jeu Avr 25, 2024
jeudi, avril 25, 2024

Le patronat prépare de nouvelles attaques

Le patronat belge, représenté par la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB), a publié son mémorandum pour les prochaines élections législatives, soit les principales revendications qu'il aimerait voir figurer comme priorités à l'agenda politique du futur gouvernement. Si la plupart des politiques défendues au sein de ce « programme patronal » sont connues et ont déjà été largement expérimentées (baisses des charges patronales de cotisation sociale, contrôle renforcé des chômeurs, flexibilisation accrue de la législation sur le travail, affaiblissement des services publics,.), la FEB propose de les approfondir encore mais avance également de nouvelles pistes pour « aider le monde de l'entreprise ». Des « pistes » qui préparent de nouvelles attaques contre les travailleurs.

 

Les entrepreneurs veulent plus, encore plus. Alors que les grands patrons affichent sans honte des salaires exorbitants1, le niveau de vie des travailleurs continue à baisser partout en Europe. Ainsi, le phénomène des « travailleurs pauvres » s'est développé de manière importante ; un travailleur européen sur six (16%) vit en dessous du seuil de pauvreté. La Belgique est à peine en dessous de ce niveau avec 15% de travailleurs pauvres. Depuis maintenant plus de deux décennies, les gouvernements successifs ont appliqué leurs « bonnes recettes » pour, nous a-t-on dit, affronter une grave crise économique et sociale marquée par un chômage massif.

 

Un travailleur européen sur six vit en dessous du seuil de pauvreté. Un travailleur belge sur sept vit en dessous du seuil de pauvreté

 

Le processus de Lisbonne, initié en 2000, a donné une nouvelle impulsion au niveau européen pour harmoniser et approfondir ces politiques : développement du temps partiel, du travail intérimaire, flexibilisation du temps de travail, augmentation des taux d'activité des travailleurs âgés, affaiblissement des systèmes de protection sociale.

 

Bilan ? Le chômage ne diminue pas, au contraire. Les profits des entreprises explosent. Les caisses publiques se vident. Les conditions d'emploi et de travail ne cessent de se dégrader. La santé des travailleurs se détériore, de nouvelles maladies liées au travail apparaissent et la conciliation avec la vie de famille devient de plus en plus difficile. Les salaires permettent de moins en moins de faire face aux dépenses courantes et aux besoins quotidiens d'un nombre croissant de ménages.

 

Derrière les revendications patronales, c'est donc cette réalité qu'il faut voir. Une réalité de plus en plus noire pour des millions de travailleurs alors même que les richesses produites par nos sociétés sont énormes mais de plus en plus concentrées et au bénéfice de quelques-uns.  Le mémorandum de la FEB se divise en 5 grandes parties : Economie, Marché du travail, Pouvoirs publics, Droit des entreprises et Europe. Nous ne traiterons ici que des deux premières parties.

 

« Pour une économie renforcée »

 

Pour la FEB, renforcer l'économie équivaut essentiellement à renforcer la compétitivité des entreprises. Comment ? En diminuant les coûts du travail. Et la FEB de ressortir le classique argument de l'« handicap salarial » pour préparer une nouvelle offensive contre les salaires sur base d'une stratégie multiple : réduction des charges fiscales sur le travail, imposition d'une norme salariale contraignante et non plus indicative, remise en cause de l'indexation des salaires et allongement du temps de travail sans modification du salaire.

 

Pour la FEB, cette dernière proposition serait particulièrement intéressante car « elle ne touche pas au revenu du travailleur ». Le travailleur n'aurait qu'à donner plus de son temps, pourvu qu'il ait le même salaire-poche. C'est toute la conception patronale sur le travailleur qui est mise à nu : le travailleur n'a pas d'existence sociale en dehors du lieu de travail, sa vie privée et familiale n'a aucune valeur. Il n'existe que comme marchandise à exploiter pourvu qu'il ait les moyens de se reproduire comme force de travail.

 

Pour diminuer les coûts, la FEB revendique également une fiscalité favorable aux entreprises car selon elle « diminuer l'impôt augmente l'impôt ». Si les entreprises sont moins taxées, les bénéfices obtenus seraient réinvestis dans l'économie, augmentant les richesses potentiellement imposables. Un raisonnement bien connu…, mais désavoué par la réalité.

