette mesure. Toutefois, un secteur du mouvement trotskyste, dirige par Nahuel Moreno, ne s’est pas laisse tromper par le discours demagogique de Peron et s’est fermement oppose a la mesure. Ceci ne lui a pas empeche, par la suite, d’exiger du gouvernement qu’il donne des armes aux travailleurs pour faire face aux putschistes, qui ont finalement renverse Peron en 1955.


Il y a eu encore un autre cas du meme genre, au Mexique, en 1938. Dans ce pays, le gouvernement de Lazaro Cardenas a commence une campagne contre la « presse reactionnaire », dans le but de la censurer. Cette politique a ete soutenue et encouragee par le Parti Communiste et les syndicats sous son influence.


Ce gouvernement avait pris des mesures contre l’imperialisme beaucoup plus profondes que celles appliquees par Chavez, et la presse reactionnaire l’attaquait de facon permanente. Toutefois, Leon Trotsky, le grand revolutionnaire russe, qui residait alors au Mexique et qui soulignait le caractere « hautement progressiste » des mesures prises par Cardenas, ne s’est pas laisse tromper par la campagne de celui-ci contre la presse reactionnaire.


Dans un commentaire sur la situation, il alertait sur le veritable caractere de classe de ces mesures contre la liberte de la presse. Pour lui, meme si la campagne etait orientee initialement a « soumettre la presse reactionnaire, ses consequences ultimes peseront lourd sur la classe ouvriere (…) La theorie et l’experience historique attestent que toute restriction de la democratie dans la societe bourgeoise est, en derniere analyse, dirigee invariablement contre le proletariat. » (Leon Trotsky, La Liberte de la Presse et la classe ouvriere, 21/08/1938).


En ce qui concerne les dirigeants syndicaux du Parti Communiste, qui approuvaient et encourageaient les attaques contre la presse reactionnaire, il a dit dans ce meme article : « Un dirigeant de la classe ouvriere qui munit l’Etat bourgeois d’armes exceptionnelles de controle sur l’opinion publique en general et sur la presse en particulier, est tres precisement un traitre. En derniere analyse, avec l’aggravation de la lutte de classes, les bourgeoisies de toute nuance finiront par se mettre d’accord entre eux et dirigeront alors contre la classe ouvriere toutes les lois d’exception, tous les reglements restrictifs, toutes les especes de censure « democratique ». Celui qui ne comprend pas cela doit quitter les rangs de la classe ouvriere. »


 


 


Et si le gouvernement de Chavez etait socialiste?


 


Probablement, beaucoup de nos lecteurs nous diront : « Ce que Trotsky a ecrit est valable pour les gouvernements bourgeois, mais Chavez combat l’imperialisme et la bourgeoisie. Son gouvernement represente ‘le socialisme du 21eme siecle’. »


Celui qui raisonne ainsi a tort, parce qu’il considere le gouvernement bourgeois de Chavez comme « socialiste ». En realite, le « socialisme du 21eme siecle » de Chavez ne se distingue en rien du reformisme du 20eme siecle.


Trotsky disait que « les reformistes ne parlent de socialisme qu’aux jours de fete ». Dans les meetings et les discours, Chavez parle de socialisme, de Lenine et meme de Trotsky. Mais dans sa politique quotidienne, il accomplit religieusement ses compromis avec l’imperialisme, il maintient les moyens de production entre les mains des capitalistes, il negocie le bradage des reserves de petrole avec les grandes compagnies multinationales, et son gouvernement s’appuie, fondamentalement, sur la principale institution de l’Etat bourgeois, l’armee.


En outre, celui qui raisonne de cette maniere, se trompe doublement, parce qu’il considere que le fait d’etre « socialiste » donnerait a Chavez le droit de censurer la presse reactionnaire de la bourgeoisie. Trotsky, qui a ete un des principaux dirigeants de la Revolution Russe, avait une toute autre opinion. Pour lui, le fait que la classe ouvriere ait pris le pouvoir et ait exproprie la bourgeoisie ne justifiait pas les restrictions de la liberte de la presse, meme pour la bourgeoisie. « Pourtant, meme du point de vue des interets de la dictature du proletariat, l’interdiction des journaux bourgeois ou leur censure ne constitue pas la moins du monde un « programme » ou un « principe », ni un regime ideal. De telles mesures ne peuvent etre qu’un mal inevitable et temporaire.


Une fois a la barre, le proletariat peut se voir force d’employer contre la bourgeoisie, pendant une breve periode, des mesures exceptionnelles, si elle se rebelle ouvertement contre l’Etat ouvrier. Dans ce cas, la restriction de la liberte de la presse va de pair avec les autres mesures employees pendant une guerre civile. Naturellement, si on est oblige de diriger l’artillerie et l’aviation contre l’ennemi, on ne peut permettre a ce meme ennemi de maintenir ses propres centres d’information et de propagande a l’interieur du camp arme du proletariat. Pourtant, meme dans ce cas, si les mesure exceptionnelles se prolongent jusqu’au point de se transformer en un regime durable, elles portent elles-memes le danger de la liberation totale et du monopole politique d’une bureaucratie ouvriere qui peut meme devenir une source de sa degenerescence. (…)


Les taches reelles de l’Etat proletarien consistent, non pas a museler par des moyens policiers l’opinion publique, mais a la liberer du joug du capital. Cela ne peut etre realise qu’en faisant passer tous les moyens de production, y compris ceux de l’information publique, entre les mains de la societe tout entiere. Une fois realisee cette mesure socialiste fondamentale, tous les courants d’opinion publique qui ne luttent pas les armes contre la dictature du proletariat doivent avoir la possibilite de s’exprimer librement. L’Etat ouvrier a le devoir de mettre a leur disposition les moyens techniques necessaires presses, papier, transport) proportionnellement a leur force numerique dans le pays. Le fait que la bureaucratie stalinienne ait monopolise la presse constitue l’un de principaux facteurs de decomposition de l’appareil de l’Etat et menace de ruiner de fond en comble toutes les conquetes de la revolution d’Octobre. »


 


Le combat contre la presse reactionnaire


 


Quand Chavez decide d’attaquer la liberte de la presse, la majorite de la gauche parle d’un putsch inexistant comme argument pour defendre le gouvernement et une de ses mesures reactionnaires. En agissant ainsi, elle offre un cadeau empoisonne a la cause du socialisme puisqu’elle laisse la lutte juste pour la liberte de la presse entre les mains de l’imperialisme et des secteurs reactionnaires de la bourgeoisie venezuelienne et latino-americaine.


Les travailleurs sont les premiers interesses a combattre toute la presse reactionnaire, mais non au prix d’attaquer la liberte de la presse. En ce sens, nous nous appuyons encore une fois sur Trotsky :« La lutte irreconciliable contre la presse reactionnaire est un imperatif. Mais les travailleurs ne peuvent pas remplacer leur propre lutte, qui doit etre menee dans leur presse et a travers leurs organisations, par le poing policier de l’Etat bourgeois. Aujourd’hui, l’Etat peut se montrer bien dispose, « de bonne volonte », vis-a-vis des organisations ouvrieres ; demain, il pourra tomber, et il tombera inevitablement dans les mains des elements les plus reactionnaires de la bourgeoisie. Dans ce cas, toute la legislation de restriction serait tournee  contre les travailleurs. Seul des aventuriers, qui ne s’inspirent pas des exigences du moment, peuvent ne pas le voir. »


Nous avons cite amplement les opinions de Trotsky parce que nous considerons qu’elles sont d’une actualite totale. Les travailleurs venezueliens ne connaissent surement pas ces opinions. Toutefois, probablement par instinct de classe, beaucoup d’entre eux sont arrives a une conclusion semblable. C’est ce qui explique que la vaste majorite de la population venezuelienne – qui, selon toutes les enquetes, soutient toujours le gouvernement Chavez – met en question ces mesures contre la liberte de la presse. Il serait maintenant necessaire que la majorite de la gauche, specialement celle qui se revendique trotskyste, fasse la meme chose.


 


 


Sao Paulo, le 19 juin 2007


Secretariat International


de la Ligue Internationale des Travailleurs – Quatrieme Internationale

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