 

Enfin, un autre point qui doit permettre de « renforcer notre économie » fait apparaître très clairement le cynisme de l'organisation représentative des employeurs : il s'agit de limiter les mesures contre le fraude fiscale car celles-ci « ont accru de manière excessive les risques entrepreneuriaux et créé un climat dommageable à l'encontre de l'acte d'entreprendre ».

 

Loin de nier la réalité, la FEB fait de la fraude fiscale une pratique banale, presque indissociable de « l'esprit d'entreprise » et inverse les rôles. L'Etat, en contrôlant l'application de ses lois, empêcherait à la « créativité entrepreneuriale » de se manifester. Il devrait donc s'effacer pour laisser celle-ci s'épanouir librement, par la fraude.

 

Les mesures de combat contre la fraude fiscale « ont accru de manière excessive les risques entrepreneuriaux  et créé un climat dommageable à l'encontre de l'acte d'entreprendre ».

 

« Pour des emplois plus nombreux et de qualité »

 

Cette deuxième partie, présentée sous un titre particulièrement généreux mais mensonger, comporte une série de mesures qui visent à approfondir encore le démantèlement des acquis de la classe ouvrière. Si les patrons ne veulent pas être importunés concernant la fraude fiscale, il s'agit par contre de serrer la vis contre les « chômeurs profiteurs ».

 

Il faut donc les faire passer de l'inertie à l'activation en limitant les allocations dans le temps, en allongeant le stage d'attente et en prévoyant des limites d'âge, en renforçant encore le contrôle de la disponibilité des chômeurs, en éliminant les « pièges à l'emploi » (soit, en maintenant suffisamment bas le niveau de vie des allocataires sociaux), et en guidant les demandeurs d'emploi vers l'emploi disponible (soit, en assouplissant la notion d'emploi convenable et donc en obligeant les chômeurs à accepter n'importe quel emploi).

 

Toujours davantage de  flexibilité.

 

Si ces mesures visent à augmenter l'offre de main-d'ouvre, la FEB ressort également sa « recette-miracle » pour augmenter la demande de main-d'ouvre : la flexibilité ! Il s'agit de « rendre nos entreprises plus compétitives en leur permettant de réagir rapidement aux fluctuations des cycles de productions, aux opportunités du marché et aux exigences de leurs clients ». Soit, de pousser à l'extrême l'instrumentalisation et la soumission des travailleurs aux besoins de la machine productive et surtout aux intérêts de ceux qui en sont les propriétaires : augmentation des heures supplémentaires sans repos compensatoire et sans devoir obtenir l'autorisation préalable de la délégation syndicale, annualisation de la durée du travail, augmentation de la durée hebdomadaire du temps de travail à 48 heures/semaine, favoriser le développement des systèmes individuels d'épargne-temps. L'offensive patronale sur le temps de travail semble donc belle et bien entamée.

 

Les propositions défendues par la FEB concernant le système d'épargne-temps reprennent des mesures qui existent déjà dans divers pays européens et qui sont promues aujourd'hui par l'ensemble des institutions communautaires et internationales (OCDE, commission européenne,.). Ce système, dont nous avons déjà parlé dans le PI n°44, visent à « responsabiliser davantage les travailleurs par rapport à leurs carrières » en leur faisant prendre en charge le financement éventuel d'une interruption de carrière, d'une retraite anticipée ou d'un congé, en ayant accumulé préalablement du temps presté en plus (heures supplémentaires, congé non pris,.).

 

« Les travailleurs pourraient alors être encouragés par un régime fiscal favorable à épargner des heures supplémentaires ou des jours de congé pour les prendre plus tard au cours de leur carrière et financer ainsi eux-mêmes une interruption temporaire de leur carrière ou leur retraite anticipée ».

 

Mais la flexibilité ne concerne pas seulement le temps de travail. Le patronat veut également des « procédures d'embauche et de licenciement plus souples ». Les travailleurs belges ne seraient pas suffisamment « mobiles », ils resteraient trop longtemps sur un même emploi. Il faut donc, pour la FEB, augmenter la rotation de la main-d'ouvre sur un même emploi : les travailleurs se sachant sur une siège facilement éjectable se montreraient certainement moins revendicatifs et cela permettrait à l'employeur d'adapter au plus près son personnel aux fluctuations de sa production ou de ses services. Comment intensifier la rotation ? En permettant une utilisation plus souple du travail intérimaire (supprimer la nécessité de motiver le recours au travail intérimaire2), en encourageant la mise à disposition de travailleurs et en diminuant les coûts pour l'employeur d'un licenciement.3

 

« Une immigration bien pensée »

 

Pour favoriser des « emplois plus nombreux et de qualité », le patronat propose également une « politique d'immigration bien pensée ».  Aurait-il soudainement certaines préoccupations à l'égard des agressions quotidiennes qui sont menées contre le droit d'asile, contre les droits fondamentaux de personnes qui se voient enfermées sans n'avoir commis aucun délit que d'avoir voulu chercher refuge dans un pays qui se déclare encore « terre d'accueil » ? Aurait-il un certain malaise à l'égard de travailleurs qui, faute de papiers, sont soumis aux pires abus et exploitations ?

 

Non, une « politique d'immigration bien pensée » selon la FEB, c'est une politique qui limite encore drastiquement les possibilités de regroupement familial et de droit d'asile mais par contre, qui assouplisse les procédures pour organiser la « fuite des cerveaux » en provenance des pays tiers, soit en favorisant l'utilisation temporaire de travailleurs qualifiés selon les besoins fluctuants de notre pays. Si la FEB reconnaît également le recours à de la main-d'ouvre non qualifiée en provenance de pays étrangers, rien n'est proposé pour favoriser leurs droits de séjour et de travail ; c'est que la clandestinité tolérée de cette main-d'ouvre permet de pourvoir à la demande. (Voir l'article suivant dans cette édition.)

 

« Une politique de pension renouvelée »

 

Enfin, une dernière mesure proposée « en faveur de l'emploi » concerne une « politique de pension renouvelée » dont on a déjà pu subir un avant-goût avec le Pacte des générations. Pour les patrons belges en effet, ces mesures récentes ne suffisent pas pour financer nos pensions. Il faut revoir le niveau des pensions des fonctionnaires (à la baisse bien-sûr !), favoriser les systèmes d'épargne individuels et privés, revoir le ratio de remplacement (soit, revoir à la baisse le rapport entre la pension légale et le dernier salaire), poursuivre les réformes en vue d'augmenter le taux d'activité des plus âgés et « maîtriser les dépenses publiques ». Soit, tout un programme pour démanteler rapidement notre système public de pensions.

 

Dans un discours extrêmement révélateur sur « l'état de la Wallonie » tenu le 31 janvier 2007, le président du parti « socialiste », Elio Di Rupo, considère les taxes sur les entreprises comme des « antiéconomiques », affirme le besoin de « la sensibilisation, des l'école, à l'esprit d'entreprendre », s'enorgueillit de l'élimination des taux sur les droits de succession et de donation pour la transmission d'entreprises,  vante l'articulation étroite entre les entreprises, la recherche et la formation,.

 

Face à l'agressivité d'un patronat plus sûr de lui que jamais, renforcé encore sur ses principaux axes par les accords conclus avec le « partenaire syndical » (voir PI n° 43 sur le tout récent AIP 2007-2009) et les déclarations récentes des dirigeants « socialistes », la résistance des travailleurs ne peut que s'organiser à la base, dans les entreprises et les quartiers, sur base d'une défense commune et solidaire des acquis de notre classe, qu'ils soient travailleurs « autochtones » ou étrangers, avec ou sans-papiers, pour avancer ensemble dans la lutte pour un programme des travailleurs et pour les travailleurs.

 

Stop aux emplois précaires !

Stop aux réductions de charges sociales et fiscales des entreprises !

Des emplois plus nombreux et de qualité

par la réduction du temps de travail sans perte de salaire !

                    

1 Le patron de La Poste Johnny Thijs gagne ainsi plus de 800.000 euros par an, sans compter les avantages divers, et le patron de Belgacom 2.200.000 euros. De quoi se poser des questions concernant les orientations choisies pour  « réduire les coûts » : licenciement du personnel, réduction des services au public (fermeture de nombreux bureaux de postes,..).

2 Pour le moment, il existe trois motifs permettant l'utilisation de travailleurs intérimaires : le remplacement temporaire d'un travailleur, l'accroissement temporaire de travail et une activité exceptionnelle. Il y a cependant très peu de contrôles et le travail intérimaire est devenu davantage un mode de gestion à part entière de la main-d'ouvre pour un nombre croissant d'entreprises plutôt qu'une pratique exceptionnelle.

3 Les discussions qui vont être menées dans un avenir très proches concernant les statuts ouvriers-employés s'inscrivent dans cet objectif : les patrons veulent diminuer, voir supprimer le préavis des employés !



 

 

 

Ces articles peuvent vous intéresser

Découvrez d'autres balises

Artigos mais populares